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Géographie de l’amour

Comme chaque année, l’approche de la Saint-Valentin déverse, dans toutes les vitrines, son lot de roses pourpres et de cœurs vermeils. Pourtant, la place de l’amour dans la ville est plus que jamais discutée, si l’on en croit la pénalisation croissante de la prostitution, ou l’opprobre (quasi) généralisée (mêlée d’une pointe d’admiration) guettant toute célébrité qui s’écarterait de son devoir conjugal.

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Sentiment d’attachement fort à une personne (ou un objet, quoique nous excluions cette forme d’amour de notre propos) ou acte qui concrétise ce penchant, l’amour est à la fois fascinant et secret. Fascinant, pour des populations repues d’austérité et assoiffées de merveille. Secret, pour des amants qui toujours recherchèrent les lieux les plus isolés pour s’adonner à leur passion charnelle.

C’est donc à cette ambiguïté géographique de l’amour que nous nous attacherons.

L’amour marque les espaces

L’amour (dans sa forme érotisée) marque fortement les espaces. Il envahit les villes, notamment par les publicités qui mettent désormais en scène, en grand format, l’attachement le plus intime. Il est le fondement même de l’identité de certains quartiers. Ainsi, le quartier rouge d’Amsterdam (haut lieu de la prostitution) est marqué par une omniprésence amoureuse (l’amour étant ici entendu dans son sens charnel uniquement). Des corps aux positions suggestives investissent des vitrines (dont le fond isole toutefois l’intérieur de l’extérieur). Des femmes déshumanisées sont exposées aux yeux avides de passants spectateurs. Les espaces connaissent une érotisation croissante. Paradoxalement, l’amour s’efface de plus en plus.

Une invisibilisation des affects

L’urbain est devenu un lieu de vitesse et de fluidité. Désormais, le moindre imprévu est source de multiples turpitudes. Dans ce contexte, les affects ne sauraient trouver leur place. En effet, l’amour est une brèche dans l’ordre mobilitaire général. Lorsque l’on aime, il ne saurait être question d’aller au plus vite, ou au plus efficace. Il faut d’abord faire connaissance, se rencontrer, se découvrir. Il faut, progressivement, intégrer l’autre à son intimité. Le rapprochement amoureux impose que l’on sache prendre son temps, que l’on sache savourer l’instant qui rapproche et celui qui sépare. L’amour est la négation même d’un monde du prévisible, où tout serait sous contrôle. Il est une lente pérégrination, dans un espace où tout nous échappe, et dont nous ne maîtrisons jamais véritablement les codes. Dès lors, l’immobilité de l’extase se cantonne à un espace/temps délimité (et marginal), où le plaisir devient permis.

De nouveaux espaces temps de l’amour

Dans cette invisibilisation des affects, l’amour résiste donc. Ou plutôt, il resurgit, dans des espaces/ temps définis. Ainsi, on assiste régulièrement à de véritables effusions sentimentales, qui projettent l’intime dans les espaces publics. C’est le cas par exemple lors des gay prides, qui font apparaître, dans une démonstration carnavalesque, des sexualités peu conventionnelles. C’est le cas également, lorsque des mobilisations éclairs (les désormais célèbres flashmob1) réunissent autour d’un lieu emblématique le plus grand nombre de couples, dans une embrassade collective à tonalité ludique

De manière plus elliptique, l’amour envahit certains lieux à forte valeur symbolique.

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Ainsi, à Paris (ville de l’amour par excellence, si l’on en croit l’itinéraire des voyages de noces), les parcs constituent ces nouveaux havres de verdure urbains, où s’incarne un amour pastoral réinventé ; tandis que les ponts, ces lieux par excellence du lien accueillent les promesses solidement cadenassées des jeunes couples à l’esprit romantique.

Nous vivons désormais dans un Monde unifié. Nos existences quotidiennes semblent constamment entraînées dans un tourbillon urbain qui nous échappe en tout point. Les paysages qui nous entourent semblent désormais standardisés. Nos lieux de vie (ces lieux par excellence où l’on se ressource et où l’on s’épanouit) semblent parfois perdre toute identité. Pourtant, nos pratiques urbaines les plus communes rappellent qu’il nous appartient, à tous, de créer notre espace et de lui donner sens. Et si l’amour réintroduisait un peu de rêve dans la monotonie du quotidien?

Natacha COUSY

1 Le terme de « flashmob » désigne un bref regroupement de personnes, qui effectuent de manière simultanée une action concertée (comme, par exemple, une danse, une bataille d’oreillers…). Les « flashmobs » sont souvent organisées par l’intermédiaire des réseaux sociaux.