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Un voyage en Roumanie (juin 2015)

Un groupe de 23 adhérents des Cafés géographiques a participé du 16 juin au 26 juin 2015 à un voyage en Roumanie organisé par Arts et Vie selon l’itinéraire et les modalités proposés par l’association. L’itinéraire a suivi une boucle à partir de Cluj-Napoca pour parcourir la Transylvanie et la Moldavie. Plusieurs thématiques ont été privilégiées comme les paysages et l’histoire complexe du pays, d’autres aspects ont été aussi abordés comme la géopolitique, la vie quotidienne, et bien d’autres encore. Quelques contacts directs avec les habitants ont pu avoir lieu, à Brasov en particulier. Le modeste compte rendu qui suit n’a qu’une seule ambition, celle de suggérer la richesse des enseignements qui ont permis aux participants de faire la connaissance d’un pays européen méconnu, riche d’un patrimoine exceptionnel et de potentialités de développement incontestables.

Devoir de mémoire au cimetière juif de Sighetu Marmatiei dans le Maramures, tout près de la frontière ukrainienne (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Devoir de mémoire au cimetière juif de Sighetu Marmatiei dans le Maramures, tout près de la frontière ukrainienne (cliché Daniel Oster, juin 2015)

L’itinéraire du voyage 

Mardi 16 juin : Paris/ Cluj-Napoca (via Munich)

Mercredi 17 juin : Cluj-Napoca/Alba Iulia

Jeudi 18 juin : Alba Iulia/Sibiu

Vendredi 19 juin : Sibiu/Sighisoara

Samedi 20 juin : Sighisoara/Brasov

Dimanche 21 juin : Brasov/Gheorgheni

Lundi 22 juin : Gheorgheni/Campulung Moldovenesc

Mardi 23 juin : Campulung Moldovenesc-les monastères de Bucovine

Mercredi 24 juin : Campulung Moldovenesc/ Sighetu Marmatiei

Jeudi 25 juin : Sighetu Marmatiei/Cluj-Napoca

Vendredi 26 juin : Cluj-Napoca/Paris (via Munich)

Le relief de la Roumanie

L'organisation administrative de la Roumanie

L’organisation administrative de la Roumanie

Les paysages du voyage

Le voyage a permis de franchir à plusieurs reprises l’arc carpatique, véritable colonne vertébrale de la Roumanie. Moyenne montagne, plateaux et collines, ont constitué l’essentiel des paysages traversés avec un point haut de 1 416 m d’altitude atteint au col de Prislop.

Paysage de moyenne montagne visible du col de Prislop situé à plus de 1400 m d’altitude. Ici les Carpates orientales séparent le Maramures (plus loin à l’horizon) et la Bucovine. (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Paysage de moyenne montagne visible du col de Prislop situé à plus de 1400 m d’altitude. Ici les Carpates orientales séparent le Maramures (plus loin à l’horizon) et la Bucovine. (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Les Carpates occupent un bon tiers du territoire roumain. Situées aux frontières orientales de l’Europe elles sont restées longtemps synonymes de mystère et de majesté, inspirant par exemple les écrivains du XIXe siècle comme Alexandre Dumas, Jules Verne (Le château des Carpathes) et Bram Stoker (Dracula). Aujourd’hui, elles représentent un patrimoine environnemental exceptionnel (nombreux parcs nationaux, parcs naturels et réserves naturelles) en même temps qu’un atout économique (importante industrie du bois, tourisme de nature, énergie hydroélectrique).

Les gorges de Bicaz comptent parmi les plus belles de Roumanie. La route en lacets est parfois dominée par des parois de 400 m (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Les gorges de Bicaz comptent parmi les plus belles de Roumanie. La route en lacets est parfois dominée par des parois de 400 m (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Une histoire complexe, des frontières récentes et mouvantes

Aujourd’hui, avec 238 500 km2 et près de 20 millions d’habitants, la Roumanie est membre de l’OTAN depuis 2004 et de l’Union européenne depuis 2007. Un peu partout durant le voyage, de nombreux drapeaux roumains et européens apparaissent dans les villes et même les campagnes, affirmant ainsi l’attachement du pays à l’ensemble européen réunifié après la longue parenthèse du communisme et de la dictature (1945-1989). En même temps les origines daces et latines sont souvent rappelées dans un même élan (contradictoire) qui souligne l’identité roumaine au sein d’un environnement régional slave, hongrois ou grec.

Rappelons brièvement les grandes étapes de la construction nationale roumaine :

Cette histoire complexe d’un peuple de frontière, forgé en marge des grands empires, a laissé des traces qui sont autant d’enjeux contemporains comme le sort des minorités (hongroise, rom…), les questions géopolitiques (le devenir de l’Etat de Moldavie, l’attitude à l’égard du voisin russe), ou encore l’évolution du régime politique (corruption, gouvernance politique…).

Drapeau roumain exposé dans le Musée du bois de Campulung Moldovenesc en Bucovine (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Drapeau roumain exposé dans le Musée du bois de Campulung Moldovenesc en Bucovine (cliché Daniel Oster, juin 2015)

De superbes villes médiévales

Trois belles villes de Transylvanie ont sans aucun doute remporté les suffrages de tous les participants même si l’une d’elles, Brasov, a pâti du temps pluvieux qui a empêché une découverte plus approfondie. Toutes trois, Sibiu, Sighisoara et Brasov, doivent leur charme incontestable à leur influence « saxonne » remarquablement préservée. A Brasov, les Allemands sont arrivés dès le XIIIe siècle et ont fait de la ville une place forte et très vite un important centre économique. A Sibiu, des lucarnes en forme d’amande ornent les toits d’un grand nombre de bâtiments, on les appelle les « yeux de Sibiu », même si on les aperçoit aussi dans d’autres villes de Transylvanie. A Sighisoara, au sommet d’une tour haute et massive, à quatre clochetons, le panorama est superbe sur les toits de tuiles brunes, les pignons pointus, les rues escarpées et tortueuses, et les places aux formes variées.

Les toits de Sighisoara vu de la tour de l’Horloge (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Les toits de Sighisoara vu de la tour de l’Horloge (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Les églises fortifiées de Transylvanie

C’est encore l’Allemagne qui a laissé une empreinte profonde dans l’ensemble des églises fortifiées que l’on trouve pour l’essentiel dans la région délimitée par Brasov, Sighisoara et Sibiu. Toutes présentent à peu près le même modèle : une enceinte de hauts remparts entourant l’édifice religieux, des locaux d’habitation et des magasins pour les vivres à l’intérieur de l’enclos. En cas de danger, les habitants du village se réfugient derrière les murs, prêts à soutenir le siège. Plusieurs de ces églises fortifiées sont aujourd’hui inscrites au Patrimoine mondial de l’UNESCO comme Viscri, Biertan et Prejmer.

Si l’on prend l’exemple de Viscri, le village est fondé au XIIe siècle par des Sicules parlant hongrois chargés de protéger la frontière orientale de la Transylvanie. Après 1150, ce sont d’autres colons, cette fois-ci germanophones, qui arrivent dans le village. Au XVIIIe siècle, des bergers roumains s’installent dans le village saxon. Au XIXe siècle, la population se constitue de 2/3 de Saxons et d’1/3 de Roumains et de Tziganes. Après la chute du communisme en 1989, presque toute la population saxonne émigre vers l’Allemagne comme c’est le cas dans l’ensemble de la Transylvanie.

Quant à l’église fortifiée de Viscri, à l’origine petite église à nef unique et sans tour fondée au XIIe siècle, elle résulte d’ajouts successifs (église allongée et adjointe au donjon au XVe siècle, nouvelle enceinte incluant en partie la première, etc.) jusqu’au XVIIe siècle. L’église-forteresse connaît plusieurs épisodes de restauration durant tout le XXe siècle. L’impressionnante hauteur des dispositifs de défense qui cachent presque entièrement l’église étonne encore le visiteur d’aujourd’hui.

L’église fortifiée de Viscri entourée de son enceinte (en allemand Weisskirch, qui signifie « Eglise blanche ») (cliché Daniel Oster, juin 2015).

L’église fortifiée de Viscri entourée de son enceinte (en allemand Weisskirch, qui signifie « Eglise blanche ») (cliché Daniel Oster, juin 2015).

A l’intérieur de l’église fortifiée de Viscri (dessin de Josette Paingault, juin 2015)

A l’intérieur de l’église fortifiée de Viscri (dessin de Josette Paingault, juin 2015)

Vue partielle de l’église fortifiée de Biertan. L’ensemble, datant du XVe siècle, n’a jamais été conquis avec ses trois enceintes fortifiées, ses six tours et ses trois bastions (cliché Daniel Oster, juin 2015).

Vue partielle de l’église fortifiée de Biertan. L’ensemble, datant du XVe siècle, n’a jamais été conquis avec ses trois enceintes fortifiées, ses six tours et ses trois bastions (cliché Daniel Oster, juin 2015).

L’église fortifiée de Biertan en Transylvanie (dessin de Michèle Vignaux, juin 2015)

L’église fortifiée de Biertan en Transylvanie (dessin de Michèle Vignaux, juin 2015)

Les monastères peints de Bucovine

Incontestablement, ces monastères, classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, ont constitué un des temps forts du voyage. Trois seulement, mais sans doute les plus beaux, ont été visités, admirés, photographiés, commentés…D’abord Voronet, puis Sucevita, et enfin Moldovita.

Ces monastères, pour la plupart fortifiés et bâtis aux XVe et XVIe siècles, ont leurs intérieurs et extérieurs couverts de fresques colorées dont le style et les couleurs varient selon les édifices. Ainsi on parle du bleu de Voronet, du jaune de Moldovita, du rouge de Humor… On retrouve d’un monastère à l’autre trois thèmes constants : l’Arbre de Jessé, le Jugement dernier, l’Hymne acathiste. S’y ajoutent presque toujours la Vie d’un saint et, parfois, les trois motifs du Siège de Constantinople, de l’Echelle spirituelle et des Douanes. L’arbre de Jessé de Voronet est le mieux conservé avec ses 130 figures appartenant aux Douze Tribus et ses philosophes païens (Socrate, Platon, Aristote, Homère…) qui collaborent eux aussi à l’apothéose du Christ.

Sucevita, le plus imposant par la taille et le plus récent (l’église est érigée de 1582 à 1584), représente un ensemble parfait qui s’inscrit de façon séduisante dans son enceinte régulière, ce qui explique qu’il soit sans doute le plus photographié des monastères de Bucovine. Une admirable « Echelle des vertus » peinte sur la façade Nord impressionne par son ampleur et par le contraste entre l’ordre régnant parmi les anges et le chaos de l’enfer.

Le monastère de Voronet en Bucovine (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Le monastère de Voronet en Bucovine (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Le monastère de Sucevita en Bucovine (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Le monastère de Sucevita en Bucovine (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Le Mémorial des Victimes du communisme et de la Résistance

Sighetu Marmatiei, petite ville frontalière proche de l’Ukraine, a représenté une étape capitale du voyage pour deux raisons principales : d’une part, la recherche difficile et émouvante des traces de la communauté juive d’avant-guerre (près de la moitié de la population de la ville en 1944) ; d’autre part, la présence du Mémorial des Victimes du communisme et de la Résistance, installé dans une ancienne prison tristement célèbre pour avoir « accueilli » beaucoup d’opposants politiques, en particulier dans les années 1950. La visite du Mémorial a rappelé aux participants le prix considérable payé par le peuple roumain pendant toute la durée du régime communiste, de 1945 jusqu’en 1989. L’organisation rigoureusement didactique du Musée de Sighet (nom de la ville avant 1945) par cellule a permis d’explorer toutes les facettes de la politique de répression de la dictature. On a beaucoup appris, réfléchi et médité sur la question « Peut-on réapprendre la mémoire ? » qui faisait écho à la confession émouvante de notre amie roumaine Marina Cionca de Brasov.

Le Mémorial des victimes du communisme et de la Résistance à Sighetu Marmatiei (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Le Mémorial des victimes du communisme et de la Résistance à Sighetu Marmatiei (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Au Mémorial de Sighetu Marmatiei, une carte « originale » des principales prisons politiques de la Roumanie communiste. On y lit, tout à fait au Nord, la présence de Sighet devenu aujourd’hui Musée-Mémorial (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Au Mémorial de Sighetu Marmatiei, une carte « originale » des principales prisons politiques de la Roumanie communiste. On y lit, tout à fait au Nord, la présence de Sighet devenu aujourd’hui Musée-Mémorial (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Au Mémorial de Sighetu Marmatiei, reconstitution d’une cellule d’interrogatoire et de torture. Sur la porte de la cellule on peut lire quelques informations sur les méthodes de torture utilisées par la Securitate (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Au Mémorial de Sighetu Marmatiei, reconstitution d’une cellule d’interrogatoire et de torture. Sur la porte de la cellule on peut lire quelques informations sur les méthodes de torture utilisées par la Securitate (cliché Daniel Oster, juin 2015)

Un voyage de découverte et de sensibilisation

Aux dires de tous les participants, ce fut un voyage très réussi qui a montré de nombreuses facettes d’un pays d’une Europe méconnue traversée par des mutations profondes. Selon l’anthropologue français Jean-François Gossiaux, « les Balkans sont l’image réduite et inversée de l’Europe – mais ils en sont l’image. L’Europe s’y réfléchit, et l’ordre qu’elle veut y établir réfléchit l’ordre européen. » (Pouvoirs ethniques sans les Balkans, PUF, 2002).

Sur un banc près d’une église en bois, un habitant du Maramures et une touriste française semblent s’adresser au photographe pour lui dire que, contrairement aux apparences, ils ne s’ignorent pas mais cherchent au contraire à se comprendre… (cliché Daniel Oster, juin 2015).

Sur un banc près d’une église en bois, un habitant du Maramures et une touriste française semblent s’adresser au photographe pour lui dire que, contrairement aux apparences, ils ne s’ignorent pas mais cherchent au contraire à se comprendre… (cliché Daniel Oster, juin 2015).

Pour aller plus loin :

Michel Sivignon, Les Balkans. Une géopolitique de la violence, Belin, 2009.

Amaël Cattaruzza, Pierre Sintès, Atlas géopolitique des Balkans, Autrement, 2012.

Dominique Fernandez, Rhapsodie roumaine, Grasset, 1998.

Mirel Bran, Les Roumains, collection « Lignes de vie d’un peuple », Ateliers Henry Dougier, 2014.

Diane Chesnais, Dictionnaire insolite de la Roumanie, Cosmopole, 2012.

Compte rendu rédigé par Daniel Oster, juillet 2015