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L’ancienne mine d’or de Salsigne : chronique d’une catastrophe environnementale annoncée ?

Présentation par Frédéric OGÉ, juriste, géographe et ancien Chargé de recherche au CNRS à l’UMR PRODIG. Ce Café Géo a eu lieu le mercredi 11 mars 2020 au café le « Au 14.80 » à Albi à 18h30.

Présentation de la thématique du café géo :

A quatre-vingt-dix minutes en automobile d’Albi, le versant Sud de la Montagne Noire est malheureusement connu mondialement pour la catastrophe environnementale qu’il subit. Sur une surface d’environ 200 km² sont déposées des centaines de milliers de tonnes d’éléments toxiques impactant un large territoire en aval de ce qu’on dénomme par facilité la « mine d’or de Salsigne ».

Bien avant l’arrivée des Romains, des minerais (cuivre, plomb, fer entre autres) étaient déjà extraits de cette région des Cabardès. Cela n’a jamais cessé jusqu’au début du vingt-et-unième siècle. En 1892, de l’or fut découvert presque par hasard. Progressivement, l’extraction minière va alors s’amplifier faisant de « Salsigne » la première mine d’or d’Europe pour sa production et le premier employeur du département de l’Aude. Mais il n’est que rarement dit qu’il y a eu, dans ce bassin versant de l’Orbiel, surtout le premier producteur mondial d’arsenic (10% du total mondial sur un siècle), acheté par l’Allemagne jusqu’en 1938, par les USA à l’époque de la guerre du Vietnam (jusqu’à 30 tonnes par jour). En raison des évolutions du marché mondial des matières premières et des procédés de transformation (pyrométallurgie et hydrométallurgie), au fil du temps, ont été dispersés par voie aérienne, laissés en surface ou enfouis, tous les éléments non commercialisés ainsi que les résidus générés par les réactions chimiques (dérivés de cyanure entre autres). Sont venus s’y ajouter des déchets toxiques « importés » dans cette zone plus ou moins légalement, venant du monde entier en quantité incroyable.

Inexorable et lente (pour l’arsenic par exemple, 8 tonnes par an pendant 20 000 ans pour les seules eaux de surface de la rivière Orbiel) la pollution issue de ce qui est une des plus grandes décharges chimiques du monde peut s’accentuer brutalement lors d’épisodes météorologiques extraordinaires comme en octobre 2018. Mais ce n’est une « surprise » que pour ceux qui ont toujours refusé de reconnaître les conséquences négatives de l’exploitation des potentialités de ce territoire. En vérité, depuis près d’un siècle, des inquiétudes se manifestent. Celles-ci sont devenues plus prégnantes au cours des trente dernières années, au fur et à mesure que le désastre environnemental de « Salsigne » est apparu comme exemplaire de la priorité donnée à la production par rapport à la protection. La catastrophe annoncée se réalise…

Éléments de la présentation :

Frédéric Ogé commence par expliquer que l’ancienne mine d’or de Salsigne – située exactement au nord de Carcassonne entre Castres, Mazamet, Toulouse et Narbonne – est un dossier qu’il considère avec importance et qui l’occupe beaucoup. En tant que juriste et géographe, il a réalisé sa carrière dans un laboratoire de géographie à Toulouse, puis dans un autre laboratoire de géographie et sociologie de Paris, PRODIG, avec en parallèle un travail dans l’enseignement à l’école des mines d’Albi et de Paris durant plus de 20 ans sur les problèmes d’environnement et de pollution. Il y a un peu plus de trente ans, il avait été chargé d’une mission de mise au point de méthode d’inventaire des sites pollués en France. A l’époque, en 1991, il y en avait officiellement 100, mais il y avait en réalité au moins 300 000 sites potentiellement pollués en France. Dans ce cadre-là, il est venu à Salsigne, territoire qu’il connaissait aussi pour des raisons familiales.

Le développement de l’exploitation industrielle de l’or à Salsigne

Une large zone comprenant plusieurs communes a été impactée par ce qui s’est passé sur ce territoire, notamment Salsigne, Lastours, Conques-sur-Orbiel et Limousis, où des filons d’or ont, à un instant T, été exploités. Avant même l’arrivée des romains, déjà, on exploitait des filons qui ont laissé des sortes de crevasses que des archéologues de l’équipe TRACES du CNRS de l’Université Toulouse Jean Jaurès, ont évaluées mesurant jusqu’à soixante mètres de profondeur sur deux mètres de large. Dès cette époque, on exploitait des filons pour le cuivre, le plomb, le fer. Jusqu’au dix-neuvième siècle ce territoire a été exploité en particulier avec l’aide des Allemands, des mineurs saxons très compétents en la matière. Le premier film inspiré du roman « Angélique » avec Michèle Mercier en est inspiré avec une présentation romancée mais assez fidèle du site car l’origine de la fortune cachée d’un des protagonistes proviendrait de Salsigne.

Ce territoire s’inscrit dans la proto-industrialisation dès la fin du 18ème siècle avec une exploitation qui vise à sortir de l’antimoine, du manganèse, différents types de pyrites et déjà de l’arsenic qui est envoyé en Grande-Bretagne pour faire le blanc des verres. L’exploitation de l’or débute ainsi en 1898 et se développe y compris entre 1914 et 1918 où l’activité tournera au ralenti avec des femmes. Cette exploitation s’intensifie à la fin de la première guerre mondiale avec deux sociétés qui se mettent en place, MDA (1920) et la SMUS (1924) qui est pilotée par deux ingénieurs chimistes centraliens et qui avaient travaillé sur la conception des obus chimiques de 14-18. Ils ont ensuite fait une reconversion à Salsigne en développant une société, « la société des Mines et Produits Chimiques de Salsigne » (MPCS), qui fut longtemps la plus importante mine d’or d’Europe et qui s’est établie avec des capitaux franc-comtois, notamment les fonds de la famille Peugeot. La mine s’est considérablement développée jusqu’en 1940, engrangeant de nombreux bénéfices, avec un coup d’accélérateur notable en 1924 et la construction de la plus grande cheminée de France et d’Europe. Frédéric Ogé présente ensuite quelques photos d’archive. On aperçoit des femmes qui travaillent dix heures par jour, six jours par semaine à genoux et qui font le tri pendant que les hommes descendent à la mine. La répartition de l’attribution des tâches s’est faite par tradition (pas de femme dans les galeries, cela porte malheur).

Les hommes sont en grande partie des ressortissants étrangers arrivés graduellement car le métier de mineur est particulièrement pénible et dangereux. Ce sont d’abord des Italiens, puis des Espagnols, puis issus des pays de l’Europe de l’est, des Grecs et pour finir des Maghrébins. La photo suivante présente la traditionnelle pesée du minerai avec le chef qui contrôle.

L’exploitation se faisait avec des chevaux, tellement impactés par l’arsenic et les métaux lourds qu’ils devenaient fous et se suicidaient en se jetant la tête la première dans les galeries, quant aux vaches des pâturages environnants, elles devenaient bleues. En 1938, la société s’accorde à produire une image de marque en vantant les quantités d’or et l’étiquette de première mine d’Europe. Cependant, c’était aussi le premier producteur d’arsenic du monde et, sur un siècle, ce site a produit 10% de l’arsenic que l’on retrouve sur Terre. L’arsenic sert pour l’extraction mais sert aussi pour les gaz de combat. Durant l’entre-deux guerres, les Allemands ont acheté quasiment toute la production d’arsenic. L’état-major français a stoppé les transactions en 1938 car il redoutait l’utilisation de cet arsenic. Les Allemands l’auraient stocké avant de s’en servir dans les camps d’extermination.
En 1940, les usines du site emploient un personnel conséquent malgré la guerre et l’arsenic continue d’être exploité afin de fabriquer de l’arséniate de chaux pour combattre le doryphore qui attaque la pomme de terre. En 1942, quand les Allemands arrivent, ils récupèrent l’or et l’arsenic. Cette mine sera très importante pour les habitants car elle permettra aux hommes de ne pas partir au STO. En 1946, la mine est, avec les emplois induits, forte de plus de 4000 emplois, avec la plus haute cheminée d’Europe et le plus grand four water-jacket du monde, c’est finalement quelque chose de gigantesque, d’énorme.

Cependant, les cours de l’or à cette période sont bas, l’arsenic trouve moins de place sur les marchés et en 1953 éclate une grève qui durera un an et se soldera par la réalisation d’un plan social pour les travailleurs. En 1954, on redémarre la production sur de nouvelles bases en faisant disparaître au passage les chevaux et la traction animale au profit des tracteurs diesels. Ce complexe connaît une très belle époque ensuite parce qu’on trouve de nouveaux usages pour l’arsenic avec « l’agent bleu » et « l’agent orange ». La société canadienne Cuningham Dunlop rachète la société des mines. Cet arsenic servira massivement au bombardement pendant la guerre du Vietnam. Environ trente tonnes d’arsenic sont alors exportées par jour, sachant qu’avec 100 tonnes d’arsenic, on peut tuer un milliard de personnes. Les tonnages d’arsenic de Salsigne partis ont laissé une signature isotopique encore très présente jusqu’à 1m20 de profondeur aujourd’hui dans la mangrove vietnamienne et cela continue d’altérer la santé des populations.

Dès la fin de la guerre du Vietnam, une période difficile s’en est suivie et en 1980, les actionnaires jettent l’éponge et obligent l’Etat français à reprendre en main le dossier par le biais du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui lui-même a une filiale qui s’appelle COFRAMINE, qui traitait du dossier à la manière d’une poupée russe. L’Etat met ainsi en place la diversification des activités avec par exemple des essais de reconversions du four water-jacket qui sert à la fonte de câbles téléphoniques, puis des décodeurs malgré la présence avérée de PCB parce que le procédé employé via la pyrométallurgie commence à coûter trop cher en termes d’énergie. Un autre procédé technique, l’hydrométallurgie est utilisée par cyanuration, qui consiste en un bain avec des cyanures de sodium et des nitrates de plomb, puis avec une oxygénation du bain, on fait monter le minerai qui nous intéresse, à savoir l’or, l’argent et le cuivre et on jette dans la nature les cyanures abîmés et l’arsenic qui n’est plus séparé par le water-jacket et qui n’est donc plus commercialisé en sac. Or, à Salsigne, quand on sortait du filon une tonne de minerais, c’était en moyenne pour sept grammes d’or, quinze grammes d’argent, quarante grammes de cuivre, un peu de soufre, de l’antimoine, de l’uranium, du manganèse, du cobalt et vraisemblablement 100kgs à 200kgs d’arsenic en fonction de la qualité du filon sur un siècle.

Frédéric Ogé rappelle que l’État français a toujours eu un œil sur ce qui se passait à Salsigne. Des documents d’archive, dès les années 1929-1930, précisent bien que Salsigne a un intérêt stratégique parce qu’il permet d’intervenir notamment avec l’antimoine dans la fabrication des munitions. Broyer le minerai par le procédé de l’hydrométallurgie à l’échelle micrométrique en fait quelque chose de particulièrement virulent qui a tendance à partir en cas de pluie et qui s’oxyde facilement au contact de l’air ou de l’eau. Avec une tonne de minerai, on arrive à des surfaces d’oxydation de deux cents terrains de football. C’est un procédé qui permet de limiter les coûts. Cependant, les affaires vont toujours mal et il est décidé d’importer sur la zone, officiellement pour les dépolluer mais en vérité partiellement pour combler les galeries inutilisées, des dizaines de milliers de tonnes de déchets toxiques provenant de toute la France puis, plus tard, du monde entier. Ce territoire est l’une des plus grandes décharges chimiques du monde avec deux millions de tonnes de déchets toxiques dont un million de tonnes d’arsenic sur deux cents kilomètres carrés. En juin 1986, les ingénieurs décideront d’expérimenter la première technique du foudroyage (technique utilisée pour détruire les grands immeubles) pour détruire la gigantesque cheminée de 1924 qui servait à envoyer le plus loin possible la pollution générée dans le four water-jacket et donc à l’évacuation d’un anhydride sulfureux.

Dans les années 1990, le bilan financier est catastrophique, il s’en suivra un dépôt de bilan et des manifestations des mineurs, le cours des actions s’effondre et les petits actionnaires doivent payer. L’entreprise est alors divisée en trois sociétés :

Développer la production ou combattre la pollution ?

La SEPS amène l’idée que le site abrite le plus grand four water-jacket du monde, du personnel qui sait s’en servir et pour traiter les déchets. Des déchets du monde entier y sont alors traités : environ 450 000 tonnes de terre suisses (pleines de cyanures et d’arsenic), puis les Japonais, les Belges, les Allemands, les Espagnols ont envoyé à leur tour des déchets. La société en charge de faire brûler ces déchets les ont très peu traités et ont, à la place, préféré les couler dans du béton et les enterrer avant de faire faillite. Après avoir été condamnés à de la prison pour pollution, le PDG et son ingénieur principal se sont quand-même reconvertis en fondant la société ANCOR (jeu de mots cyniques), et s’installe en Ardèche faire du charbon pour barbecue à partir des traverses de chemins de fer et des poteaux téléphoniques.
On a donc finalement un éclatement des responsabilités en trois sociétés et une gigantesque catastrophe environnementale qui vient se surajouter à ce qui s’était passé dans les quatre-vingts années précédentes. L’or qui vient d’Afrique du sud, de Papouasie ou de Russie est plus rentable malgré les normes très laxistes appliquées à Salsigne, notamment à cause des dérogations intempestives de l’Etat et en 2004, est décidé l’arrêt de l’extraction avec la fin de la production de la MOS. L’ADEME s’est employée a retravaillé les décors pour faire oublier la pollution du site. Les rapports indiquent en effet qu’il coûte beaucoup trop cher d’envoyer les déchets dans les mines de sel allemandes ou dans les décharges de classe 1.

On peut évaluer le rapport à la pollution en deux temps, on a essayé d’une part de développer la production et d’autre part de combattre la pollution. En 1927, une société savante part en excursion sur le territoire de Salsigne et signale avant l’heure la détérioration des flanelles des cheminées de l’usine supposées filtrer les fumées toxiques produites. En 1931, vingt fois plus de minerais sont extraits qu’en 1925. En 1934, le conseil municipal de Lastours fait état de lésions stomacales et pulmonaires. En 1936, tous les indices visibles de pollution sont énumérés par le président d’un syndicat d’agriculteurs. Ces signalements de pollutions, une première en France, entraînent une analyse des fumées. Dès le départ, on observe une dualité entre les mineurs et les commerçants qui veulent sauver leur outil de travail et l’autre partie de la population qui veut agir pour l’environnement. En 1940, les signaux sont au rouge, le préfet alerte sur les fumées relâchées dans l’atmosphère avec de telles quantités de gaz nocifs que la vie des plantes, des animaux et même des humains de toute une région était particulièrement troublée.
En 1970, deux vaches meurent en 24h et une trentaine d’autres tombent malade et bleuissent. C’est l’origine du film « Les vaches bleues » réalisé en 1990. Évidemment des chiens et des chats meurent aussi et de nombreux habitants sont atteints de cancers. Les responsables des trois usines rejettent toute responsabilité ou incriminent l’usine du voisin. On ne pourra jamais prouver laquelle était responsable puisque les travaux d’analyses isotopiques ne se feront qu’entre 2008 et 2010. Dans la rivière, on détecte un taux d’arsenic 32 000 fois supérieur au taux acceptable. Le 11 octobre 1970, une femme de 35 ans fait bouillir de l’eau du puits pour faire une infusion. L’ébullition a concentré l’arsenic, ce qui entraîne sa mort au bout de quelques heures. Suite à cela, le directeur de l’usine, le maire de la commune de Villalier et le préfet sont mis en examen, mais le magistrat instructeur conclut à un non-lieu. En 1971, le Nouvel Observateur écrit « Les habitants découvrent avec terreur qu’ils sont empoisonnés, leur ennemi porte un nom terrible : arsenic ». Un rapport des services des mines constate qu’il y a 100 fois plus d’arsenic dans l’eau que la dose permise.

Ce combat entre production et lutte contre la pollution s’est poursuivi jusque dans les années 2000. En 1990, Pierre Sanchez, délégué des mineurs à la CGT lit deux thèses qui venaient d’être soutenues en liaison avec l’hôpital de Carcassonne, sur les cancers des poumons. Il fait le lien avec la mine et demande une enquête. Henri Pèzerat et Annie Thébaud-Mony ont dû mener leurs recherches pendant leurs congés car le CNRS et l’INSERM leur avait interdit d’aller travailler sur le site. C’est la CGT qui leur paie un séjour. Leurs recherches confirment le lien entre les problèmes sanitaires et la mine. Ils tirent la sonnette d’alarme pour les salariés de la mine-usine. On finit par reconnaître les problèmes de santé des ouvriers comme maladie professionnelle, chose importante pour eux, car cela leur permet de percevoir 100% de leur pension.

D’après les témoignages des femmes de mineurs, les hommes mourraient à 45 ou 50 ans. D’après le bureau d’étude BURGEAP, 116 000 tonnes de poussière de trioxyde d’arsenic ont été envoyées dans l’atmosphère en près de 70 ans et se sont déposées dans le territoire de l’Aude. A la fin des années 1980, une évaluation du BRGM révèle que chaque année, 30 mètres de poussière issue de l’hydrometallurgie étaient emportés par le vent et donc respirés par les habitants. Cette pollution menace les aquifères du département de l’Aude sur le long terme.

Les ouvriers étaient conscients du danger et savaient qu’ils allaient mourir prématurément. Un délégué syndical disait : « Tout notre problème est d’arriver à gagner notre vie sans la perdre ». Les cadres de l’usine était peu soucieux de leur santé et faisaient preuve d’un réel cynisme. Pendant ce temps, les preuves continuaient de s’accumuler : les arbres et les animaux continuaient de mourir. Des analyses de la cellule chimique de la Gendarmerie Nationale venue de Rosny-sous-Bois révèlent des taux de plomb, de cuivre et d’arsenic faramineux dans le foie des animaux. Des ruches sont posées pour effectuer des tests et systématiquement les populations d’abeilles sont décimées. La Croix du Midi pose une question en 1995 : « La santé, l’environnement et le cadre de vie dans la vallée de l’Orbiel ont un prix. Est ce qu’on va accepter de payer ce prix ? ». La même année, une lettre signée par 46 médecins libéraux signale que cela ne peut plus durer et avertit que la population des environs sera très impactée par la forte exposition à la pollution dans les prochaines décennies. Elle précise que personne ne peut prévoir précisément ce qu’il va se passer.

En février 1997, Un président de syndicat de maraîcher fait analyser ses légumes. Ils étaient chargés en métaux lourd. Cette fois, c’est la directrice-adjointe du centre anti-poison de Toulouse qui tire la sonnette d’alarme. L’Etat finit par réagir non pour stopper la pollution, mais en interdisant aux habitants de consommer et de commercialiser ce qui est produit sur place, par l’arrêté préfectoral du 6 mars 1997. Pour Frédéric Ogé, cela revenait à dire : « ne vivez plus sur ce territoire ! ».

La situation est résumée par Charlie Hebdo en 1999 qui écrit « l’ancienne mine d’or ne tue plus : l’arsenic s’en charge » et l’Humanité en 2000 : « le site de Salsigne est complètement stérile, c’est un paysage lunaire qui a pris place. »

Des doses incroyables sont toujours mesurées en 2001, on détecte 14 microgrammes d’arsenic par mètres cubes dans l’air alors que la dose acceptable est de 0,0006. Une étude réalisée 10 ans plus tôt montre que sur les communes autour de la mine, il y a 10 % de cancer en plus que la moyenne nationale et 80 % en plus pour certains types de cancer. Pour les femmes, c’était plutôt des cancers de l’estomac et des cancers de la vessie pour les hommes.

Au début des années 2000, un ingénieur général des mines, François Barthélemy, affirme que la situation est critique et qu’il faudra une surveillance à long terme du site. Il s’interroge sur l’arrêt d’une station d’épuration qui épure seulement une partie de l’arsenic présent dans l’eau. Cette eau est également chargée en minerais de sélénium, de cobalt, de plomb qui ne sont pas filtrés et qui pénètrent dans les aquifères. 4750 tonnes d’arsenic extrait de la station d’épuration ont fini dans des « big bags » (500 mètres au-dessus de la station d’épuration), qui s’éventraient au bout de 2 ans. Avec les pluies, l’arsenic regagnait à nouveau la station et ainsi de suite. Malgré cela, l’Etat envisageait de le fermer en justifiant du coût élevé (500 000 euros par an).

En 2008 la DDASS (ARS depuis 2010) délivre un document aux mairies, concernant les risques et les précautions à prendre afin qu’il soit distribué à chaque habitant. Ce document ne sera jamais distribué aux habitants.

Derrière cela, il y avait un autre enjeu que l’environnement : la valeur du foncier et la taxe d’habitation. En 2013, un site de stockage de déchets ultimes qui devait tenir un siècle d’après les ingénieurs, a lâché au bout de 10 ans. On retrouve une charge de 4 469 microgrammes d’arsenic, la dose admissible étant de 10 microgrammes. Pour le préfet « tout était normal, c’est naturel ». C’est toujours le discours qui a été tenu mais, heureusement, il y a des fonctionnaires qui ont un rapport à la morale et qui s’arrangent pour déposer la nuit une photocopie des vraies analyses dans les boites aux lettres des associations.

En 2015, le BRGM explique bien que l’arsenic du site de Nartau (un site parmi d’autre) restera un fardeau et annonce engager des travaux pour éviter un effondrement de terrain et qu’une vague de 15 mètres ne déferle sur le village de Lastours. Cela n’a pas empêché les toxiques d’être emportés par les inondations du 15 octobre 2018. En novembre 2018, le préfet a tenu un discours ambigu en expliquant que tout va bien puisqu’il n’y a pas de « sur-pollution », en reconnaissant donc implicitement qu’il y a de la pollution. Une cour d’école est analysée à Lastours en avril 2019 et, suite aux résultats catastrophiques et à la mobilisation des parents, le maire décide de fermer la cour de l’école et en y faisant enlever 100 tonnes de sol pour que les enfants puissent y revenir. Le discours officiel consistait à dire qu’il n’y avait pas de problème avec le sol de l’école et que ce n’était pas toxique. Le conseil régional de la région Occitanie vote quasiment à l’unanimité (137 voix sur 139) une motion qui demande à l’Etat de prendre ses responsabilités. La sonnette d’alarme venait d’être tirée par des analyses financées dans un premier temps par La Dépêche du Midi et dans un deuxième temps par France 3. Ces reportages ont permis de payer aux habitants des analyses qui auraient été très coûteuses pour eux. Le 6 août 2019, les résultats tombent et près d’un quart des enfants sont au-dessus du taux admissible. Le 15 août, les parents publient une supplique au Président de la République, qui, en deux jours recueillait déjà 2000 signatures. La Ministre de la Santé Agnès Buzin a ainsi reçu la sénatrice du département, Giselle Jourda, qui demandait à être reçue depuis des mois, pour exposer la situation. Début 2020, le préfet présente un plan d’action en 50 points. En vérité, la moitié des actions est déjà réalisée.

Une Commission de suivi des sites se réunit en janvier, donc on rentre dans la légalité. Le 9 mars la Haute Autorité de Santé Publique publie un document de 27 pages qui présente des normes mais seulement pour l’arsenic. Jusqu’à présent, on ne considérait pas qu’il y avait d’intoxication et on disait « tout va bien pour les enfants » puisqu’il n’y avait pas de normes officielles. Sur ses 27 pages, ils évitent soigneusement de s’interroger sur la poly-exposition. Qu’est-ce que cela donne quand il y a exposition à l’aluminium et à l’arsenic ? Ce n’est pas « 1 + 1 = 2 » mais plutôt « 1 + 1 = 5 ». La norme de 10 qui est donnée par la commission prévient que c’est seulement un indicateur de risque et qu’on peut parfaitement être impacté en dessous. Il peut y avoir un enfant qui sera plus impacté différemment selon l’âge et l’origine. Frédéric Ogé remarque qu’ils n’ont pas peur de la poursuite au pénal qui interviendra, un jour ou l’autre.

Il y eut également la mise en place d’une commission d’enquête sénatoriale qui est centrée sur l’ensemble des sites miniers en France mais qui a été motivée par ce qu’il s’est passé à Salsigne.

Frédéric Ogé présente ensuite des photos du site de Nartau (à ciel ouvert depuis 120 ans) dans la commune de Villanière, sur laquelle on observe des gravats sur un flanc de montagne, recouverts d’une couche blanche. La matière blanche est en fait de l’arsenic. D’après les évaluations, il y en aurait entre 900 tonnes et 1200 tonnes. Globalement, ce site comprendrait 85 000 tonnes de tout venant.

Ces photographies et celles à suivre ont été prises par l’intervenant.

Il montre ensuite « la source à Pastis » à proximité du village de Salsigne. Il s’agit de la rencontre entre deux ruisseaux dont l’un deux est parfaitement clair et l’autre blanc. Le mélange donne une eau trouble.

Après la publication de ces photos, la réaction n’a pas été de dire « on va combattre la pollution », mais de clôturer le site début 2020.

Sur une autre photo, on voit le site de la Combe du Saut (où se trouvait la mine et l’usine), désormais recouvert par 70 mètres de gravats chargés d’arsenic et d’autres métaux lourds dont 4750 tonnes d’arsenic dans des « big-bags ». Le site se trouvait autrefois dans une vallée, elle est aujourd’hui méconnaissable. De l’autre côté de la rivière, il y a 10,5 millions de tonnes de tout venant chargé à 5 % d’arsenic. Cela se déverse dans 7 bassins qui se trouvent en amont de l’Orbiel. Dans certains de ces bassins l’eau est bleue et dans d’autres elle est rose. Ils sont censés permettre d’éviter un effondrement de terrain comme cela s’est produit à Baia Mare en Roumanie. Depuis février dernier, le BRGM tente un traitement par bactérie.

Frédéric Ogé nous montre une photo du site de Montredon qui s’effondre. Pourtant, des travaux d’un montant de 4 millions d’euros devaient garantir la sûreté du site pendant des siècles, notamment avec des piliers s’enfonçant à 35 mètres de profondeur mais reposant sur du sable. Dans son rapport l’ingénieur général demandait que le site soit clôturé pour plus de précautions. Finalement c’est un panneau préventif tous les 500 mètres qui a été installé, contre un panneau tous les 3 km auparavant.

Sur une autre photo, on peut voir la rivière qui est devenue orange à cause de l’arsenic.
 Le préfet disait que c’était naturel. 4469 microgrammes d’arsenic ont été relevés.

Frédéric Ogé évoque un monument fait en mémoire de mineurs et de métallurgistes morts sur leur lieu de travail. Mais il n’est pas fait mention de tous ceux qui meurent après, à cause de la mine.

Frédéric Ogé nous montre une dernière photo où l’on voit des panneaux de protestation installés dans les environs de Salsigne sur lesquels était inscrit « ils ont pris l’or et laissé l’arsenic » ou encore « les préfets passent, la pollution reste ».

Pour terminer, Frédéric Ogé rappelle que près de 3500 personnes sont mortes prématurément sur l’ensemble des communes concernées.

 

Eléments du débat :

Guillaume, étudiant en géographie : Est-ce qu’on retrouve ce type de pollution à un tel niveau ailleurs en France ?

F. Ogé : Il y a plus de 3500 sites miniers en France sur lesquels il y a des problèmes comme avec le charbon à Decazeville ou encore dans le Gard, avec notamment la mine de Saint-Félix-de-Pallières. Cependant, dans cette dernière, il y a 3 millions de tonnes de tout venant contre 15 millions de tonnes à Salsigne. A la différence des autres mines, Salsigne a reçu des déchets venus du monde entier et cela au profit de l’entreprise « mafieuse » SEPS, qui a empoché l’argent et laissé les déchets contaminer le territoire. Il y a aussi une exception géologique, la mine a été en activité bien plus longtemps que les autres mines. Ici, les enjeux étaient très importants et il y a eu énormément d’argent en jeu.

Dimitri, étudiant en géographie : Jusqu’où peut-on retrouver de la pollution dans l’Orbiel ?

F. Ogé : L’Orbiel se jette dans l’Aude dont l’estuaire est à Fleury d’Aude. En 1990, un hydrogéologue de l’Université de Montpellier avait analysé les fontaines d’eau publique de la ville de Trèbes et il avait trouvé des taux catastrophiques. Pour ce qui est en aval, on ne sait pas. En fait, on ne veut pas savoir. L’enjeu est à l’horizon 2030-2050 quand on va manquer d’eau. Pour le moment l’eau ne vient pas des aquifères, le jour où il faudra pomper dedans, que va-t-il se passer ? On ne sait pas. Nous avons évalué qu’il faudrait investir 1 milliard d’euros sur 20 ans, soit 50 millions d’euros par an pour faire du bon travail. 50 millions d’euros c’est 120 ronds-points… c’est un choix !

Frédérique Blot, maître de conférences en géographie : Quels sont les difficultés rencontrées par les chercheurs qui travaillent sur le terrain ?

F. Ogé : Un groupe de travail « arsenic-métaux lourds » basé à Pau et piloté par l’université de Strasbourg avait été créé il y a 30 ou 40 ans. Les chercheurs de ce groupe voulaient travailler sur Salsigne et ont leur avait répondu « interdiction absolue d’y travailler ». Henri Pezerat, qui était directeur de recherches en toxicologie à Jussieu, s’est vu également refuser de faire des recherches à Salsigne. Il n’était donc même pas couvert en cas d’accident. C’est la CGT qui lui a tout payé.

L’analyse des prélèvements en laboratoire, pour mesurer les taux d’arsenic, a été impossible dans le sud de la France. Systématiquement, les laborantins étaient soi-disant « malades » et les appareils « en panne ». La première série d’analyses a dû être faite dans le nord de la France et la deuxième en Allemagne.

Un étudiant avait envoyé, dans le cadre de sa thèse dirigée par le professeur Lancelot, à l’université de Nîmes, des prélèvements de manière anonyme (pour éviter d’être identifié) à Rennes. La thèse avait montré que les produits n’étaient pas d’origine naturelle alors que le discours étatique était de dire « c’est normal, parce que c’est naturel ». A une époque, un préfet avait promis un groupe de travail de scientifiques indépendants mais celui-ci n’a jamais existé. Il s’agissait seulement d’un discours. En réalité, l’Etat n’a jamais voulu savoir. Probablement pour éviter que les gens demandent à être indemnisé. Les plaintes pour préjudice écologique et préjudice d’anxiété commencent juste à arriver. Il y a un enjeu extrêmement important au niveau du droit pénal et du droit civil. Il y a une solidarité entre les différentes générations de hauts fonctionnaires qui ont étouffé le scandale car il s’agissait d’un lieu stratégique pour la France, à une époque.

Récemment, il a été demandé à un groupe de chercheurs indépendants de prévenir 48h à l’avance pour se rendre à Salsigne. D’après un délégué des mineurs, l’inspecteur des installations classées demandait à ce que le trajet des chercheurs sur le site soit balisé afin qu’ils ne voient que ce que l’on voulait bien leur montrer.

Thibault Courcelle, maître de conférences en géographie : A-t-on aujourd’hui les moyens techniques de dépolluer et de mettre un sécurité un site comme celui-ci et si oui combien de temps cela peut prendre ?

F. Ogé : La première évaluation qui a été faite par l’ex-directrice de cabinet de François de Rugy s’élevait à 14 milliards d’euros. Mais c’est faux ! Avec 1 milliards d’euros, il serait déjà possible de faire du très bon boulot. Le problème c’est l’effet domino : si les habitants du bassin de l’Orbiel « gagnent » et bien, par exemple, les habitants de Saint-Salvy de la Balme (Tarn), de Decazeville (Aveyron) et de Tarascon-sur-Ariège (Ariège) vont eux aussi réclamer une dépollution. Et ainsi de suite. La grande inquiétude serait qu’un effet domino se produise sur les milliers de site très pollués. Lors de son passage à Salsigne, la députée européenne, Marie Toussaint, affirmait que cette peur ne s’arrêtait pas à la France. Cela pourrait aussi provoquer un effet de bascule en Italie et en Espagne, par exemple, ce qui obligerait à repenser toute la société.

Il y a beaucoup d’argent en jeu et il y a le problème de la remise en question de tous les grands corps qui ont contrôlé le fonctionnement du système. Cela reviendrait à reconnaître que la priorité a toujours été donnée à la production plutôt qu’à la protection et les Etats ne veulent pas assumer cela.

Les problèmes écologiques et sociaux liés à l’exploitation massive des sols sont des phénomènes mondiaux, présents sur tous les continents, où les entreprises exploitantes ont toujours eu une posture coloniale, dans les pays du sud comme dans les pays du nord. Le principe est à chaque fois le même : les entreprises vivent du territoire mais ne vivent pas dans ce territoire. Elles exploitent les ressources et s’en vont en laissant une catastrophe écologique et sociale derrière elles.

Compte-rendu réalisé par COLLET Jean et DUMONT Marc, étudiants en deuxième année de Licence de géographie, repris et corrigé par Thibault COURCELLE et Mathieu VIDAL, enseignants-chercheurs, co-animateurs des Cafés Géo d’Albi.