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L’extension de la crise des subprimes aux Etats-Unis

Hugo Lefebvre
ATER à l’université d’Artois, doctorant à l’Institut Français de géopolitique, Université Paris VIII

Café L’Avenue Mulhouse
4 octobre 2012

Hugo Lefebvre a passé un an en Californie pour cette thèse qui sera déposée demain matin. Il a étudié les enjeux et conflits de pouvoir nés en Californie de la crise de 2008, entre plusieurs acteurs à diverses échelles. Cette crise, la plus grave crise depuis 1929, a commencé en 2007. Elle s’est traduite par une augmentation rapide des saisies immobilières. Elle se résorbe cependant progressivement depuis 2010.

La crise a frappé dans un premier temps les villes centres car le modèle urbain américain est très différent de l’Européen : d’une manière générale, les villes centres sont pauvres et les périphéries riches. À l’échelle du pays, la Californie est l’un des États les plus touché par l’augmentation des saisies. La répartition des saisies immobilières n’est cependant pas homogène en Californie. La vallée de San Joaquin, petite région rurale de 1.5 millions d’habitants située 150 km à l’est de San Francisco , constitue l’une des régions les plus touchés par la crise, non seulement à l’échelle de l’État, mais également à l’échelle du pays. Ce territoire ne ressemble pourtant en rien aux villes centres car c’est une région rurale, qui a connu un développement urbain rapide avant le déclenchement de la crise.

Analyse multi scalaire de la crise des subprimes

Parmi les mécanismes financiers à l’origine de la crise, on trouve les fameux « Subprimes », c’est-à-dire, des crédits de mauvaise qualité, à des taux d’intérêts élevés, souvent variables. Ces taux sont parfois prévus pour rester fixes pendant 3 à 5 ans avant d’être réinitialisés provoquant une forte hausse du montant à rembourser chaque mois.
En principe, on parie sur le refinancement. On vend la maison avec une plus–value. On rembourse le crédit, encaisse la plus-value et on rachète une autre maison plus grande, toujours à crédit ce qui ne fonctionne que si le prix de l’immobilier augmente. Le problème est que ces crédits sont douteux car la solvabilité des emprunteurs était incertaine. Ces emprunts ont par ailleurs été titrisés, c’est-à-dire transformés en actifs financier, mélangés puis revendus à des investisseurs sur les marchés mondiaux attirés par leurs taux d’intérêts élevés. Les agences de notation, dont les clients sont les banques qui fabriquent les portefeuilles titrisés, ont contribué à fausser le jeu en en sous-estimant les risques. Les courtiers, chargés de vendre ces subprimes, ne s’intéressaient qu’à la commission liée à la vente du crédit et en aucun cas à la solvabilité du client.

Aux Etats-Unis, la propriété privée est plus importante qu’en France comme en témoigne entre autres, le Homestead Act de 1862. Les minorités, en marge de la société, n’ont pu y accéder pendant de longues décennies. On pensait alors que s’ils devenaient propriétaires, ils prendraient mieux soin de leur logement, élèveraient mieux leurs enfants, des fondamentaux bien ancrés dans la mentalité américaine.
Dans les années 80, la dérégulation financière lancée sous les présidences de Jimmy Carter et surtout Ronald Reagan permirent aux banques de diffuser les crédits subprimes et de développer des pratiques opaques en toute légalité.

En 2007, quand les prix de l’immobilier ont cessé d’augmenter car le marché était saturé, le refinancement devint impossible. Il fallut vendre à perte, les emprunteurs étant dans l’impossibilité de rembourser, le système s’effondra se traduisant par des saisies bancaires et la perte du logement de population précaire. Or, ces crédits fragiles servaient de base à des produits financiers mis sur le marché. L’effondrement de leur valeur fut immédiat mais le problème est que puisque mélangés à d’autres produits financiers et dispersés à travers le monde, derrière des foules de sociétés écrans et de financements croisés, on ne savait pas où ils étaient. L’incertitude entraina une crise bancaire qui elle même donna naissance à un credit crunch, c’est-à-dire que les banques échaudées, durcissaient considérablement leurs offres de prêts, qui s’est diffusé très vite dans le système financier à l’échelle monde et a contribué à ralentir encore davantage, le marché immobilier.

Pour les ultras libéraux, la responsabilité de la crise est due à l’Etat américain, qui a encouragé les banques à prêter aux minorités (Carter, Clinton) et laissé gonfler la bulle immobilière qui faisait rentrer des devises et gonflait les budgets. D’autre part, selon eux, ceux qui sont en difficulté ne méritent aucune aide, ils se seraient mis tous seuls dans une situation critique.

Pour beaucoup d’autres, la crise est ressentie comme une catastrophe, un traumatisme comparable au choc des attentats du 11-Septembre ou de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans.. La crise cache aussi des enjeux raciaux. Elle a impacté durement les minorités car on constate une forte surreprésentation hispanique et afro américaine parmi les victimes alors que les Blancs et Asiatiques ont été épargnés. Beaucoup de ces crédits étaient des emprunts prédateurs car on savait que les emprunteurs ne pourraient pas les rembourser. Un système pervers car on avait prévu des pénalités en cas de remboursements anticipés. Toutes les mesures envisagées pour lutter contre ces crédits avaient été bloquées par les lobbies bancaires.

Répartition spatiale des effets de la crise 

Quand on observe la carte des saisies en 2009, on constate un taux de saisies élevés en Californie, au Nevada, en Utah, en Floride, et dans les Grands Lacs. À l’inverse, les taux sont faibles dans le centre au Dakota, au Wyoming. Paradoxalement, ce sont des États riches qui ont été touchés alors que d’autres, comme la Louisiane, le Mississippi, l’Alabama, parmi les plus pauvres et où vivent d’importantes communautés afro-américaines ont été moins impactés. De même, la répartition de la population Hispanique ne permet pas d’expliquer la répartition des saisies immobilières à l’échelle du pays. La surreprésentation des minorités n’est donc pas la seule explication.

A partir de l’exemple de la Californie, on constate que le pourtour du comté de Los Angeles (l’Inland Empire), , est en forte croissance démographique, ainsi que la vallée de San Joaquin. Or si les saisies ont été plus nombreuses à Los Angeles, elles sont plus importantes en terme de taux dans la vallée de San Joaquin.

En analysant une carte à l’échelle de la vallée, on réalise qu’il y a eu plus de saisies dans les petites communautés rurales que dans les villes centres. Ainsi Stockton, pourtant fortement impacté par la crise n’est pas le territoire qui a connu le plus de saisies, le record appartenant aux zones résidentielles en périphérie.

Si les facteurs nationaux ne permettent pas d’expliquer la situation de cette vallée, les dynamiques urbaines et démographiques offrent une amorce d’explication. Les comtés dont la croissance a été la plus forte avant la crise sont en effet les plus touchés. Cette situation concerne en premier lieu la vallée La croissance démographique de cette région s’explique par une migration en provenance de la baie de San Francisco.
Les classes moyennes y recherchaient des logements impossibles à obtenir à San Francisco où l’immobilier s’était envolé. Ne restait à ces populations qui travaillaient dans la région que la possibilité de déménager vers des zones plus éloignées mais plus hospitalières que les quartiers pauvres de la Baie, où les écoles publiques sont médiocres et les écoles privées, hors de prix ; (24 000 USD par an). Beaucoup sont partis vers la vallée intérieure, à San Joaquin où s’est développé une suburbanisation à l’américaine dont le modèle est le Fairview (des Desperate housewifes)

Or, ces quartiers à croissance forte ont été impactés par des saisies. La croissance urbaine a en effet contribué à concentrer dans le temps et dans l’espace des crédits de mauvaises qualités car beaucoup avaient utilisé un crédit subprime. Le mécanisme du « Strategic default » a par ailleurs aggravé cette situation. Beaucoup de personnes ont en effet simplement arrêté de rembourser leur crédit, protégées par la loi, qui leur évite d’avoir à rembourser la différence entre le montant de la maison vendu aux enchères et le montant du crédit restant à rembourser.
Les banques ne pouvant récupérer que la valeur de la maison (et non celle de l’emprunt) 20 à 30% des saisies sont en fait des strategic defaults dont ont bénéficié les souscripteurs. Le problème est que cette situation s’est traduite par une dégradation du cadre de vie de ces« gated ghettos » qui a pénalisé tout le voisinage, avec la baisse ou la perte des services collectifs (voirie, jardinage, entretien) ; l’apparition de squat ce qui a entrainé un phénomène de contagion.

Dans la vallée de San Joaquin, l’importance du facteur ethnique a joué un rôle moins marqué qu’à l’échelle nationale. Tous ont été touchés également, Asiatiques comme Hispaniques, pour des raisons qui ne sont pas encore claires.

Les causes de la pression urbaine et immobilière 

Aux Etats-Unis en général, et en Californie en particulier, existe une fragmentation politique qui induit un émiettement des pouvoirs locaux dans la zone métropolitaine entre les comtés et les différentes municipalités.
Les villes ont des pouvoirs, des prérogatives mais leurs ressources fiscales ont diminué depuis les années 80. (dérégulation et baisse des impôts)
La démocratie directe a en outre accentué cette situation. On multiplie les « initiatives populaires » : référendum sur des sujets variés. Les citoyens ont ainsi exigé la baisse des impôts locaux, jusqu’alors indexés sur le prix de l’immobilier. La « Proposition 13 » a réformé le système. Les impôts ne doivent représenter qu’1% de la valeur du logement au maximum, et ne pas atteindre plus de 2% de hausse par an. Les taxes ne peuvent être réévaluées qu’en cas de changement de propriété. D’autre part, toute hausse d’impôt doit dorénavant être approuvée par les 2/3 des votants ! Voyant ses ressources drastiquement limitées, la Californie a compensé son manque à gagner par la réduction de fonds apportés aux administrations locales, dont certaines ont même fait faillite.

Dans la vallée intérieure, les activités économiques locales sont peu diversifiées et centrées sur l’agriculture : pistaches, abricots, fraises. La croissance urbaine apportait des emplois au niveau local et les administrations y ont vu un moyen d’augmenter leurs ressources fiscales. On a donc encouragé les promoteurs immobiliers et aucune ville n’a posé de limites à la croissance urbaine et démographique. Cela a fonctionné à court terme comme le montre l’exemple de Stockton mais cela a entrainé de grosses dépenses et beaucoup de gaspillages.

Ces ressources ont diminué brutalement avec la crise. Le montant des taxes ont été revus à la baisse suivant la baisse de la valeur des maisons. Leur budget en déséquilibre, de nombreuses villes se sont retrouvées en faillite telles que Stockton qui cherche désespérément un moyen de protéger la ville et de lui permettre de négocier avec ses créanciers et les représentants des employés municipaux.

D’autre part, statutairement, la Californie ne peut pas présenter de budgets déficitaires. Elle a donc pour boucler son budget, emprunté de force aux administrations locales et supprimé des agences de redéveloppement qui contribuaient à conserver des impôts locaux. Ceci a accru les conflits car les administrations locales se sont protégées par des initiatives populaires et aujourd’hui la Californie ne peut plus emprunter de force.

Merced, comté rural et pauvre n’a rien reçu des aides annoncées par le président Bush. Ils se sont sentis méprisés et ont envoyé des représentants au Congrès pour obtenir le statut de victimes de catastrophe économique. Il s’est avéré que peu d’acteurs ont mesuré l’étendue de la crise en zone périurbaine ce qui explique que les critères de distribution ne les aient pas pris en compte. Malgré 3 plans successifs depuis 2009, ils sont restés à l’écart et n’ont reçu que tardivement, un peu d’aide.

Cette crise économique a débouché sur des rivalités politiques. Le blocage des Républicains a empêché le président Obama de mettre en place des mesures efficaces, Poussé par les « Tea parties », des mouvements spontanés au départ mais extrêmes à tous les sens du terme, les Républicains se sont opposés (et s’opposent toujours) à toute aide de l’Etat aux sinistrés, estimant qu’elles sont responsables de leur sort.
« Occupy Wall Street » a fait beaucoup de bruit mais ne s’est traduit en fait que par des manifestations d’ampleur relativement faible ( 6 fois moins qu’en Europe) et malgré leur slogan « Nous sommes les 99% » ( qui en ont le moins), ils n’ont jamais réussi à mobiliser les foules aux Etats-Unis.

En conclusion, pour comprendre cette crise et ses impacts, il est d’une grande utilité d’effectuer l’analyse à différentes échelles. Si paradoxalement, la crise n’a pas entrainé de réels conflits politiques, elle a fortement touché des classes moyennes traditionnellement individualistes et conduit à une démobilisation, une forme de résignation inhabituelle aux Etats-Unis. Dans la même situation, la France aurait du surmonter des remous beaucoup plus violents. Est-ce de la passivité ou à l’inverse une forte capacité de résilience ? A l’échelle de la Californie, les facteurs locaux et micro locaux expliquent ce qui s’est passé et peut surement être transposé ailleurs bien que la complexité du fonctionnement fédéral rende toute généralisation hasardeuse.

Hugo Lefebvre

Café L’Avenue
Mulhouse
4 octobre 2012

Questions
Si la pression immobilière est liée à une poussée démographique et qu’il y a eu des saisies, où sont partis les gens ? 
A San Francisco, ils sont majoritairement restés dans leur quartier. En périphérie urbaine, ceux qui vivaient à 150 km de leur lieu de travail, ont davantage bougé. On peut supposer que certains sont retourné dans la baie puisqu’ils n’étaient plus propriétaires où que la région où ils vivaient ne leur convenait plus.

L’image traditionnelle du rêve américain n’est donc pas écornée. Cela peut-il remettre en cause l’urban sprawling ?
Et si, l’étalement périurbain est remis en question à cause de la crise mais aussi à cause du prix de l’essence ! On étudie une LGV dans la vallée intérieure car la croissance des périphéries s’est ralentie. Aujourd’hui, les conditions de vie sont plus agréables dans les centres-villes, réaménagés et restaurés et où la criminalité baisse. On va vers une réurbanisation.

Pourquoi les classes moyennes ont-elles fait appel aux subprimes ?
Les subprimes représentaient 1/3 des nouveaux crédits offerts en 2006 et étaient plus faciles à obtenir que les prêts traditionnels. Beaucoup des personnes touchées, ont perdu leur emploi, ou un des emplois du couple, ce qui a entrainé une baisse de leurs revenus et un accroissement des charges diverses qui expliquent leur déménagement. Certains réalistes l’ont fait volontairement et il est difficile de distinguer un « strategic default » volontaire d’une faillite classique.

L’Etat de Californie ne peut-il pas avoir de budgets déficitaires mais qu’en est-il des villes ou des comtés ?
La faillite est une mesure de protection. Les villes et comtés n’ont pas le droit d’être déficitaires mais ont le droit d’émettre des obligations pour se financer.

N’existe-t-il pas de loi de préservation des espaces agricoles ? 
Des mesures existent et ont été passées malgré le lobbying des promoteurs immobiliers mais seulement depuis la crise. Aujourd’hui, il existe nombre d’ initiatives populaires pour protéger les espaces agricoles avec des objectifs visant à la fois, l’aspect économique, environnemental et la protection du cadre de vie.

Ce modèle californien peut-il se transposer dans les régions françaises ? 
Par certains aspects en France, on arrive à limiter les conflits entre administrés et administrations locales ou nationales. Aux Etats-Unis, les limites du pouvoir s’arrêtent au comté. On accepte la centralisation en France mais pas aux Etats-Unis où l’on se défie toujours de l’Etat fédéral.

Notes:
Françoise Dieterich