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Aujourd’hui et demain, les réfugiés

Céline Schmitt
Porte-parole du UNHCR à Paris
[Haut Commissariat  des Nations Unies pour les réfugiés
11 janvier 2017
Société Industrielle de Mulhouse
Festival  Vagamondes 2017

La problématique des réfugiés est devenue une question de tous les jours. Je travaille pour le HCR depuis 9 ans et me réjouis que cette conférence ne soit qu’une des expressions de cette thématique, très présente dans le festival Vagamondes. Le HCR travaille avec African Artists for Development  qui a conçu avec Salia Sanou le spectacle « Désir d’Horizons » et utilise la danse comme vecteur de réconciliation, comme message de paix

Le monde compte en 2016 65,3 millions de déplacés de force, un chiffre sans précédent. Sur ce chiffre, la grande majorité, 37,5 millions, est déplacée à l’intérieur du pays et 21,3 millions cherchent refuge dans les pays voisins

Pour le HCR, un réfugié est quelqu’un qui se trouve hors du pays dont il la nationalité où il qui craint d’être persécuté en raison de sa race, de sa religion, de ses idées politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social et qui ne peut, en raison de cette crainte, être protégé par les autorités de son pays.

Le HCR s’occupe aussi des 10,3 millions d’apatrides qui ont besoin de protection.

Créé à l’origine pour 5 3 ans et doté de 34 employés à sa fondation en 1950, le HCR en emploie aujourd’hui  10 700. En 2016, 146 pays ont signé sa convention et le HCR a reçu deux prix Nobel pour son action en 1954 et en 1981.

Le HCR travaille depuis la guerre des Balkans dans les zones même de conflit et est présent sur tous les terrains car le XXIème siècle doit gérer un chiffre record de plus de 65 millions de réfugiés. Il travaille en partenariat avec les autres agences onusiennes, les ONG, avec l’appui des gouvernements, des citoyens car les besoins sont énormes.

Depuis 2010, la majorité des réfugiés viennent de Somalie, d’Afghanistan et de Syrie (plus de 4 millions). Chaque minute 24 personnes sont forcées de fuir, soit 1000 par heure et cela continue et a probablement encore augmenté en 2016.

86% des flux se dirigent vers les pays voisins des pays en guerre : le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Asie beaucoup plus sollicités que l’Europe où la crise des réfugiés a été médiatisée, donnant l’impression d’arrivées massives alors que dans le même temps, le petit Liban devait gérer 1.3 millions de réfugiés pour 4 millions d’habitants. Un habitant du Liban sur 3 est un réfugié aujourd’hui.

Les pays en Afrique ont aussi besoin d’aide, 1,8 million de personnes sont déplacés internes au Soudan du sud et 1,4 million sont réfugiés dans les pays voisins, 460.000 Centrafricains sont réfugiés dans les pays voisins. J’ai exercé en RDC [République Démocratique du Congo] et constaté que dans la région des Grands lacs, se posent des questions inconnues du public car peu médiatisées.

De même, la traversée des réfugiés d’Afrique centrale vers le Cameroun ou le Tchad se fait dans des conditions très difficiles, et j’y ai vu des enfants de 2 ans pesant 5 kg et des centaines de blessés ayant besoin d’aide. Le problème est que les programmes humanitaires dans ces crises oubliées ne sont financés qu’à hauteur de 20/30 % ce qui signifient que seulement 20/30% des besoins sont remplis alors que les pays Européens ont eux les moyens de gérer les arrivées et l’accueil des refugies en Europe.

Certes, ce qui a changé depuis 2015 est une arrivée plus massive de réfugiés en Europe. Cette hausse depuis juillet 2015 est due à des flux de réfugiés de Syrie, d’Afghanistan ou d’Irak cherchant désespérément un espace de paix pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants. Le HCR avait alerté l’UE sur ces problèmes en leur faisant part des difficultés de gestion des pays de premier asile. Cependant en juillet 2015, les réfugiés syriens en Jordanie, au Liban, en Turquie qui y survivaient dans des conditions très difficiles faute de moyens suffisants des pays d’accueil, ont pris le risque de se rendre en Europe et un million d’entre eux y a afflué entre juillet et décembre. La situation a dégénéré en chaos en Europe quand passant par les Balkans, beaucoup de réfugiés se dirigeaient vers l’Allemagne qui avait déclaré ouvrir ses frontières.

Très tôt, le HCR a conseillé de les accueillir dignement, de les enregistrer pour leur sécurité et de les redistribuer en Europe.

Des mesures européennes ont été adoptées pour permettre de relocaliser 60 000 réfugiés de Grèce et d’Italie mais la mise en œuvre de cette relocalisation a mis du temps à se mettre en œuvre et est lente.

En mars 2016, l’UE et la Turquie ont passé des accords visant à maintenir les réfugiés en Turquie et à aider la Turquie. Cela, avec la fermeture de frontières en Europe et les difficultés accrus des Syriens pour fuir leur pays, a diminué les flux arrivant en Grèce, limités à 70 000 arrivées en 2016 mais les flux vers l’Italie depuis la Libye ont augmenté. Flux de migrations mixtes, mêlant migrants économiques et réfugiés. Parfois, ces trajets se concluent par des tragédies. On a recensé 3 500 décès en mer en 2015, 5 000 en 2016 sur environ 360 000 passages. Le désespoir pousse les réfugiés et les migrants à prendre tous les risques. Le HCR préconise d’autres solutions pour réduire les risques de mouvements secondaires dangereux, plus de voies légales pour arriver en Europe, la mise en place de bourses d’études, de visas pour voyager en sécurité.

Sur les 508 millions d’habitants dans l’Union Européenne en 2015, 0,25% étaient des réfugiés : c’est gérable si le partage des responsabilités est équitable. L’UE a examiné 1,3 million de demandes d’asile. La France a reçu 74 000 demandes, l’Allemagne 441 800, la Suède 126 100 en 2015. En 2016, la France a été sollicitée dans 80 000 cas.

La majorité des réfugiés arrivés en Grèce et en Italie. La Grèce seule peut difficilement gérer l’afflux de réfugiés, ainsi 5 300 personnes s’entassent dans la seule ile de Lesbos pour une capacité de 3 500. La solution est la relocalisation.

En France, il y a eu près de 85.000 demandes d’asile en 2016, comparées à près de 80.000 en 2015. Plus de places dans des centres d’accueil d’urgence et des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) sont nécessaires pour accueillir les demandeurs d’asile et les réfugiés dignement et éviter la mise en place de campements comme à Calais ou plus de 6.000 réfugiés et migrants vivaient dans des conditions déplorables jusqu’au démantèlement en octobre dernier dont près de 2.000 enfants non accompagnés. Il y a eu en Europe une augmentation de l’arrivée d’enfants non accompagnés. 67 centres d’accueil et d’orientation ont été créés en France pour mettre à l’abri les enfants non accompagnés qui étaient à Calais. 750 des 1900 enfants de Calais ont rejoint le Royaume-Uni au titre de la réunification familiale. La « jungle » de Calais s’est étendue car y exerçait des réseaux de passeurs qui leur promettaient de passer au Royaume-Uni. Les réfugiés et les migrants se dirigeaient aussi vers Calais parce qu’ils savaient qu’il y avait des associations et des aides dont la possibilité de transfert vers des Centres d’Accueil et d’Orientation pour une mise à l’abri. Le HCR était sur place comme observateur mais aussi pour apporter son appui aux autorités, notamment en matière de partage d’informations. Le HCR n’a pas rôle opérationnel en France. Il veille cependant à la bonne application des principes de protection internationale et a joué un rôle spécifique pour aider à trouver des solutions pour les enfants seuls, dans le respect de leur intérêt supérieur. Ils sont de plus en plus nombreux à arriver en Europe et ont besoin d’une aide spécifique. Le plus jeune à Calais avait 8 ans.

Le nombre de réfugiés n’a fait qu’augmenter au cours des dix dernières années et les réfugiés vont continuer à arriver en Europe et en France tant qu’il n’y aura pas de règlement de conflits en vue.

Le HCR a proposé à l’UE des réformes en tirant les leçons de 2015 :

Prochaines étapes

L’Assemblée générale de l’ONU, rassemblant les 194 états membres, a signé le 3 octobre 2016 une déclaration à New York réaffirmant l’engagement de tous les Etats pour les principes de la convention de Genève de 1951. Le HCR a été chargé de définir un plan global de réponse pour les réfugiés englobant une variété d’acteur dont le secteur privé, les organisations non gouvernementales et les autorités nationales et locales qui est en cours de rédaction.

Une des priorités pour les réfugiés est l’éducation car le temps passé en exil est de plus en plus long : 20 ans en moyenne. Ce sont donc des générations qui doivent être éduquées et il faut y investir.

91% des enfants dans le monde sont scolarisés selon l’UNESCO mais 50% seulement des enfants des réfugiés sont en primaire. Dans le secondaire 84% des jeunes y ont accès dans le monde, 22% pour les réfugiés. Dans le supérieur, les écarts se creusent. 34% dans le monde, 1% dans le cas des réfugiés.

Une exposition montée en partenariat entre la mairie de Paris et le HCR «Talents de réfugiés », est un exemple des multiples initiatives citoyennes engagées en France comme en Europe. Le premier objectif est de lutter contre les peurs, d’aider les réfugiés. Le HCR encourage les actions citoyennes comme celle d’Action Emploi Refugie qui met en relation employeurs et réfugiés par exemple. En effet, parmi eux se trouvent beaucoup d’artisans avec des savoirs faire qui ne demandent qu’à être découverts. Avoir accès à l’emploi est essentiel pour pouvoir bien s’intégrer.

Une autre initiative citoyenne s’est tournée vers la cuisine. A Noël 2016, des restaurateurs strasbourgeois ont ouvert leur cuisine à des chefs cuisiniers réfugiés lors du « Refugee food festival » qui a changé le regard sur les réfugiés et permis aux clients de découvrir de nouvelles cuisines et saveurs. L’initiative permet aussi un accès à l’emploi.

Questions

Que pouvons-nous faire à notre échelle ?

Cela dépend des compétences. Il faut commencer par en parler pour créer un climat d’accueil ce qui est essentiel pour l’arrivée. Les réfugiés ont d’énormes besoins de cours de français. Les associations ont besoin des bénévoles, dans les centres d’accueil et d’orientation par exemple. Parfois, il suffit de véhiculer les demandeurs d’asile, de leur faire découvrir la région, des actes simples,

On peut aussi bien sur faire des dons aux associations qui œuvrent en France et au HCR pour ses programmes d’aide aux refugies dans le monde.

Les réfugiés ont-ils le droit de travailler en France ?

Une fois le statut de réfugié obtenu, les personnes ont les mêmes droits que les autres citoyens sauf les droits politiques. Le droit du travail français s’applique à tous.

Comment les petits pays d’accueil gèrent-ils ces flux ?

La situation est critique au Liban, en Jordanie qui n’ont pas les moyens de répondre et de protéger tous les réfugiés qui arrivent. Ils n’y ont pas d’accès à l’école, au travail et c’est pourquoi ils ont besoin de la solidarité de pays plus riches. Selon une étude récente qui avait été menée, 80% des réfugiés en Jordanie vivent avec moins de 2 USD/jour.

Quelle nationalité auront les enfants isolés devenus adultes et quel sera leur avenir ?

25% des arrivées en Italie et en France sont des enfants seuls. Ils ont la nationalité de leur pays et peuvent à 18 ans, demander la nationalité française. En France, ils sont pris en charge par les services de l’aide à l’enfance et des centres spécialisés pou mineurs isolés étrangers mais les besoins sont plus importants que les moyens et tous les enfants n’y ont pas accès. Plus de moyens sont nécessaires pour garantir un bon accompagnement de ces enfants.

Quels sont les moyens du HCR pour contraindre les Etats à respecter leurs engagements ?

Les Etats de l’UE ont des obligations internationales dont celle d’accueillir les réfugiés, de les protéger et d’examiner les demandes d’asile. Ces obligations sont retranscrites dans la loi française. Une nouvelle loi d’asile a été adoptée en France en 2016. Un des principaux points de la réforme était la réduction des délais de réponse aux demandes pour répondre aux obligations internationales. Le HCR fait des recommandations en comptant sur la solidarité entre les Etats. Le respect des principes internationaux garantit aussi la sécurité de l’Etat d’accueil.

Quelle est la position du HCR sur la pratique du règlement de Dublin ?

Le règlement européen de Dublin impose que le demandeur dépose sa demande d’asile dans le premier pays où il arrive en Europe. Ce règlement existe et doit s’appliquer mais le HCR demande que ce soit de façon souple et que la solidarité  se manifeste à travers des relocalisations car la Grèce et l’Italie ne peuvent accueillir tout le monde. Des réformes sont en cours sur le système actuel. Le HCR a fait des propositions pour un régime d’asile commun bien géré avec un  système commun d’enregistrement, une accélération de l’examen des dossiers et un mécanisme de répartition.

Pourquoi une telle confusion entre migrants et réfugiés et que faire des déboutés du droit d’asile ?

La grande différence est juridique. Être réfugié est répondre à un terme juridique, qui caractérise quelqu’un qui fuit une persécution ou un conflit. Un migrant est une personne qui quitte son pays pour d’autres raisons qui peuvent être d’ordre économique. C’est un abus de langage de parler de migrants quand on parle de réfugiés. Cela ne veut pas dire que les migrants n’ont pas de droits. Les migrants aussi ont des droits, mais ce ne sont pas les mêmes. Dans la déclaration de New-York, on a nous travaillons sur un plan global pour les réfugiés. Il y aura aussi un plan de réponse pour les migrants.

Pourquoi la réinstallation des réfugiés vulnérables ne se fait pas aussi aisément qu’elle le devrait ?

C’est une voie légale que les Etats devraient développer d’avantage La France a accepté d’en prendre 10 000 en 2017  à travers des programmes de réinstallation. D’autres voies légales comme les bourses d’études, des visas humanitaires, des partenariats privés devraient aussi être explorées. Les besoins sont plus importants que les places disponibles. Nous avions proposé un plan pour la réinstallation de 10% des réfugiés syriens. Seulement 1% l’ont été.

Que pensez des programmes d’aide au retour quand la situation le permet?

Le HCR a des programmes pour aider les réfugiés à rentrer dans leur pays lorsque la paix est revenue et lorsqu’ils le souhaitent. C’est une des solutions. Cependant en 2015, 200 000 seulement ont pu rentrer chez eux contre 1 million il y a 10 ans. Les nouveaux conflits durent et de nouvelles crises éclatent. C’est pourquoi le HCR recommande aux Etats des solutions politiques et pas seulement humanitaires. Le vœu le plus cher de beaucoup de réfugiés est de rentrer chez lui; mais cela devient de plus en plus difficile

Quelle projection le HCR fait-il pour les années à venir ?

Il est difficile de faire des projections. Nous en faisons pour définir nos programmes d’assistance. Malheureusement, nous ne voyons pas d’amélioration. Des situations de conflits et de déplacement perdurent depuis des années dans certains pays comme en RDC ou Afghanistan. De nouvelles crises éclatent dans pays ou la paix avait été rétablie comme au Burundi. Certains réfugiés burundais que j’ai rencontrés m’ont dit qu’ils fuyaient pour la 4ème fois! Les perspectives ne sont pas bonnes mais on ne perd pas espoir et on conseille aux Etats d’investir dans la prévention et le règlement de conflits.

Et quid des réfugiés climatiques ?

Le sujet des déplacés climatiques nous préoccupe car les chiffres sont de plus en plus importants et vont s’accroître (catastrophes naturelles). On cherche des solutions concrètes car il s’agit de centaines de millions de personnes mais le statut de réfugiés climatiques n’existe pas, les réponses actuelles sont pragmatiques. La protection des personnes déplacées est notre cœur de métier et nous participons aux COP et à ces groupes de travail.

A Mulhouse. Festival Vagamondes ; SIM 11 janvier 2017

Céline Schmitt
Notes F. Dieterich