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Astana, la fabrique d’une capitale

Compte-rendu Cafés Géographiques de Saint-Brieuc
23 octobre 2015

Christiane Barcellini, présidente de l’association “Les Cafés Géographiques de Saint-Brieuc” et géographe est intervenue sur le sujet “Astana, la fabrique d’une capitale” en remplacement du sujet prévu “A la recherche des protestants bretons”, Laurent Theis ayant été hospitalisé d’urgence.

Astana, au coeur des steppes de l’Asie centrale, là où la température descend à -40°C en hiver, est la capitale du Kazakhstan depuis 1997. Cette ville surprenante, extravagante est née de la volonté d’un homme, Noursultan Nazarbaïev, président du Kazakhstan qui exerce, depuis 1991, une autorité absolue sur ce nouvel Etat né de l’implosion de l’URSS.

Astana accueillera l’Exposition internationale “Energie du Futur. Action pour la durabilité mondiale” du 10 juin au 10 septembre 2017.

Comment cette petite ville de province dans les années 1990, s’est-elle hissée au rang de capitale mondiale ? Il s’agit de comprendre, avec ce café géographique “Astana, la fabrique d’une capitale”,  le projet politique de Nazarbaïev.

Astana est la capitale spectaculaire d’un  pays immense (2 700 00 km2, soit cinq fois la France, 9ème au classement mondial), à la charnière de l’Europe et de l’Asie. Très enclavé, le Kazakhstan ne s’ouvre sur aucun océan. Il a des frontières communes avec deux grandes puissances, la Russie au nord (plus 6000km), la Chine à l’est (environ 1500km); au sud, il est limitrophe de trois Etats issus, comme lui, de l’ex-URSS : le Kirghizstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan. La population de 17 millions d’habitants, soit une densité d’à peine 5,5 habitants au km2, est située en périphérie du territoire. Les conditions naturelles rendent compte en partie de ce territoire-bracelet. Le centre du Kazakhstan est le domaine des températures extrêmes (-40°C l’hiver , +35°C l’été), des vents violents et des précipitations faibles (350 mm). La steppe d’Asie centrale, au climat continental semi-aride, qui couvre une grande partie du Kazakhstan, a longtemps été le domaine des pasteurs nomades à cheval. Pendant la guerre froide, l’URSS choisit cette steppe désertique pour ses essais et laboratoires nucléaires (polygone nucléaire de Semipalatinsk, cosmodrome de Baïkonour) ainsi que pour ses camps du Goulag.  L’aridité diminue à l’est (Altaï), au sud-est (monts Tian Shan) et au sud où quelques larges vallées ont favorisé la sédentarisation de la population; c’est là que se trouvent les principales et plus anciennes villes du Kazakhstan (Taraz, Chymkent), étapes prospères sur la route de la Soie, ainsi que l’ancienne capitale Almaty.  Les villes au nord du Kazakhstan, comme Pavlodar, reçoivent, pendant la période soviétique, une immigration massive de jeunes Russes, dans le cadre de la politique de “campagnes des terres vierges” et de russification des Républiques qui constituaient l’URSS. Les villes à l’ouest comme Aktaou doivent leur développement aux projets d’exploitation des vastes réserves de pétrole et de gaz de la mer Caspienne.

Pays musulman laïc, le gouvernement aime à rappeler que le Kazakhstan est un Etat pluriethnique et multiconfessionnel  où coexistent 130 nationalités.  S’il y a 65% de Kazakhs, il y a une minorité russe importante (22%) ; les régions du sud comptent environ 90% de Kazakhs tandis que certaines villes du nord sont encore majoritairement russes. Le Kazakhstan compte aussi des Ouzbeks (3%), des Ukrainiens (2%), des Ouïgours, opposants au régime de Pékin, venus se réfugier au Kazakhstan (1,5%) mais aussi des Allemands (descendants des vagues de déportations staliniennes pendant le Seconde Guerre mondiale), des Coréens (descendants des Coréens originaires de l’est de la Russie, déportés par Staline en 1937 pour contrecarrer l’espionnage japonais)…

1 – Astana, ville-capitale

Pourquoi ce choix ? La question mérite d’être posée tant  la situation d’Astana, au milieu de la steppe désertique d’Asie centrale, semble contre nature.

Décrétée nouvelle capitale par décision du premier président du Kazakhstan indépendant, Noursultan Nazarbaïev

Réélu en avril 2015 avec un taux de participation de 95% et plus de 97% des voix, Nazarbaïev entame son 5ème mandat consécutif à la tête de la République du Kazakhstan sur lequel il exerce, depuis 25 ans, une autorité sans partage sur un Etat qu’il a créé et consolidé. Pur produit du régime soviétique, né dans une famille kazakh, il fait son ascension dans les rangs du CPSU (Parti Communiste de Union Soviétique) dans les années 1970 après avoir travaillé plusieurs années comme ouvrier dans un des complexes métallurgiques du Karaganda. Proche de Gorbatchev puis d’Eltsine, il décline toutes propositions de postes politiques à Moscou préférant se donner un avenir politique dans son pays natal. Il est élu président de la République du Kazakhstan par le Soviet Suprême en 1990 et au suffrage universel du Kazakhstan indépendant en 1991. La Constitution de 1995 renforce un peu plus son pouvoir et  un amendement en 2007 l’autorise à se présenter autant de fois qu’il le souhaite. Dans ce régime présidentiel absolu qui ignore la séparation des pouvoirs, toutes les nominations dépendent de Nazarbaïev; il nomme les membres du Sénat et le Majilis (Chambre des députés) est totalement dominé par le parti présidentiel Nur Otan (“rayon de soleil de la patrie” en kazakh). Il y a quelques députés sans parti mais toute opposition est étouffée. Le Parlement qui reste une chambre d’enregistrement des décisions présidentielles accorde, au président du Kazakhstan, en 2010, le titre de “chef de la nation”.

Aucune trace de démocratie, et pourtant Nazarbaïev bénéficie jusque là du soutien de la population qui profite d’un taux de croissance moyen de 8% depuis 2000 dans un pays d’une grande stabilité.

Nazarbaïev est déterminé à faire du Kazakhstan la première puissance économique et politique d’Asie centrale en s’appuyant sur les immenses ressources du sous-sol. Sa capitale, Astana, doit être le vecteur et la vitrine de son ambitieux dessein.

–  Au coeur de la steppe continentale

Quelles sont les raisons évoquées par le président du Kazakhstan pour décider en 1994 de transférer la capitale à plus de 1200 kms au nord d’Almaty, dans une région où il gèle plus de six mois par an?

S’il y a des raisons officielles, voire justifiées (l’ancienne capitale Almaty, au pied des monts Tian Shan, est dans une zone sismique et manque d’espace pour se développer), la décision prise par Nazarbaïev  est d’ordre politique, vaincre le vide de la steppe, “kazakhiser” une région russophone et tourner la page (Almaty était la capitale de la République du Kazakhstan pendant la période soviétique). Choix enfin qui éloigne le pouvoir politique personnel du président de l’élite intellectuelle d’Almaty qui pourrait manifester son désaccord avec le gouvernement.

Astana surgie de la steppe, capitale depuis 1997, est la capitale au monde la plus froide avec Oulan-Bator.

d’Akmola à Astana

Le premier noyau urbain date de 1830 avec la fondation de la forteresse russe d’Akmola (“tombe blanche” en kazakh). C’est alors le lieu de rassemblement des caravanes qui circulent dans les steppes d’Asie centrale entre la route de la Soie au sud et les grandes plaines russes au nord. Au début du XXème siècle, Akmola, devenu un noeud ferroviaire important,  reste un lieu de passage et de transit.

Pendant la période soviétique, plusieurs camps du Goulag sont créés par Staline, entre 1932 et 1955, dans ces steppes hostiles d’Asie centrale dont les ressources du sous-sol sont considérables (gisements de fer et de charbon du Karaganda).  Aux environs de la ville qui s’appelle alors Akmolinsk se trouvait le camp ALJIR destiné aux femmes et aux enfants des “traîtres à la patrie”. Ceux qui échappaient à la mort dans les camps du Karaganda et qui étaient libérés, s’installaient dans les villes les plus proches. C’est ainsi qu’Akmolinsk connaît une 1ère phase de développement.

En 1961, la ville devient  le quartier général pour les steppes du Kazakhstan soviétique dans le cadre de la “campagne des terres vierges” initiée par Khrouchtchev.  Akmolinsk prend alors le nom de Tselinograd (ville des terres vierges) et connaît une 2ème grande phase de développement avec l’arrivée de paysans originaires de toute l’URSS.

Après l’effondrement de l’URSS, la ville reprend son nom d’Akmola, c’est  une ville d’environ 200 000 habitants constituée d’une population pluriethnique.

En 1997, quand la capitale est transférée d’Almaty à Akmola-Tselinograd, elle change une nouvelle fois de nom, elle devient Astana (“capitale” en kazakh). Elle compte alors 300 000 habitants. En 2015, sa population a triplé (900 000 habitants).

La ville grignote la steppe

La politique de grands travaux engagée pour construire la nouvelle capitale soutient la croissance économique de la région. Les ouvriers affluent vers l’immense chantier (Kazakhstanais, Ouzbeks, Kirghizes…), mais aussi les fonctionnaires, les vendeuses ou les chefs d’entreprises attirés vers ce nouveau centre politique et financier du pays.

Sur la rive gauche de l’Ichim, les bâtiments futuristes, les hôtels de luxe  partent à l’assaut de la steppe,  remplaçant les petites maisons de l’époque soviétique; on plante et replante avec persévérance des sapins qui ont des difficultés à supporter les écarts climatiques. Le nouveau centre d’Astana, que l’on appelle déjà “la Dubaï des steppes” attire la population kazakhstanaise  aisée.  Les ouvriers et employés vivent dans l’ancienne ville, plus au nord, sur la rive droite qui regroupe plus de 80% de la population de la capitale.

Mais Astana est loin d’être terminée,  le chantier commencé en 1994 doit se prolonger jusqu’en 2030 pour étendre la ville au sud (où se trouve déjà l’aéroport international) et à l’est. Pour faire face à l’augmentation des prix de l’immobilier et pour se doter d’une “classe moyenne qui partage certaines valeurs comme la stabilité, la discipline, le travail” affirme Alima Bissenova, sociologue à l’université Nazarbaïev,  le gouvernement  a lancé en 2012, un vaste programme  d’aide au logement.

Des architectes de renommée internationale

Les plus grands architectes internationaux sont invités à exprimer leur talent (des Russes, des Kazakhstanais, des Italiens) mais le paysage urbain d’Astana a surtout été façonné par le Japonais Kisho Kurokawa qui a imaginé le plan général de la nouvelle capitale et le Britannique Norman Foster qui y multiplie les bâtiments audacieux et symboliques.          Pour l’architecte japonais, la conception et la construction d’Astana, calculées à l’horizon 2030 était “la projet de sa vie”. Il est décédé en 2007 et Astana a, depuis, largement dépassé les objectifs du plan directeur de Kurokawa.

Les extravagantes constructions d’Astana sont financées par les abondantes ressources énergétiques du Kazakhstan (son territoire est une véritable “curiosité géologique” qui concentre le tableau périodique de Mendeleïev) ainsi que par les pays amis ou partenaires économiques (Russie, Chine, Abu Dhabi, Dubaï), qui offrent à la ville, gratte-ciel,  centres commerciaux ou monuments-symboles.

Coupoles, palais stalinien, colonnes grecques, gratte-ciel américain se côtoient dans ce qui semble être un désordre architectural.

Quid de ce patchwork ?

“Le style d’Astana, c’est l’Eurasie” explique l’architecte Chokan Mataïbekov qui reprend fidèlement le mot d’ordre donné par Nazarbaïev dont l’ambitieux dessein est de faire du Kazakhstan qui se trouve entre Europe et Asie, entre Occident et Orient, un Etat qui réalise la symbiose des cultures et des peuples de l’espace eurasiatique. Astana doit servir cette ambition.

Au-delà de cette “vision” mondiale, le nouvel axe central d’Astana reflète le pouvoir personnel de Nazarbaïev qui règne sans partage sur le Kazakhstan depuis 1990.

2 – Le centre d’Astana, “l’Axe du pouvoir”

Nurjol Bulvar, nouvel axe central d’Astana, promenade magistrale, “boulevard vert” qui se développe d’ouest en est sur 2km, de Khan Shatyr au Palais présidentiel, concentre dans ses bâtiments les pouvoirs politique, économique et culturel. Un concentré de pouvoirs à proximité de la résidence de Nazarbaïev, pour bien montrer que “des qualités de notre Président dépend tout” comme l’affirment ses conseillers.

Quelques photos significatives et un schéma réalisé à partir des travaux de deux géographes, Valérie Gélézeau et Bernhard Köppen, nous permettrons de voir comment le régime politique tel que l’a voulu Nazarbaïev, s’inscrit dans l’espace urbain d’Astana.

Nurjol Bulvar a une orientation Est/Ouest : à l’est, fermant cet axe central, jalonné de placettes, de fontaines et de plantations (artificielles dès le mois d’octobre) se trouve  le palais présidentiel, là où le soleil se lève. C’est l’Ak Orda (maison blanche en kazakh) reconnaissable à sa façade blanche à colonnes surmontée d’une coupole bleue comme les dômes des mosquées. Les deux tours coniques couleur bronze/or qui rappelle la coiffe de “l’homme d’or” retrouvé lors de fouilles archéologiques, sont deux centres d’affaires où siègent de nombreuses compagnies détenues par l’Etat. S’incurvant de part et d’autre de ces tours et formant comme un bouclier, se dressent les deux ailes de la Maison des Ministères. Les tours des deux chambres du Parlement, le Sénat et le Majilis, de couleur blanc et bleu, se trouvent derrière le bâtiment ministériel nord et la Cour Suprême derrière le bâtiment ministériel sud, proches, toutes proches du palais présidentiel.

La lecture de l’espace urbain est simple et le message de Nazarbaïev, clair (le pouvoir exécutif contrôle tout).

Le parti présidentiel,  Nur Otan,   imposant bâtiment couleur bleu et blanc, se trouve aussi sur cet axe du pouvoir, ainsi que les Archives nationales (de la période soviétique) et le siège grandiose de l’opérateur national pour l’industrie pétro-gazière, KazMunayGaz.

Au centre de Nurjol Bulvar, le monument de Bayterek, tour terminée par un globe de verre couleur or est le  symbole d’Astana.

L’homogénéité des couleurs (bleu et or) utilisées pour les bâtiments, tours de verre ou monuments peut surprendre. Il s’agit des deux couleurs, d’or et d’azur, des armoiries et du drapeau national du Kazakhstan.

Construire en pleine steppe une capitale pour le XXIème siècle mais également une ville-symbole, telle est la volonté de Nazarbaïev, Premier Président du Kazakhstan indépendant.

3 – “Bâtir” l’identité nationale

Astana, ville de tous les symboles doit servir un autre dessein de Nazarbaïev, celui de donner à la population kazakhstanaise une identité commune, l’identité kazakh, pour construire la nation.

Depuis 1991, le chef de l’Etat mène progressivement mais avec détermination une politique de “kazakhisation”. La question est délicate à gérer dans un Etat où coexistent 130 nationalités, conséquence d’un territoire qui a été un espace de passage et de transit, de déportation ou de mise en valeur des terres vierges et où l’identité de la nationalité majoritaire, a longtemps été étouffée sous l’empire russe et pendant la période soviétique (politique de russification).

Pour le gouvernement, la ville-capitale, Astana doit être la vitrine et le vecteur de cette initiative nationale. Astana doit se bâtir et “bâtir” l’identité nationale du Kazakhstan.

Deux bâtiments, à Astana, portent plus particulièrement ce projet : Bayterek et Khan Shatyr. Ils sont, tous les deux, situés sur “l’Axe du pouvoir”.

Bayterek est une tour de 97m au centre du “Boulevard vert”. Elle a été décidée par Nazarbaïev et réalisée par Norman Foster en 1997. Sa hauteur n’est pas un hasard, 97m,  symbolise la date du transfert de la capitale de Almaty à Astana.

Cette tour, faite d’un treillage blanc terminée par un grand globe de verre, raconte une ancienne légende kazakh, celle de Samruk, un oiseau sacré qui pond un oeuf d’or chaque année, symbole du soleil, à la cime d’un arbre de vie gigantesque inatteignable aux hommes. Dans cet oeuf, se trouvent les voeux, les attentes et les désirs des hommes. Mais la légende kazakh devient réalité aujourd’hui grâce au président du Kazakhstan, l’oeuf n’est plus inatteignable, on y accède grâce à deux ascenseurs… Sur la plateforme supérieure, les visiteurs (les scolaires kazakhstanais) peuvent placer leur main dans l’empreinte de la paume (immense) de Nazarbaïev en train de prêter serment sur la Constitution kazakh.

Bayterek est le symbole de la capitale, voire du Kazakhstan.

Khan Shatyr ferme le “Boulevard vert” à l’ouest. C’est une immense tente, haute de 150m, d’une superficie comparable à 10 terrains de football. Comme Bayterek, elle est l’oeuvre de Norman Foster, sur un projet de Nazarbaïev en 2006 et réalisée en 2010. Cette immense tente qui rappelle le passé nomade du peuple kazakh, est un gigantesque complexe de loisirs, de magasins et de restauration haut de gamme (au dernier étage, plage de sable fin, piscine, palmiers et toboggans) et est conçue pour faire face aux températures extrêmes; son toit est réalisé dans un matériau souple qui résiste aux grands écarts de températures grâce auquel  Khan Shatyr bénéficie toute l’année d’une température ambiante de 15 à 20°C.

Il n’y a pas que des réalisations architecturales grandioses qui donnent à lire l’histoire du peuple kazakh. Toujours sur Nurjol Bulvar, des sculptures plus modestes mais non moins significatives rappellent l’héritage nomade du Kazakhstan.

La “kazakhisation” du Kazakhstan passe aussi par la révision des programmes scolaires. L’histoire, auparavant réduite à un sous-chapitre de l’histoire soviétique, souligne le passé glorieux du peuple kazakh. Les héros de la nation trônent au sein des villes comme le monument à Janybek Khan et Kerey Khan (héros fondateurs de la première entité politique, le Kazakh Khanat, en 1465, dont le Kazakhstan a fêté en septembre 2015, le 550ème anniversaire), dans les quartiers nord d’Astana ou encore celui  à Kenesary Khan (héros très populaire qui mena des luttes continuelles contre les forces de l’Empire russe jusqu’à sa mort en 1847) , sur les rives de l’Ichim.

Cette politique de construction d’une histoire nationale s’accompagne d’une autre question centrale, celle de la langue.

Beaucoup de Kazakhstanais scolarisés dans les écoles de la période soviétique, ne maîtrisent pas le kazakh. Sur 17 Millions d’habitants, 10 millions parlent la langue kazakh. La première Constitution du Kazakhstan indépendant en 1993 instituait le kazakh comme “langue d’Etat” et le russe comme “langue de communication interethnique”. La loi sur les langues en 1997 est plus précise et affirme la volonté d’imposer progressivement le kazakh. Elle rend obligatoire l’enseignement du kazakh au même titre que le russe. Le texte impose le bilinguisme des papiers administratifs, des modes d’emploi de toutes sortes ainsi que des légendes des objets exposés dans les musées. Le texte est tellement précis que la langue d’Etat doit être placée à gauche ou au-dessus du russe, le russe à droite ou en dessous.

Sur Nurjol Bulvar : sculpture qui rappelle le passé nomade du peuple kazakh, la caravane de chameaux et le shanyrak (coupole de la yourte faite en pin ou en mélèze). Le shanyrak symbolise l'entente et la lignée, il est donné en héritage au fils ainé.

Sur Nurjol Bulvar : sculpture qui rappelle le passé nomade du peuple kazakh, la caravane de chameaux et le shanyrak (coupole de la yourte faite en pin ou en mélèze). Le shanyrak symbolise l’entente et la lignée, il est donné en héritage au fils ainé.

Panneau Decaux  : en haut en kazakh, en bas en russe (une ville sans drogue).

Panneau Decaux  : en haut en kazakh, en bas en russe (une ville sans drogue).

Que serait une nation sans un Panthéon pour ses Grands Hommes ?

En janvier 2014, le gouvernement a décidé de doter Astana, ville-capitale, d’un Panthéon.

Le site choisi se trouve à 20km au sud d’Astana (suffisamment loin pour permettre à Astana de s’étendre jusqu’en 2030 qui marque la fin du chantier ouvert en 1994, suffisamment prêt pour que les habitants s’y rendent facilement en voiture ou bus : la route existe ainsi que les arrêts de bus mais trop loin pour que ce site soit intégré dans un circuit touristique). Sur le site se trouve le mausolée de Kabanbay Batyr construit en 1998. Kabanbay Batyr était, au XVIIIème siècle, le chef du Khanat qui correspond au Kazakhstan actuel; on aurait retrouvé sa tombe, en 1830, dans le sol crayeux de la steppe, là où a été construite la forteresse russe, qui prend alors le nom de Akmola (tombe blanche).

Astana, ville-capitale, a été construite sur le territoire du Kazakhstan historique là où se trouvait la tombe de son chef de guerre et le choix du futur site du Panthéon de la nation montre bien que l’identité nationale se construit au Kazakhstan sur une identité religieuse.

Des tombes provisoires, quatre actuellement, sont en attente de la construction du Panthéon: celles d’une poétesse, d’un président de la chambre des députés, d’un métallurgiste, d’un recteur d’université. Il y a, dans ce choix, la volonté de “panthéoniser” les représentants de tous ceux qui construisent la nation.

4 – Une utopie ? La pyramide de la paix et de la concorde

Au-delà du palais présidentiel, sur la rive droite de l’Ichim, mais dans le prolongement de Nurjol Bulvar, sur “l’Axe du pouvoir”, trône un bâtiment religieux et culturel de forme pyramidale. Cette pyramide de verre et d’acier, construite en 2006 par Norman Foster, repose sur une base fondatrice de 15m de haut (technique déjà utilisée par l’architecte pour des tours de bureaux à New-York). Les 130 colombes sous forme de vitrage au sommet de la pyramide représentent les 130 nationalités qui vivent au Kazakhstan. Erigé pour “l’éternité”, ce bâtiment accueille le Congrès  triannuel des religions mondiales et traditionnelles (1er Congrès en 2006, le plus récent en 2015) ainsi que des forums publics consacrés aux problèmes des relations interethniques.

Centre symbolique d’Astana, la pyramide devrait d’ici 2030 (fin du chantier) correspondre également au centre géographique de la capitale.

Astana, capitale-vitrine, doit servir le dessein ambitieux de Nazarbaïev, celui de placer le Kazakhstan, Etat polyethnique et multiconfessionnel, au centre de la construction d’un espace-monde ouvert, tolérant et pacifié.

On peut s’interroger sur une certaine contradiction entre cette volonté affichée et la détermination du président du Kazakhstan à construire son pays sur une identité nationale enracinée d’abord dans une histoire musulmane.

Le juste équilibre entre ces deux ambitions risquent d’être difficile à tenir dans l’avenir.

Compte-rendu:  Christiane Barcellini

Photographies : Lise Barcellini et Christiane Barcellini