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Paysages islandais

Islande 2011, photographies d’Andréa Poiret

Islande 2011, photographies d’Andréa Poiret

« Jamais minéralogistes ne s’étaient rencontrés dans des circonstances aussi merveilleuses pour étudier la nature sur place. Ce que la sonde, machine inintelligente et brutale, ne pouvait rapporter à la surface du globe de sa texture interne, nous allions l’étudier de nos yeux et le toucher de nos mains. » (Jules Verne, Voyage au centre de la Terre)

carte-islande

En 1912, Alfred Wegener expose la théorie de la « dérive des continents » selon laquelle les continents forment une « sorte de radeaux qui flottent sur un magma visqueux ». Il faut attendre les années 1960 pour mieux comprendre le fonctionnement de la surface terrestre grâce à la théorie de la « tectonique des plaques » qui repose sur la différenciation entre lithosphère et asthénosphère. La lithosphère est rigide, elle est formée par la croûte terrestre et la partie supérieure du manteau ; l’asthénosphère est une zone de transition plastique, très dense et plus chaude que la croûte. Les plaques tectoniques sont des fragments de lithosphère qui se déplacent sur l’asthénosphère par le biais de mouvements de convection. L’Islande est sans doute l’une des contrées de la planète où l’on comprend le mieux le jeu de cette tectonique des plaques.

L’Islande, c’est étymologiquement la « Terre de glace ». Située dans l’Atlantique Nord, elle constitue la deuxième île d’Europe avec ses 102 846 km2 de superficie et ses 4 970 km de côtes. Elle chevauche deux plaques, d’un côté la plaque nord-américaine, de l’autre la plaque eurasienne. Ces deux plaques s’éloignent l’une de l’autre, sous l’effet de mouvements de convection. Les roches magmatiques se liquéfient et s’engouffrent dans les failles, on appelle ce phénomène l’accrétion. C’est lui qui est à l’origine de la formation des dorsales océaniques, chaînes de montagnes sous-marines sur des longueurs pouvant atteindre 60 000 km.

L’Islande est donc un domaine émergé de la dorsale médio-atlantique, classée comme dorsale « lente », sachant que la vitesse d’expansion des dorsales est comprise entre 0,5 à 4 centimètres par an. Le « rift » correspond au fossé d’effondrement formant avec ses grabens 1emboîtés le milieu d’une dorsale océanique, marqué de foyers sismiques profonds. La zone de rift islandaise, ou zone « néo-volcanique », couvre environ 26 000km2, soit un quart de la superficie de l’île. Elle se trouve à la jonction entre la ride de Reykjanes au sud et celle de Kolbeinsey au nord. La zone active du rift n’est pas linéaire, elle se dédouble en deux branches au centre de l’île : la zone du rift de Reykjanes (RRZ) et la zone du rift d’Islande du nord (NIRZ). La zone de rift d’Islande du Nord est actuellement la plus active. Le mouvement d’écartement des plaques contribue à la formation graduelle de longs grabens bordés de failles normales parallèles et d’éruptions magmatiques fissurales, accompagnées de séismes. Le « rifting » se produit par épisodes, 130 éruptions ont été décrites depuis l’an 900. La zone géothermique de Geysir présente de remarquables manifestations hydrothermales comme des sources chaudes, évents de vapeur et surtout des geysers.2

Le volcanisme en Islande

Pline l’ancien est le premier à s’intéresser scientifiquement au volcanisme. Les volcans sont des magmas, liquides silicatés, qui s’épanchent à la surface de la Terre. En effet, au niveau du manteau supérieur, les roches fondent par endroits pour former du magma. Le magma, plus chaud et plus tendre que les roches environnantes, a tendance à remonter vers la surface en profitant des zones fragilisées par l’écorce terrestre. Il s’accumule alors dans de gigantesques réservoirs, les chambres magmatiques. Lorsque la pression des gaz dissous dans ce magma devient trop forte, l’écorce se fissure et expulse un mélange de gaz, de roches fondues et solidifiées. Les volcans sont donc les produits de l’éruption ; à leur sommet s’ouvre un trou en forme de cratère ou d’entonnoir par lequel s’échappent les matières volcaniques montées par la cheminée. Les formes de reliefs volcaniques sont variées. Il y a les maars, qui sont des cratères d’explosion formant une dépression souvent occupée par un lac ; les caldeiras, qui sont des cratères d’effondrement résultant de l’écroulement de la partie centrale du volcan. De même, les épanchements de laves, ou coulées volcaniques donnent naissances à des reliefs spécifiques. La chaleur crée au cœur de la Terre par la décomposition d’éléments radioactifs est évacuée grâce à ces cheminées.

En effet, le volcanisme comme les séismes sont généralement localisés aux limites des plaques. En Islande, deux formes de volcanisme se conjuguent pour participer à la formation de l’île. La première forme est liée à la présence de ce qu’on appelle un point chaud, plus précisément sous le massif du Vatnajökull. Là, la température du sous-sol est plus élevée qu’ailleurs, les roches qui subissent cette température deviennent moins denses que la matière environnante, elles remontent alors vers la surface en forant un panache dont la tête vient s’écraser contre la croûte terrestre qui finit par la percer et la lave jaillit. La deuxième est liée à la formation de la dorsale. L’Islande est parsemée de volcans de toutes sortes dont certains se trouvent sous la glace, on en dénombre 250 actifs, ils se manifestent sous la forme de champs d’épandage de cendres et de poussières, des sources chaudes, des geysers, des crevasses et des stratovolcans. 3La lave, les scories et les cendres recouvrent une partie des sols islandais. Certains cratères sont remplis de lacs profonds. La végétation étant très limitée, entre volcan et glace, l’Islande accueille seulement des arbustes, des herbes, de la mousse, des lichens ou de petites fleurs. L’Islande est donc caractérisée par de vastes étendues désertiques de sable noir. Les côtes sont essentiellement rocheuses et découpées en fjords profonds. La faible population se répartit entre les villes et les villages de la bande côtière. L’intérieur est composé de montagnes, de collines, de landes, de plateaux et de déserts.

Les geysers résultent de l’activité volcanique de l’île. Un geyser est un type particulier de source d’eau chaude qui jaillit en projetant de la vapeur et de l’eau à haute pression et haute température. Les geysers sont liés à une infiltration d’eau en profondeur. La roche, chauffée par le magma ou par l’action du gradient géothermique – la pression et la température augmentent avec la profondeur – chauffe l’eau. Cette eau chauffée et mise sous pression, jaillit alors vers la surface par effet de convection. Ils sont générés par un bassin thermal allant de 30° à 100°, ou un lac géothermique très chaud. Si seule la vapeur d’eau sort du sol, il s’agit d’une fumerolle.

Entre les montagnes, les rivières ont creusé des gorges immenses, sculptant dans le basalte de grandes orgues. L’eau, dans tous ses états, est omniprésente en Islande. Les nombreux lacs et rivières représentent 10% de la superficie totale de l’île. Le territoire est occupé à 20% par les champs de lave, et 10% par les glaciers. Il y a quatre glaciers importants : le Vatnajökull, le Hofsjökull, le Langjökull et le Mýrdalsjökull.

Islande 2011, photographies d’Andrea Poiret

Islande 2011, photographies d’Andrea Poiret

Les paysages islandais sont représentatifs du phénomène d’ « artialisation » 4du paysage. En effet, le paysage n’existe pas en soi, il est une création de l’esprit. Le paysage acquiert un statut du paysage à partir du moment où il y a passage par l’art. Un paysage est ainsi ce que l’on voit d’un « pays », il n’est donc pas une réalité mais la représentation de cette réalité, perçue de manière différente par les individus. Le Voyage au centre de la Terre en est un exemple, Dans ce roman de science-fiction écrit en 1864 par Jules Verne, un savant, son neveu et leur guide entreprennent un voyage vers le centre de la Terre par le volcan Sneffels situé en Islande (c’est-à-dire le Snæfellsjökull) et décrivent à leur façon le paysage souterrain qu’ils observent.

« …] le grand mouvement plutonique s’est concentré surtout à l’intérieur de l’île ; là les couches horizontales de roches superposées, appelées trapps en langue scandinave, les bandes trachytiques, les éruptions de basalte, de tufs, de tous les conglomérats volcaniques, les coulées de lave et de porphyre en fusion, ont fait un pays d’une surnaturelle horreur. Je ne doutais guère alors du spectacle qui nous attendait à la presqu’île du Sneffels, où ces dégâts d’une nature fougueuse forment un formidable chaos» (Jules Verne, Voyage au centre de la Terre)

La diversité régionale des paysages islandais

Au nord-est, une forte activité volcanique, avec notamment Krafka, une montagne volcanique toujours active, et Hverfjall, un impressionnant cratère explosif, se retrouve autour du lac Myvatn, le 4ème lac d’Islande. Plus au sud, le désert volcanique s’étend jusqu’au nord du Vatnajökull. La principale rivière de la région est la Jökulsà, qui traverse de nombreuses chutes jusqu’au Nord. Les paysages alternent entre rivières aux nombreuses chutes, désert qui vire du brun au rouge, et plateau aride entouré de sommet enneigé, on parle de paysages lunaires. Dimmuborgir est un véritable « Château noir», c’est-à-dire une formation ruiniforme d’un ancien lac. Grjotgja est une grotte souterraine avec une source d’eau chaude. Par ailleurs, on peut contempler Dettifoss, la chute d’eau la plus puissante d’Europe ains que Namafjall, une rangée de colline de sable nu, colorées de souffre. On apprécie Asbyrgi, la «Forteresse des Dieux », une dépression en forme de demi-cercle, avec à l’intérieur une ligne de falaises, à l’intérieur de ce cirque, une véritable oasis où pousse une forêt de bouleaux et de saules arctiques. On considère qu’Askja est la plus grande caldeira d’Islande dont l’intérieur est occupé par l’Oskuvatn, le lac de cratère le plus profond d’Islande.

Le nord-ouest est essentiellement rural, de petites plaines fertiles se tapissent en contrebas d’imposantes montagnes, en dessous des hauts plateaux inhabités de l’intérieur. Cette région se caractérise par ses fjords, il s’agit une péninsule extrêmement découpée. Le cœur de ces fjords est formé par l’Isafjaroardjup, une langue de mer de 80 km dont la côte Sud est découpée en de nombreux petits fjords. On appelle Hornbjarg, le grand cap isolé, tourné vers le Groenland, et couronné du glacier Drangajokull

Le sud-ouest de l’Islande se caractérise par des bandes côtières et des champs de pâture entre les glaciers et les falaises. Les paysages sont variés et agrémentés de champs de lave, de sources d’eau chaude, de sables volcaniques noirs et de chutes spectaculaires. C’est dans cette partie de l’île que ce trouve le plus célèbre volcan, l’Hekla. On peut également remarquer Pingvellir, le plus grand lac d’Islande formé par l’effondrement du sol provoqué par la dérive des continents. Skogafoss est l’une des chutes les plus importantes du pays. On peut également se rendre à Geysir, la zone géothermique de l’île, sur une colline rhyolitique, afin de profiter des sources d’eau chaudes en ébullition qui jaillissent des entrailles de la terre. Puis, Landmannalaugar, l’un des paysages les plus surprenants : il s’agit d’une vallée inhabitée avec des sources d’eau chaude, cernées de massifs rhyolitiques multicolores. Les tons de ces paysages empruntent aux pastels de la rhyolite, à l’ocre, à l’orange du fer, au jaune acide, au noir brillant de l’obsidienne, au vert des lichens.

Au sud-est, nous pouvons admirer l’une des régions d’éruptions volcaniques. Les failles volcaniques d’Eldjga sont les plus longues du monde, avec leurs 40m. En 1783, les 135 cratères en ligne, appelée Lakagigar, vomirent la plus grande qualité de lave en fusion jamais émise au monde. Le «Glacier des eaux », le Vatnajokull se situe sur cette partie de l’île également, il recouvre à lui seuls trois volcans importants : Grimsvotn, bardarbunga et kverkjoll. Ces volcans produisent une énorme quantité d’eau par leurs éruptions qui fait fondre la glace par le dessous. En contrebas, les moraines viennent mourir dans les sandars, vastes étendues de cendres et de sables noirâtres à perte de vue, où les rivières glaciaires divaguent en mille bras. Svartifoss, sur les pentes de Skaftafellseioi, est l’une des plus belles cascades, qui se jette depuis un surplomb d’orgues de basalte.

L’Est est la région la plus ancienne de l’Islande, ce qui explique la faiblesse de l’activité volcanique. Les paysages sont sauvages, et la côte est découpée en fjords profonds, séparés par d’immenses montagnes qui plongent dans l’océan. A l’intérieur du pays, on retrouve un grand plateau désertique, appelé Lonsöraefi. Hallormstadaskogur, la plus grande forêt de l’Islande, 600 ha, s’y trouve également. L’est de l’Islande, qui représente presque le quart du territoire islandais, n’est que très peu habité (5% de la population seulement). On y trouve également l’une des plus hautes cascades de l’île : Hengifoss, chute de 188 mètres de hauteur dans une gorge. Une légende dit qu’un monstre marin habiterait les profondeur du lac Logurinn.

Islande 2011, photographies d’Andréa Poiret

Islande 2011, photographies d’Andréa Poiret

«Voici ce que je décide, répliqua le professeur Lidenbrock en prenant ses grands airs : c’est que ni toi ni personne ne sait d’une façon certaine ce qui se passe à l’intérieur du globe, attendu qu’on connaît à peine la douze-millième partie de son rayon ; c’est que la science st éminemment perfectible, et que chaque théorie est incessamment détruite par une théorie nouvelle.» (Jules Verne, Voyage au centre de la Terre).

Islande 2011, photographies d’Andréa Poiret

Islande 2011, photographies d’Andréa Poiret

La géothermie est une source d’énergie importante en Islande. Pour capter l’énergie géothermique, on fait circuler un fluide dans les profondeurs de la Terre. Ce fluide peut être de l’eau injectée sous pression pour fracturer une roche chaude et imperméable ou une nappe d’eau chaude captive naturelle. Le fluide se réchauffe et remonte chargé de calories. Ces calories sont utilisées directement ou converties partiellement en électricité. La production de vapeur à partir d’aquifères dont la température se situe vers 100 à 400°C permet la production directe d’électricité grâce à des turbines à vapeur. L’exploitation de l’énergie géothermique, contrairement à celle des énergies fossiles traditionnelles, est respectueuse de l’environnement et n’émet que de faibles quantités de dioxyde de carbone, gaz à effet de serre. Par ailleurs, cette énergie est disponible en permanence, et potentiellement inépuisable à l’échelle humaine, on parle d’énergie renouvelable.

Disposant d’un important potentiel hydroélectrique et géothermique, l’Islande a pu développer des énergies « propres ». La géothermie est ainsi exploitée pour le chauffage des habitations, la culture sous serre et les piscines. Elle est en revanche encore peu utilisée dans l’industrie. À Námafjall, la vapeur sert à produire de l’électricité dans une centrale expérimentale. Elle permet aussi de sécher les algues transformées ensuite en farine et d’accélérer l’évaporation de l’eau de mer pour l’obtention du sel. Le pétrole, importé, est réservé aux transports et à l’industrie.

Enfin, ce sont les paysages islandais, autrefois exploités par les anciennes sagas médiévales, qui contribuent aujourd’hui à alimenter des flux touristiques en constante progression depuis les années 1950 (750 000 visiteurs en 2013) dans l’île qui se présente comme « la terre de la glace et du feu ».

Andréa Poiret, octobre 2015

1 Graben : fossé tectonique d’effondrement entre des failles normales.

2 Geyser : « jaillir » en islandais. Cette manifestation hydrothermale de jaillissement d’eaux chaudes a donné son nom à la région de Geysir dans le sud-ouest de l’ Islande où les geysers sont nombreux.

3 Stratovolcan : volcan de type explosif aux versants très pentus, avec un dôme à son sommet, composé de lave très visqueuse et empli de gaz. L’Etna, par exemple, appartient à cette catégorie de volcan.

4 Artialisation : notion empruntée à Montaigne par le philosophe Alain Roger pour nommer sa théorie selon laquelle tout paysage est un produit de l’art (Alain Roger, Court traité du paysage, Gallimard, 1997).