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La crise des subprimes : enjeux géopolitiques et territoriaux de l’entrée dans le XXIe siècle

Laurent Carroué est Directeur de recherches à l’Institut Français de Géopolitique (université de Saint-Denis-Paris VIII).

En quelques semaines, la crise des subprimes est devenue à la fois la plus grande crise financière de l’histoire humaine et corrélativement le Plus Grand Casse du Millénaire. Alors qu’elle couve paradoxalement depuis presque deux ans et qu’elle monte en puissance depuis le printemps 2008, le mois de septembre 2008 menace de voir brutalement s’effondrer le système financier mondial. Comment en sommes nous arrivés là ? Comment expliquer une telle cécité quand en février 2008 un des principaux économistes de la réserve fédérale de New York peut écrire dans un rapport : « le déclenchement de la crise du crédit de 2007 constitue une énigme manifeste » (sic) (Adrian & Shin, 2008) ? Le traitement même de la crise, encore aujourd’hui, laisse songeur. Réduites à des effets d’annonce politiques plus ou moins fumeux qui répondent eux mêmes à la montée des faillites bancaires et à la panique des marchés, les informations distillées font trop souvent l’impasse sur une réflexion de fond quant à la nature même des événements auxquels nous sommes confrontés. Dans ce contexte, il semble indispensable de dégager rapidement quelques enjeux géopolitiques et territoriaux. Autrement dit : de l’importance de la géographie et de la géopolitique dans l’intelligibilité du monde contemporain.

Les États-Unis confrontés à une triple crise systémique : l’entrée dans le XXIème siècle

La crise des subprimes peut être définie comme une crise systémique qui signe la fin d’un cycle historique de trente à quarante années. Ses dimensions sont à la fois géopolitiques, sociales, économiques et territoriales. Cette crise systémique repose sur trois piliers fondamentaux, à la fois spécifiques mais en profonde interaction.

C’est d’abord l’entrée en crise structurelle du « nouveau régime d’accumulation financière » (cf. François Chesnais, 2002) qui s’est construit sur l’hypertrophie de la sphère financière dans un cadre de plus en plus ultra-libéral (le « tout-marché ») et dérégulé par les plus hautes autorités politiques des États les plus puissants, États-Unis et Royaume-Uni en tête. Cette hypertrophie est elle-même organisée sur une triple articulation : une hégémonie idéologique et politique croissante dans le monde économique et politique qui tente de disqualifier la moindre réflexion critique au nom des vertus intrinsèques du libéralisme anglo-saxon ; une capacité progressivement décuplée à ratisser, capter et concentrer les richesses dans le secteur financier au détriment des autres acteurs économiques et sociaux tout en leurs imposant des critères de gestion et de rentabilité rentiers de plus en plus insupportables ; enfin la cupidité, l’opacité et l’irresponsabilité des principaux acteurs financiers (banques d’affaires, compagnies d’assurances…). En dix ans, le géant Microsoft distribue ainsi grâce à son quasi-monopole technologique sur le monde plus de 200 milliards de dollars à ses actionnaires.

Imposé au monde à partir des années 1970/1980 par les États-Unis qui en sont les principaux bénéficiaires, ce nouveau régime d’accumulation définit alors une nouvelle phase historique de la mondialisation (cf. chap. 1 de Carroué, Géographie de la mondialisation, Armand Colin, 2002). C’est ce qui est en train de s’effondrer sous nos yeux. Au plan des États-Unis, la crise va directement coûter – et uniquement pour maintenir à flot le système financier – au moins 2 000 milliards de dollars, soit entre 10 et 14 % du PIB national, et au total au plan mondial entre 10 000 et 15 000 milliards de dollars. Les 700 milliards de dollars du Plan de Hank Paulson, qui visent à racheter en masse les créances immobilières pourries aux banques, vont être payés en bons du trésor, augmentant d’autant une dette publique déjà considérable. Rappelons au passage que Hank Paulson, qui donne son nom au fameux plan de sauvetage, est un ancien … de la banque d’affaires Goldman Sachs où il entre en 1974 et que sa fortune personnelle – grâce à ses activités financières – est évaluée à 600 millions de dollars. Au total, jamais dans l’histoire de l’Humanité nous n’avions assisté à une telle destruction de richesses dans un monde aux inégalités croissantes.

C’est ensuite et tout autant l’entrée en crise des fondements de la « révolution néoconservatrice et ultra-libérale » déployée à partir des années 1970 et généralisée dans la décennie 1980/ 1990 par les Républicains sous les présidences Reagan puis Bush père et fils. Elle refonde alors en profondeur l’État, la société, l’économie et les territoires avec un État allégé, une économie et une société de plus en plus financiarisées, une société riche mais duale, inégale et polarisée, la très difficile reconnaissance et affirmation d’une nation pluriethnique et multiculturelle… En particulier, une large partie des dispositifs de contrôle et de régulation mis en place par le Président Franklin Delano Roosevelt dans les années 1930 à la suite de la Crise de 1929 est supprimée. Au plan socio-économique, la révolution néoconservatrice se traduit par le fait que les ¾ de la richesse nouvelle créée aux États-Unis entre 2002 et 2006 sont accaparés par seulement 1 % des Américains les plus riches : en 2008, 10 % de la population concentre 50 % de la richesse nationale, soit une structure de pays en développement. En parallèle, les revenus médians des familles salariées reculent de 58 555 à 56 545 en dollars constants, soit un recul de 3,4 % du pouvoir d’achat réel. Au plan territorial, on assiste en particulier à une profonde refonte des grands équilibres internes avec les recompositions fonctionnelles de la Mégalopolis de la côte Est et la montée démographique, économique et géopolitique des Suds où trois États-pivots jouent un rôle majeur : la Floride, le Texas et la Californie. Dans ce champ d’études spécifiques, vous nous permettrez de renvoyer au chapitre 5 (Les États-Unis) des Amériques que nous venons de faire paraître (Carroué, Collet, Ruiz, Bréal, sept. 2008).

C’est enfin la crise plus générale de l’Imperium géopolitique et géostratégique états-unien (cf échecs irakien et afghan) qui seul permettait une telle domination économique et financière sur le reste du globe. De la lutte contre « l’axe du mal » aux invasions de l’Irak puis de l’Afghanistan, de la mobilisation et de l’extension de l’OTAN à une nouvelle stratégie d’endiguement de la Russie ou de l’Iran, toutes ces interventions se sont largement soldées par des échecs cuisants militaires, stratégiques et politiques, et par un rejet de plus en plus manifeste de cette arrogance en Asie, en Amérique latine ou au Proche et Moyen Orient.

On peut donc émettre l’hypothèse que la crise des subprimes marque non seulement la fin d’une certaine forme d’hégémonie états-unienne, mais qu’elle signe probablement en cette année 2008 la véritable entrée du monde dans le nouveau XXIème siècle. Et ce pour deux raisons.

Premièrement, ce sont bien les paradigmes mêmes – géopolitiques, idéologiques, économiques et commerciaux, militaires – de la puissance états-unienne qui sont à refonder sur des bases nouvelles. Dopés et semblant être validés par l’effondrement de l’Empire soviétique (cf la « Fin de l’histoire »), ils ont abouti au total à une terrible impasse. A l’effondrement de l’Empire russo-soviétique succède un tremblement de terre ébranlant en interne les bases mêmes de l’Empire états-unien.

Deuxièmement, c’est aussi la structuration des grands équilibres géopolitiques et géoéconomiques mondiaux construits dans les années 1980/1990 qui sont aujourd’hui à redéfinir et à refonder. Comme en témoignent le grand retour des États (nationalisations bancaires, socialisation des pertes…), la montée sans précédent des coopérations internationales entre gouvernements et Banques centrales pour tenter de juguler la crise financière, l’émergence d’un monde multipolaire à travers l’appel aux Fonds souverains d’Asie en développement ou du Golfe persique pour sauver un système financier occidental parfois à l’agonie.

Les fondements de la crise aux États-Unis : société, territoires et emboîtements d’échelles

La crise d’une économie d’endettement et d’insécurité sociale généralisée. On assiste d’abord à l’explosion des bases d’un modèle de croissance insoutenable car largement fondé sur une économie d’endettement, à la fois financiarisée, rentière et spéculative, sur une explosion des inégalités et sur une généralisation de l’insécurité sociale. En vingt ans, la dette totale est multipliée par 10,5 pour atteindre 47 700 milliards de dollars. En particulier du fait de deux secteurs qui sont responsables de 63 % de la dette totale : le secteur financier et les ménages, dont le taux d’épargne tombe à 1 % des revenus.

Surtout, 80 % de la dette des ménages ressort aux crédits immobiliers. Car dans cette société d’insécurité sociale, la possession d’un bien immobilier – pour l’essentiel la maison individuelle – est une assurance alors que 46 millions de personnes sont sans couverture médicale (16 % population) : elle est mise en gage pour l’achat d’une voiture, un prêt étudiant ou une grave opération médicale. Portée par une spéculation foncière et immobilière irrationnelle, les prix augmentent de 80% en six ans, la capacité d’endettement des ménages explose mécaniquement elle aussi puisqu’elle est gagée sur le prix des maisons. C’est ce château de cartes qui s’effondre sous nos yeux faisant basculer des dizaines de millions d’Américains dans l’inconnu. Pour beaucoup, l’American Way of Life est trahi et la puissance américaine bafouée. Selon l’économiste américain Nouriel Roubini, le recul – possible – de 30 % d’ici 2010 des prix de l’immobilier se traduirait par la perte nette de 6 600 milliards de valeur nette hypothécaires, soit un gigantesque processus d’appauvrissement des ménages et une extraordinaire menace pour un système financier déjà exsangue.

D’autant que face à la saturation du marché de la dette chez les classes moyennes, une innovation financière – les fameuses subprimes – sont créées pour toucher un nouveau marché : les plus pauvres… souvent pourtant insolvables et majoritairement noirs ou latinos. Si le capital mobilisé est somme toute assez faible, environ 1 700 milliards de dollars, ces dettes vont être « titrisées », c’est-à-dire transformées en produits financiers, qui vont infecter tous les circuits financiers. Le piège se referme sur les acteurs bancaires et les ménages quand fin 2006 le marché immobilier commence à se retourner et que les premiers défauts de paiement se produisent. On connaît la suite.

Une crise au cœur des territoires les plus dynamiques. On ne peut comprendre la profondeur de la crise financière, sociale et politique si on ne la réinscrit pas dans ses dimensions territoriales. Sont les plus touchés les États économiquement et démographiquement les plus dynamiques (Mégalopolis de la côte Est, grands lacs, Floride, Californie…), les 363 régions métropolitaines qui regroupent 84 % de la population et réalisent 90 % du PNB et prioritairement dans celles-ci les espaces périurbains dopés par l’Urban Sprawling qui regroupent 62 % de la population nationale totale. Entre l’été 2006 et l’été 2008, les prix immobiliers des vingt premières métropoles reculent de 20 % mais s’effondrent de 32 % à Miami et de 29 % Los Angeles. La consommation des ménages recule fortement alors qu’elle représente plus de 70 % du PIB entraînant un recul croissant du bâtiment, des biens d’équipement et de consommation (automobile, transport aérien, tourisme…) et une hausse du chômage avec la destruction de 600 000 emplois durant les huit premiers mois de 2008. En août 2008, on assiste à une rapide diffusion des impayés immobiliers à tout l’ouest du pays (Arizona, Utah, Nevada, Colorado), au sud (Géorgie), au Grands Lacs (Michigan, Ohio, Indiana, Illinois, Missouri) et au centre-est (Tennessee, Virginie, Caroline du Nord). Loin de concerner quelques ghettos noirs ou latinos, ce sont les bases territoriales et sociales de la révolution néo-conservatrice qui se retrouvent aujourd’hui au coeur de la tourmente alors que monte de la profondeur du pays une véritable révolte.

En retour, la pyramide de l’Empire financier états-unien tremble sur ses bases durant un an avant de s’effondrer totalement dans une crise systémique historiquement inédite durant l’été 2008. En un an, la capitalisation boursière perd 3 700 milliards de dollars (- 17 %) menaçant à terme… les Fonds de pension dont 40 % des avoirs sont placés en actions et tous les systèmes de retraite par capitalisation. On assiste à la quasi- disparition des cinq grandes banques d’affaires qui dominaient le monde dans les années 1990 (Bear Stearn, Merrill Lynch, Lehman Brothers…), à l’effondrement de grandes banques, à la faillite de caisses d’épargne… Le dispositif géographique international des firmes financières états-uniennes se rétracte fortement du fait des larges cessions d’actifs réalisées pour survivre ou du rachat par les firmes concurrentes européennes ou asiatiques de certains fleurons de banques en faillite en Europe, en Asie ou aux États-Unis mêmes. Enfin, le recul de Wall Street se traduit par un profond rééquilibrage des rapports de forces géoéconomiques mondiaux : entre janvier 2005 et août 2008, le poids relatif des États-Unis dans la capitalisation boursière mondiale recule de 44 % à 34 %, au profit de l’Europe et de l’Asie.

On peut cependant se demander en ce mois d’octobre 2008 si nous ne sommes pas au tout début d’un long processus cumulatif aux effets potentiels ravageurs tant les trous noirs de la finance américaine et mondiale sont nombreux et profonds. Quid en effet de l’avenir des fonds spéculatifs ou Hedges Funds qui gèrent 2 500 milliards de dollars, des produits dérivés se montant à 26 000 milliards de dollars ou des CDS (Credit Default Swap) instruments ultra spéculatifs mobilisant 62 000 milliards de dollars, soit le total des dépôts bancaires de la planète ? Trois géants financiers pour l’instant sauvés mais aux pieds d’argile possèdent ainsi une bonne partie des CDS : JP Morgan Chase, Citigroup et Bank of America.

De nouveaux enjeux de puissance dans un monde multipolaire

Dans ce cadre, l’approche géographique permet de mettre en lumière le rôle des échelles spatiales et des jeux d’acteurs.

Premièrement, cette crise invalide sous nos yeux la conception – si longtemps et largement diffusée – d’une sphère financière totalement globalisée, déconnectée des économies réelles et en fait déterritorialisée et dépolitisée. On ne rappellera sans doute jamais assez que tout capital, toute richesse doivent être produits par des agents et acteurs économiques dans un cadre juridique, sociétal et politique spécifique et national avant d’être drainée et mobilisée par le secteur financier. Comme on l’a vu, celui-ci opère dans des conditions elles mêmes spécifiques, définies aux États-Unis à l’échelle fédérale et des États fédérés. Car on ne rappellera jamais assez que le marché est d’abord et avant tout une construction… politique. Une approche économisciste étroite, modélisée à l’extrême et superficielle faisant fi ou niant les réalités territoriales débouche alors sur la cécité ou l’aveuglement dont on peut constater aujourd’hui les effets directs.

Deuxièmement, c’est bien la mobilisation d’outils géographiques comme les emboîtements d’échelles (local, régional, national, continental, mondial) et l’appel à la géographie sociale et urbaine, à la géographie économique et à la géopolitique qui permettent de décortiquer et de comprendre l’entrée dans une crise systémique à la fois de la permière puissance mondiale et du système financier international.

Troisièmement, on ne peut que constater et se féliciter du retour du politique – au sens large de polis – dont témoigne le retour de l’État et de l’État-nation, une échelle et un acteur si souvent présentés ces dernières décennies comme obsolètes, dépassés et sans levier d’intervention. C’est dans ce cadre que se posent bien évidemment la question de la redéfinition d’une échelle internationale de coopération, de coordination et de régulation et la question du rôle et de l’avenir d’organisations internationales comme le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC jusqu’ici largement dominées par l’Imperium états-unien et donc fonctionnellement en partie disqualifiées pour le moment par des politiques libérales si longtemps promues ces dernières décennies.

Quatrièmement, loin d’être mondiale, la crise financière et économique touche en priorité les États-Unis et l’Europe occidentale, dans une moindre mesure le Japon. Dans ces pays ce sont les banques les plus grisées par une financiarisation à outrance, les plus aveuglées par le mirage américain et les plus exposées du fait d’une présence de vastes filiales aux États-Unis qui sont les plus touchées (suisses UBS et Crédit suisse, français Dexia et Natixis, belgo-nééerlandais Fortis…). En septembre 2008, la moitié des pertes et recapitalisations de banques s’effectue aux États-Unis et 44 % en Europe occidentale du fait de très denses liens transatlantiques. Car malgré de nombreuses et puissantes interactions, la vision d’une planète financière totalement globalisée demeure un mythe.

En effet, cinquièmement, la crise témoigne des nouvelles relations d’interdépendance dans lesquelles se trouvent aujourd’hui enfermés les États-Unis dans le cadre d’un monde résolument multipolaire. L’Europe et surtout l’Asie, en particulier la Chine – qui détient pour 1 800 milliards de dollars de réserves de change majoritairement investis dans les Bons du trésor états-unien – le Japon et les Dragons, alimentent l’énorme dette américaine grâce à leurs surplus commerciaux. De même, l’appel en urgence dès l’automne 2007 aux Fonds souverains – dont 76 % des capitaux sont dans le Golfe persique ou dans l’Asie en développement – pour sauver les banques américaines en faillite bouscule les équilibres géoéconomiques et géopolitiques mondiaux. En novembre 2007, c’est dans le Palais saoudien du prince Al-Waleed que se négocie une prise de participation dans le capital de Citigroup – alors première banque américaine et mondiale – en échange de la tête de son PDG Chuck Prince. Le 15 mars 2008, le Ministère du trésor des États-Unis est contraint de signer un accord politique avec les gouvernements d’Abu Dhabi et de Singapour définissant un « code de bonne conduite » instaurant la séparation des intérêts commerciaux des Fonds souverains de ces États des intérêts géopolitiques de ces mêmes États. Quand on connaît la brutalité avec laquelle les États-Unis n’hésitèrent pas dans les années 1980 à imposer à de nombreux États du Sud des plans d’ajustement structurels via les organisations internationales citées plus haut, le renversement des rapports de force laisse songeur.

Dans ce contexte, sixièmement, on peut se demander à l’avenir si l’Imperium géopolitique et géostratégique états-unien dispose encore des ressorts internes – politiques, idéologiques et financiers – et d’une leadership externe suffisants pour assurer le maintien de son hégémonie mondiale dans sa forme la plus brutale et la plus exacerbée alors que la guerre en Irak coûte quelques 120 milliards de dollars par an. La refondation d’un pacte national novateur – économique, social et national – et la renégociation de son rôle international (maintien d’une logique hégémonique/ nouvelles coopérations multipolaires) sont les enjeux centraux des prochaines élections présidentielles et opposent frontalement les deux candidats.

Laurent Carroué

Afin de compléter le dossier et répondre à une actualité brûlante, voici une petite bibliographie indicative :

Publications de Laurent Carroué : 
–  L. Carroué : Les Images Economiques du Monde 2009 (Armand Colin) : dossier sur « la crise des subprimes : la fin de l’hégémonie américaine ? » (nombreuses cartes et croquis) et fiches Entreprises décortiquant tous les ans les jeux d’acteurs et les logiques sectorielles (finance, monnaies et dettes, banques et assurances, bourses et places financières). On y apprend ainsi pourquoi et comment l’an dernier la Bourse de Paris (Euronex) est devenue une filiale… de la bourse de New York.
–  L. Carroué, D. Collet et C. Ruiz : Les Amériques, Bréal, sortie sept. 2008 (en particulier chap. Les Etats-Unis, p. 183 à 234, qui présente une approche structurelle de longue durée expliquant la crise systémique actuelle avec de nombreuses cartes et croquis).
–  L. Carroué : « Fonds souverains et crise des subprimes : un nouvel enjeu de la guerre économique », in revue Diplomatie, n°34 de sept/ oct. 2008. (un dossier en zoom sur l’émergence de ces nouveaux acteurs avec cartes et statistiques)
–  L. Carroué : Géographie de la mondialisation, Armand Colin, 3em édition en 2007 (en particulier sur la géographie financière chap. 1 et 5. Étude en particulier de la géographie mondiale de deux grandes banques états-uniennes : Citigroup et Merrill Lynch)
–  L. Carroué : « Crise des subprimes, un nouveau foyer de guerre économique », Actes du Festival International de Géographie (FIG) de St Dié des Vosges, 2,3 ,4 et 5 octobre 2008. Un dossier réalisé à la mi-septembre 2008 volontairement assez lourd avec de très nombreuses cartes couleurs décortiquant les enjeux territoriaux de la crise à toutes les échelles de l’espace des Etats-Unis.

Autres :
–  T. Adrian & H.S. Shin : « Liquidité et contagion financière », Revue de la stabilité financière, Banque de France, n°11, février 2008, 7 p., disponible sur http://www.banque-de-france.fr/fr/p…
–  F. Chesnais : « La théorie du régime d’accumulation financiarisé », Forum de la régulation, Paris (octobre 2001), texte révisé et amplifié en 2002 disponible surhttp://www.france.attac.org/spip.ph…
–  G. Dorel : Atlas de l’Empire américain, Éditions Autrement, 2006.

Suite à la publication de l’article de Laurent Carroué, nous avons reçu la réaction suivante de Yves Montenay (docteur en géographie humaine, ancien DG d’une entreprise internationale). Elle n’engage que son auteur. (NDLR)

En tant qu’ancien directeur financier puis DG d’une multinationale conquérant tout les continents (j’exagère un peu) et qui a tourné géographe (économique et politique), j‘ai attaqué avec appétit l’article de Laurent Carroué. Mais je m’y suis vite trouvé en terre un peu étrangère. Certes j’adore discuter « des fondements de la révolution néo-conservatrice et ultra-libérale » et de leur contraire, mais c’est lors de doctes et sympathiques soirées. Certes, les analyses de la presse spécialisée, puis de la grande presse sont un peu confuses sur l’instant, comme chaque fois qu’arrive quelque chose de nouveau, mais peu de semaines après, on a bien compris et le problème (ou la fausse manœuvre) d’alors se simplifie ou est résolu. Certes pendant ces quelques semaines de nouveaux problèmes apparaissent, mais nos dirigeants ne sont que des humains, ex bons candidats aux élections, et non des champions omniscients.

De ma vie antérieure, je veux dire avant mon doctorat, lorsque je croupissais dans « l’ignorance et la barbarie », j’ai gardé quelques souvenirs de vie financière internationale et quelques proches industriels et banquiers. Ils sont confrontés à des problèmes dramatiques, très simples et très concrets et je ne pense pas qu’ils seraient allés jusqu’au bout de l’article. Ils ont rarement rencontré de libéraux (est ce que cela existe dans les affaires ?), un peu plus souvent des non libéraux « lobbygnant » à tour de bras pour défendre une noble cause que -bien sûr- servait leur entreprise et de beaux requins (qui a coulé et comment cette grande banque américaine, dont le non sauvetage -pourquoi ?- a affolé les déposants du monde entier ?). Ils ne sont pour ni contre la (re)réglementation, car tout dépend de quoi on parle concrètement : par exemple la déréglementation des normes comptables (enfin) lancée ce week-end est probablement une excellente chose.

Ils remarquent que l’on peut toujours payer et être payé, ce qui n’aurait plus été le cas depuis longtemps si nos responsables n’avaient rien fait, même si cela aurait pu être fait plus vite et mieux. Ils savent qu’un grand nombre des centaines de milliards dont on parle vont se compenser au fur et à mesure du redémarrage de la plomberie financière, le reste étant pris à moyen terme sur le niveau de vie des Américains qui redeviendra « normal » (et restera honorable). Leur plus grande crainte est que des penseurs ne poussent, avec l’appui de l’opinion, nos responsables à des « changements fondamentaux » dont l’histoire a montré le catastrophisme affameur et sanglant. Bref, ils préfèrent voir les dits responsables mettre les mains, même maladroitement, dans le cambouis, plutôt que de discuter « de fondements à changer » (Lesquels ? Comment ? En combien de temps ? Et en attendant ?)

Tous, par contre, pensent avec Laurent Carroué, que tout cela révèlera encore davantage l’érosion (et non l’écroulement) de la puissance américaine, ce que l’on sent venir assez naturellement depuis longtemps, et qui n’aura pas forcément que des conséquences agréables, une fois passé le moment de satisfaction de ceux qui se sentaient un peu bousculés ou humiliés.

Yves Montenay
15 octobre 2008