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La Hollande et le goût de la tulipe

Les mots de « Hollande » et de « tulipe » sont associés depuis quatre siècles, pour le meilleur et pour le pire. Fleur mythique des cours impériales, la tulipe est aujourd’hui une fleur populaire, à la portée de toutes les bourses. Elle continue pourtant à faire rêver le géographe…

 Photo prise dans le Beemster Polder (Pays-Bas), le 10 mai 2013, par Maryse Verfaillie

Photo prise dans le Beemster Polder (Pays-Bas), le 10 mai 2013, par Maryse Verfaillie

Un ciel bleu pâle, immense, émaillé de nuages, file vers la ligne d’horizon. On s’imagine devant un tableau de Jacob Van Ruisdael, peintre des paysages hollandais au XVII è. On se trouve dans le plus vieux polders de la Hollande, achevé en 1612 et aujourd’hui classé au patrimoine de l’Unesco.

Ce polder est l’œuvre de l’hydraulicien Jan Adriaensz Leeghwater (1575-1650), technicien des assèchements par l’énergie des moulins. Le financement est dû à 123 investisseurs, négociants d’Amsterdam. Le Beemster Polder, terre située à – 5 mètres, a gardé sa structure d’origine, conforme aux idéaux d’ordre, de cohésion et d’harmonie de la Renaissance. Le génie créateur et planificateur a dessiné un plan en quadrilatère (le summum de la beauté), comme le laisse deviner la photographie. Chaque terrain, inscrit entre deux routes bordées d’arbres, est un carré découpé en parcelles de 185 m de large sur 930 m de long, taille idéale pour le travail de l’homme. Les canaux d’irrigation et les fossés de drainage se coupent à angle droit. La planification avait prévu un habitat dispersé composé de fermes elles aussi carrées et surmontées d’un toit pyramidal. Les parcelles ont été attribuées d’abord à des fermiers puis plus tard aux riches marchands d’Amsterdam pour leurs résidences secondaires.

Les parcelles accueillent différents bulbes de mars à septembre (narcisses, jacinthes, iris, glaïeuls, dahlias). La floraison des tulipes, au printemps, reste le moment le plus attendu pour des milliers de touristes, amateurs de palettes vives. En fin de floraison, de grosses machines étêtent les tiges afin de fortifier les bulbes. En quelques instants, j’en fus témoin, les fleurs tombent par milliers, sans pitié, laissant place à un champ de tiges et de feuilles bien uniformément vert. Ici, en plein champ, on ne récolte que les bulbes. Les fleurs coupées proviennent de cultures en serres. Plus d’un milliard de bulbes sont vendus chaque année par les Pays Bas.

Un bulbe voyageur

Selon une antique légende persane, la tulipe naîtrait du sang et des larmes d’une jeune fille partie dans le désert à la recherche de son bien-aimé et deviendrait ainsi un symbole de l’amour… Romantique, la tulipe est originaire de l’Anatolie orientale où elle pousse à l’état sauvage. Elle devient à l’honneur dans l’Empire ottoman sous le règne de Soliman le Magnifique (1520-1566) dont c’est la fleur préférée. C’est donc à Istanbul que l’ambassadeur d’Autriche, Ogier Ghislain de Busbecq, tombe à son tour sous le charme de la tulipe. Il remet des bulbes à Carolus Clusius chargé des plantes médicinales du jardin impérial de Vienne. Mais ce dernier poursuit sa carrière à Leyde où, en 1593, il est nommé professeur de botanique. C’est donc à Leyde, en Hollande, que Clusius crée un jardin et pose les fondations de la culture et de l’industrie de la tulipe telle que nous la connaissons aujourd’hui. Depuis quatre siècles la Hollande est le premier producteur et exportateur mondial de bulbes. La tulipe voyage désormais aux quatre coins du monde.

La tulipomania

La première moitié du XVII e siècle est une période d’extrême prospérité en Hollande à l’aube de la mondialisation. Les riches marchands sont à l’origine d’un marché spéculatif d’achat et de vente de bulbes. On a créé plus de 150 espèces, les plus difficiles à obtenir devenant les plus chères. De 1634 à 1637, le prix d’un bulbe atteint des sommets insensés : 15 ans du salaire d’un maçon, le prix d’une maison ou d’un carrosse et de ses deux chevaux ! En 1637 éclate la première bulle spéculative et financière de l’histoire. Les prix s’effondrent, des familles entières sont ruinées. Les Etats de Hollande mettent fin à la spéculation par un ensemble de lois. La culture de la tulipe devient sereine et prospère jusqu’à aujourd’hui.

Au XVII e, les peintres du Nord la magnifient. Dans de nombreuses natures mortes, la tulipe panachée, jaune et rouge, figure en bonne place. Dans les célèbres vanités, elle incarne la fragilité et la caducité des biens terrestres devant la mort.

Aujourd’hui, le parc floral de Keukenhof, situé près d’Amsterdam, présente chaque année sur 32 ha, 7 millions de bulbes plantés par les créateurs des sociétés florales. Ces artistes offrent ainsi aux regards de nouvelles variétés.

Alexandre Dumas, dans son roman, La Tulipe noire (1850) raconte un concours dans la ville de Haarlem, visant à produire une tulipe véritablement noire. Ce rêve se poursuit encore…et le goût, savamment entretenu, de la tulipe perdure.

Maryse Verfaillie