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La Science de l’Eau est-elle la même partout ?

Compte-Rendu du café-géo réalisé le mardi 13 mai 2014 à Albi

La Science de l’Eau est-elle la même partout ? (Réflexion à partir de programmes de recherche sur le Rhône et la Seine)

Présentation par Gabrielle Bouleau, Ingénieure-chercheuse en Sociologie politique au Cemagref—Irstea ADER de Bordeaux

Ce café géo s’inscrit dans le cadre du séminaire épistémologique et théorique du laboratoire GEODE et de l’axe PPES : « Approche relationnelle et Political ecology. Enjeux pour une géographie de l’environnement et du pouvoir », 13 et 14 mai 2014, Albi.

Présentation de la problématique :

On nous enseigne que la composition chimique d’H2O et le cycle de l’eau (évaporation, précipitation, ruissellement et infiltration) sont universels. En est-il de même de toutes les sciences de l’eau ? Est-ce que ce qu’on appelle « eau » est la même chose partout ? Est-ce que ceux qui se présentent comme spécialistes de l’eau la définissent tous de la même façon ? Au-delà des cloisonnements disciplinaires liés à des formes d’eau qui sont reconnues comme très différentes (glaciologie, océanographie, limnologie, …) il existe aussi des traditions régionales dans la manière d’étudier les cours d’eau qui sont rarement explicitées. Quand on essaie de comprendre pourquoi la recherche sur le Rhône a plus exploré le fonctionnement des bras morts que ne l’ont fait les chercheurs sur la Seine, on se rend compte que l’histoire politique de ces fleuves a aussi influencé la manière dont on les a étudiés. La science est produite par des hommes et des femmes qui sont sensibles aux paysages et aux enjeux sociaux de leur temps. Le sens qu’ils donnent à leurs recherches n’est pas uniquement académique. Ce que l’on sait des fleuves dépend des personnes qui se sont passionnées pour eux. Ces passions sont parfois électives. Les résultats de recherche sur l’eau sont souvent des résultats de recherche sur des eaux particulières. Or ces particularités ne sont pas données une fois pour toutes. Elles dépendent des riverains qui se mobilisent pour défendre une autre vision de l’eau dans leur région. L’histoire des mobilisations sur la Seine et le Rhône rend ainsi compte du rôle des riverains dans la construction locale de la science de l’eau et de la manière dont celle-ci influence les politiques publiques qui y sont menées.

Compte-rendu :

Compte-rendu réalisé par Tomás GUARISCO, étudiant en licence d’histoire au Centre universitaire J.F.Champollion, sous la direction de Thibault COURCELLE et Mathieu VIDAL, enseignants-chercheurs, co-animateurs des Cafés Géo d’Albi.

Eléments de la présentation :

L’approche globale de l’eau, une approche récente        

Nous avons une approche globale de l’eau même si, comme le montre l’histoire, l’humain n’a pas toujours considéré que l’eau était la même partout. Ca a pu être un crime de mélanger les eaux parce que chacune avait une « personnalité » différente en fonction du chemin qu’elle avait parcouru. A certaines époques on a cru que l’eau des sources venait de la mer et passait par des souterrains où au voisinage du feu de l’enfer l’eau perdait son sel et jaillissait douce ensuite.

Au XVIIe siècle, on s’est rendu compte via les mathématiques et la quantification que l’on effectuait dans des zones aux nombreux cours d’eau que l’eau de pluie suffisait en quantité à expliquer l’essentiel des débits des rivières. C’était bien de l’eau de mer qui, évaporée, retombait dans les montagnes et circulait par les sources, alors qu’on avait pensé que la quantité d’eau qui tombait était très superficielle.

A  Dijon, Pierre Perrault (1611-1680) hydrologue français, a pu démontrer que la quantité d’eau qui tombait dans un bassin fluvial durant une année était six fois supérieur au rendement d’une rivière, cela démontrait bien que l’évaporation pouvait bien être LA source.

Ce n’est vraiment qu’au XVIIIe, siècle par l’étude de la composition de l’eau (celle-ci contient deux atomes d’hydrogènes et un d’oxygène) que l’Homme a pu déduire que différente sources d’eau avaient la même structure chimique, ainsi l’eau était la même partout car elle provenait d’un cycle hors-contexte (c’est à dire dans son milieu naturel loin de l’activité humaine ou de ses interventions sur celui-ci).

cycle-de-l-eau

L’eau dans ses différents contextes

L’Homme et ses activités, ses villes et les barrages qu’il façonne, contribuent à modifier l’utilisation de l’eau et parfois sa composition (via son traitement et l’utilisation de produits en vue de la purifier pour répondre à la demande dans les grands centres urbains par exemple).

Le cycle universel d’H2O masque la complexification du paysage de par les activités humaines. Plus on dérive les eaux, moins le cycle ressemble à un cycle. Cela entraîne l’émergence de « plusieurs eaux » avec différentes formes, appropriations particulières et destinées à des usages particuliers en adéquation avec les activités humaines du moment. Elle acquiert tout de même une valeur universelle car elle est vitale pour l’homme.

Il y a, par conséquent apparition de contingences. Certaines de ces contingences vont avoir une signification politique qui peut orienter les politiques de la recherche et le travail scientifique.

En 1979, le CNRS s’associe avec le ministère de l’environnement pour lancer un Programme Interdisciplinaire de Recherches sur l’ENvironnement (PIREN) sur différents thèmes et notamment sur les grands fleuves.

Il y eut un PIREN Garonne, un sur la Seine, un autre sur le Rhône. Ceci débute dans le contexte des chocs pétroliers qui ont sévit en 1973 et 1979. Ce fut une opportunité pour relancer le nucléaire civil (qui eut un développement exponentiel) au nom de l’autonomie énergétique. Des barrages hydroélectriques ont été relancés par cette opportunité car ils permettaient de réguler plus facilement la production pour permettre de répondre aux besoins de la population qui était caractérisée de pics et de creux de consommation.

Suite à ces événements, le Ministère de l’environnement perçoit qu’une vague d’artificialisation déferle, il convoque le CNRS pour demander son avis concernant le barrage.

L’exemple du Rhône.

Comme l’État relance la construction de barrages dans le Rhône, l’opportunité des PIREN grands fleuves est saisie par les chercheurs de l’Université de Lyon I dont certains étaient engagés de manière militante contre les grands barrages. La Loi de 1976 obligeait les constructeurs de grands barrages à faire des études d’impact. La CNR (Compagnie Nationale du Rhône) donnait de l’argent à une association d’étudiants du laboratoire de l’Université de Lyon I pour faire des études d’impact (car ça pouvait entraîner des pertes au niveau de la biodiversité). Le laboratoire récupérait des données pour en tirer des conclusions scientifiques. Leurs résultats démontrèrent scientifiquement ce qu’ils défendaient aussi du point de vue scientifique : les barrages allaient affectés de manière très importante un fonctionnement séculaire fait d’interaction entre le fleuve, les bras morts, la nappe, les différentes espèces animales et végétales etc. On voit à travers cet exemple comment les contingences liées au chemin de l’eau et la manière dont la société se dispute sur ce chemin créent des opportunités de recherche. Mais il n’y a rien de déterministe. Ici c’est le constructeur « pro-barrage » qui est obligé de payer des études d’impact qui finance indirectement les arguments qui lui seront opposés.

Le Rhône est, à lui seul, le fleuve le plus nucléarisé avec de très nombreux barrages. Pour une bonne part, ces barrages ont été érigés entre 1945 et 1970 et financés largement par la politique de reconstruction de l’Europe à travers le Plan Marshall. Ils ont été implantés dans les zones considérées comme les plus rentables par la présence de nombreuses chutes d’eau importantes. L’énergie gagnée étant proportionnelle à la hauteur de chute; ces constructions seront relativement bien acceptées par la population des trente glorieuses qui souhaite consommer. Néanmoins à cette époque, la consommation ne justifie pas que la CNR équipe le nord de Lyon parce que les hauteurs de chute ne sont pas très élevées.

La CNR revient dans les années 70 avec l’idée de faire des barrages de Lyon à Genève comme celui de Chautagne, de Belley, de Brégnier-Cordon ou encore de Sault-Brenaz, c’est donc un boom de la construction.

Le Rhône devenait le symbole d’une France renouvelée car équipée. Par ailleurs le Rhône dit « sauvage » devenait aussi l’idéal à protéger des militants antinucléaires et des citadins lyonnais. C’est de là qu’a émergé le concept « d’espace de liberté ». Il devint aussi un espace d’échantillonnage.

L’eau devint un enjeu politique à travers la science qui cherchait les effets négatifs des barrages pour protéger les espaces verts. Effectivement, le fait de faire des barrages allait modifier les crues. Prouver ces causalités de manière scientifique serait un argument dans la lutte politique pour limiter l’aménagement afin de préserver les paysages (façonnés par les crues).

La phytosociologie (l’étude des plantes remaniées par des crues, les relevés botaniques) a permis d’expliquer que la présence de variétés ou d’espèces était due à l’absence de barrage, à un type d’eau plus bénéfique à ces plantes. Une communauté politique hostile aux barrages s’est également créée réunissant des personnes possédant une parcelle, une propriété, ou bien attachés à des paysages menacés par la construction d’un barrage ou d’une digue. Pour autant, tous les chercheurs n’étaient pas militants, distinguant la part de politique de la recherche scientifique même si cela a pu faire naître des opportunités politiques qui étaient absentes auparavant.

Le travail de quantification des scientifiques a été repris dans la négociation des barrages qui devaient délivrer tant de débit d’eau de sorte de ne pas endommager des espèces botaniques. Ces exigences ont pesé dans l’annulation du projet de Loyettes qui du coup n’était plus assez rentable, c’était une victoire politique des écologistes.

Le PIREN a forgé la notion « d’hydro-système » qui est un écosystème modelé par les crues, ces dernières étant déterminantes. Les scientifiques sont allés chercher dans plusieurs disciplines via la géographie, la biologie ou encore l’histoire des connaissances permettant de dater la présence des plantes, d’expliquer le fonctionnement écologique de zones humides et donc de quantifier les risques des barrages sur la biodiversité.

barrages-rhone

 

L’exemple de la Seine.

Les enjeux ne sont pas les mêmes, la Seine est beaucoup plus aménagée avec plus d’habitants.

En 1979, à la demande du CNRS et du Ministère de l’environnement, les chercheurs ne s’en sont pas préoccupés. Ils n’ont pas monté d’équipe d’étude PIREN de la Seine. Ce n’est qu’en 1989 qu’ils se sont penchés dessus, lorsque le délégué de bassin, Jean Brachet, qui, auprès du préfet de région, s’occupait des affaires traitant de l’eau, est allé chercher les scientifiques car il existait un problème qui nécessitait leur participation. Après plusieurs années d’austérité imposées aux agences de l’eau, ces organismes qui ont prélèvent des redevances sur les consommations/pollutions des habitants, venaient d’obtenir de Michel Rocard l’autorisation d’augmenter ces redevances pour financer des stations d’épuration que les nouvelles directives européennes allaient rendre nécessaires.

La station d’épuration d’Achères

La station d’épuration d’Achères

La pollution de Paris allait à l’époque jusqu’à Rouen. Elle était acheminée par un réseau gravitaire qui court-circuitait les méandres de la Seine afin d’évacuer la fange jusqu’à une station d’épuration (Achères) en aval de Paris qui s’avérait insuffisante. Michel Rocard ne voulait pas une augmentation de la station d’épuration d’Achères car les odeurs impactaient la ville dont il avait été maire. Sans cette solution « facile », il fallait repenser tout le schéma d’assainissement de l’agglomération parisienne et pour avoir de nouvelles idées les responsables politiques trouvèrent intéressants de financer de la recherche. C’est un autre exemple qui montre l’influence « politicienne » sur un thème écologique.

Le PIREN Seine a consisté à étudié les questions d’eutrophisation et de pollution modélisées par les catégories du carbone, du phosphore, du silicium et la manière dont ces éléments conditionnent la prolifération des algues en fonction du développement des autres compartiments trophiques et de paramètres physiques (débits, température).

Le PIREN Seine a permis de redistribuer les stations d’épuration sur le bassin, ainsi, le problème a changé de voie. Au XIXe siècle, le problème selon Haussman résidait en la question de pouvoir alimenter correctement la ville de Paris en eau et d’évacuer les déchets de manière gravitaire. L’agronomie et l’hydraulique ont été utilisées à cet objectif. Le PIREN a permis un autre cadrage en montrant que la Seine pouvait être représentée comme un grand bioréacteur, il y a donc eu une « recatégorisation ». Le PIREN Seine a produit des catégories permettant de relativiser Achères au sein d’un schéma plus large. A l’inverse, le PIREN du Rhône a mis en évidence des spécificités dans la confluence de l’Ain et du Rhône qui rendent cet espace irremplaçable.

En conclusion.

Ce que l’on sait des fleuves ne provient pas toujours finalement de ce que nous transmet la science de façon impersonnelle et donc à une échelle universelle. On acquiert aussi du savoir par l’intermédiaire des personnes qui se sont spécialisées sur ce fleuve et qui sont plus aptes à en parler. Ce sont des résultats particuliers et non des données intangibles, inaltérables comme l’on pourrait le penser. Ces données dépendent donc majoritairement des études de cas par des personnes qui se mobilisent comme les riverains ou les sociologues politiques.

Eléments du débat :

Étudiant (Master Gestion Sociale de l’Environnement et valorisation des ressources territoriales) : Lors de votre exposé, une question évidente se pose : y a-t-il une ou des sciences ? Cela se montre bien à travers le conflit qui résidait entre les botanistes sur la manière d’étudier les plantes par exemple. Cela peut donc prendre une tournure politique pour des choses appliquées ou des projets bien précis. Il y a donc une part de politique citoyenne face à une politique professionnelle aux intérêts propres basée sur les grands courants de pensée. Qu’en pensez-vous ?

Gabrielle Bouleau : Je pense que le débat de professionnels dont vous parlez n’est pas si loin des questions citoyennes, car voir l’écologie en termes fonctionnels signifie que l’on va coder les espèces avec des catégories qui sont plus larges que celles du PIREN car ce dernier a fait -ici- des catégories qui n’ont pas pu être transposées à d’autres fleuves, qui étaient très particulières dans le cas du fonctionnement du Rhône. Ceci a été un des problèmes des chercheurs du PIREN Rhône de ne pas avoir pu monter en échelle, car cela leur aurait donné plus de reconnaissance scientifique et plus de pouvoir pour orienter les recherches futures. En hydrobiologie les connaissances mobilisent à la fois des savoirs très généraux, comme l’écologie fonctionnelle qui peut s’appliquer partout en Europe et des spécificités comme les indicateurs développés par chaque nation qui résultent de l’histoire.

Ce n’est que lorsqu’on adopte un langage commun à plusieurs pays que l’on peut faire des projets internationaux avec d’autres chercheurs. Mais il  y a fort à parier que les connaissances ainsi produites ne permettront pas de défendre des spécificités nationales.

Je pense que les catégories sémantiques produites dans la science sont vites appropriées par la société qui en fait une affaire politique. Ainsi, les chercheurs sont financés parce que cela du sens pour au moins une partie  de la société. A l’inverse, une personne produisant des catégories qui n’ont pas de sens pour la société, aurait du mal à faire financer ses recherches. Il y a plusieurs manières de découper le réel.

Anonyme : Votre analyse dit que la science dans son analyse conjoncturelle, contextualisée, sert donc la politique. Quelles sont les leçons que l’on peut retirer de votre analyse pour ce que nous faisons dans la recherche?

Gabrielle Bouleau : La leçon est que la science est politique car elle crée des mots et des catégories. Si l’on en est conscient il faut savoir quelle est la conséquence de la création d’une catégorie. Pour moi, cela met en équivalence ou disjoint. Exemple : soit l’on dit que la Seine est un réacteur biochimique dont le processus est le même partout et cela crée une communauté de gens qui sont solidaires de l’oxygène qui réside dans la Seine c’est donc une mise en équivalence ; soit, au contraire, ce n’est pas équivalent, le haut-Rhône est différent du bas-Rhône et cela entraîne la création d’une communauté politique distincte. Voilà les conséquences. Il faut donc voir si des gens tiennent à ces catégories.

Anonyme : Est-ce que tout polito-écologiste ne doit pas être un peu épistémologue, philosophe ou sociologue des sciences ?

Gabrielle Bouleau : Je pense que la science sur l’écologie n’est pas neutre parce qu’elle produit des catégories potentiellement politiques et qu’il faut avoir un regard critique sur elles : une catégorie qui me conforte dans mes opinions ou une autre qui prône le contraire aura des impacts différents. Les journalistes font aussi des catégories, on ne peut les laisser de côté car elles ont un rôle. La science qui se croit hors de la société n’est pas la seule coupable.

Thibault Courcelle (MCF en géographie au Centre universitaire d’Albi) : Comment réagissent les chercheurs à vos travaux, lorsque vous leur montrez leurs propres représentations, que vous montrez l’influence de la culture régionale ou de l’Homme dans la recherche ?

Gabrielle Bouleau : Effectivement, cela peut être conflictuel. Il faut une sociologie qui ne soit pas en surplomb. Quand je dis que la science est politique, je dis aussi qu’elle peut l’être à son corps défendant. Si l’on pouvait démontrer que le PIREN Seine a entretenu des inégalités, imputer ça au chercheur serait vraiment injuste, car je pense que, par ailleurs, certains étaient probablement impliqués dans des mouvements politiques où ils dénonçaient ces inégalités. Les gens du PIREN Seine n’avaient pas la volonté de renforcer des pouvoirs. Ils voulaient servir l’intérêt général.  Il ne faut pas prêter des intentionnalités.

Ils ont besoin de moi pour étudier les appropriations politiques et moi d’eux pour les catégories, c’est un champ interdisciplinaire où il faut se garder de tout jugement sur les collègues.

Anonyme : Sans forcément porter de jugement, la restriction des catégories est une question de conscience et de recul par rapport à soi, c’est une démarche politique peut-être inconsciente, mais qui reste militante tout de même. Qu’en pensez-vous ?

Gabrielle Bouleau : Avant, j’ai travaillé dans un service de l’État où l’on avait des fonds européens que l’on devait distribuer à des collectivités rurales pour leur développement, c’était le FEDER. On cherchait des porteurs de projets qui nous permettraient de dépenser le budget afin de rentrer dans les catégories de financement définies par la région et l’Europe.

On a donc fait des aménagements fonciers, des travaux d’assainissement, des réseaux d’eau potable des déchetteries…

Puis des remontrances sont venues d’une représentante de l’Union européenne car les fonds européens ne devaient pas entretenir de distorsions entre hommes et femmes, sur des critères ethniques…etc

Sur le moment, je ne trouvais pas d’où venait le problème, mais mon erreur provenait du fait que c’est en finançant du génie civil que l’on finance des emplois majoritairement masculins. Je pense que l’on peut essayer de rester impartial, apolitique mais comme le disiez, cela peut être inconscient.

Anonyme : Comment – par votre analyse – pouvons-nous déstabiliser le dogme des sciences politiques qui est celui de sciences dénaturalisées, pour réaffirmer que la conceptualisation est importante dans le processus de politisation ?

Gabrielle Bouleau : Je pense qu’effectivement, l’enjeu est de convaincre le dogme, l’institution des disciplines, car la société est convaincue que la nature c’est important. Aujourd’hui, les étudiants en sciences politiques qui se spécialisent sur l’environnement ont des difficultés à faire carrière, cela n’est pas admis, reconnu par le dogme. Mon travail est de dénoncer ça, que ce soit reconnu par l’institution pour qu’ensuite lorsque j’encadrerai des thésards, ils aient la possibilité de faire carrière derrière.

Anonyme : Vous avez évoqué la notion « d’espace de liberté » lors de votre exposé, pouvez-vous développer et nous dire les évolutions actuelles dans vos recherches ?

Gabrielle Bouleau : Pour l’instant, je ne travaille pas empiriquement dessus, je ne l’ai évoqué que brièvement à travers les exemples du Rhône et de la Seine. Ces espaces sont le fruit des crues. Le fleuve sort de son lit et ce processus entraîne des changements de paysage et contribuent à la biodiversité. C’est l’idée du PIREN Rhône. Dans cette expression les chercheurs voulaient parler d’une liberté pour la rivière. Ces espaces naissent et meurent. Préserver l’espace de liberté de la rivière signifie aménager et prévoir des politiques publiques qui permettent au fleuve de déborder : ça peut passer par l’acquisition des terrains ou bien un système d’assurance des gens qui vivent près des fleuves et qui subissent des désagréments provoqués lors des crues. Un tel espace de liberté pour le cours d’eau permet plus de biodiversité sur les berges et parmi les poissons.  C’est à nouveau un acte politique.