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Covid-19, géopolitique d’une pandémie, par Béatrice Giblin

Lundi 17 février 2022, nous avons accueilli au Café de la Mairie (Paris 3e) Béatrice Giblin, géographe, professeure émérite des Universités, directrice de la revue Hérodote, pour un café géopolitique consacré à la géopolitique de la pandémie du Covid-19, sujet du dernier numéro de la revue Hérodote (2021/4, n°183).

Même si la crise sanitaire s’est poursuivie après la publication du numéro de la revue Hérodote (4e trimestre 2021), Béatrice Giblin pense que ce numéro garde tout son intérêt, compte tenu de la qualité des problématiques mises en valeur par les différents auteurs qui comptent parmi les meilleurs spécialistes des questions de santé et/ou des pays étudiés.

D’entrée, elle cite l’exemple de la Chine qui a saisi l’occasion de la pandémie pour prouver la supériorité de son système politique (moins de morts que dans les pays occidentaux malgré le manque de fiabilité des statistiques) et promouvoir une « diplomatie du masque et du vaccin ». En réalité, l’aide sanitaire de la Chine au reste du monde n’a pas été une aide aussi importante que ce qui a été proclamé par Pékin.

A l’opposé de la stratégie chinoise, celle des Etats-Unis de Trump a été un déni de la gravité de la pandémie qui pourtant a fait des ravages dans les milieux défavorisés américains (plus de 600 000 morts aux Etats-Unis, ce qui en fait l’un des pays du monde le plus touché par le virus). Selon B. Giblin, cette attitude a sans doute coûté sa réélection à Donald Trump.

Un autre aspect intéressant de l’approche géopolitique de la pandémie concerne l’action de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont le directeur général d’origine éthiopienne a été accusé de complaisance envers le gouvernement chinois, notamment en tardant à déclarer la pandémie. En réalité, les faiblesses de l’OMS sont anciennes avec des rivalités de pouvoir et un budget de fonctionnement inférieur à celui d’une fondation privée comme celle de Bill et Melinda Gates.

A partir d’une carte montrant l’impact de la pandémie sur le territoire vietnamien, B. Giblin rappelle l’efficacité de la politique sanitaire du Vietnam dans un premier temps (strict contrôle des frontières et des flux aériens) mais la carte montre que la deuxième vague a touché les parcs industriels des régions de Hanoï et de Ho Chi Minh ville, qui constituent le fer de lance de l’industrie textile du pays. De nombreux ouvriers venus des campagnes travaillent dans ces parcs industriels mais en même temps y vivent (dortoirs de fortune, tentes montées sur des sols…). De nombreux clusters s’y sont formés, expliquant le nombre élevé des contaminations et des victimes du Covid. L’importance des investissements étrangers (Corée du Sud, Japon, Etats-Unis, Chine) explique le dynamisme industriel du Vietnam qui représente un élément important du développement avec lequel la politique sanitaire doit compter.

De façon inattendue, après le Brexit, l’Union Européenne a été confortée par la pandémie car elle a réussi à élaborer une stratégie sanitaire plus efficace qu’on ne l’a dit. Le dispositif intégré a été activé permettant une réponse coordonnée au Covid-19 et affirmant la santé comme une priorité absolue. Le Covid-19 a permis ce qui a été interdit lors de la crise financière de 2008, toutes les règles budgétaires ont été suspendues. Quant aux vaccins, la Commission européenne et les Etats membres ont adopté une position commune en mai 2020 pour garantir l’approvisionnement et faciliter leur déploiement. Et malgré les critiques et les retards au début de la campagne de vaccination, la stratégie de l’Union Européenne mise en œuvre par le commissaire européen Thierry Breton s’est avérée très efficace. La création très rapide d’un vaccin est largement européenne avec la coopération des Etats-Unis. Quant à l’immense défi industriel, il a été relevé en augmentant très vite la capacité de production. Ainsi l’Europe a produit une grande partie des vaccins pour sa population mais aussi pour une grande partie du monde.,

B. Giblin termine sa présentation du sujet en évoquant la figure d’un géographe français, Max Sorre (1880-1962), un pionnier de la pensée écologique qui établit les fondements de la géographie des maladies, notamment en forgeant un nouveau concept, le « complexe pathogène », qui entretient des liens étroits avec le milieu.

Questions-réponses avec la salle :

1-Une question est posée sur la géo-démographie de la pandémie de Covid-19 dans le monde.

B. Giblin rappelle qu’il existe plusieurs facteurs expliquant les inégalités de la mortalité associée au Covid-19 observées dans le monde. Notamment, on l’oublie parfois, le rôle de la pyramide des âges. Par exemple, l’importance des populations jeunes en Afrique a limité le nombre de victimes dans ce continent. Parmi les autres facteurs importants, elle cite les stratégies sanitaires adoptées (le « 0 covid » dans plusieurs pays asiatiques…), les traditions sanitaires (comme le port du masque au Japon en cas de rhume), le système politique (entre la Chine, les Etats-Unis et le Brésil il y a eu des différences considérables dans le contrôle de la population). A une échelle plus fine, l’étude des différences de mortalité entre les Etats de l’Union indienne est également éclairante sur la diversité des facteurs explicatifs.

2-Une question est posée sur la réindustrialisation envisagée en France en lien avec les constats faits pendant la crise sanitaire.

B. Giblin ne pense pas que la crise sanitaire marque un tournant majeur dans les choix industriels de la France sauf sur deux points. La prise de conscience de la dépendance à l’égard de la Chine en particulier va sans doute déboucher sur la relocalisation d’un certain type de produits (notamment sanitaires) comme le paracétamol, les masques, voire les principes actifs. D’autre part, il faut noter la fin d’une forme de naïveté dont ont témoigné la France et l’Union européenne à l’égard de la Chine qui a profité des règles de l’OMC tout en protégeant son marché national. Mais comment cette perte de naïveté peut-elle se traduire concrètement ?

3- Une question est posée sur les résistances françaises aux vaccinations.

 

Pour répondre à cette question, B. Giblin exploite deux cartes, l’une sur la couverture vaccinale pour le vaccin contre le Covid-19 (au 18 août 2021), l’autre sur la couverture vaccinale contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (en 2018). Il s’agit de montrer une continuité et des ruptures à la lumière de la pandémie du Covid-19. Plusieurs controverses sont apparues à partir des années 1990 et ont pour point commun la remise en cause de l’innocuité de certaines vaccinations, mais elles révèlent surtout un sentiment de rejet à l’égard du gouvernement. Ces représentations négatives se sont exacerbées au cours de la crise sanitaire actuelle. Au-delà des particularités françaises, l’essor du « vaccino-scepticisme » est constaté en Occident et dans le reste du monde.

En réalité, les mouvements anti-vaccins accompagnent l’histoire de la vaccination et particulièrement de son institutionnalisation. En France, c’est au tournant des années 1950 que l’anti-vaccinalisme contemporain puise ses sources, porté par certains acteurs de l’agriculture biologique. La pandémie actuelle a suscité des mouvements de protestation hétérogènes ayant comme point commun le rejet des mesures sanitaires gouvernementales, alimentées il est vrai par des négligences et des erreurs de communication.

En regardant de près les deux cartes distribuées dans la salle, il apparaît assez clairement un gradient Nord/Sud défavorable à la France méridionale. Parmi les facteurs explicatifs il faut citer la distance physique avec le pouvoir central et le sentiment d’appartenance à une communauté locale à forte identité culturelle.

4-Une intervention est faite à propos des relations entre pandémie et tourisme à partir de l’exemple grec.

L’importance économique du tourisme en Grèce a bien mis en valeur les contradictions entre les nécessités sanitaires et les enjeux économiques.

Compte rendu rédigé par Daniel Oster, février 2022

 

PS : Les Cafés géographiques se joignent à Hérodote pour féliciter Delphine Papin, secrétaire de rédaction d’Hérodote, responsable du service d’infographie du journal Le Monde et qui fut des années durant membre de notre bureau, pour les deux récompenses qu’elle a obtenues lors de la 29e réunion des Malofiej Awards, le prix mondial le plus réputé pour l’infographie, parmi les 172 médias participants de 32 pays (dont le New York Times, Washington Post, The Guardian, National Geographic…).

Médaille d’or pour la carte « Une mer de gaz dans l’est de la Méditerranée ».

Médaille d’argent pour la carte « L’Etat palestinien selon Trump ».