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Voyage en Ecosse (juin 2018)

Outre ses lochs, ses châteaux et son whisky, l’Ecosse a beaucoup à apprendre au voyageur géographe en matière de transformation urbaine et d’aspirations identitaires, ce que nous avons essayé d’appréhender en quelques jours.

Que redoute un Français voyageant au Royaume-Uni ? Subir la pluie et mal manger. Or les parapluies sont restés au fond du sac et les produits locaux (poissons et agneau) ont satisfait les gourmands. Nous étions donc dans les meilleures conditions pour apprécier nos visites.

Le site, l’architecture et les jardins font d’Edimbourg une métropole européenne, originale et attachante (les très nombreux touristes attestent de cet intérêt).

Construite sur des collines volcaniques érigées à l’ère tertiaire, Edimbourg offre des dénivelés conséquents au promeneur. La ville est divisée par une zone d’effondrement creusée par les glaciers du quaternaire dans les roches tendres qui entouraient les blocs de basalte. Au Sud, Old town s’est étendue au pied de son château dont les premières constructions remontent au XIème siècle. Elle a gardé sa structure médiévale avec ses ruelles (« closes ») qui descendent de la colline, mais beaucoup de bâtiments ont été reconstruits ultérieurement. La surpopulation est telle au milieu du XVIIIème siècle qu’il faut envisager un nouvel urbanisme au Nord du fossé, New town, ce qu’a réalisé James Craig. La « ville nouvelle » a un plan ordonné par de larges rues perpendiculaires et d’élégantes places.

Ce qui donne à Edimbourg son homogénéité, c’est le grès qui a servi de matériau aussi bien aux aristocratiques demeures géorgiennes parées de porches à colonnes qu’aux « attached houses » des classes moyennes, aux façades plates ou arrondies de bow-windows. La pierre, extraite d’une carrière locale aujourd’hui épuisée, a perdu sa couleur blanc ocré d’origine au profit d’une teinte grisée produite par les dépôts de suie.

Ce gris est égayé par les nombreux ilots de verdure qui aèrent la ville, qu’il s’agisse de grands parcs privés ou publics comme Princes Street Gardens, des petits jardins des « attached houses » ou des somptueux squares dont la jouissance est réservée aux résidents des maisons qui les encadrent. A Charlotte Square nous avons visité une maison géorgienne du XVIIIème siècle avec ses pièces de réception, sa vaste cuisine et ses recoins destinés au repos des domestiques. On peut supposer que ces derniers sont mieux traités dans la résidence voisine de la Première Ministre qui, fait étonnant pour un Français, n’est gardée par aucun policier.

L’artère principale d’Edimbourg, le Royal Mile, conduit à Holyrood qui nous dit beaucoup de l’histoire mouvementée de l’Ecosse. Face à des collines austères se dressent, d’un côté le vieux palais dont l’architecture a été remaniée depuis le XVème siècle pour servir de résidence royale, d’abord pour les rois écossais puis pour les souverains britanniques, de l’autre l’ensemble complexe du nouveau Parlement inauguré en 2004. Dans le premier c’est la monarchie qui s’impose (la famille royale y fait de fréquents séjours) ; dans le second c’est la volonté des Ecossais de gérer eux-mêmes leurs affaires politiques qui s’exprime. L’œuvre de l’architecte catalan, Enric Moralles, à qui fut confiée la réalisation du Parlement après le référendum de 1997 se veut avant tout symbolique par ses formes et ses matériaux. Les bâtiments sont en forme de feuilles à l’extrémité d’une longue tige et les fenêtres en forme de chardons doivent témoigner du souci de transparence de l’activité législative. Chêne –local- et sycomore –exotique- ont été utilisés dans le lumineux hémicycle pourvu d’une technologie électronique dernier cri et largement décoré de motifs dans lesquels certains reconnaissent une bouteille de whisky. L’architecture de l’hémicycle dont le toit est composé de poutres soutenues par des haubans montés en paires a ses amateurs et ses détracteurs.

Le Scottish Act de 1998, complété par le Scotland Act de 2016, a dévolu aux 129 députés écossais un certain nombre de compétences d’ordre économique, social et culturel, et partiellement fiscal. Ceux-ci sont élus suivant un système mixte, alliant scrutin majoritaire uninominal et scrutin proportionnel par compensation.  Aux élections de 1917, le SNP est arrivé largement en tête mais pour constituer une majorité a dû s’allier au Labour et aux Greens. Le Parlement élit le (la) Premier.e Ministre. C’est Nicola Sturgeon qui dirige l’actuel gouvernement écossais.

Avec la visite du Parlement nous avons un premier contact avec la vie politique écossaise, ce que nos rencontres avec M Aladstair Rankin, membre du SNP et conseiller municipal, et M. Emmanuel Cocher, consul général de France, vont approfondir.

M. Rankin nous précise que l’actuelle majorité du SNP est partisane de l’Indépendance qui devrait être décidée par voie référendaire, alors qu’avant le Brexit, elle était favorable à une négociation sur le long terme. Les Ecossais sont majoritairement hostiles au Brexit (76% des Edimbourgeois ont voté contre la sortie de l’UE). L’Indépendance reposerait la question du pétrole dont 90% des réserves se trouvent dans les eaux territoriales écossaises mais dont les revenus profitent d’abord à Westminster.

Les principales préoccupations du gouvernement écossais concernent l’éducation et les affaires sociales, notamment la prise en charge des personnes âgées dont le nombre augmente. La faible densité de la population dans les Highlands et dans les îles est un problème majeur. Malgré les fonds accordés par l’UE aux régions périphériques, le budget est déficitaire.

M. Rankin rappelle que face au Brexit les divisions internes sont fortes chez les tories comme chez les travaillistes, mais que les députés ont du mal à défendre leur position devant leurs électeurs.

Selon M. Emmanuel Cocher, le gouvernement britannique a commis de nombreuses erreurs à l’égard de l’Ecosse. Il faudrait une constitution fédérale au Royaume-Uni alors que le statut de l’Ecosse n’a aucune garantie constitutionnelle. Aussi négatif que cette précarité juridique est le mépris des Anglais à l’égard de « ce qui est au Nord ».

Diplomate disert et courtois, notre consul à Edimbourg ne manie pas la langue de bois lorsqu’il présente les Ecossais comme des gens aimables, fort attachés à leurs intérêts financiers. Il replace sur le temps long les relations franco-écossaises. Très proche de l’Ecosse au Moyen-Age, la France commence à s’en désintéresser à partir de la Régence. Puis après la période révolutionnaire, la réconciliation franco-anglaise se fait aux dépens de la relation franco-écossaise.  Il y a un renouveau aujourd’hui comme en témoigne la Société franco-écossaise, mais, si les Ecossais ont en principe un a priori favorable à l’égard des Français, le lien franco-écossais n’en a pas moins une tonalité passéiste. Pourtant les investissements de la République sont abondants (la France est le deuxième investisseur après les Etats-Unis), tels ceux de Total, Thalès, des maisons de spiritueux, des entreprises de grands travaux…

M Emmanuel Cocher nous explique en quoi consiste la fonction d’un consul général. Nommé par décret du Président de la République, il applique la Convention bilatérale franco-britannique sur les consuls, ce qui lui donne des droits particuliers comme le droit d’accès à tous les détenus. Ses compétences, très étendues, ont dû être limitées à cause de la réduction drastique de son équipe. Actuellement il n’a plus que 25 collaborateurs dont la moitié sont des professeurs vacataires (le français reste la première langue étrangère étudiée en Ecosse). Or outre l’exercice des tâches   consulaires classiques, il doit gérer les escales des bateaux de la marine nationale, accomplir quelques actes juridiques et a de nombreuses activités de représentation.

Notre visite de la capitale écossaise a été complétée par une escapade à Rosslyn Chapel. Construite au XVème siècle par un seigneur soucieux du sort de son âme, cette chapelle connut bien des vicissitudes. Mise à sac par Cromwell, elle a été plus ou moins abandonnée jusqu’à ce que la reine Victoria soit séduite par son riche décor sculpté, mais il a fallu attendre la fin du XXème siècle et le début du XXIème pour que la restauration soit achevée. Pourtant ce ne sont pas les représentations grimaçantes du « Green man », ni les riches sculptures du « pilier de l’apprenti » qui font la renommée du lieu mais le fait que Dan Brown y ait situé le dénouement de son Da Vinci Code.

80 km séparent Edimbourg l’aristocratique de Glasgow l’industrielle, la ville de grès clair de la ville de grès rouge. A tous ceux d’entre nous qui l’avait visitée il y a plus de 10 ans, Glasgow a offert un visage « relooké ». Certes elle garde son architecture victorienne, son colossal hôpital, mi-forteresse, mi-prison, et sa magnifique cathédrale gothique, mais le cœur de la cité autour de Buchanan Street n’offre que boutiques de luxe et centres commerciaux pimpants. Les nostalgiques des vieux pubs enfumés, au décor décati, n’y trouveront pas leur compte. La rénovation énergique décidée par la municipalité n’a pas fait disparaitre les quartiers pauvres de la périphérie où se sont réfugiés chômeurs et précaires chassés du centre, mais nous ne les visiterons pas. Entre le début et la moitié du XXème siècle, Glasgow a perdu la moitié de sa population. Le déclin démographique semble enrayé mais elle est encore loin d’avoir retrouvé le million d’habitants de 1914.

Pour tout amateur d’architecture et d’art décoratif, le nom de Glasgow est lié à celui d’un de ses plus célèbres fils, Charles Rennie Mackintosh. La Glasgow School of Art ayant malheureusement brûlé peu de temps avant notre arrivée, c’est au Kelvingrove Museum qui lui consacre une grande exposition, que nous avons approfondi notre connaissance de cet artiste majeur. Remarquable bâtiment par son architecture qui mêle tours néo- gothiques et porche néo-renaissance, ce musée a ouvert ses salles du rez-de-chaussée à des plans, des photos, des aquarelles, des meubles, des vitraux, des objets… de ce prolifique architecte et designer dont on fête cette année le 150ème anniversaire de la naissance. Eglises, salons de thé, bureaux, maisons particulières ont également suscité son intérêt. La vidéo montrant quelques-unes de ses réalisations suscita une discussion animée entre nos amis pour savoir ce qui relevait de l’Art Nouveau ou de l’Art Déco.

En bons géographes, les voyageurs des Cafés géo ont particulièrement apprécié la promenade sur les bords de la Clyde, là où, il y a 20 ans, s’étalaient des friches industrielles sur les anciens chantiers navals et usines sidérurgiques qui avaient fait la richesse industrielle de Glasgow. La régénération urbaine n’a gardé de ce passé qu’une grue, sculpture géante autant que vestige mémoriel. Donner de Glasgow une image attractive de capitale culturelle grâce à de grands travaux de rénovation urbaine, tel était l’objectif de la municipalité dans les années 80, alors que les usines avaient fermé l’une après l’autre, provoquant le départ et la paupérisation de la population ouvrière. Aujourd’hui hôtels de luxe, musées, salles de spectacle jalonnent les rivages d’un estuaire étrangement vide d’activités maritimes. The Armadillo, gigantesque auditorium conçu par Norman Foster, donne un petit air de Sydney à la métropole écossaise.

Glasgow a-t-elle réussi son pari en devenant une métropole attractive grâce aux activités culturelles ? La réponse est sujette à controverse. Oui, si l’on considère les magasins luxueux du centre et les constructions ambitieuses des bords de la Clyde. Non, si on se penche sur le taux élevé du chômage et le fort accroissement des écarts sociaux.

En fait le seul champ que nous ayons arpenté est un champ d’éoliennes (aérogénérateurs) à Ingelsham. Whitelee est le deuxième parc éolien terrestre d’Europe et occupe une place importante dans le mix énergétique de l’Ecosse où cohabitent hydrocarbures, renouvelables et nucléaire. L’éolien fournit plus de la moitié des besoins électriques du territoire. A l’horizon 2030, la feuille de route énergétique écossaise prévoit que 50% de toute la consommation d’énergie (et pas seulement l’électricité) soit le fait des renouvelables.

Les anciens propriétaires de Whitelee avaient eu comme projet de consacrer leurs terres, peu productives, à la forêt en plantant des arbres importés de Scandinavie. Mais les espèces choisies absorbaient trop d’eau ; aussi ont-ils revendu les terres à Scottish Power qui en a conservé 120km² en espaces naturels dédiés à la faune.

Les conditions météorologiques de la région sont favorables. Il faut que le vent souffle entre 2 et 80 km/h pour que les éoliennes soient utilisables, ce qui permet à Whitelee de fonctionner 35% du temps – 2200h par an en moyenne-, alors que 9% du temps suffirait à la rendre rentable. Même avec une bonne météo, le Centre de production peut arrêter les éoliennes si la production d’électricité dépasse la demande.

Les éoliennes, de fabrication Siemens et Alsthom, sont des modèles relativement anciens (début 2000). Chaque mat, appuyé sur des fondations en béton armé de 50 t, supporte des pales en fibre de verre d’une longueur de 45 m et d’un poids de 12 t. Une seule éolienne peut fournir l’éclairage de 1000 maisons.

Après cet épisode technologique, nous avons retrouvé les paysages traditionnels de la littérature écossaise, lochs, prairies où s’ébattent les moutons, villages du XVIIIème siècle.

En introduction à cette « Merry old Scotland » rien de mieux que la visite d’une distillerie de whisky. Torrent où coule une onde pure, murs blanchis à la chaux, citernes impressionnantes…tout explique que Glengoyne ait été choisi par Ken Loach comme décor de son film La Part des Anges. Avant d’être convaincu, par la dégustation, de la qualité de la divine boisson, nous avons été initiés aux différentes étapes de la fabrication d’un « pur malt ». Citron, vanille, noix de coco…les arômes et le goût sont non seulement le produit d’une eau et d’une orge de qualité mais aussi du bois des fûts de premier remplissage : fûts de chêne de Xérès et fûts de chêne américain ayant contenu du Bourbon. L’excellence du produit explique que nos compatriotes en soient les premiers acheteurs, même si les très vieux whiskys qui atteignent des prix exorbitants, sont vendus aux Japonais et aux Emiratis.

Nous reprenons la route dans de très bonnes dispositions vers les rives du loch Lomond, situé au centre de la faille qui sépare Lowlands et Highlands, dans le parc national des Trossachs. Des collines herbeuses dominent les bords du lac qui abritent quelques jolis villages dont le caractère « authentique » est soigneusement entretenu. La balade en bateau de fin d’après-midi nous permet d’admirer les belles lumières décrites par Walter Scott dans La Dame du Lac au début du XIXème siècle. Certes le lieu n’a plus la sauvagerie qui avait alors marqué l’écrivain, mais il garde sa beauté.

La route étroite qui nous mène à Drummond dans le comté de Perth, traverse un paysage pastoral de gravure du XVIIIème siècle. Des moutons à tête noire gambadent dans de vertes prairies entourées d’épais taillis.

Nous pénétrons dans le domaine de Drummond par une longue allée de hêtres au bout de laquelle nous sommes accueillis par Richard et par un panneau qui appellent « superadults » les seniors, ce qui entraine tout de suite la sympathie. Le donjon qui domine une éminence rocheuse et Mansion House n’attirent que brièvement notre attention (Ils ont été largement reconstruits au XIXème siècle). Ce sont les jardins, étagés en terrasses au pied du château, qui sont l’objet de notre visite. Les Anglais baptisent « jardins formels » ce que nous nommons « jardins à la française » (d’ailleurs la série britannique Outlander a choisi Drummond pour représenter les jardins de Versailles).

Conçu en 1630, le jardin a été restructuré après le passage de la reine Victoria qui fut très admirative. Massifs géométriques, haies de buis et allées d’arbres forment une croix de Saint-André, emblème de l’Ecosse. Le jardin est beau par ses perspectives, la diversité des couleurs de ses espèces, la fantaisie de l’art topiaire qui a façonné ses buissons. Chacun put s’égayer dans les allées au gré de son humeur.

Nous avons retrouvé l’aéroport d’Edimbourg après un dernier repas succulent de fish and chips. Moderne, arpenté par touristes et hommes d’affaires du monde entier, animé de nombreux magasins et restaurants, l’aéroport témoigne de la place de métropole d’Edimbourg dans la mondialisation. Ce sont donc des aspects très divers de l’Ecosse que nous avons découverts durant ces quatre jours et demi.

Michèle Vignaux, juillet 2018