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L’Ouest à grande vitesse : l’arrivée de la LGV en Bretagne

Compte rendu Café Géographique de Saint-Brieuc
Le mardi 14 novembre 2018

 

Jean Ollivro est professeur de géographie à l’Université Rennes 2. Il anime un séminaire à Sciences-Politiques de Rennes. Il a écrit de nombreux ouvrages sur les mobilités et les territoires : «L’Homme à toutes vitesse », Rennes, PUR, 2006 ; « La nouvelle économie des territoires », Rennes, Editions Apogée, 2011.

Depuis le mois de juillet 2017, une LGV (Ligne à Grande Vitesse) relie Paris à Brest.   Jean Ollivro se propose d’analyser les effets du TGV (Train à Grande Vitesse) sur le développement des territoires et plus particulièrement, ce soir, sur les territoires de la Bretagne.

Les atouts et les limites des lignes à grande vitesse pour les territoires concernés ont été largement étudiés (en particulier pour la Bourgogne que traverse le TGV Paris/Lyon) ; c’est à partir de l’exemple de la Bretagne que notre intervenant mettra en lumière les bénéfices et les effets négatifs d’une LGV.

Une question se pose : en quelle mesure la discipline géographique peut-elle aider les Bretons en général et plus particulièrement les Briochins à se saisir de l’arrivée de la LGV pour en  capter les effets positifs ?

Le 22 septembre 1981 était inauguré le train à grande vitesse français (TGV) entre Paris et Lyon. L’histoire de la grande vitesse en France est lancée : 1989, mise en service de la première branche (ouest) de la LGV atlantique ; 1990, seconde branche (sud-ouest) de la LGV atlantique ; 1993, LGV Nord ; 1994, début du service d’Eurostar ; 2001, LGV Méditerranée ; 2007, première section de la LGV Est ; 2016, mise en service de la seconde section de la LGV Est ;  juillet 2017, mise en service de deux extensions de LGV, une vers l’ouest (Le Mans-Rennes) et une vers le sud-ouest (Tours-Bordeaux).

1 – Atouts et limites de la LGV

    1.1 – Les effets intrinsèques : gain de temps et gain de confort

La carte par anamorphose (il s’agit d’une carte isochrone, c’est-à-dire une carte qui sépare les lieux par le temps qu’il faut pour les atteindre) de la France réalisée à partir des temps de trajet en TGV depuis Paris est spectaculaire.

Très diffusées (en particulier par la SNCF), ces cartes en distance-temps mettent en évidence la distorsion du territoire français au regard du temps pour aller de Paris vers une autre ville :

Amiens et Le Mans à 1h; Rennes à 1h25; Saint-Brieuc à 2h13; Brest à 3h15 (avec l’objectif de la SNCF de réduire ce temps à 3h). Il y a, en effet, des seuils temporels, autour de 2h30/3h,  qui sont des seuils de concurrence par rapport à l’avion. Notre intervenant nous rappelle que la nouvelle LGV entre Tours et Bordeaux qui ramène le temps de trajet entre Paris et Bordeaux de 3h14 à 2h04 relance la bataille que se livrent, depuis des années, la SNCF et Air France pour cette destination.

Si ces cartes par anamorphose sont séduisantes, il faut en souligner leurs limites: elles fonctionnent de gare à gare, elles ne tiennent pas compte du temps en amont et en aval des pôles de départ et d’arrivée. C’est ce que l’on appelle “le paradoxe du voyageur”  qui met plus de temps avant et après son voyage en TGV (situation courante en ce qui concerne les déplacements aériens sur les moyens courriers) pour arriver à sa destination. Le « paradoxe du voyageur » est d’autant plus accentué que le TGV n’est optimal qu’avec un arrêt tous les 300km, au-delà, la SNCF est concurrencée par le transport aérien.

Les TGV jouent aussi sur la carte du confort et du service avec le même objectif, celui de prendre des parts du marché aérien : design et confort des sièges, voiture-bar avec propositions de repas, prises près des sièges et wifi, petit mot de bienvenue au départ et d’agréable séjour à l’arrivée par le personnel de la SNCF, et dans les rames les plus récentes ont été prévus des espaces pour accueillir les fauteuils roulants.

1.2 – Les effets directs

A prix constant, dans un contexte concurrentiel à peu près équitable et sans innovation majeure, la hausse de la vitesse entraîne une hausse de la fréquentation.  D’ailleurs, quatre mois après l’arrivée de la LGV en Bretagne, la SNCF communique les premiers résultats chiffrés : la fréquentation a augmenté de 18% de juillet à septembre 2017 par rapport à la même période en 2016. Cette hausse de fréquentation a pour conséquence une interaction renforcée entre les villes reliées.

Jean Ollivro souligne que ces bons résultats méritent une analyse attentive pour en détecter les fragilités. A coût constant, le TGV est concurrencé sur les longues distances par les prix low coast pratiqués sur les vols. Le coeur du marché du TGV est par conséquent étroit avec le seuil des 3h.

1.3 – Les effets structurants

La mobilité supérieure des personnes entraîne un gain économique d’ensemble au niveau des pôles desservis.  C’est le résultat d’enquêtes réalisées auprès des voyageurs de 1ère classe (déplacement d’affaires) ; les personnes concernées vont augmenter leurs déplacements plutôt que de faire le choix d’un déménagement. Les relations d’affaires sont donc renforcées avec l’ouverture de nouvelles LGV avec le constat suivant : un pôle de rang 1 (en terme démographique et décisionnel) relié à un pôle de rang 2, tend à renforcer ses fonctions de rang 1.

Il y a donc un risque pour la Bretagne de perdre les fonctions les plus stratégiques qui peuvent aller “en tête de gondole” à Montparnasse d’où elles pourront rayonner à Rennes (avec une agence) mais aussi à Nantes et Bordeaux. Cette concentration des fonctions de décision renforce la métropolisation, un fait qui n’est pas nouveau mais qu’accentue la LGV.      

En revanche, on constate dans le même temps, des gains de marché ainsi que le renforcement des fonctions économiques de rang 2  pour le pôle moins puissant relié à un pôle de rang 1. Jean Ollivro donne l’exemple du TGV Paris/Lyon : les entreprises de communication installées à Lyon ont gagné des parts de marché car elles sont plus compétitives en coût que celles installées à Paris. L’aller-retour (déplacement de travail de leurs cadres) dans la journée place ces entreprises en concurrence positive, la vitesse valorisant les différences salariales ainsi que les loyers des locaux. C’est peut-être là qu’il y a une carte à jouer pour la ville de Saint-Brieuc.

La LGV peut aussi participer au développement du tourisme avec l’augmentation des courts séjours. Dans ce cas, les effets sont symétriques : autant de Parisiens allant en week-end à Saint-Malo que de Rennais allant faire leurs courses de Noël, rue de Rennes à Paris. L’intensification de ces cours séjours favorise la restauration (embauche de nouveaux salariés, ouverture de nouveaux restaurants…). En ce qui concerne l’hôtellerie, la situation est plus complexe (beaucoup d’hôtels près des gares sont en difficulté);  il s’agit pour les villes où s’arrêtent le TGV, comme Saint-Brieuc, de retenir ces touristes (pour une voire plusieurs nuits) par son patrimoine historique, son port, sa baie et ses plages…

Certains économistes reprennent le principe simple de l’effet multiplicateur qui est l’un des fondements de la macroéconomie selon Keynes (un euro d’investissement dans les transports entraînerait deux euros d’effets positifs dans l’économie). Aujourd’hui, le multiplicateur keynésien est tout aussi influent que controversé.

2 – Les effets négatifs

    2.1 – “L’effet tunnel”

L’effet tunnel (à ciel ouvert) désigne la situation dans laquelle se trouve une espace traversé par un axe de transport sans s’y arrêter. L’accès à cet axe de transport est impossible en  dehors de quelques haltes intermédiaires entre les pôles de départ et d’arrivée ou même totalement impossible (pas d’arrêts intermédiaires).

L’effet tunnel se manifeste par le développement des espaces situés autour des accès aux axes de transport et l’isolement  (qui peut aller en s’accentuant) des espaces traversés mais éloignés des points d’accès. Les espaces traversés subissent les nuisances liés aux axes de transport sans bénéficier de leurs avantages.

L’effet tunnel a été largement étudié dans le cas des autoroutes; les communes autrefois traversées par les routes nationales voient leurs commerces péricliter et leur tourisme décliner.

2.2 – Impact sur les terres agricoles et les espaces boisés

Un dossier d’enquête, de plusieurs centaines de pages, préalable à la déclaration d’utilité publique pour la LGV Bretagne/Pays de la Loire a été édité en février 2006. Extrêmement fourni, il étudie les impacts et propose les mesures pour accompagner les modifications liées à la construction de la LGV concernant le sol, le sous-sol, les ressources en eau, les milieux naturels, l’activité agricole et l’élevage, les boisements et la sylviculture, le paysage, le patrimoine, le tourisme et les loisirs (dossier consultable sur internet).

Quelques exemples significatifs : la construction de la ligne Le Mans/Rennes représente une emprise d’environ 2500ha, principalement de terres agricoles dans une région où se concentrent cultures et élevages. Le passage de la ligne LGV peut induire une coupure de l’unité des exploitations traversées avec le siège de l’exploitation isolée d’une partie des terres. Toute chose à prendre en compte pour trouver une compensation pour ces exploitations.

Pour Conclure

Jean Ollivro nous rappelle que les effets ferroviaires liés au TGV et qu’il vient de nous rappeler sont aujourd’hui bien connus. Il souhaite insister sur l’importance des stratégies d’accompagnement que doivent développer les villes où s’arrête le TGV, comme Saint-Brieuc,  pour en saisir toutes les opportunités. Et pour conclure ce café géo, notre intervenant revient sur l’intitulé du sujet « L’Ouest à Grande Vitesse ». La vitesse est, dans notre société, considérée comme une valeur positive. Or, c’est une valeur que l’on n’interroge quasiment jamais. La question que nous pourrions nous poser : En quoi est-ce bien d’aller toujours plus vite ? Quel projet de société souhaitons-nous construire ? (On peut signaler «Eloge de la lenteur », Carl Honoré, éditeur Marabout, 2007).

Compte rendu : Christiane Barcellini