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De la Baltique à la mer Noire
Atlantique

De la Baltique à la mer Noire + Atlantique

De la Baltique à la mer Noire et Atlantique sont les titres des deux premiers volumes de la collection « Odyssée, villes-portraits », publiés par ENS Editions sous la direction de Nicolas Escach et Benoît Goffin. Ils viennent de paraître en avril 2021 et l’éditeur annonce pour 2022 deux autres volumes : Arctique et Balkans. Disons-le d’emblée, c’est une réussite éditoriale, bâtie sur une collaboration originale entre des géographes et des artistes, pour faire dans chaque volume le portrait de dix villes entre géographie subjective et littérature de voyage.

Les auteurs (universitaires, écrivains, journalistes, architectes…) n’hésitent pas à donner leurs impressions et leurs ressentis pour mieux faire comprendre l’espace urbain décrit. Quant aux illustrateurs ils composent plusieurs types de dessin à partir de différents documents fournis par les auteurs pour rendre compte de la variété des configurations spatiales. Les dessins du volume De la Baltique à la mer Noire ont tous été réalisés par Marie Bonnin, ancienne élève de l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs. En revanche, les dessins du volume Atlantique ont été l’œuvre d’une dizaine d’anciens élèves de l’école Estienne (un illustrateur différent pour chacune des dix villes).

Pour chaque volume une « introduction subjective »

Chaque volume de la collection propose une introduction de quelques pages qui se veut « subjective ». C’est ainsi que l’espace atlantique est défini comme « une bascule géographique » tandis que l’espace entre Baltique et mer Noire est présenté comme « un intermédiaire menacé ». Le caractère hétérogène de ce dernier ensemble, véritable Entre-Deux russo-européen, apparaît tout au long de l’itinéraire choisi entre Saint-Pétersbourg au Nord et Tbilissi au Sud avec les dix villes décrites dont Riga, Kiev, Odessa, Sébastopol et Sotchi. Si l’expression de périphéries ou de marges vient immédiatement à l’esprit pour décrire cet espace, il faut pourtant ajouter que les régions traversées ont « participé de manière fondamentale à la construction identitaire et mythologique de la Russie et de plusieurs Etats de l’Union européenne ». En tout cas, ces pays et régions d’un Entre-Deux disparate se prêtent clairement à une analyse géopolitique dont les rapports entre la Russie et l’Union européenne constituent la principale clé de lecture.

Dix villes, dix auteurs

Le cœur de chaque volume est formé par dix portraits urbains qui constituent autant de petits textes de quelques pages qui réussissent à faire ressortir « l’âme » d’une ville sans pour autant négliger les principales informations factuelles. Chaque lecteur aura ses préférences parmi ces textes en fonction de ses goûts et ses attentes mais l’objectif de la « géographie subjective » choisi par les deux directeurs de la collection est toujours atteint. Prenons l’exemple de la ville de Sotchi présentée par le géographe Jean Radvanyi qui nous a particulièrement plu. L’auteur se demande pourquoi Sotchi attire tant les Russes et cela depuis le XIXe siècle lorsque cette partie du littoral de la mer Noire devient une des grandes régions balnéaires d’Europe. La réponse à cette question est l’occasion d’évoquer d’indispensables considérations géographiques (la mer, la montagne, le climat « subtropical humide ») et historiques (les étapes d’une histoire mouvementée et coûteuse du développement touristique). Jean Radvanyi met clairement en valeur les trois principaux moments de l’essor de la région de Sotchi (périodes tsariste, soviétique et post-soviétique) en montrant comment ceux-ci sont liés à chaque fois à d’énormes travaux d’infrastructures de transport et d’hébergement. Particulièrement réussie, la dernière partie du texte décrit le Sotchi russe à l’heure de l’olympisme pour conclure sur le nouveau visage de la station touristique.

« L’offre de séjour s’est nettement améliorée, transformant une partie de la ville, auparavant populaire et bon enfant, en une résidence à la mode, avec ses boutiques, restaurants et clubs de luxe, hôtels multi-étoilés et yacht-club, même si la qualité des services reste à améliorer. Curieusement, à l’heure où le régime critique les influences pernicieuses d’un Occident amoral et cynique, le grand parc d’attractions d’Adler et les résidences de Krasnaïa Polina sont des calques de leurs modèles nord-américains mais, pour le touriste russe moyen, cela ne fait qu’ajouter à un charme dépaysant. »

(Jean Radavanyi, in De la Baltique à la mer Noire, page 132)

Des doubles pages de géographie en mouvement

Une autre réussite de la collection réside dans les transitions faisant passer d’une ville à l’autre « en pointant les seuils, les gradients, les rebours et les carrefours ». Sur deux pages, une illustration d’inspiration cartographique souligne un fait essentiel de l’espace compris entre deux villes voisines qui est explicité dans une courte légende. Ainsi, entre Sébastopol (présentée par le géographe Kevin Limonier) et Sotchi (présentée par Jean Radvanyi), l’illustration représente le gigantesque pont de Crimée construit sur le détroit de Kertch et inauguré par Vladimir Poutine en 2018. La compréhension géopolitique de la région est immédiate : contrôle russe de la mer d’Azov, enchevêtrement territorial des zones continentales et maritimes de l’Ukraine et de la Russie, ligne de front de la région séparatiste du Donbass, etc. La légende de la double page « cartographique » est rédigée par Benoît Goffin qui a proposé avec Nicolas Escach des documents ayant permis le travail de l’illustratrice Marie Bonnin. Cet exemple, parmi beaucoup d’autres, souligne le remarquable travail d’équipe à l’œuvre dans cette collection qui a innové pour mettre en résonance textes et propositions graphiques.

Nous attendons avec impatience les parutions prochaines annoncées pour 2022 (Arctique et Balkans).

 

Daniel Oster, mai 2021