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La Mondialisation contemporaine (1/2)

mondialisation_drapeauxSi la mondialisation est devenue incontournable pour appréhender les mutations du monde actuel, il n’est pas toujours aisé de se retrouver dans le maquis, parfois bien confus, des définitions et des notions telles que la mondialisation et la globalisation, sans parler des hypothèses formulées par les chercheurs et des controverses suscitées par la dynamique mondialisante.

1 Est-il possible de définir et de dater la mondialisation ?

Le développement du capitalisme libéral depuis le XIXe siècle se traduit par une expansion géographique continue mais contrariée par les guerres mondiales, le colonialisme et le socialisme. Dans le dernier quart du XIXe siècle, l’internationalisation des échanges ne connaît quasiment plus de limites spatiales. La mondialisation contemporaine favorise la convergence des prix, homogénéise les marchés locaux en un seul marché unique, intégré. Ce qui n’existait à aucune autre époque d’élargissement des échanges, ni à la Renaissance, ni au début du XXe siècle. Sans doute est-ce la raison de l’apparition du terme « mondialisation » en 1961 dans sa version anglaise de « globalization », un terme qui ne s’est imposé véritablement qu’au début des années 1980, il y a donc 30 ans environ. Un terme aujourd’hui dont le contenu fluctue selon les utilisateurs  qui l’emploient. A cela plusieurs raisons :

– La traduction française du terme anglais « globalization » hésite entre « mondialisation » et « globalisation ».

– La mondialisation est un processus, à la fois inédit et en évolution constante.

– L’idée reçue d’un phénomène essentiellement économique, associé au triomphe du capitalisme néolibéral.

– Les jugements de valeur, écartelés entre ceux qui l’encensent et les autres qui l’accusent de dérives préjudiciables à des territoires et des populations considérables, voire à l’ensemble de la Terre sur le plan environnemental.

Pour nous, la mondialisation est un processus multidimensionnel dont la nature géographique est fondamentale. Ce qui veut dire que la mondialisation reconfigure le monde sur de nombreux plans : économique et financier, sociétal et culturel, idéologique et politique, etc. favorisant ainsi une transition de l’humanité  essentiellement dans ses composantes économique, sociétale et écologique. Quant à la nature fondamentalement géographique du processus, c’est pour dire que celui-ci crée une échelle géographique mondiale avec ses différents volets mondialisés : une économie-monde, une société-monde, une gouvernance mondiale, un système migratoire mondial, etc. D’où l’importance pour nous des définitions proposées par les géographes :

– Dès les années 1980, Olivier Dollfus propose l’idée de système-monde qu’il approfondira ensuite dans son livre pionnier La Mondialisation 1996) où il étudie notamment « l’archipel mégalopolitain mondial », formé par « l’ensemble des villes qui contribuent à la direction du monde ».

– Dans sa Géographie de la mondialisation (2002), Laurent Carroué définit la mondialisation comme le processus historique d’extension progressive du système capitaliste dans l’espace géographique mondial » en identifiant trois mondialisations successives depuis les Grandes Découvertes. Pour lui, la mondialisation contemporaine correspond depuis les années 1960 à la troisième phase du processus.

– Dans le même temps, l’historienne et politologue américaine Suzanne Berger publie en 2003 un essai sous le titre Notre première mondialisation – Leçons d’un échec oublié. Cette première mondialisation des années 1870-1974 se caractérise par la croissance remarquable du commerce international, la massivité des flux migratoires (vers les pays neufs en particulier) et les avancées majeures des sciences et des techniques. En même temps, l’auteur repère dans cette période des éléments permettant de mieux comprendre l’époque actuelle. En tout cas, il y a de quoi s’y perdre entre cette première mondialisation de Suzanne Berger qui se situe à la fin du XIXe siècle et la première mondialisation de Laurent Carroué qui couvre les 3 siècles après les Grandes Découvertes.

– Un dernier exemple  de définition de la mondialisation par un géographe, celle de Christian Grataloup : « un processus de généralisation des échanges entre les différentes parties de l’humanité, entre les différents lieux de la planète », produisant ainsi « un niveau de société pertinent à l’échelle de l’ensemble des hommes, le monde ».

Dans tous ces cas, ces auteurs soulignent le fait que la mondialisation ajoute un nouvel espace (mondial) aux territoires de taille inférieure, sans que ceux-ci perdent de leur pertinence, ce que suggère par exemple le concept de « glocal » né de la contraction global/local. Un tel processus d’intégration planétaire n’a été rendu possible que par les progrès technologiques spectaculaires des dernières décennies qui ont  comprimé l’espace-temps avec le bouleversement des conditions de transport (maritime, aérien, terrestre) et des technologies d’information et de communication (Internet, téléphone mobile…). Ces conditions techniques ont bien sûr joué un rôle déterminant dans la circulation des marchandises et des capitaux, ce qui n’a pas été sans conséquence sur l’évolution du capitalisme et, donc, sur la vision longtemps économiciste de la mondialisation.

2-   Mondialisation, globalisation, planétarisation

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Au fur et à mesure de l’avancée du processus de mondialisation, l’acception du terme s’enrichit et en même temps se brouille. Aux définitions essentiellement économiques se mêlent de nouvelles approches provenant d’autres disciplines, ce qui contribue aux difficultés (à l’impossibilité ?) de parvenir à une définition claire et unanimement reconnue.

Le mot français « globalisation », parfois proposé comme équivalent de « mondialisation », tend aujourd’hui à être employé pour désigner un aspect particulier du processus général mais, là encore, les auteurs ne s’entendent pas sur son contenu. Pour Cynthia Ghorra-Gobin, la globalisation représente « la métamorphose d’un capitalisme émancipé du cadre national et désormais globalisé et  financiarisé grâce aux technologies d’information et de communication et à une sérieuse déréglementation financière (…), facilitant ainsi des dynamiques transnationales » (Dictionnaire critique de la mondialisation, Armand Colin, première édition, 2006). Pour Laurent Carroué, il est préférable de réserver le terme de « globalisation » au « processus d’interaction qui définit les interrelations et interactions des sociétés humaines avec les milieux naturels, les actions humaines bouleversant ou affectant le fonctionnement du globe terrestre » (2005).

C. Ghorra-Gobin préfère le terme de « planétarisation » pour nommer ce processus d’interaction hommes/milieux à l’échelle globale, qui traduit la « prise de conscience de la finitude des écosystèmes naturels anthropisés »  et la « mise en évidence de crises à l’échelle de la planète Terre, avec en particulier le changement climatique ». Aussi, cet auteur pense qu’il est indispensable « de différencier le mondial du global ou, encore, de qualifier à travers l’adjectif planétaire ce qui relève de la planète Terre, tout « en identifiant le capitalisme globalisé et financiarisé comme le vecteur principal des dynamiques globalisantes et mondialisantes ».

3-   La mondialisation économique

Avec l’économiste américain Theodore Levitt et son article de 1983 sur la globalisation des marchés, une première approche de la mondialisation met l’accent sur la convergence des marchés et des modes de consommation à l’échelle planétaire, une analyse qui, avec le recul,  minore considérablement la réalité de la segmentation des marchés de consommation.

Très vite, dès la fin des années 1980, le succès des ouvrages de l’économiste japonais Kenichi Ohmae fait passer au premier plan le rôle des grandes firmes qui apparaissent comme les principales actrices de la mondialisation, des grandes firmes qui changent de statut et refondent en profondeur leurs stratégies. Qualifiées jusqu’alors de firmes « multinationales », elles changent de dénomination au cours de la décennie 1990 pour devenir « globales » ou « transnationales », en privilégiant d’ailleurs l’échelle régionale, celle des regroupements régionaux comme l’Union européenne ou l’ALENA. Dans ce contexte, les firmes  globales se montrent plus sélectives que jamais en matière de localisation aussi bien pour leurs filiales à l’étranger que pour l’implantation de leur siège.

En même temps qu’une mondialisation économique pensée à travers la multinationalisation des firmes, la décennie 1990 voit émerger un autre niveau de réflexion portant cette fois-ci sur les rapports de force entre les Etats-nations et les firmes transnationales. Les Etats-nations apparaissent alors comme les grands perdants de la mondialisation avec la multiplication des délocalisations, la dérégulation financière à l’échelle planétaire, la moindre pertinence des frontières… En revanche, de nouvelles catégories d’acteurs disposent d’un rôle accru aux échelles supranationale (Nations Unies, Banque mondiale, FMI, OMC…) et locale (société civile, ONG…), au moment même où les réponses aux grandes questions contemporaines (environnementales, économiques, sanitaires…) privilégient l’échelon global.

Depuis la fin des années 1990, l’acception du terme de « mondialisation » s’élargit  pour désigner « une nouvelle étape du capitalisme et de l’économie mondiale et du capitalisme, marquée par le passage d’une économie internationale (…) à une économie globalisée, où les Etats-nations perdent leur primauté au profit de nouveaux acteurs » (non seulement les firmes transnationales, les regroupements régionaux, les grandes métropoles, mais aussi les réseaux de toutes sortes comme les diasporas, etc.) (F. Bost, 2006).

4-   La mondialisation culturelle

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Processus omni-englobant, la mondialisation s’accompagne d’une culture de masse, objet d’un marché global, qui impose des références universelles construites autour du sport-spectacle, de la variété internationale et des figures médiatisées du star-system.

Cette diffusion universelle d’une culture populaire mondiale, qui s’est installée en quelques années, reste équivoque. Elle s’appuie sur un essor formidable de la circulation des informations, mais aussi sur une rupture historique dans la mobilité. Depuis l’origine de l’humanité, l’immense majorité des hommes ne quittaient pas, leur vie durant, un cercle d’une vingtaine de kilomètres autour de leur lieu de naissance. Au début du XXIe siècle, un touriste, ils sont près d’un milliard chaque année, parcourt individuellement plus de mille kilomètres en moyenne.

Pour autant, il serait illusoire de croire en l’émergence d’une société-monde, régie par les mêmes soucis globalisés, porteuse d’une opinion publique mondiale. Au contraire, plus la mondialisation est perçue comme un écrasement des cultures locales, une négation des particularismes, plus elle réactive en retour les affirmations identitaires et réveille les marqueurs civilisationnels.

Elle est donc à la fois porteuse  d’homogénéisation et de distinction, d’uniformisation culturelle et de singularisation des sociétés. Le renouveau de l’islamisme ou les tensions religieuses en Asie du Sud Est, par exemple, sont aussi, au-delà des contextes locaux, des contrecoups de l’immixtion des logiques globalisées dans des sociétés qui se sentent agressées.

Loin de correspondre à une poussée linéaire, la mondialisation est créatrice de crises, loin de glisser sur les progrès dont elle est porteuse, elle se frotte à la rugosité du monde dans une réception conflictuelle qui infléchit plus ou moins profondément son cours.

NB : Ce texte procède largement d’une réflexion inspirée par le livre dirigé par Nicolas Balaresque et Daniel Oster, La mondialisation contemporaine. Rapports de force et enjeux, collection Nouveaux Continents, Nathan, 2013, 384 pages.

 Daniel Oster, novembre 2013