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Viollet-le-Duc géographe des montagnes

Dessin du géographe n°55

fig-01-aiguille-verte

Fig. 1 : Le glacier des bois et la vallée de Chamonix, Aiguille Verte et Aiguille du Dru, pendant la période glaciaire et actuellement,  Viollet-le-Duc, aquarelle et gouache, 1874 (Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont)

Fig. 1 : Le glacier des bois et la vallée de Chamonix, Aiguille Verte et Aiguille du Dru, pendant la période glaciaire et actuellement,  Viollet-le-Duc, aquarelle et gouache, 1874
(Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Charenton-le-Pont)

L’exposition qui a eut lieu de novembre 2014 à mars 2015 à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine été l’occasion de découvrir ou de redécouvrir les multiples facettes de l’œuvre de Viollet-le-Duc et parmi celles-ci un grand nombre d’œuvres graphique qui permettent de l’accueillir, sans forcer les mots, dans la page web des « dessins du géographe ».  Très connu du grand public pour ses idées et ses travaux de restauration des monuments historiques au 19e siècle, il l’est certainement beaucoup moins pour ses explorations de la figuration géographique passée et présente. Or une partie de ses voyages, et de ses travaux a eu pour but d’étudier les formes du relief et leur évolution dans le temps géologique.

Le dessinateur, voyageur, pédagogue

(http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6567209n)

Il manifesta constamment une grande activité de dessinateur et de peintre, et une dextérité acquise sur le terrain plus que par les études, qu’il mit ensuite au service d’une grande volonté pédagogique : il publia  de nombreux manuels d’architecture historique (histoire d’une maison, d’un château fort, d’une cathédrale, d’un hôtel de ville….) ainsi qu’ un manuel d’apprentissage du dessin : « Comment on devient un dessinateur, Hetzel, Paris, 1878  (Histoire d’un dessinateur, comment on apprend à dessiner, 1879) [ qui connu plusieurs éditions jusqu’à nos jours, et dont une page de couverture portait la devise : nulla dies sine linea . Sa dextérité à reproduire des architectures, des formes  réelles ou inventées, sa science du trait et du volume transparaissent dans des œuvres comme le théâtre grec de Taormine (reconstitution de sa forme primitive), ou l’intérieur de la cathédrale de Sienne….

Il réalisation de nombreux voyages d’étude en France, en Italie, en Suisse, en Allemagne, le carnet de croquis à la main, et en rapporta une foule de dessins et d’aquarelles   Celles-ci présentent à la fois une précision scientifique et une qualité esthétique qui nourrit l’imaginaire.

Fig. 2: Cratère de l’Etna en Sicile: Viollet-le-Duc, 1836 (Musée Lambinet, Versailles)

Fig. 2: Cratère de l’Etna en Sicile: Viollet-le-Duc, 1836 (Musée Lambinet, Versailles)

Le géographe au Mont Blanc

Il s’intéressa à la géomorphologie, à travers l’étude de la formation des reliefs et de leur évolution sous l’effet de l’érosion, dans les montagnes françaises, en particulier dans le Massif du Mont Blanc. Il entreprit, de 1868 à 1875, d’en dresser une carte détaillée en partant de la carte d’Etat major existante levée au 1/40.000e en hachures, en réalisant de nombreux dessins de détail des formes du relief et des glaciers (fig.3), et des croquis panoramiques du massif (fig.4). Cette carte serait, parait-il,  plus méritante par son expressivité que par sa justesse topographique.

 

Fig.3 : La jonction au dessus des Grands Mulets Viollet-le-Duc, 1869  (Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Charenton-le-Pont)

Fig.3 : La jonction au dessus des Grands Mulets Viollet-le-Duc, 1869 
(Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Charenton-le-Pont)

Fig.4: Massif du Mont-Blanc, coupe longitudinale faite près des parallèles à la ligne AB et passant par Chamonix, les Houches, le Pavillon de Bellevue, l’Argentière, les Tours et le col de Balme (partie droite, Viollet-le-Duc, s. d.)  (Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Charenton-le-Pont) (Ce croquis panoramique accompagne en encadré la carte du Massif du Mont Blanc (sur laquelle figure la ligne AB mentionnée)

Fig.4: Massif du Mont-Blanc, coupe longitudinale faite près des parallèles à la ligne AB et passant par Chamonix, les Houches, le Pavillon de Bellevue, l’Argentière, les Tours et le col de Balme (partie droite, Viollet-le-Duc, s. d.) 
(Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Charenton-le-Pont)
(Ce croquis panoramique accompagne en encadré la carte du Massif du Mont Blanc (sur laquelle figure la ligne AB mentionnée)

Il utilisa dans ce but de nouveaux matériels, en particulier le téléiconographe d’Henri Revoil mis au point en 1869, qui permettait de dessiner avec précision des croquis panoramiques larges et des points éloignés, idéal pour le dessin des lignes de crête des massifs montagneux : cet instrument d’optique combinait tout simplement une chambre claire et une longue vue pivotant sur une planchette horizontale.

Peut-être a-t-il utilisé aussi l’appareil photographique panoramique de Michel Chevallier (qu’il employa lors de la restauration du château de Pierrefonds en 1866) : celui-ci produit des images « anamorphiques » circulaires, en faisant  tourner une  chambre photographique sur une plaque de verre et en prenant des images successives jusqu’à couvrir les 360° de l’horizon (l’ancêtre du fish eye en quelque sorte).

(http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5400922n.planchecontact.f6.langEN.vignettesnaviguer)

L’ouvrage qui résume ces travaux alpins, Le Massif du Mont Blanc, étude sur sa constitution géodésique et géologiques, sur ses transformations et sur l’état ancien et moderne de ses glaciers( Paris, J. Baudry ed. 1876) consacre une large place à l’étude de la formation des reliefs des Aiguilles à partir du bombement de la protogyne et son attaque par l’érosion : les plans très cristallisés des rhomboèdres de refroidissement du magma ( figures géométriques parallélépipédiques dont les surfaces sont des trapèzes) formant des crêtes résistantes d’aiguilles dentelées, tandis que les centres étaient érodés en creux par l’érosion nivale et glaciaire.(Ces notions sont empruntées par l’auteur aux connaissances géologiques des Alpes, en plein développement à son époque)

 

Fig. 5 : Système rhomboédrique du Mont-Blanc, s.d. Viollet-le-Duc, (Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Charenton-le-Pont) Dessin de gauche : Système cristallin des restes d’aiguilles séparant le glacier d’Envers Blaitière de la Vallée Blanche, à l’angle. Dessin de droite : Restes actuels Vus du Tacul

Fig. 5 : Système rhomboédrique du Mont-Blanc, s.d. Viollet-le-Duc,
(Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Charenton-le-Pont)
Dessin de gauche : Système cristallin des restes d’aiguilles séparant le glacier d’Envers Blaitière de la Vallée Blanche, à l’angle.
Dessin de droite : Restes actuels Vus du Tacul

La figure 5 illustre une tentative de reconstitution de cette évolution à partir des formes géométriques créées dans la protogyne du massif, pour la partie située entre la vallée Blanche et le glacier d’Envers Blaitière (fig.  oblique IGN). Le grand pentaèdre reconstitué à gauche est orienté SN, et les aiguilles conservées dans sa partie nord seraient celles du Plan et du Requin.

Fig 6: image IGN geoportail 3D du massif des aiguilles de Chamonix étudiées par Viollet le Duc sur les dessins de la fig. 5

Fig 6: image IGN geoportail 3D du massif des aiguilles de Chamonix étudiées par Viollet le Duc sur les dessins de la fig. 5

Viollet-le-Duc s’intéresse aussi énormément aux glaciers du massif et à son relief glaciaire : sa science des volumes et des perspectives lui permet de tenter des reconstitutions de paléopaysages (bien avant la création assistée par ordinateur des modèles numériques de terrain), comme celui de la vallée de Chamonix lors de la dernière période glaciaire, présenté dans la figure 1. Il y développe aussi des vues prémonitoires sur les questions touchant à la préservation des ressources hydrologiques naturelles de ce château d’eau alpestre.

Une exposition sur « Viollet le Duc et la montagne » en 1993 à Paris (Hôtel de Sully) avait donné lieu à un intéressant compte-rendu dans la Revue de géographie alpine (n°2-1993) par notre collègue Olivier Dollfus : il y rappelait que l’historien d’art« avait décoré les murs de son atelier (dans son chalet suisse) d’une fresque des Alpes « dans un état qui peut n’avoir jamais existé » : fresque synthétique des Alpes où on ne doit reconnaître aucun lieu connu !ais qui doit permettre de les imaginer tous ! ». Une modélisation graphique en quelque sorte…Je crois que pour tous ces travaux Viollet-le-Duc méritait amplement de figurer en bonne place dans les pages du « dessin du géographe ».

Roland Courtot, avril 2015

url pour ceux qui veulent voir plus  de dessins (en affichant dans les moteurs de recherche à la suite de Viollet-le-Duc un nom de montagne ou de massif, sinon tous ses dessins vous sont présentés, et il y en a beaucoup !) :

http://www.culture.fr/ressources/moteur-collections

http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/memoire

http://www.archives-abbadia.fr/notice_thematique_12.htm

http://www.saugy-photo.fr/Aubin/Aubin.html (carte du massif du Mt Blanc, 1876)

Pour une analyse de la pensée de Viollet-le-Duc : http://www.inha.fr/fr/ressources/publications/dictionnaire-critique-des-historiens-de-l-art/viollet-le-duc-eugene-emmanuel.html

(Laurent Baridon est l’auteur de : L’imaginaire scientifique de Viollet-le-Duc, L’harmattan, 2011)