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La géographie des inégalités scolaires, enjeu politique majeur dans l’Amérique de Trump ?

Animé par David Giband, Professeur des Universités à l’Université de Perpignan Via Domitia et Nora Nafaa, doctorante à l’Université de Perpignan Via Domitia.

Ces dernières années, l’accès à l’enseignement supérieur aux États- Unis, et plus largement au système éducatif dans les métropoles états-uniennes, a subi des mutations radicales. Les États-Uniens sont de plus en plus nombreux à dénoncer le coût aberrant de l’enseignement et ses inégalités toujours plus présentes. Betsy Devos, ministre de l’éducation de Donald Trump, parle de l’éducation américaine comme « un système fermé, une industrie fermée, un marché fermé. C’est un monopole, une impasse. »

  1. Un système à bout de souffle ?

En France, le système éducatif est centralisé et fonctionne plus ou moins de la même façon sur tout le territoire, avec des académies, des rectorats… Le système éducatif états-unien est très différent et est davantage encore marqué par de très fortes inégalités. La question des inégalités scolaires y est ancienne et bien antérieur à 2017. Quatre grandes périodes où la ségrégation raciale a laissé des traces peuvent être distinguées :

– Jusqu’aux années 1960 demeure une ségrégation raciale importante, avec des ghettos ethniques et différents degrés de ségrégation selon les États et ce, malgré des manifestations de plus en plus nombreuses pour l’abolition de la ségrégation, qui entrera en vigueur en 1964 avec le Civil Rights Act. Les populations noires et blanches vivent donc séparées et cela vaut aussi dans les établissements scolaires où les populations hispaniques, noires et blanches, sont rarement mélangées. De plus, la désindustrialisation des années 1960 a aggravé la crise économique qui a accentué des inégalités de richesses déjà existantes.

– Les années 1970 sont marquées par la déségrégation. Avec le Civil Rights Act de 1964 et la fin de la ségrégation, la population noire est autorisée à vivre avec les Blancs en centre-ville. Il y a une volonté de créer des administrations avec des financements en faveur des enfants pauvres, handicapés… Les parents sont libres d’inscrire leurs enfants dans l’école de leur choix, sans tenir compte de leur appartenance ethnique. Les problèmes cependant persistent malgré la discrimination positive. Le but est d’arriver à une certaine égalité de répartition ethnique dans les écoles, en intégrant des élèves blancs dans les écoles noires ou des enfants noirs dans les écoles réservées auparavant aux Blancs, etc… Le racisme persiste pourtant et les populations blanches partent vivre en périphérie des villes pour ne pas « mélanger leurs enfants ».

– La marchandisation de l’éducation peut être considérée comme une troisième étape. Peu à peu en effet, un marché scolaire se met en place. Chaque école propose des matières spécifiques et est spécialisée dans un domaine particulier, par exemple dans les cours de langues vivantes, d’arts, de sports… Ce système est mis en place avec la politique « No Child Left Behind ». Ce marché scolaire entraine une mise à l’écart de certains élèves, d’autant plus que les écoles publiques comme privées sont toutes sélectives. Les écoles publiques, bien que gratuites, sont souvent accessibles sur dossier de recrutement et auditions. Parmi les écoles publiques, il y a les neighborhood schools, qui sont des écoles de quartier qui « recrutent » des élèves appartenant à leur secteur. Apparaissent également des « écoles aimants », les magnet schools, qui recrutent sur dossier, avec des programmes spéciaux, et qui permettent de filtrer les inscriptions aux écoles sans admettre explicitement qu’il s’agit en réalité d’une forme de ségrégation. Les écoles privées quant à elles sont payantes et souvent catholiques. A leur côté existent aussi des « board school », qui sont très chères et qui sélectionnent leurs élèves sur dossier de recrutement. Enfin, dans les écoles privées mais à financement public, il y a les « charters schools », qui sont gratuites car financées par le district et qui ont des partenariats avec des entreprises ou des ONG. La sélection se fait sur tirage au sort.

– La quatrième étape est marquée par l’orientation néolibérale de la politique scolaire qui se donne pour objectif d’améliorer les résultats des élèves. Se mettent en place dès lors des évaluations, des tests de niveaux des élèves, dans plusieurs matières, qui sont ensuite comparés avec les résultats des écoles d’autres États. Les écoles elles-mêmes sont évaluées, en fonction du nombre d’élèves par enseignant. Des aides financières sont dans un premier temps attribuées aux « moins bonnes écoles ». Si leurs résultats ne s’améliorent pas, les aides leur sont supprimées. Les écoles entrent donc en concurrence pour bénéficier des aides et les garder.

Dès l’origine donc le système éducatif américain est inégalitaire. Son organisation, qui vise à réguler l’offre et le marché scolaire, a eu pour effet de renforcer sans cesse les inégalités.

 

  1. Des inégalités révélatrices d’une ségrégation raciale et sociale

Aujourd’hui, aux États-Unis, l’éducation rivalise avec l’identité sociale comme élément déterminant pour réussir. Le fait que chaque groupe ethnique/racial – comme ils sont désignés,  soit regroupé dans des écoles est un profond vecteur d’inégalités scolaires. En effet, on se rend compte par exemple que les enfants issus de la minorité noire sont inscrits dans des établissements où la majorité de la population est noire, comme dans les espaces industriels du Nord-Est ou le long des Grands Lacs. En outre, les résultats scolaires diffèrent selon les groupes. A titre d’exemple, les enfants blancs ou issus de l’immigration asiatique obtiennent de meilleurs résultats scolaires. La population asiatique est au trois quart diplômée. L’une des raisons de ce déséquilibre est l’inégalité de financement des écoles. Il existe en effet trois sources de financement :

– L’État fédéral qui finance l’allocation de repas gratuits, les aides aux enfants handicapés, les chèques éducation, etc.

– Les États fédérés qui sont responsables de la politique éducative. Ils choisissent les programmes, les manuels, l’organisation scolaire…

– Les taxes prélevées par district scolaire et la municipalité.

Ces sources de financement différentes induisent des inégalités entre écoles publiques et écoles privées mais également entre les écoles publiques de banlieues et les écoles publiques des centres villes. Certaines écoles en effet n’ont pas les moyens de financer des professeurs expérimentés, puisque ce sont les districts qui décident des salaires. Parmi les inégalités entre écoles suburbaines et écoles urbaines, on peut notamment citer :

– L’accès à un conseiller d’orientation (51% de blancs y ont accès, 31% de noirs, 38% des hispaniques).

– 31% seulement des lycées à majorité noire ont un enseignement complet en chimie et en langues.

– 20% des enseignants n’ont aucune qualification, sur cet ensemble 80% d’entre eux exercent dans des écoles pauvres auprès essentiellement des minorités.

– Les recrutements et salaires des enseignants.

– L’accès aux services périscolaires est inexistant dans certaines écoles.

 

Le cas des Dropout Factories, les « usines de décrochage scolaire », est un symbole d’un système éducatif en panne. Ces écoles sont souvent utilisées pour illustrer l’inégalité dans les systèmes éducatifs états-uniens puisqu’elles sont concentrées dans les quartiers défavorisés et à faible revenus. Ces écoles bénéficient d’un financement limité, ce qui rend le maintien de programmes scolaires et d’enseignants de qualité plus compliqué. Les élèves de ces écoles sont souvent issus de familles pauvres qui ne peuvent pas valoriser l’éducation de leurs enfants, qui sont contraints de travailler pour aider financièrement leurs familles. Les élèves peuvent aussi faire face à des problèmes comme des guerres de gangs et certains portent des bracelets électroniques… La violence dans ces établissements est telle que certains lycées sont équipés de détecteurs de métaux dans les halls d’entrées et que des gardiens fouillent les visiteurs. Certains parents utilisent des méthodes préventives comme des cartables pare-balles pour leurs enfants.

 

III. A l’assaut de l’école publique : construction d’un problème pour une réponse néolibérale.

Puisque le système des écoles publiques connait des failles, le système scolaire néolibéral se développe de plus en plus tout comme les financements privés. Le système est ainsi de plus en plus fondé sur la concurrence puisqu’il faut entrainer les élèves à avoir les meilleurs résultats possibles. Or cela nécessite des moyens que les écoles publiques n’ont pas toujours. Par conséquent, les écoles les moins performantes et/ou en sous-effectif voient leurs financements baisser. Lorsque les districts scolaires n’ont plus les fonds pour les entretenir, les écoles ferment et les élèves sont alors répartis dans d’autres établissements. Ces mesures ont tendance à toucher essentiellement les populations noires et les populations les plus pauvres.

Dans les Charters Schools, certains professeurs peuvent être remplacés par des d’autres, plus qualifiés, s’ils n’obtiennent pas d’assez bons résultats. Cela a pour but d’inciter les bons élèves à rester dans ces écoles ou de les y attirer. Cette méthode pose un vrai problème, puisqu’il a été prouvé que certains professeurs ont déjà triché sur les résultats des tests de leurs élèves, afin d’éviter leur licenciement.

Certaines municipalités vont prendre en charge les écoles en difficultés pour les reléguer au secteur privé. Ainsi, le secteur public a évolué vers un panel d’opérateurs privés.

Conclusion :

Les États-Unis sont le cœur de fortes inégalités scolaires, dues notamment à une ségrégation raciale et sociale spatialisée importante et ancienne. Même les politiques de déségrégation scolaire des années 1960 à 1980 n’ont pas réussi à enrayer ces inégalités scolaires, notamment à cause de la mobilité résidentielle des populations blanches. Désormais, un des objectifs des politiques contemporaines est de réduire la ségrégation scolaire et l’éducation semble être un des points majeurs des projets urbains.

Compte rendu rédigé par Emma Berger, Association des étudiants en géographie Le Globe de l’Université Paul Valéry de Montpellier.