- Les Cafés Géo - http://cafe-geo.net -

Géographies de l’Apocalypse

Café géographique à Toulouse – 19.02.2014
Géographies de l’Apocalypse
ou comment l’arme nucléaire a engendré notre cartographie
par Henri Desbois

Henri Desbois, maître de conférences à Paris X-Nanterre, fait partie de l’équipe Réseaux, Savoirs & Territoires et du laboratoire LAVUE. Ses recherches actuelles portent les relations entre les techniques numériques et les représentations de l’espace. A paraître aux Presses de l’ENSIB (Lyon), son prochain livre  « Les mesures du territoires » qui portera sur les aspects techniques, politiques et culturels de la mutation de la carte topographique.

Sans stratégie de la destruction mutuelle assurée, pas de GPS, pas de SIG (système d’information géographique), ni peut-être de satellites d’observation de la terre.

Fiction et réalité :

Un extrait du film de Stanley Kubrick, « Docteur Folamour » (1964).

Un extrait du film de Stanley Kubrick, « Docteur Folamour » (1964).

le Strategic Air Command, commandement de l’Armée de l’air des Etats-Unis pour les armes nucléaires, même époque.

le Strategic Air Command, commandement de l’Armée de l’air des Etats-Unis pour les armes nucléaires, même époque.

Ce débat était impossible car il y a quelques années car il s’agit d’un domaine longtemps secret et de techniques datant de 30-40 ans seulement, le temps de la déclassification des archives – que seuls les Etats-Unis ont faite, ce qui explique leur place ici. Le travail de classement des archives concerne des milliers de pages souvent caviardées et fastidieuses à dépouiller, que John Cloud (Hidden in Plain Sight: CORONA and the Clandestine Geography of the Cold War, thèse de doctorat, University of California, Santa Barbara, 2000) a effectué sur le programme Corona.

La militarisation de la carte

L’iconographie en témoigne : Napoléon se vautre sur une carte à terre. C’est après l’Empire seulement, à partir de 1830-1840, que le militaire est systématiquement représenté avec un carte à la main, et pas un sabre, ou devant lui, constellée de petits drapeaux.

Le lien entre les militaires et la carte est plus récent qu’on l’imagine, il date du XIX° siècle seulement. L’entreprise des Cassini, au XVII° et XVIII° s, a pour but de mesurer la France par triangulation : c’est un travail de savants qui n’envisagent pas au départ de finalités militaire ou autre pour leur carte.

A la Révolution, la carte des Cassini est nationalisée et confiée au Dépôt de la guerre faute de service national de la carte. Mais elle n’a pas de nivellement, pas de relief, pas d’altitudes nécessaires aux militaires, il faut l’adapter ; ce même mouvement de militarisation concerne toute l’Europe, mais pas les Etats-Unis qui n’envisagent de nouvelle guerre sur leur continent.

Après l’Empire, où les événements ne laissaient pas le temps pour une cartographie d’ensemble, le Colonel Puissant entreprit une couverture complète de la France par la carte dite d’Etat-Major, il a fallu presque tout le XIX° s. pour l’établir. Au 1/80000° (Cassini : 1/86000°), elle représente le relief en hachures, et non en courbes de niveau, de façon  très précise et assez parlante pour qui en a l’habitude. Mais, quand elle est terminée, elle ne correspond plus aux nouvelles façons de faire la guerre.

La carte d’Etat-Major est une carte en projection équivalente, qui respecte les rapports de surface plus que les rapports d’angles nécessaires pour les tirs à longue distance (un angle sur la carte diffère d’un angle sur le terrain) : si les canons napoléoniens tiraient à vue jusqu’à 600 m. environ, les canon modernes à longue portée atteignent plusieurs km dès les années 1870. Les erreurs d’angles sont d’autant plus importantes qu’on s’éloigne du méridien de Paris à partir duquel est conçue la carte, et les corrections sont de plus en plus difficiles quand on va vers l’Est. La projection conforme (dite Lambert), plus fiable pour les angles, sera adoptée en 1920 pour réviser la carte d’Etat-Major. Expérimentée à la fin du XIX° s. (en France et dans les colonies) et pendant la 1° G.M., cette carte de 1920, en courbes de niveau, est à la base de la série orange de l’IGN et durera un siècle jusqu’en l’an 2000.

A partir du moment où on comprend que les canons nécessitent une transformation de la carte, où la carte sert à envoyer un obus du point A au point B, la cartographie entre dans un régime balistique aux mains des militaires, et c’est encore plus vrai après la 2° G. M. avec la guerre atomique.

La carte et la guerre atomique

En 1945, les Etats-Unis sont les seuls à posséder l’arme atomique pour contrebalancer les forces conventionnelles soviétiques, plus importantes que celles de l’Europe. Ils décident de s’équiper en armes nucléaires, comme bien d’autres pays : une vidéo japonaise ( http://youtu.be/LLCF7vPanrY ) montre en 15 minutes tous les tests effectués en 50 ans dans le monde, notamment les premiers aux USA, Hiroshima et Nagasaki, les essais français en Polynésie et la 1° bombe soviétique en 1949.

La stratégie nucléaire est fondée sur des représailles massives en cas d’attaques conventionnelles massives. Les bombes à fission fabriquées alors ont une puissance limitée, adaptée à la destruction d’une ville comme Hiroshima, pas à celle d’un objectif militaire « durci » (bétonné, enfoui, etc.) : la différence de puissance entre les deux objectifs est de 1 à 10000. Il s’agit bien de détruire des maisons et de tuer des civils, notamment par l’effet dévastateur du souffle de l’explosion.

L’escalade atomique amène à des bombes H à fusion beaucoup plus puissantes, plus adaptées à un objectif militaire, de l’ordre de 15 mégatonnes pour la plus puissante testée par les Etats-Unis, et de 1 à 2 mégatonnes pour les armes effectivement déployées (contre 16000 tonnes à Hiroshima), mais aussi plus grosses  et plus lourdes à transporter par avion. Dès 1951 les B 47 américains, puis en 1955 les B 52 bénéficientdes bases US en Europe et en Asie ; les Tupolev 95 soviétiques (1956) sont eux aussi des bombardiers intercontinentaux et disposent d’aéroports au nord de la Sibérie. La stratégie américaine est le vol permanent des appareils ravitaillés en vol afin d’être toujours prêts, ce qui fatigue le matériel et les équipages ; les B 52, connaissent plusieurs accidents graves (la Caroline du nord a reçu deux bombes atomiques, heureusement non amorcées). D’autres moyens pour atteindre rapidement des cibles lointaines sont nécessaires, au moment où la technologie soviétique progresse (Spoutnik 1957) : c’est le choix du missile balistique qui s’impose.

Ce sont des fusées, comme le V2 allemand pendant la 2° G.M., et ce sont des techniciens allemands recrutés par les Etats-Unis (même d’anciens nazis comme Von Braun) qui mettent au point les missiles pendant les années 50, selon la doctrine Eisenhower (1953-1961) de riposte massive en cas d’agression. Le premier test est fait en juin1956 à Cap Canaveral, mais il faut détruire la fusée Atlas car elle retombe sur les lanceurs. Le CEP, cercle d’erreur probable, des fusées Atlas est de l’ordre de 1500 m officiellement (en fait 6000 m), plus tard des améliorations permettront d’améliorer les précisions au-delà du périmètre d’une ville : en 1977, le premier tir du missile Trident à partir d’un sous-marin porte à 8000 km avec un CEP entre 500 et 250 m.

La question qui concerne la cartographie est : où lancer les missiles ?Les villes sont assez facilement localisées, mais pas les objectifs militaires de petite taille. Le bombardier tire à vue sur sa cible, mais le missile doit savoir où il va avant de partir. L’URSS a des cartes américaines et n’édite pas de cartes civiles ; les Etats-Unis n’ont pas de cartes soviétiques, ou elles sont vieilles, ou encore systématiquement inexactes. Il leur faut observer donc le territoire soviétique.

L’observation de la terre depuis l’espace

Au début (1956), des ballons atmosphériques météo munis de caméra survolent en dérivant le territoire soviétique, mais ils sont facilement abattus. Ils ont quand même apporté une meilleure connaissance des courants atmosphériques en haute altitude, ce qui facilite l’utilisation des avions U2, trop haut pour être abattus (20000 m.) mais qui ont un champ limité et prennent des photos difficiles à localiser.L’URSS proteste contre la violation de son territoire national et réussit finalement à abattre un U2 grâce à un missile anti-aérien en 1960.

Le développement des missiles et des satellites est étroitement lié, les lanceurs sont les mêmes pour tous les missiles. Le recours aux satellites commence en 1959 avec le programme CORONA : le satellite Discoverer est censé être à finalité scientifique (non explicitée), mais a en fait une mission d’observation (plus que d’espionnage). Un appareil photo prend des films qui sont ensuite éjectés dans une capsule que récupère un avion en vol (acrobatique !), jusque dans les années 80. C’est une révolution dans le renseignement, le satellite a une couverture très large et fait découvrir des régions inconnues quand il n’y a pas de nuages (et des informations militaires, comme un aérodrome de bombardiers au nord de la Sibérie).

aerodrome_sovietique missiles Atlas

A gauche, aérodrome soviétique photographié par un satellite Corona (1960). A droite, des missiles Atlas déployés dans le Wyoming (même année).

N’étant pas des avions, ils ne violent pas les traités que l’espace aérien. A partir de ces observations photographiques sont établies des cartes militaires, et même civiles, aux Etats-Unis.

En même temps, la géodésie est prise en main par les militaires aux Etats-Unis : la recherche civile en géodésie est financée par l’armée car les tirs de missiles intercontinentaux nécessitent une connaissance fine des variations locales de la gravité et la mise au point d’un système de coordonnées unifié à l’échelle du globe.

Un autre système technique majeur développé par l’armée dans le domaine de la géographie est le GPS. Le GPS est un système de triangulation opérée à partir de quatre satellites en général et permet de repérer une position sur la terre. A l’origine, il a été développé spécifiquement pour améliorer la localisation des sous-marins lanceurs d’engins, qui sont devenus d’autant plus importants dans le dispositif nucléaire américain que les progrès des armes soviétiques faisaient craindre une possible destruction des missiles basés à terre.

L’emploi systématique des ordinateurs et de l’informatique est nécessaire pour maîtriser la masse de données fournie par les satellites et la transformer en cartes. Le traitement numérique de l’information géographique est, dès les années 60 et 70, à l’origine des SIG,  les Systèmes d’Information Géographiques, autant de techniques développées par les militaires ou à leur initiative.

Conclusion

Il n’y a rien dans les techniques géographiques actuelles qui ne soit directement issu des techniques élaborées par les militaires pendant la Guerre froide : le satellite et l’imagerie spatiale, le système géodésique mondial, la géolocalisation par GPS, les Systèmes d’information géographique.

Est-ce à dire que des techniques mortifères ont engendré des usages pacifiques ? Qu’un mal a engendré un bien ? Mais quand même, que signifie le fait que toute notre vision de l’espace géographique soit dérivée de techniques militaires ?

Débat

  1. 1.      On a encore aujourd’hui des imbrications entre civil et militaire, là où on ne les attend pas : sur le Géoportail, sur les logiciels de géo-visualisation comme Google Earth et Google Map, il y a des sites protégés, floutés, héritages de la guerre froide.

       Henri Desbois : En France, les sites sont floutés ou non selon le logiciel. Tout dépend de qui fournit des données. Google officiellement ne floute rien, mais l’IGN est tenue à flouter. Un seul pays est protégé, Israël, en vertu de l’amendement Kyl-Bingamanqui interdit aux sociétés américaines de commercialiser des images à plus haute résolution que celles qui existent hors des Etats-Unis ; et les Etats-Unis ont jusqu’ici le monopole des images haute résolution…  Mais cette protection ne tiendra pas longtemps : déjà Astrium fabrique des images équivalentes à celles des Etats-Unis (mais ne les commercialise pas encore pour ne pas embarrasser la diplomatie française), une société turque se lance aussi dans la haute résolution. Ce n’est pas seulement un héritage de la Guerre froide, c’est aussi une question de maintien de la « souveraineté cartographique », qui est un des fondements de l’état moderne.

Le journal Le Monde signale que les satellites français Pléiade contiennent 10% de composants américains qui pourraient être trafiqués pour ne pas prendre d’images au-dessus  d’Israël.

  1. 2.      A-t-on déjà essayé de faire de l’imagerie civile haute résolution au-dessus d’Israël ?

H.D. : En fait la frontière n’est pas aussi nette qu’on pourrait le croire entre imagerie civile et imagerie militaire. L’imagerie civile haute résolution aux Etats-Unis, elle est préachetée par les militaires. Il n’y pas de grande différence de résolution entre imagerie militaire et civile, mais tout est financé par les militaires…

  1. 3.      Le GPS est à l’origine un système militaire, est-il vrai  que sa version civile aurait été dégradée et serait imprécise ? Que les Américains l’auraient amélioré pour contrer la concurrence du système européen Galiléo ? Celui-ci est-il un système civil ou y a-t-il aussi des enjeux militaires, européens cette fois ?

H.D. : Galileo a aussi des enjeux militaires, quand il fonctionnera. Les sous-marins

français sont équipés d’un périscope astronomique qui leur permet de faire le point sur les étoiles sans passer par le GPS américain. A l’inverse, Reagan a proposé que le signal GPS, lorsqu’il entrerait en service, soit utilisable par l’aviation civile, quand un Boeing sud-coréen a été abattu par la chasse soviétique parce qu’il s’était égaré dans l’espace aérien de l’URSS. Le GPS destiné aux civils n’est pas dégradé (en temps de paix) parce que son usage est universel et nécessaire à l’économie américaine. Cependant, il y a des garde-fous intégrés : si le GPS se déplace à la vitesse d’un missile, il cesse de fonctionner.

  1. 4.      Que pensez-vous de la défaillance des systèmes de surveillance américains au moment des attentats du 11 septembre 2001 ?

H.D. Quand on écoute tout, on n’entend rien. Et les services de renseignement sont bien surfaits : en 1983, les services soviétiques ont cru que les USA attaquaient, heureusement le renseignement n’a pas été transmis…

  1. 5.      Y a-t-il des fuites sur les avancées technologiques dans le futur ?

H.D. : Dans le futur, non. Aujourd’hui, mais ce n’est pas comme dans les films d’espionnage, on fait des recoupements et des spéculations. Les satellites militaires peuvent identifier une voiture, est-il nécessaire de faire plus précis ? Les passants ne lèvent pas la tête pour être identifiés : on est bien au-dessous des films de fiction ! Les satellites passent à heures fixes, il est facile de cacher quelque chose à ce moment avec une bâche, et à tout moment avec un toit. Les résultats obtenus par les satellites sont sans doute moins spectaculaires que ce que l’on s’imagine.

  1. 6.      Y a-t-il des stratégies d’adaptation pour contrer l’observation par satellites ? faire en sorte que ce qui est vu ne correspond pas à la réalité ? Des leurres ?

H.D. : Pendant la 2° GM, mais pas aujourd’hui : on cache. Se soustraire au regard des satellites n’est pas compliqué.

  1. 7.      Y a-t-il des apports du civil au militaire ? Par exemple, Open Street Map ?

       H.D. : Il y a tout le temps des apports du civil vers le militaire. Les militaires sont des clients des satellites civils, la majorité des sources de renseignement sont des sources civiles (Internet par exemple). Si une intervention militaire a lieu dans une région où il n’y a pas de cartes militaires, l’armée prend ce qu’elle trouve, au besoin sur la base de données d’Open Street Map si elle existe. La perméabilité entre civile et militaire est totale et permanente.

  1. 8.      Qu’en est-il des drones, reliés aux satellites ?

      H.D. : Les drones ont une durée de vol réduite et une vision étroite, ils ne donnent pas de renseignements cartographiques, mais ponctuels : le drone d’attaque est à la fois un observateur et une arme. Plus généralement un article de Derek Gregory (« War and peace », Transactions of the Institute of British Geographers, 35-2, 2010, p. 154-186)s’interroge sur  la production de l’espace géographique par la guerre et l’apparition d’un nouvel espace, l’espace de la cible.

  1. 9.      Peut-on imaginer une cartographie centrée sur les flux, par exemple des personnes (pas besoin de voir leur visage, une puce suffirait pour identifier non leur personne mais leur mobilité) ?

       H.D. : Le GPS ne localise pas puisqu’il n’émet rien, sauf si on le met dans un émetteur comme le téléphone portable. Ce qui change avec la cartographie numérique, c’est qu’elle permet une mise à jour instantanée : on suit la cible mobile à chaque instant, donc son déplacement.

Quelles seraient les bases d’une cartographie destinée aux civils (et éventuellement aux militaires cloués au sol par la fragilité des systèmes dépendant de l’électricité) ?

Notre vision du monde est déterminée par la Guerre froide et les militaires : peut-on concevoir un autre type de cartographie qui nous donnerait une autre vision du monde ?

       H.D. : On peut toujours détournerles cartes d’origine militaire à d’autres fins. Faire une cartographie indépendante ?  Ce serait bien difficile, mais ce n’est pas impossible…

  1. 10.    Plus les techniques permettent de faire une cartographie précise, plus on triche, on « floute » ? Sur Google Earth, le toit plat de la Maison blanche est vide…

       H.D. : On floute de moins en moins parce qu’il n’y a rien à voir, que ce qui n’est pas flouté n’intéresse personne. Tout dépend de la source : à Toulouse, la SNPE (Société nationale des poudres et explosifs) était floutée sur Google Earth, pas sur Bing.

  1. 11.   L’IGN (Institut national de géographie) est tenu de ne pas divulguer certaines informations, mais souhaiterait se débarrasser de cette censure que lui impose le Secrétariat général de défense et de sécurité nationales. Le floutage est coûteux, difficile à faire, les polygones de floutage sont imprécis, Google ne les respecte pas toujours, etc ; Et, paradoxe : en floutant, on pointe du doigt ce qu’il ne faut pas montrer !

       H.D. : La liste des sites à flouter était confidentielle, le jour où le Géoportail de l’IGN a été mis en ligne, tout le monde l’a connue…

  1. 12.  A-t-on des informations précises sur la Corée du Nord ?

       H.D. : Oui, on ne peut pas empêcher le satellite de passer. Open Street Map est probablement une des meilleures sources disponibles pour la Corée du Nord. Le satellite donne une image, il ne renseigne pas sur ce qui se passe, il faut être sur place pour le savoir.

  1. 13.  Le Géoweb participatif fournit des données de qualité supérieure à celles du Renseignement. Le site Wikimapia enrichit les données satellitales d’un commentaire des images. On a ainsi un foisonnement de renseignements. Le problème n’est pas de l’information fournie par le satellite, mais de son décryptage, de son traitement.
  1. 14.  Récemment à la Médiathèque de Toulouse l’Académie de l’air et de l’espace (1 rue C. Flammarion) a organisé un débat sur les satellites espions, où j’ai entendu des choses différentes de celles que j’entends ici. Par ailleurs, dans un autre débat, Greenpeace affirme que la sécurité nucléaire a été outrepassée pendant la Guerre froide et qu’un missile dans une base secrète est prêt à frapper un état terroriste.

 

Compte-rendu établi par Jean-Marc PINET
et revu par Henri DESBOIS

 

Quelques documents 

Chronologie des évolutions des techniques en matière de cartographie et d’armement.

1818           Premiers travaux préparatoires pour la future Carte d’Etat Major, terminée en 1875 pour la France métropolitaine.

1877-78      Généralisation des canons en acier à fût rayé (système de Bange, portée supérieure à 10 km pour le canon de 155)

1898           Adoption du canon de 75 par l’armée française (portée : environ 7 km).

1898           Evolution de la carte d’Etat Major, adoption d’une projection conforme.

1922           Le type de la carte topographique au 1/50 000 est adopté en France.

1944           Mise en service du missile balistique V2 (portée 320 km).

1953           Test d’une bombe à hydrogène en URSS.

1957           Lancement réussi du premier satellite artificiel (Spoutnik).

1957-58      Année géophysique internationale.

1959           Déploiement opérationnel des missiles balistiques intercontinentaux Atlas SM-65D (portée 12000 km, charge de 1,4 à 3,7 Mt, CEP théorique 1400 m).

1959           Début du programme CORONA, satellite d’observation militaire à film photographique. Les 14 premiers tirs sont des tests ou des échecs. Le programme a procédé au total à plus de 140 lancements jusqu’en 1972, après quoi les satellites HEXAGON (20 tirs jusqu’en 1986), prennent la relève pour les missions cartographiques. Parallèlement, d’autres programmes de satellites militaires d’observation sont dédiés à d’autres missions, en particulier la fourniture d’images haute résolution de sites précis (notamment les programmes Gambit et Gambit 3, 94 tirs de 1963 à 1984).

1959           Lancement du premier satellite Transit, précurseur du GPS

1960           Les différentes forces armées américaines adoptent un système géodésique global unique (WGS 60).

1960           Premier tir réussi d’un missile balistique (Polaris) à partir d’un sous-marin américain en plongée (portée 1800 km, charge de 0,6 à 1,2 Mt, CEP 1600 m)

1970           Début du déploiement opérationnel des missiles Minuteman III, CEP inférieur à 300 m et têtes multiples (3×170 kt).

1972           Lancement de Lansat 1 (ERTS), premier satellite civil d’observation de la terre.

1973           Début du projet GPS (lancement des satellites dans les années, 1980 ; le système est déclaré entièrement opérationnel en 1995, même s’il a été déjà utilisé lors de la première guerre du Golfe, 1990).

1976           Premier lancement d’un satellite d’observation de la terre de type KH-11, sans film photographique. 16 satellites de ce type ont été lancés de 1976 à 2013 (15 succès). 5 sont encore sur orbite.

1977           Premier tir du missile Trident 1, à partir de sous-marin (portée 8000 km, charge 8×100 kt, CEP entre 500 et 250 m).

2001           Mise en ligne de Google Earth.

Une carte française de Calais, utilisée par l'URSS (les noms sont en russe)

Une carte française de Calais, utilisée par l’URSS (les noms sont en russe)

Liens utiles :

The NuclearVault, site de documentation sur les armes nucléaires, http://www2.gwu.edu/~nsarchiv/nukevault/

Site du NRO (National Reconnaissance Office), documentation sur les programmes Corona et Hexagon : http://www.nro.gov/

Eléments de bibliographie :

BESSE Jean-Marc, BLAIS Hélène, SURUN Isabelle, Naissances de la géographie moderne (1760-1860), ENS éditions, 2010.

BRET Patrice, Le Dépôt général de la Guerre et la formation scientifique des ingénieurs-géographes militaires en France (1789-1830); Annals of Science, 48, 1991, p. 113-157.

BRUNN Stanley D., CUTTER Susan L., HARRINGTON J. W. Jr.(dir.), Geography and Technology, Springer, 2004.

CASSINI Jean-Dominique, Mémoires pour servir à l’histoire des sciences et à celle de l’observatoire royal de Paris, Bleuet, 1810.

CLOUD John, Imaging the World in a Barrel: CORONA and the Clandestine Convergence of the Earth Sciences, Social Studies of Science, 2001, 31/2, p. 231-251.

CLOUD John, American Cartographic Transformations during the Cold War, Cartography and Geographic Information Science, 2002, Vol. 29, n° 3, p. 261-282.

CLOUD John, Crossing the Olentangy River: The Figure of the Earth and the Military-Industrial-Academic-Complex, 1947-1972, Stud. Hist. Phil. Mod. Phys., Vol. 31, No. 3, 2000, p. 371-404.

COLLIS Christy, DODDS Klaus, 2008, Assault on the unknown: the historical and political geographies of the InternationalGeophysical Year (1957–8), Journal of Historical Geography, 34, p. 555-573.

DAVIES John, Uncle Joe knew where you lived, Sheetlines 72 (2005), p. 26-38, etSheetlines 73, (2005), p. 6-20.

DAVIES John, Russian mapping of Britain – recent discoveries, Sheetlines, 77 (2006), p.51-51.

DODGE Martin, PERKINS Chris, The ‘view from nowhere’? Spatial politics and the cultural significance of high-resolution satellite imagery, Geoforum, 2000, 40, p. 497-501.

EHRLICH Robert, Waging Nuclear Peace: The technology and politics of nuclear weapons, State University of New York Press, 1985.

GREGORY Derek, The everywhere war, The Geographical Journal, Vol. 177, No. 3, September 2011, pp. 238–250.

GREGORY Derek, War and Peace, Trans Inst Br Geogr NS 35, 2010, p. 154–186.

KORSMO Fae L., The genesis of the international geophysical year, Physics today, 2007, 60-7, p. 38-43.

KUMAR Sangeet, Google Earth and the Nation State, Sovereignty in the age of new media, Global Media and Communication, 2010, 6-2, p. 154-176.

LABOULAIS Isabelle, Les usages des cartes (xviie-xixe siècle), pour une approche pragmatique des constructions cartographiques. Presses universitaires de Strasbourg, 2008.

LEVALLOIS Jean-Jacques,1988, Mesurer la Terre, 300 ans de géodésie française, de la toise du Châtelet au satellite, Presses de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 1988.

MACK Pamela E., Viewing the Earth, The Social Construction of the Landsat Satellite System, The MIT Press, 1990.

MACKENZIE Donald ,Inventing Accuracy: A Historical Sociology of Nuclear Missile Guidance, The MIT Press, 1993.

MACKENZIE Donald, et SPINARDI Graham, 1988, The Shaping of Nuclear Weapon System Technology: US Fleet Ballistic Missile Guidance and Navigation, Social Studies of Science, 1988, Vol. 18, No. 3 et No. 4, p. 419-463 et p. 581-624.

PERKINS Chris, DODGE Martin, Satellite imagery and the spectacle of secret spaces, Geoforum 40 (2009), p. 546–560.

POSTNIKOV Alexey, Maps for the ordinary consumers versus maps for the military: double standards of map accuracy in soviet cartography, 1917-1991, Cartography and Geographic Information Science, 2002, Vol. 29, n° 3, p. 243-260.

ROSENBERG Alan, American Atomic Strategy and the Hydrogen Bomb Decision, The Journal of American History, Vol. 66, No. 1 (Jun., 1979), p. 62-87.

ROSENBERG Alan, The Origins of Overkill: Nuclear Weapons and American Strategy, 1945-1960, International Security, Vol. 7, No. 4 (Spring, 1983), p. 3-71.

SPINARDI Graham, Why the U.S. Navy went for Hard-Target Counterforce in Trident II: (And Why it Didn’t Get There Sooner), International Security, Vol. 15, No. 2 (Autumn, 1990), p. 147-190.

WARNER Deborah Jean, Political Geodesy: the Army, the Air Force, and the World Geodetic System of 1960, Annals of Science, 59 (2002), 363–389/