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La géographie en action. Une collaboration entre la science et le politique.

Sous la direction de Edith Mukakayumba et Jules Lamarre, La géographie en action. Une collaboration entre la science et le politique, Presses de l’Université du Québec, 2015, 247 p.

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Après avoir dirigé l’ouvrage La géographie en question (Armand Colin/Recherches, 2012), les deux géographes québécois, Edith Mukakayumba et Jules Lamarre, coordonnent cette fois-ci une nouvelle publication destinée à revaloriser l’approche globale en géographie en exploitant l’action de l’UGI (Union géographique internationale) en faveur d’un grand projet de l’ONU devant faire de l’année 2016 l’Année internationale pour une compréhension globale du monde (International Year for Global Understanding ou IYGU). Ce projet conçu et piloté par des géographes vise à expliquer pourquoi certains comportements individuels dits non durables sont en bonne partie responsables de phénomènes majeurs tels que les changements climatiques et l’approfondissement des inégalités sociales dans le monde. « Les promoteurs du projet espèrent convaincre d’abord des individus de changer leurs manières de faire lorsqu’elles seront éventuellement jugées non durables par les scientifiques, en souhaitant que les pouvoirs publics en viennent à les appuyer. » Ce nouvel ouvrage poursuit donc le combat des deux directeurs en faveur de la géographie comme discipline autonome de la connaissance mais entend militer aussi pour le retour de l’approche globale en géographie (et dans d’autres domaines) qui peut aider à mieux comprendre les grands problèmes de notre temps.

L’utilité de l’approche globale en géographie

Le débat sur l’importance de l’approche globale en géographie n’est pas nouveau. Avant les années 1960 il allait de soi que le fait géographique dépendait de causes multiples, tant humaines que physiques. Mais depuis les années 1960, les débuts de la spécialisation ont amorcé un processus de compartimentation de la géographie qui s’est accéléré au fil du temps pour déboucher dans certaines universités (notamment au Québec) sur la disparition de la géographie en tant que discipline de synthèse.

Dans la première partie de l’ouvrage plusieurs chercheurs se penchent sur l’approche globale pour montrer ce qui la rend encore utile.

Tout d’abord Laurent Deshaies propose une utile introduction à la géographie en montrant comment celle-ci a envisagé l’approche globale durant son évolution historique. Pour lui, la géographie a pour objet l’étude des sociétés dans leurs rapports aux territoires. Mais il ne nous convainc pas quand il tente de distinguer ce qu’il appelle une vision globale et l’approche globale, sa démonstration manque pour le moins de clarté.

De son côté, Christian Morissonneau définit la géographie comme la science des régions en rappelant que « la relation au territoire local ou régional est fondamentale dans l’expérience d’habiter le monde ». Et d’affirmer que « la région est notre dernière chance comme pratique, pour l’homme de métier et le citoyen, et la dernière chance contre le nivellement ». Là encore, nous n’avons perçu aucune démonstration argumentée de cette conviction pourtant assénée avec force.

Enfin, le troisième contributeur de cette première partie, Yannick Brun-Picard, pense que le morcellement passé de la géographie serait paradoxalement responsable du nouvel intérêt pour la géographie globale. En proposant comme objet de la géographie l’étude de l’interface humanité/espaces terrestres, il voit là un outil pour la pratique d’une géographie globale indispensable pour mieux comprendre le monde actuel. Soyons franc, cette affirmation ne nous semble pas d’une grande nouveauté, elle a au moins le mérite de rappeler une évidence.

Au total, la première partie de l’ouvrage propose certes quelques réflexions intéressantes sur la géographie mais nous laisse sur notre faim quand il s’agit d’expliquer – précisément et concrètement – l’intérêt de l’approche globale de la discipline.

L’approche globale et les organisations internationales

La deuxième partie du livre vise à montrer que de grands organismes internationaux – regroupements de scientifiques, Etats, organisations supranationales – « cautionnent dorénavant le recours à la vision globale du monde parce qu’elle seule permettrait de le comprendre ». Et d’évoquer le rôle du Rwanda, de l’UGI, de l’UNESCO et de l’Assemblée générale des Nations Unies pour proclamer en 2016 une Année internationale pour une compréhension globale du monde (IYGU).

Selon Ronald F. Abler, président sortant de l’Union géographique internationale (UGI), les géographes, habitués à mettre en commun des connaissances complémentaires pour comprendre les faits géographiques, étaient « prédisposés à jouer le rôle de porteurs d’un tel projet ambitieux ».

Un autre contributeur, Gordon McBean, scientifique spécialiste des questions d’environnement et co-lauréat du Prix Nobel de la paix en 2007, montre comment le recours à l’approche globale a permis d’étudier les changements environnementaux depuis un demi-siècle. Il rappelle que de nombreux organismes internationaux ont joué un rôle décisif dans l’objectif de compréhension globale du monde, par exemple en soutenant le programme Future Earth (Terre d’avenir) qui, dès le départ, est en lien étroit avec le projet de l’IYGU.

Pour Jules Lamarre, « l’IYGU pourrait être l’occasion d’une prise de conscience nécessaire des limites de l’action de nos gouvernements, tout autant que de celles d’individus isolés, pour régler des problèmes de nature globale. »

La mise en œuvre de l’approche globale

La troisième partie de l’ouvrage regroupe trois études de cas qui illustrent la nécessité de recourir à l’étude globale pour comprendre les situations étudiées, non seulement dans le domaine de la géographie mais aussi en matière de sciences politiques.

Ainsi, Geneviève Parent se propose de comprendre ce qu’elle appelle la « zone grise » qu’elle définit comme « l’espace créé par la mise en place, sous la surveillance d’instances internationales, de processus de paix dans le cadre desquels on présume que des populations diverses et profondément divisées peuvent en venir à collaborer ». Son texte s’appuie principalement sur une documentation recueillie en Bosnie-Herzégovine. La gouvernance de la zone grise dépend d’un système où interviennent trois groupes d’acteurs : les instances internationales, les dirigeants et les élites, les populations locales. La chercheuse plaide pour une participation active des citoyens ordinaires sur la base de projets communs qui auraient un rôle positif dans la solution aux problèmes et dans la consolidation de la paix.

A notre avis, le texte écrit par le géographe Allen J. Scott est l’un des meilleurs de l’ouvrage. Son titre « Une option face à l’échec néolibéral. La place des villes dites de la troisième vague » fait allusion à la troisième phase historique du développement capitaliste et de l’urbanisation qui commence à émerger après la crise du système fordiste des années 1970 et que l’on définit souvent par le « capitalisme cognitif et culturel », surtout associé aux grandes villes-régions mondiales, non seulement du Nord développé, mais aussi et de plus en plus du Sud en développement. L’auteur soutient qu’aujourd’hui la mondialisation du « capitalisme cognitif et culturel » anime le changement urbain dans un contexte de régulation néolibérale « qui ne cesse de cumuler les échecs à toutes les échelles géographiques ». Ce qui amène l’auteur à penser que la nécessité d’une nouvelle donne est pressante, en particulier pour réaliser trois tâches urgentes : « le renforcement efficace des institutions propres à soutenir les besoins de l’action collective de la nouvelle économie, la restructuration de l’équité distributive et la réhabilitation de la vie communautaire ».

Connecter le scientifique et le politique

Le projet de l’IYGU comporte trois volets, un premier volet de recherche pour identifier les « meilleures pratiques » devant remplacer les pratiques jugées néfastes pour l’environnement et pour le devenir des sociétés, un second volet d’éducation et de formation pour assurer la diffusion des résultats des travaux des chercheurs, et un troisième volet marqué par l’intervention du politique pour faciliter l’application des recommandations des chercheurs. Pour les coordonnateurs de l’ouvrage, « seul le retour du communautaire pourra nous libérer du néolibéralisme ambiant qui confine à l’immobilisme tout en empêchant l’émergence du citoyen ». Dans cette perspective, la géographie a un rôle à jouer « en aidant à repérer et à étudier comment divers types de mouvements communautaires prennent forme ici et là, pourquoi et avec quels moyens, à quels obstacles ils se heurtent, comment ils étendent leurs ramifications, quels sont leurs apports et comment on peut soutenir leur expansion partout dans le monde. »

Que penser d’un tel ouvrage ? Insistons sur son utilité :

Daniel Oster, juillet 2015