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Gentrifications

Compte-rendu du Café du 28 mars 2017 au Flore

La soirée commence par un hommage à Matthieu Giroud assassiné au Bataclan le 13 novembre 2015,  à 38 ans. Ce jeune géographe avait consacré son travail de chercheur aux mobilités urbaines, notamment aux formes de résistance ordinaire à la gentrification. Dans son ouvrage Villes contestées. Pour une géographie critique de l’urbain, publié avec Cécile Gintrac en 2014, il se montrait soucieux d’une géographie engagée.

Il a été l’un des principaux animateurs de l’ouvrage Gentrifications (Ed Amsterdam, 2016), travail collectif auquel ont participé nos deux intervenants de la soirée. Lydie Launay et Hovig Ter Minassian rappellent les nombreuses discussions préparatoires à sa rédaction, animées par le souci de mélanger les disciplines (sociologie, géographie, sciences politiques), de croiser les regards, les terrains (Paris, Lyon, Londres, Barcelone, Sheffield, Lisbonne), et les méthodes d’enquête.

On peut définir la « gentrification » comme le processus socio-spatial de transformation globale des quartiers populaires anciens. L’aspiration d’une catégorie sociale moyenne/moyenne supérieure à vivre dans un quartier populaire amène une mutation globale de l’habitat, une nouvelle utilisation des espaces collectifs et une montée en gamme des commerces.

On peut aussi approcher le phénomène selon une logique capitalistique. Investir dans un quartier peu cher est une opportunité pour les promoteurs et les petits propriétaires.

Comment justifier le pluriel de Gentrifications ?

L’ouvrage avait pour objectif de prendre de la distance avec les descriptions désormais classiques mais très mécanistes de la gentrification (une première étape d’arrivée des « pionniers », une deuxième étape de généralisation des gentrifieurs, une troisième étape de basculement). L Launay et H Ter Minassian insistent sur la diversité des contextes et des processus, accélérés ou ralentis, sur la distinction des acteurs, publics ou privés, sur la mobilité des gentrifieurs dont certains souhaitent se retirer au bout d’un certain temps, pouvant ainsi provoquer l’effondrement des prix immobiliers.

Y a-t-il des quartiers privilégiés pour la gentrification ?

On peut retenir trois critères :

– le caractère populaire recherché par des gentrifieurs (bien souvent nommés « bobos » dans les médias) soucieux de mixité sociale (du moins dans le discours)

– l’ancienneté d’un habitat survalorisé pour son cachet et son pittoresque

– une localisation centrale dans l’espace urbain, bien desservie par les transports

– des prix immobiliers qui restent, au moins au départ, peu élevés

Les gentrifieurs constituent-ils un groupe homogène ?

Ils appartiennent tous à une catégorie moyenne /moyenne supérieure mais présentent des profils et des rapports au quartier variés. Différents par leur âge et leurs trajectoires familiales, ils peuvent occuper des logements privés ou sociaux. La mixité sociale vécue au quotidien dans ces quartiers fonctionne plus ou moins bien. Dans certains cas, les nouveaux arrivants refusent de poursuivre le processus et quittent le quartier. Mais les gentrifieurs sont aussi parfois d’anciens enfants du quartier qui y reviennent après avoir acquis ailleurs une meilleure position économique. Du côté des gentrifiés s’observent également des positionnements variés face à la gentrification en cours. Certains gentrifiés sont favorables à la transformation de leur quartier, d’autres pas. Ainsi, il s’agit de prendre du recul avec la dichotomie désormais classique gentifieurs / gentifiés. Les gentrifieurs d’hier peuvent être les gentrifiés d’aujourd’hui ! (Brooklyn Heights à New-York).

Quelle est l’attitude des pouvoirs publics à l’égard du phénomène de gentrification ?

Ils peuvent choisir la réhabilitation des quartiers populaires ou, au contraire, leur destruction pour favoriser l’accès à la propriété.

L’attitude de pouvoirs publics est souvent ambivalente. Les acteurs engagés n’adhèrent pas tous et de la même façon aux thèses néolibérales !

Parfois ils indiquent clairement que leur action de réhabilitation a pour but de gentrifier un quartier populaire (Londres).

Le plus souvent leurs intentions restent tacites. Ils facilitent la construction de logements sociaux de niveau intermédiaire en espérant que la cohabitation entre catégories différentes sera harmonieuse.

Par la promotion de la mixité sociale (par l’habitat, le commerce, la requalification urbaine, l’offre culturelle), on peut chercher à modifier un quartier en y introduisant des pratiques familières aux classes moyennes afin de réduire sa stigmatisation. Cette politique aboutit parfois à des échecs, comme à la Goutte d’Or où le commerce exotique très florissant n’a pu être remplacé par un commerce plus haut de gamme.

Il n’y a donc pas de politique homogène des pouvoirs publics. Alors qu’à Barcelone, dans les années 80, la municipalité veut réhabiliter des quartiers pauvres sans les gentrifier, Roubaix a recherché à attirer des cadres parisiens.

La gentrification sert-elle à changer l’image d’un quartier ?

La transformation de l’image d’un quartier peut être intentionnelle ou pas.

Au début d’une entreprise de réhabilitation, on peut jouer sur la reconstitution d’un imaginaire faubourien, comme à Montreuil. Dans d’autres cas, le changement d’image est produit par la gentrification du quartier.

Le changement d’image est souvent dû à l’action des associations, à l’installation de commerces et de cafés (un bon exemple est donné, à la Goutte d’Or, par la Brasserie Barbès, fréquentée en partie par des consommateurs extérieurs au quartier), mais aussi par les médias ou les pouvoirs publics. La transformation de ces quartiers est aussi symbolique en les (re)-positionnant comme des lieux fréquentables, voire attractifs dans les imaginaires collectifs des citadins.

De quels outils disposent les pouvoirs publics pour ralentir le processus de gentrification ?

Ils peuvent créer des logements sociaux, contrôler le marché immobilier en encadrant les loyers et améliorer les conditions de vie des catégories populaires. Mais, à terme, la gentrification amène l’homogénéisation d’un quartier au profit des classes moyennes et supérieures (« super gentrification »). Cette évolution pose la question de la place des classes défavorisées dans la ville. Plutôt que de se focaliser sur comment limiter le processus, un enjeu de débat public serait de se demander comment améliorer les conditions de vie dans les quartiers en difficulté.

Quelle vie quotidienne mène-t-on dans un quartier en cours de gentrification ?

Gentrifieurs et gentrifiés n’ont pas la même approche, mais au sein d’une même catégorie, on peut avoir des avis et positionnements très différents sur les transformations de l’environnement.  Ce qui est mal vécu c’est lorsqu’une population se sent « captive » d’une situation, qu’elle l’ait choisie ou subie.

La mixité sociale est difficile à réaliser. Elle achoppe le plus souvent sur la question de l’école. Les gentrifieurs les plus favorables à la mixité ne laissent pas leurs enfants dans l’école du quartier.

Entre habitants qui fréquentent le quartier tous les jours et résidents qui y logent, le ressenti est aussi différent.

Dans certains cas des résistances militantes anti-gentrification se manifestent par des mouvements sur la voie publique, des tags…. Mais dans d’autres cas, comme l’a montré Matthieu Giroud dans sa thèse, cela peut passer par des formes de résistances plus « ordinaires » et pas nécessairement conscientisées : par exemple, revenir fréquenter un quartier et ses commerces alors qu’on n’y réside plus.

La gentrification est-elle limitée aux grandes métropoles ?

Les premières études ont porté sur les métropoles mais le phénomène touche aussi les villes moyennes. C’est le cas de Roubaix dont l’attractivité s’exerce sur des populations nettement moins aisées qu’à Paris ou à Londres. C’est aussi le cas de Tours qui a connu une réhabilitation son quartier historique à partir de la loi Malraux de 1962. La gentrification y est acquise dans les années 80, mais aujourd’hui le centre historique est devenu un quartier très touristique et étudiant. Les associations de riverains militent depuis longtemps contre les nuisances sonores et il semblerait qu’une partie de leurs membres cherche aujourd’hui à quitter le quartier.

Différentes questions sont adressées aux intervenants.

L’adoption d’un vocabulaire commun facilite les discussions scientifiques entre chercheurs. Quant aux travaux d’Haussmann, ils ont été conçus dans un contexte économique, social et politique trop différent pour qu’on puisse les comparer à nos actuelles transformations urbaines.

C’est une excellente question, sur laquelle malheureusement on a très peu d’investigations !

On peut supposer que marquées par la domination des populations métropolitaines, les villes ultramarines n’ont pas connu le même processus d’urbanisation que les villes de métropole et que les rapports sociaux de domination s’expriment différemment.

Parfois la recherche du « pittoresque » l’emporte sur la médiocrité des matériaux de construction. Parfois on adopte une solution radicale : le « façadisme » (derrière la façade ancienne, on construit un bâtiment neuf).

Pour qu’il y ait gentrification, il faut une demande de population ayant une certaine appétence pour un tissu urbain dense, voulant vivre dans un centre-ville offrant commerces, cinéma, services divers…

Le terme « ghetto » est excessif, et il ne faudrait pas le vider de son sens, mais il est vrai qu’il y a parfois une tendance à rester entre- soi. Parfois les gentrifieurs sont chassés par des gentrifieurs plus aisés. Mais encore une fois, certains gentrifieurs prônent au contraire la mixité sociale et culturelle.

Michèle Vignaux