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Le Moyen Orient : épicentre de l’arc de crise

A l’occasion de la sortie du dernier numéro de la Documentation Photographique qu’il a consacré à la « Géopolitique du Moyen-Orient », les Cafés Géo de Lyon accueillent le 5 novembre 2014 Fabrice Balanche, Maître de conférences à l’Université Lyon 2 et membre du GREMMO, qui revient sur les crises qui agitent les pays du Proche et du Moyen-Orient. Cette intervention a pour ambition d’éclairer ce sujet d’actualité, très – voire trop – médiatisé, de façon à en faire ressortir les acteurs, leurs objectifs et leurs moyens d’action.

Le Moyen-Orient dans la géopolitique mondiale

Historiquement, la Guerre Froide a joué un rôle majeur dans les conflictualités qui ont agité l’arc moyen-oriental. Après la période coloniale, cette zone géographique située à la marge des deux grands blocs a connu nombre de conflits armés qui se sont, à l’exception près du conflit israélo-palestinien, essoufflés après la chute de l’Union Soviétique. Toutefois, après vingt ans d’hégémonie américaine, la montée en puissance des pays émergents et le retour de la Russie sur la scène diplomatique ont changé la donne dans cette région du monde. Certes, en 2011, Moscou et Pékin ne se sont pas opposées à l’intervention franco-britanico-étasunienne en Libye, une intervention où les Etats-Unis ont joué les premiers rôles. Cet accord tacite tient au fait qu’il n’était pas officiellement question de renverser le régime libyen. Mais par la suite, la Russie et la Chine ont opposé trois vetos successifs aux demandes d’intervention en Syrie, tandis que la crise ukrainienne et l’annexion de la Crimée couplées aux ambitions croissantes de Vladimir Poutine sur les richesses kazakhes signent bien l’émergence d’un nouveau bloc russe.

Si les Russes n’ont aucune ambition territoriale au Moyen-Orient, ils soutiennent néanmoins un axe pro-iranien chiite qui s’oppose au bloc sunnite soutenu par les Etats-Unis, les zones tribales détenues par l’Etat Islamique et Al Qaïda échappant à cette géopolitique. La politique russe dans la région est simple : faire ce que les Etats-Unis ont fait en Afghanistan dans les années 1980, à savoir attirer l’ennemi dans un bourbier. Ainsi, pendant que les Etats-Unis s’épuisent militairement dans la région, les Russes ont les mains libres ailleurs. Barack Obama l’a d’ailleurs bien compris et c’est l’un des facteurs qui expliquent par exemple l’objectif de retrait des troupes étasuniennes d’Irak et, plus généralement, du Moyen-Orient.

Dès lors, les Etats-Unis semblent relativement impuissants dans la région. Dans la crise syrienne tout d’abord, la ligne rouge définie par Barack Obama a bien été franchie par Bachar el-Assad sans provoquer d’intervention armée étasunienne. L’Irak en est aussi un bon exemple. Après huit ans de guerre et plus de 3 000 morts américains, les Etats-Unis, face à la menace de l’Etat Islamique, abandonnent un gouvernement qu’ils avaient pourtant soutenu depuis leur entrée dans le pays. Comme un symbole, la ville de Falloujah, théâtre d’âpres combats entre l’armée américaine et les rebelles irakiens en 2004, est prise par les djihadistes au printemps 2014. Face au nébuleux Etat Islamique qui fédère des groupes épars parce qu’il est devenu l’ennemi principal des Etats-Unis, la stratégie américaine bredouille : les frappes aériennes ne suffisent pas et il faut alors chercher l’appui de combattants locaux comme l’armée irakienne chiite peu concernée lorsqu’il s’agit de lutter pour des territoires à majorité sunnite tel Mossoul par exemple.

Les Etats-Unis ne semblent donc pas avoir de vision au Moyen-Orient. En fait, le dossier qui intéressait le plus Barack Obama était le dossier iranien. La priorité était à éviter une guerre avec l’Iran en négociant sur la sensible question du nucléaire. C’est le seul dossier étranger dans lequel le Président des Etats-Unis s’est investi.

Quant au conflit israélo-palestinien, il n’intéresse ni Barack Obama ni Hillary Clinton, secrétaire d’Etat jusqu’en 2012 qui, dans l’hypothèse d’une candidature aux présidentielles américaines de 2016, craint de ternir son image auprès de l’électorat pro-israélien américain. Seul John Kerry a vainement cherché à faire avancer ce dossier et il ne semble pas possible d’envisager une quelconque issue à ce conflit avant plusieurs dizaines d’années. Les diplomates qui s’occupent de cette question sont d’ailleurs plus là pour gérer le conflit que pour le résoudre, ce qui paraît impossible étant donnés les paramètres actuels.

Même les grandes puissances régionales se désintéressent du conflit israélo-palestinien qui semble déconnecté des grands enjeux qui les occupent. Bien sûr, il agit toujours comme un ciment unificateur pour les opinions publiques des pays de la région et, à ce titre, il reste abondamment manipulé par leurs principaux dirigeants politiques. Mais l’évocation du conflit est aujourd’hui plus incantatoire qu’autre chose et les grandes puissances régionales attachent peu d’intérêt à travailler effectivement à une résolution de ce conflit.

L’émergence de puissances régionales

Le conflit majeur dans cette zone géographique serait plutôt le conflit entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Le risque est qu’il s’envenime sur le modèle de la Guerre de Trente Ans qui a commencé en Bohême comme une petite guerre de religion avant d’embraser toute l’Allemagne puis toute l’Europe. On a aujourd’hui une configuration comparable au Moyen-Orient avec l’Iran champion du camp chiite et l’Arabie Saoudite celui du camp sunnite. Ces deux puissances se livrent un lutte indirecte. L’Arabie Saoudite finance par exemple l’opposition syrienne quand l’Iran soutient Bachar el-Assad.

Il faut d’ailleurs bien voir que les pays pétroliers du Golfe font dorénavant figure de modèles pour les jeunes générations de tous les pays du Moyen-Orient et même, de façon croissante en Afrique du Nord. Il y a dorénavant un « brain drain » qui s’exerce aussi vers les pays du Golfe. Plus généralement, les anciennes puissances coloniales ne font plus office de modèle de développement. Au Maroc aussi bien qu’au Liban, on ne regarde plus vers l’Europe qui y investit d’ailleurs beaucoup moins d’argent que les pays pétrolier du Golfe. Une forme de dépendance se crée ainsi entre les différents pays du Moyen-Orient : l’Egypte par exemple est complètement assistée par les pays du Golfe.

Toutefois, dans cette région du monde, il faut aussi prendre en compte trois acteurs secondaires. Le Qatar, le premier d’entre eux, a réussi à maintenir une certaine indépendance à l’égard du voisin saoudien du fait de ses intenses relations économiques et donc diplomatiques avec les principaux pays occidentaux. Israël est un autre outsider qui reste toutefois en retrait : tout ce qui peut affaiblir ses ennemis arabes bénéficie à sa politique de colonisation des territoires palestiniens. La Turquie enfin, ancienne puissance coloniale dans la région, espère y jouer un rôle de gendarme mais son passé colonial nuit à ce positionnement stratégique et elle reste impopulaire. La Turquie est aussi trop dépendante de la Russie et de l’Iran du point de vue énergétique pour mener une politique régionale autonome, notamment dans le conflit syrien. Si l’on ajoute à cela la peur turque de voir les Kurdes et notamment le PKK constituer une vraie force régionale, on comprend alors pourquoi, quoi qu’en dise Recep Tayyip Erdogan, la Turquie ne fera rien de sérieux contre la Syrie de Bachar el-Assad. L’Iran, qui accueille une minorité kurde non négligeable dans l’ouest de son territoire, partage d’ailleurs cette crainte turque. Dans la bataille de Kobané, l’Etat Islamique faisait ainsi le jeu de la Turquie et de l’Iran ; c’est la raison pour laquelle la Turquie a interdit aux Etats-Unis d’utiliser les bases de l’OTAN se situant sur son territoire pour mener les raids aériens appuyant les rebelles kurdes de Kobané.

Il faut enfin souligner l’importance des médias dans la géopolitique régionale. Le Qatar, à travers le groupe Al-Jazeera, est très puissant mais l’Arabie Saoudite dispose d’une audience supérieure dans de nombreux pays arabes avec le groupe Al Arabyia, lié à la famille royale saoudienne. Les puissances du Moyen-Orient ont ainsi compris dès les années 1970 l’importance de maîtriser l’opinion publique à travers le contrôle des médias. Elles ont d’abord acheté le soutien des grands organes de presse régionaux avant d’acheter tout simplement les grands journaux panarabes et de créer leurs propres chaînes de télévision.

Pétrole, évolutions sociétales et terrorisme

Tous ces conflits moyen-orientaux sont en partie sous-tendus par l’argent du pétrole. L’Arabie Saoudite et l’Iran sont deux grandes puissance pétrolières ce qui leur assure une rente pour un siècle, rente qui finance très largement différents groupes dans toute la région. Ces deux puissances n’envoient pas directement des troupes mais elles paient des mercenaires qui se battent plus ou moins officiellement en leur nom.

Plus encore, le pétrole joue un rôle indirect dans les conflictualités qui parcourent les sociétés moyen-orientales. Ainsi, le pétrole assure une ressource indirecte pour de nombreux pays de la zone. Les « remises » (transferts d’argents opérés par les migrants vers leur pays d’origine) des immigrés en Arabie Saoudite assurent par exemple des flux de capitaux substantiels vers l’Egypte, le Yémen, la Syrie ou la Jordanie. Ces pays souffrent alors de ce que les économistes appellent le « mal hollandais » pour désigner les effets négatifs de l’augmentation soudaine et massive des revenus d’un pays en raison de la rente des ressources minières ou pétrolières. Les revenus pétroliers gonflent ainsi artificiellement le taux de change de ces pays qui ont dès lors du mal à exporter. Le Yémen, la Jordanie, l’Egypte, la Syrie ou le Liban connaissent ainsi aujourd’hui des crises agricoles. La Jordanie importe près de 70% des produits qu’elle consomme, le Liban 90%. Ce sont là de véritables déserts économiques avec des taux de chômage très élevés. Pour ceux qui ne parviennent pas à émigrer vers des pays pétroliers, l’enrôlement dans des groupes de combattants devient une vraie solution.

Il faut alors différencier deux logiques. Du côté chiite, l’organisation est pyramidale : l’Iran au sommet dicte ce qui doit être fait à des groupes comme le Hezbollah. Du côté sunnite, il y a concurrence entre différents groupes voire lutte interne pour le leadership. En tout cas, bien qu’il y ait en leur sein quelques fanatiques, ce sont pour la plupart des gangsters qui cherchent à tirer un profit économique et pour qui la religion n’est qu’un prétexte. La situation économique désastreuse entretient donc en large partie le terrorisme au Moyen-Orient. Ce mouvement se trouve encore amplifié par les différents conflits armés qui déplacent les populations : les conditions déplorables des camps qui hébergent les réfugiés syriens expliquent par exemple la radicalisation de ces populations qui vivent dans le dénuement le plus complet.

Le développement croissant de l’activité terroriste se comprend aussi comme une contrepartie malheureuse des évolutions sociologiques que connaissent les pays du Moyen-Orient. Ainsi, le rôle des femmes y est de plus en plus important puisqu’on assiste à une promotion des femmes par l’éducation. Contrairement aux hommes, elles n’ont pas la possibilité de s’engager dans l’armée et poursuivent des études supérieures qui leur ouvrent de plus en plus les portes de l’administration. De fait, les ¾ des étudiants qatariens sont des femmes. Mais une telle évolution remet en cause un patriarcat solidement ancré dans les sociétés moyen-orientales. L’engagement de jeunes hommes dans des groupes armés tels que l’Etat Islamique se comprend dès lors aussi comme une façon de lutter contre ces avancées sociales en prônant le retour à des valeurs considérées comme traditionnelles tout en magnifiant le rôle de l’homme guerrier.

Le Moyen Orient : épicentre de l’arc de crise

Cette région encourt un risque de balkanisation. Le conflit actuel en Syrie a profondément fragmenté le pays de sorte qu’il est difficile d’imaginer que ces lignes de fracture puissent un jour s’estomper. Il en va de même avec l’Irak qui est aujourd’hui divisé en trois zones, ce qui n’exclut  pas d’ailleurs de nouvelles scissions avec l’émergence de pseudo-territoires autonomes. Ce risque touche aussi le Liban qui très divisé d’un point de vue confessionnel. Au sein de chacun de ces Etats, les scissions sont certes confessionnelles mais aussi claniques : une même confession religieuse est parcourue localement par des oppositions de clans, ce qui affaiblit à terme le rôle de l’Etat central.

Enfin, il faut conclure sur la grande inconnue qui pèse sur la région, à savoir l’avenir de l’Arabie Saoudite. C’est une gérontocratie avec plus d’une vingtaine d’héritiers potentiels. Ainsi, on ne s’y succède pas de père en fils et le pouvoir est partagé successivement entre sept clans. De plus, c’est une économie complètement assistée par la rente pétrolière qui finance nombre de pays dans la région. Toute déstabilisation de ce régime politique instable mais irréformable mettrait en danger non seulement le pays mais toute la région. La baisse tendancielle du cours du baril de pétrole résultant de l’exploitation croissante en Amérique du Nord des gaz de schiste pourrait bien menacer l’équilibre précaire saoudien. On peut toutefois s’interroger : la baisse des prix du pétrole qui finance les luttes armées au Moyen-Orient va-t-elle mettre fin aux tensions, ou au contraire cette baisse, déstabilisant l’Arabie Saoudite voire l’Iran, risque-t-elle d’envenimer les conflits et d’embraser toute la région ?

Le débat avec la salle commence alors.

Etant donnée la situation que vous avez décrite, cette région risque un jour d’imploser. Que peut-il se passer ce jour-là ?

FB : Une balkanisation du Moyen-Orient est tout à fait envisageable. En Irak par exemple, la tripartition du pays a fait émerger de nouvelles frontières qui créent un fédéralisme de fait. Cela rappelle vraiment la Guerre de Trente Ans qui a conduit à l’émiettement du Saint Empire Romain Germanique. Plus récemment, on peut penser à l’exemple congolais. Toutefois, il faut bien avoir à l’esprit que si l’Arabie Saoudite explose, cela aura immanquablement un impact sur l’économie mondiale.

Vous avez fait référence à l’Egypte et à sa crise agricole, ne faut-il pas la remettre aussi dans le contexte des tensions avec l’Ethiopie pour le contrôle du Nil Bleu depuis le traité de 1959 ? L’Ethiopie est-elle aujourd’hui en mesure de faire pression sur l’Egypte en utilisant comme bon lui semble les eaux du Nil ?

FB : Les Egyptiens ont toujours considéré que le Nil était leur bien, d’autant plus que les différents traités rappellent que le pays amont – en l’occurrence l’Ethiopie – n’est pas libre d’aménager le cours d’un fleuve comme bon lui semble sans tenir compte du pays aval – l’Egypte dans notre cas. L’Egypte a longtemps vécu sur un mythe : l’eau du Nil devait permettre de développer l’agriculture en gagnant des terres sur le désert. Mais aujourd’hui, outre que c’est un projet qui pose des problèmes de durabilité, l’instabilité du régime politique égyptien fragilise la position égyptienne et on assiste effectivement à une montée en puissance de l’Ethiopie sur cette question.

Deux questions. Tout d’abord, concernant le Kurdistan : le refus qu’opposent les pays de la région – Turquie, Iran, Irak – est-il un refus de principe ou bien est-ce un territoire stratégiquement intéressant en raison par exemple de la richesse de son sous-sol ? D’autre part, comment, malgré les inimitiés qu’il a dans la région, l’Etat israélien se fournit-il en énergie ?

FB : Les Kurdes sont présents en Syrie, en Iran, en Irak et en Turquie même si dans chacun de ces pays il s’agit souvent de zones mixtes. Créer un Kurdistan amènerait à amputer le territoire national de chacun de ces Etats de régions plus ou moins grandes ce qui, on le comprend aisément, n’est pas acceptable pour leur gouvernement. Il y a donc une vraie peur de l’indépendance kurde. De plus, dans la région, il y a toujours eu une forme de mépris ethnique pour ces Kurdes qui sont vus comme des paysans des montagnes. Toutefois, dans ces territoires à majorité kurde, il n’y a pas de ressources sinon, dans le cas de la Turquie, une ressource en eau avec les barrages sur le Tigre et l’Euphrate. Donc dans ce refus à la création d’un Kurdistan, il faut surtout voir des Etats qui n’ont pas envie de perdre du territoire. De toute façon, la création d’un « grand Kurdistan » semble peu probable notamment parce qu’il y a des divisions entre Kurdes : différences linguistiques et différences ethniques.

Quant à Israël, elle consomme une électricité produite au charbon par l’Europe ou l’Australie. Elle est aussi desservie par des oléoducs locaux. Mais, plus important peut-être encore, Israël a découvert du gaz sous-marin vers Chypre, un gaz qui pourrait lui assurer une indépendance énergétique sur le long terme. Le but serait d’exporter du gaz vers la Jordanie qui en manque depuis la coupure du gaz égyptien dont elle dépendait très largement avant 2011. Enfin Israël a très tôt investi dans les énergies renouvelables. Il ne semble donc pas qu’il faille craindre pour l’approvisionnement en énergie côté israélien.

Vous avez estimé qu’il ne pouvait y avoir de résolution du conflit israélo-palestinien avant plusieurs dizaines d’années. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

FB : Pour moi, il y a un fossé entre les réalisations et les négociations. La colonisation est un fait : les colons israéliens représentent 15% de la population de Cisjordanie. L’objectif affirmé d’Israël est même d’atteindre les 30%. En effet, Israël est un pays densément peuplé qui possède de plus un taux de fécondité très important : 2,6 enfants par femme dans la population juive d’Israël et plus de quatre enfants par femme chez les colons, c’est-à-dire plus que ce qui s’observe chez les Palestiniens. Dès lors, Israël joue la stratégie du fait accompli, doucement mais sûrement.

La diplomatie internationale ne fait rien pour l’empêcher. Les Etats-Unis étant trop dépendants du lobby pro-israélien. Certains élus, telle Hillary Clinton, ne veulent pas se mettre à dos le vote juif dans leur circonscription. Israël profite de cette prudence de beaucoup de politiciens américains. Chaque candidat aux élections présidentielles des Etats-Unis va d’ailleurs faire campagne en Israël. Quant à la Russie, Vladimir Poutine ne bougera pas notamment parce qu’Israël accueille 1.5 million de juifs d’origine russe et que la cause palestinienne n’est plus aussi importante que durant la Guerre Froide. L’Europe est un nain politique et n’arrive de toute façon pas à adopter une position internationale claire. La récente brouille entre l’Arabie Saoudite et le Qatar a un peu changé la donne en ce sens que le Qatar s’est servi de la cause palestinienne pour trouver l’appui des Etats-Unis en jouant le rôle de médiateur. Mais il n’y a pas eu de vraie avancée et le Qatar achète en fait la paix sociale. L’aide internationale aux Palestiniens permet d’ailleurs de maintenir le statu quo puisqu’elle garantit que le conflit ne s’embrase pas complètement.

Cet axe pro-israélien des Etats-Unis est-il aussi prégnant que vous le dites ? Faut-il vraiment se rendre en Israël quand on est candidat à la présidence des Etats-Unis ?

FB : Oui ! Obama et McCain y sont allés tous les deux, ce qu’ils n’ont fait pour aucun autre pays du monde. Barack Obama avait d’ailleurs promis le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem ce qui marquerait une reconnaissance officielle de Jérusalem comme capitale. Le lobby israélien est très présent aux Etats-Unis. Les attentats du 11 septembre ont aussi changé la donne et les Etats-Unis se sont encore rapprochés d’Israël après 2001.

Les tensions autour des ressources en eau sur la frontière orientale de la Turquie ont-elles un rôle dans le report de son adhésion à l’Union Européenne ?

FB : Dans cette zone, il y a une vraie bataille pour l’eau sachant que les experts prévoient 40% de précipitations en moins dans les années qui viennent en Anatolie. La Turquie profite notamment de la guerre avec l’Irak pour retenir de l’eau. Mais cela me semble déconnecté de la question de l’adhésion à l’UE. La Turquie est très nationaliste et l’entrée dans l’UE n’a jamais été envisagée très sérieusement par les Turcs. Certes, à ses débuts Recep Tayyip Erdogan était assez pro-européen. Mais, puisqu’il existe déjà une zone de libre-échange entre la Turquie et l’Europe, quel intérêt y a-t-il pour la Turquie à entrer dans l’Europe ? En fait, Erdogan s’est servi de l’intégration à l’UE pour faire perdre son pouvoir à l’armée qui a toujours été un acteur politique très fort et difficilement contrôlable en Turquie. Maintenant qu’il en a réussi à en réduire et la taille et le rôle, il n’a plus d’intérêt à entrer dans l’UE.

Compte-rendu réalisé par Franck Ollivon relu et amendé par l’intervenant.