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L’océan, le surf et les territoires de l’éphémère

Vendredi 2 octobre 2009 – Café Le Thiers – Saint-Dié-des-Vosges

Animé par Jean-Pierre Augustin (professeur de géographie à l’Université Bordeaux III, spécialiste de la géographie des sports, notamment auteur de Géographie du sport. Spatialités contemporaines et mondialisation, Armand Colin, 2006 ; et co-auteur de Géographie des sports en France avec Loïc Ravenel et Philippe Bourdeau, Vuibert, 2008).

Le surf et les territoires de l’éphémère (source : Canal J - Sports)

Le surf et les territoires de l’éphémère (source : Canal J – Sports)

C’est avec beaucoup de patience que Jean-Pierre Augustin profite de l’ambiance très animée du Café Le Thiers pour aborder la question du surf et de ses territorialités. Comme il le remarque en introduction, le thème du Festival international de géographie 2009, « Mers et Océans », nous entraîne sur les plages bien lointaines de Saint-Dié-des-Vosges.

Le surf est l’épure des sports de glisse (parmi lesquels on peut citer également la planche à voile, le kayak-surf, le body surf, le body board…), apparus dans les années 1960 dans les médias. La plupart d’entre eux sont d’origine californienne. Jean-Pierre Augustin a d’ailleurs abordé la question des sports de glisse dans une table-ronde, « Glisse, course, croisière, l’océan sans limite ? », au FIG animée par Sylvain Allemand, avec pour autres invités Jacques Charlier (sur la question des croisières), Anne Gaugue (sur la voile-plaisir) et Isabelle Autissier (sur la voile-sport). Pour ce café géo, il se propose de revenir plus particulièrement sur la question du surf, en trois points.

Historique des pratiques du surf

Le surf a des origines sacrées. Né dans les îles du Pacifique (Hawaï et petites royautés), il a de profondes origines sociales : ainsi, le roi disposait d’une planche de cinq mètres, tandis que celles du peuple n’en faisaient que trois. Jean-Pierre Augustin précise que la recherche sur l’apparition du surf est très difficile puisqu’il n’y en a pas de traces écrites. Les premiers témoignages que l’on peut recueillir sont les écrits du capitaine Cook qui s’arrête aux îles Hawaï et s’étonne de ce « surf sur des vagues ». Par la suite, des missionnaires protestants anglais et américains vont s’installer dans les îles Hawaï. Dans le processus d’évangélisation, ils vont demander aux habitants de changer certaines pratiques païennes (comme l’obligation de se vêtir). Parmi ces pratiques, le surf leur a été interdit, et a ainsi perdu progressivement son caractère sacré. Le début du XXe siècle marque une rupture dans la pratique du surf, notamment autour de la forte médiatisation d’un médaillé olympique de natation, passionné de surf : Duke Paoa Kahinu Makoe Hulikohola Kahanamoku, dit « le Duke ».

Avec l’ouverture du premier club de surf, l’idée de ce sport de glisse est relancée. Rapidement, cette pratique va être valorisée dans la Californie proche, notamment par le biais d’Hollywood et des médias qui vont s’en emparer. Par exemple, un soap opera va être consacré au surf dès la première moitié du XXe siècle. La pratique va se diffuser en Australie et en Afrique du Sud. Rapidement, les innovations technologiques vont permettre la démocratisation du surf. Jean-Pierre Augustin souligne l’importance de la Californie dans ce processus, avec la présence des usines aérospatiales à Los Angeles qui développent le plastique. L’invention de la dérive et la légèreté grandissante des planches sont autant d’innovations qui vont permettre au surf de se démocratiser. Pourtant, sa diffusion reste limitée jusqu’aux années 1950. La première planche de surf n’arrive en Europe qu’en 1957 à Biarritz. Un réalisateur hollywoodien se trouve alors dans cette ville pour tourner un film. Surfeur californien passionné, il est très attiré par les vagues que lui propose le site de Biarritz, et se fait amener sa planche de surf, dont il profite à loisir dans ses moments de détente. Il attire ainsi l’intérêt des jeunes gens de bonne famille. Un premier club de surf va alors être créé, et la pratique va s’étendre sur la côte de l’Atlantique. Ses côtes sableuses (voir la « Carte postale de la côte sauvage » proposée par Aurélie Delage) offrent, en effet, plus d’avantages que les côtes de corail, et vont permettre une rapide extension du surf en Europe.

Diffusion dans le monde

Jean-Pierre Augustin rappelle combien la théorie de la diffusion est l’une des plus importantes en géographie (voir son article sur « Les variations territoriales de la mondialisation du sport », Mappemonde, n°4/1996, pp. 16-20, avec notamment une carte sur la diffusion du surf dans le monde), et souligne les quatre temporalités de la diffusion du surf :

1/ L’invention (par la Californie, pour la forme actuelle du surf comme sport récréatif, dénué de son caractère sacré, au début du XXe siècle).

2/ Une première diffusion localisée (sur les côtes californiennes, en Australie et en Afrique du Sud).

3/ Une plus grande diffusion (Europe, plages indiennes…) qui devient très vite une diffusion mondiale (désormais, on dénombre des milliers de surfeurs à la recherche du « spot » secret, c’est-à-dire de la vague jamais surfée).

4/ Une saturation de la pratique (sur la côte basque, à Lacanau, à Malibu…) qui a provoqué l’invention de nouvelles pratiques, telles que le surf-cerf-volant.

Cette théorie géographique de la diffusion explique bien le cycle des pratiques sportives. Jean-Pierre Augustin fait alors un parallèle avec la planche à voile. En 1969, un surfeur sur une plage de Malibu se retrouve frustré face à l’absence de vagues alors qu’il s’apprêtait à profiter du plaisir de surfer. Il observe alors les voiliers, qui l’intéressent particulièrement puisqu’il est ingénieur de l’Aerospace de Los Angeles. Il invente ainsi un mât non tenu par trois câbles, qu’il positionne sur une planche de surf, pour profiter du plaisir de la glisse en l’absence de vagues. La planche à voile va, par la suite, se diffuser selon le même cycle que celui du surf. Aujourd’hui, cette pratique sportive est, elle aussi, arrivée à saturation. Pourtant, il est intéressant de souligner combien le surf, par rapport aux autres sports de glisse et malgré l’effet de saturation, est resté l’épure de ces pratiques sportives, et garde cette priorité, malgré les effets de mode.

Les territoires du surf

Jean-Pierre Augustin termine sa présentation par la problématique des territoires du surf, en abordant tout d’abord la question des territoires de l’industrie du surf. Ceux-ci se regroupent sous la forme de clusters (pôles de développement), tels que la « Glissicon Valley » autour de Biarritz, qui regroupe de nombreuses sociétés, tant pour les planches que pour les vêtements (le « surfware ») liés aux sports de glisse. Cette industrie s’appuie sur l’image d’un sport écologique, non pollueur. La publicité repose sur le surf comme métaphore de l’individualisation, qui s’exprime à travers la recherche de nouvelles sensations individuelles, de plaisir à être seul avec la nature, avec soi-même, en face des autres.

Les sports de glisse sont vecteurs de territorialités, même si celles-ci sont passagères. Il y a une juxtaposition dans le fait d’être dans la vague, et le fait d’être ailleurs. Le surfeur à Lacanau pense ainsi aux images de surf à Hawaï et en Californie. Il est à la fois ici et ailleurs. Jean-Pierre Augustin explique qu’il s’agit d’une métaphore de la vie comme passage, mais également de la peur et du sacré. Surfer est un geste-discours qui allie la performance et l’esthétique.

Il est très difficile de quantifier le nombre de surfeurs dans le monde. La pratique du surf est encore en progression, notamment par effet de mode : il s’agit d’un sport « dans l’air du temps ». Jean-Pierre Augustin a récemment effectué des comptages sur les plages d’Aquitaine, où il a constaté une très forte progression du nombre de surfeurs. Mais, il faut nuancer la mondialisation du surf : cette pratique est encore très liée aux pays développés et à leurs prolongements. Le monde en développement reste encore à conquérir.

Jean-Pierre Augustin achève ce café géo par le constat du très grand intérêt, pour la géographie, de l’analyse des pratiques sportives.

1/ Ce sont des pratiques d’invention de soi : apprendre la pratique équivaut à être seul face à la nature, c’est-à-dire à un apprentissage de la vie.

2/ Le surf est un attracteur d’organisation sociale : les stations de surf (on en dénombre une vingtaine sur la côte aquitaine) ont une organisation particulière qui interroge le géographe.

3/ Le surf est aujourd’hui dans un stade intermédiaire de la mondialisation : sans que ce sport de glisse soit diffusé partout, l’image du surfeur est désormais connue de l’ensemble du monde et est devenue une valeur universelle.

4/ Le surf permet d’interroger l’aménagement du territoire, au prisme du « surf-urbia » : c’est une figure organisatrice de territoires maritimes, comme le montre le prolongement des villes qui bénéficient d’aménagements pour le surf.

L’ambiance survoltée du Café Le Thiers, au rythme de la musique espagnole en l’honneur du pays invité cette année par le FIG, n’a pas permis de mettre en place un débat suite à ce café géo, mais l’enthousiasme des auditeurs de ce café sur les territoires du surf fut grand.

Bénédicte Tratnjek.

Pour aller plus loin sur la géographie du surf :

Pour aller plus loin sur la géographie du football et du rugby :

Pour aller plus loin sur les problématiques liées aux Jeux olympiques :

Pour aller plus loin sur d’autres pratiques à la croisée du sport, des loisirs et du spectacle :

 Voir le dossier « Géographie du sport » à paraître dans la rubrique « Des Dossiers ».

Le film Les Rois de la glisse (2007).

Le film Les Rois de la glisse (2007).