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La pax sinisensa

Le mercredi 29 novembre 2017, s’est tenu à la Maison de la Mutualité un colloque intitulé « Les Nouvelles Routes de la Soie ». Il était organisé par l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et l’Ambassade de Chine. Le petit texte ci-dessous n’est pas un compte rendu des communications qui y ont été données, mais une réaction subjective à quelques propos entendus.

Détail d’une carte nautique catalane représentant l’Asie du XIIIe siècle, Majorque, 1375, Bibliothèque Nationale de France, Paris (www.lemonde.fr)

Les villes historiques de Mésopotamie sont détruites  les unes après les autres par des bombes, des massacres ethniques ravagent le sud-Soudan, la menace nucléaire est régulièrement brandie par la Corée du Nord….Face au chaos du monde, l’ONU n’émet que quelques timides recommandations et les objurgations des Grandes Puissances restent vaines. Faut-il désespérer ?

Non. Une solution existe. C’est le « remède chinois ». Après la  Pax romana, limitée au monde méditerranéen, et la  Pax americana  qui voulut imposer un ordre mondial à son profit,  la  Pax sinisensa  va rééquilibrer la mondialisation économique, défendre le multilatéralisme et construire les infrastructures dont le manque est un « piège à pauvreté ». Quelques grands principes chinois encadrent ce beau programme dont le « dialogue politique », l’« esprit de construction », le « gagnant-gagnant », la « consultation »…L’ « esprit inclusif » (savoir dialoguer) des Chinois devrait rassurer tous ceux qui émettraient  quelques inquiétudes à l’encontre des intentions chinoises.

Les intervenants ont cité de nombreux exemples des échanges déjà pratiqués entre la Chine et les pays de l’UE, particulièrement la France : étudiants, chercheurs, touristes (des millions de visiteurs par jour). Pour Airbus la Chine est le premier marché mondial et une photo nous a rappelé le goût nouveau mais croissant des Chinois pour les produits du terroir comme les vins et les fromages.

Mais qu’en est-il des  « routes de la soie » (ou « belt and roads » comme disent les non-francophones) dont le nom avait aiguisé notre curiosité ? Quels chemins empruntent-elles ?

Et bien ces « routes » ne sont ni des voies ferroviaires, ni des voies routières ou maritimes…ni même la voie du tao. Il s’agit d’un concept.

A une question naïve d’une éminente géographe s’étonnant de l’absence de carte, il fut répondu par un discret signe négatif de la part du modérateur français et par une affirmation enthousiaste de l’intervenant chinois selon lequel la carte « tue l’imagination ». Stupéfaction et consternation.

Combien d’entre nous ont rêvé sur les mappemondes illustrées de lourdes caravanes traversant les déserts et de monstres marins hantant les océans, sur les cartes joliment coloriées de Vidal de la Blache. Combien d’entre nous aimons jouer avec les cartes interactives que propose Internet.

Mais nous ne saurons rien des plateaux traversés, de fleuves franchis, des villes-étapes. Certes les chameliers n’y ont plus leur place, mais nous aurions aimé suivre le passage des conteneurs chargés de produits électroniques.

Un espace revient constamment dans les interventions, l’Afrique. Les routes de la soie traversent l’Afrique. Mais quelle Afrique ? Où ? L’Afrique sahélienne? Celle des Grands Lacs ? Les rivages du Maghreb ? Ni la grande base navale inaugurée depuis peu à Djibouti, ni les millions d’hectares de terres arables achetées en Tanzanie, Sierra Leone et au Sénégal ne sont mentionnés. L’Afrique serait-elle aussi un concept ?

Les voies de commerce ont toujours permis la transmission des cultures. A l’UNESCO, on a classé les « Routes de la soie » dans les dossiers de protection du patrimoine. Le représentant de la France évoque des monuments, des oasis, des étapes caravanières, des pratiques sociales…sans les localiser. Les quelques exemples cités se trouvent en Europe occidentale, comme le vignoble bourguignon que l’on ne rattache pas spontanément à une route de la soie.

Pourtant ces routes doivent pouvoir être repérées. Pour en faire des voies de lumière, un haut fonctionnaire français propose qu’elles soient équipées par nos meilleurs artistes, d’installations électriques particulièrement bienvenues chez « les peuples qui vivent la nuit » (qui sont-ils ?). S’agirait-il d’installer des boites de nuit en plein air avec lumières stroboscopiques, ce qui serait du meilleur effet sur les clichés que prendrait Thomas Pesquet lors d’un de ses futurs voyages dans l’espace ?

A l’écoute du Directeur de l’Institut français qui insiste sur la place grandissante de la culture française en Chine, nous nous réjouissons que nos amis de l’ « Empire du Milieu » puissent se délecter de l’ironie voltairienne, de la colère hugolienne ou de la fantaisie surréaliste. Vision sans doute trop élitiste. L’acmé de la culture française à Pékin – nous dit-on à plusieurs reprises -, c‘est Sophie Marceau chantant « La vie en rose » d’Edith Piaf.

A la sortie du colloque, le géographe est frustré : les « Routes de la soie » n’ont été ni localisées, ni nommées, ni décrites. L’historien l’est tout autant : rien n’est dit sur l’origine de ces routes et leurs vicissitudes au cours du temps. Mais grâce à ce qui a été dit et non dit, nous avons beaucoup appris sur la Chine d’aujourd’hui.

P.S. : A tous les nostalgiques des « vieilles » routes de la soie, on peut conseiller une visite au Musée Guimet où les mingqi (objets funéraires) de chameaux lourdement bâtés et de caravaniers barbus et bottés rappellent la traversée du Turkestan, de l’Afghanistan et de la Perse lors du premier millénaire de notre ère.

Michèle Vignaux