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L’Amérique centrale l’est-elle vraiment ?

68ème café de géographie de Mulhouse
Jeudi 28 novembre 2011
Lucile Medina, UMR ART-Dév, Université de Montpellier 3

Quelle est la centralité de l’Amérique centrale ? A part sa position géographique, la question se pose vraiment.  La géopolitique et l’économie peuvent aider à y répondre.

Il faut tenir compte de deux dimensions :
– La dimension longitudinale : l’Amérique centrale est-elle un lien entre le Nord et le Sud du continent ? Est-elle une charnière ?
– La dimension transversale : sa centralité à l’échelle mondiale avec  Panama à la centralité d’échanges mondiaux.

L’isthme est cependant le « ventre mou » du continent avec 40 millions habitants, 500 000 km² fragmentés en 7 Etats. Des paysages différents, un relief morcelé avec une cordillère centrale. Pour Alain Musset, c’est une mosaïque de petits mondes. L’Amérique centrale est mal connue ou partiellement comme « région chaude », affectée par des séismes, le volcanisme, des cyclones, des inondations. Un climat politique longtemps délétère : les Sandinistes, les guérillas etc..

Néanmoins, l’Amérique centrale est un ensemble original qui s’étend géographiquement de l’isthme de Tehuantepec à celui de Panama. Elle se rattache à la Méso Amérique et à l’Amérique du Sud.

On a peu de publications en français (et même en espagnol et en anglais) sur cet espace. Alain Musset en 1994, a publié « Amérique centrale et Antilles ». Le tome sur l’Amérique latine dans la collection de la Géographie Universelle de Belin-Reclus lui consacre également un chapitre en 1994, rédigé par Noëlle Demyk. On peut aussi mentionner “Guerre et paix » en Amérique centrale d’Alain Rouquié (1992) ou encore un numéro thématique de la revue Problèmes d’Amérique latine en 2009 « Amérique centrale, fragilité des démocraties ». En anglais, est paru « Historic Atlas of America », (coord. Hector Perez Brignoli et Carolyn Hall), en 2003.

Pour revenir sur le modèle centre- périphérie qui vient de l’économie avant d’avoir été récupéré par la géographie en 1980 (Alain Reynaud), il se rapproche des théories néo marxistes décrivant un monde vu en terme de dominations : celle des PDEM [Pays Développés à Economie de Marché] sur les PED  [Pays En Développement]

L’Amérique centrale est-elle un centre ou une périphérie ? Elle semble plutôt périphérique, sous dépendance de l’Amérique du Nord, mais est-elle intégrée ou dominée ? C’est en question.

I Une région fragile aux plans politique et économique

Cette région qui est fragile politiquement est la région la plus violente du monde car sans conflit armé, elle est en proie à une violence constante. Dans les années 60, la création du MCCA [Marché Commun de l’Amérique Centrale], union qui est tombé en ruine face aux conflits armés de l’époque : conflit sandiniste au Nicaragua bien que Daniel Ortega soit réélu en 2006, guérilla FMLN au Salvador (accords de paix en 1992), guérilla au Guatemala (accords de paix en 1996) et tensions au Panama. Des conflits encore très présents qui fragilisent ces « jeunes » démocraties

A partir de 1986, les Etats ont entrepris de dialoguer à l’instigation du président du Costa Rica, d’Oscar Arias, prix Nobel de la Paix. Cela s’est traduit par la réactivation du MCCA, sauf toujours Panama et Belize. Ceux-ci font cependant partie aujourd’hui du Système d’Intégration Centraméricain (SICA).  L’exemple du Honduras montre la fragilité de ces démocraties : coup d’état et destitution du Président Zelaya en 2009, et premières élections démocratiques intervenues depuis ce coup d’état en novembre 2013. Aujourd’hui, le pays n’est pas apaisé, les résultats des élections ont été contestés. Hernandez a été élu face à la femme du Président destitué dont les partisans contestent le résultat.

C’est un pays très instable qui avec le Nicaragua, reste le plus pauvre d’Amérique centrale. Un pays très violent, qui a le triste record d’avoir le plus fort taux d’homicides du monde : 96 pour 100 000 habitants. Une violence qui existe aussi au Salvador voisin, comme en témoigne des productions comme : «  La Vida Loca », réalisée en 2008 par Christian Poveda sur les gangs des maras. Il  a été assassiné le mois de sortie du film en France. C’est un documentaire qui plonge au cœur de la vie de la mara 18 et qui ne comporte pas de commentaire off.

Un contexte de violence, une économie déprimée, une densité de population plus élevée dans la partie Pacifique mais peu de grandes villes.  4,5 millions d’habitants à Guatemala City. 2.5 à San Salvador,   San José, Panama City, Tegucigalpa.  1  à 1.5 millions. Une de plus petites capitales : Belmopan au Belize n’en a que 20 000.

C’est une région encore très rurale avec un pourcentage de population indigène variable. Une très forte proportion au Guatemala : 60%, une présence beaucoup plus limitée au Costa Rica, peuplée par les Européens.

Sur le plan de l’IDH [Indicateur de Développement Humain] et du PIB [Produit Intérieur Brut], les deux pays les plus pauvres s’avèrent être le Nicaragua et le Honduras alors que le Costa Rica et Panama s’en sortent mieux. Le Costa Rica est paisible, il n’a plus d’armée depuis 1948, un indice de Gini moyen : 0.515 (plus l’indice est élevé, plus il y a d’inégalités) malgré la grande place du secteur informel.

Vision longitudinale

Ces pays ont été touchés par la crise de 2008 car ils sont dépendants des Etats-Unis. Ils ont connu une dégringolade en 2009 après une période plus faste depuis 2000. Ils peinent à récupérer. Les IDE [Investissements Directs à l’Etranger] sont en berne.

Cet espace est-il central ? C’est une zone de transition naturelle et culturelle, une terre de passage qui n’a jamais été un grand foyer de population. Entre les empires mayas et aztèques au Nord, incas au Sud, il a été peuplé par  des tribus « indiennes » venues du Nord jusqu’au Costa Rica et a subi influence des Mayas.  Le Sud de l’isthme en revanche a été peuplé par des Indiens venus de Colombie et de l’Équateur.

Après la conquête des Espagnols, commencée à Panama, le processus se fragmente. La région est rattachée à la « Nouvelle Espagne », le vice-royaume centré sur le Mexique avec une capitainerie générale au Guatemala qui domine toute la zone à deux exceptions près. Quelques établissements anglais sur la côte des Caraïbes dans l’ancien Honduras britannique devenu le Belize après son indépendance en 1981 et Panama, qui n’a jamais été rattaché à l’Amérique centrale mais à la Colombie et  au vice-royaume de Bogota (indépendant de la Colombie depuis 1903 seulement). Aujourd’hui, il se rapproche cependant de ses voisins même s’il a une économie canalière et financière différente et qu’il est plus lié au Nord qu’au Sud.

Le fait qu’il existe un segment de route panaméricaine non construit de 90 km entre Panama et Colombie rappelle ces particularismes historiques. Panama reste un disjoncteur d’échanges entre l’isthme et le sud du continent. Le chaînon manquant est en projet mais le Panama freine car il a peur d’une diffusion sur son territoire des conflits  colombiens et du narco- trafic.

Avec le Nord, les liens sont ambigus. Le Mexique apparaît comme un Etat nord-américain, décrit comme tel par Alain Rouquié (Le Mexique, un Etat nord-américain, 2013) car définitivement ancré au Nord depuis l’ALENA [Association de Libre-Echange Nord Américaine] opérationnelle en 1994, et aussi Etat tampon qui fait partie du périmètre de sécurité Etats-unien depuis  2001 dans le cadre de la politique de Homeland Security de Washington. Cependant, le Mexique se tourne aussi vers le sud : il porte le projet Puebla-Panama depuis 2001, rebaptisé Plan Méso-Amérique depuis 2008, qui vise à améliorer les communications entre le Mexique et l’Amérique centrale. Les relations sont cependant de plus en plus tendues avec les pays d’Amérique centrale, qui considèrent le Mexique comme le chien de garde des Etats-Unis (notamment en matière de politique migratoire restrictive) et non plus le grand frère.

On remarque l’existence de deux flux illicites venus du Sud traversant le Mexique vers le Nord. Une migration illégale et un trafic de drogues qui posent problème.

Le Mexique est devenu une frontière dilatée ou une frontière verticale car l’accès aux Etats-Unis devient difficile depuis Tehuantepec, facile à surveiller par les autorités mexicaines qui ont élaboré avec les Etats-Unis, le « Plan sentinelle » pour limiter les migrations centraméricaines vers le nord. Leur frontière terrestre méridionale avec le Guatemala est très surveillée malgré le ressentiment que cela suscite en Amérique centrale. La « bestia », nom donné aux trains « de la mort » empruntés par les migrants illégaux malgré les risques, est une des cibles de leurs contrôles. Les migrants sont vulnérables quand ils traversent le Mexique, victimes des exactions de la police comme des passeurs (les coyotes). On découvre fréquemment des charniers et on accuse les Mexicains de martyriser leurs compatriotes centraméricains et de reproduire avec les Centraméricains ce qu’eux-mêmes dénoncent de la part des Etats-Unis).

90% de la drogue Sud-américaine remonte aux Etats-Unis via l’Amérique centrale et le Mexique. Y circulent tous les types de stupéfiants : cocaïne, drogue de synthèse, héroïne, marijuana. Un trafic qui  remonte par voie terrestre comme par les mers. Sur les plages, on retrouve des paquets de drogue qui ont dérivé dans la mer des Caraïbes.

Si l’on considère la vision transversale,  l’isthme retrouve sa centralité

Il y a plusieurs façons de considérer un isthme : lieu de passage obligé ou regrettable barrière pour la navigation transocéanique (André Marcel D’Ans). C’est un lieu d’échanges bien que l’Isthme centraméricain soit plus souvent considéré comme un obstacle qu’un lien.

La région de Panama est centrale, polarisant dès la conquête le transit des marchandises du Pérou vers l’Espagne avec un chemin de mules reliant les deux façades maritimes. Les conquérants ont essayé de trouver une voie naturelle de communication entre les deux océans. Celle-ci n’existant pas, après l’indépendance de la couronne espagnole, les jeunes républiques élaborèrent des projets de canaux multiples, avant l’aboutissement du canal de Panama, difficilement ouvert en 1914 seulement.

Plusieurs projets de corridors transocéaniques existent en ce moment en Amérique centrale portés par le Plan Méso-Amérique. Ces corridors routiers ou lignes ferroviaires sont appelés « canaux secs » par référence au canal de Panama.

L’Amérique centrale reste une voie essentielle dans les  échanges mondiaux. 90% des échanges mondiaux se font par mer, une multiplication par  5 depuis 30 ans, renforçant l’importance de Panama qui a du s’adapter aux nouvelles contraintes de la conteneurisation. Panama reste sur la route principale circum équatoriale et fait transiter 5% du volume des marchandises mondiales, soit le grand défi que représente la traversée de 40 bateaux par jour. Il faut parfois 2 à 3 jours d’attente avant de franchir les écluses. La ville de Panama est sur la côte Pacifique avec son port de Balboa. Le canal traverse le lac Gatún et arrive au port de Colon qui est côté Atlantique. Le canal est doublé d’une voie ferroviaire et d’une autoroute sur toute sa longueur, soit 80 km. On l’améliore actuellement avec de grands travaux, décidés en 2006 par un référendum, car sa capacité est insuffisante, face au gigantisme des navires modernes dits justement « post panamax ». Les travaux devraient se terminer en 2015, un an après les 100 ans du canal actuel, mais des retards sont a craindre, le consortium assurant les travaux ayant demandé en janvier 2014 la modique somme de 1,2 milliard de plus au gouvernement panaméen pour continuer l’ouvrage.

La situation géographique de la région explique son intérêt à l’échelle monde et la multiplication de projets alternatifs au canal qui n’aboutiront pas tous car ils sont en concurrence et pas forcément viables (en termes de coût, de temps de trajet, de rupture de charge). Le commerce mondial repose aujourd’hui sur la concentration des flux sur un nombre limité de corridors logistiques et la multiplication des projets n’est pas viable. Mais on voit bien qu’il n’y a pas de réflexion à l’échelle de l’union régionale, à l’inverse, prime une logique de concurrence entre les pays. Ils ne réfléchissent pas en terme de logique intra régionale  avec le développement d’un marché intérieur mais élaborent des plans pour capter le trafic de transit entre l’Europe et l’Asie ou les deux façades de l’Amérique.

50% du trafic du canal de Panama est constitué de marchandises effectuant le trajet façade Est des Etats-Unis/ Asie. Les Etats-Unis ont mis en place une route alternative avec un landbridge [fret ferroviaire régulé] vers Chicago qui est plus rapide (13 jours) que le transport par Panama (25 jours). L’intérêt du canal reste son coût et l’absence de rupture de charge. On économise 500 USD en transportant un double conteneur entre le Japon et New-York en « all water » par le canal plutôt que par le landbridge qui implique un transbordement.

Les routes alternatives transversales sont des « canaux secs » , des transports ferroviaires ou routiers avec des ruptures de charges et qui nécessite une logistique pointue. Le projet le plus médiatisé actuellement est celui du Nicaragua, qui serait financé par les Chinois avec l’accord d’Ortega qui leur en a accordé la concession. C’est discutable en termes de viabilité. Le virage du Nicaragua vers la Chine suscite l’hostilité des Etats-Unis pour qui l’Amérique latine reste une chasse gardée et la mer des Caraïbes une « Méditerranée américaine »,  sans oublier que tous les projets reposent sur le manque de capacité du canal de Panama, lequel est en passe d’être élargi. Dans un horizon plus lointain, l’éventuelle ouverture des routes de l’Arctique liée à la fonte de glaces pourrait également modifier les pratiques des armateurs. Malgré tout, Panama reste pour le moment le 1er port d’Amérique centrale et de loin, mais seulement le 49ème du continent américain.

L’Amérique centrale est « le ventre mou » du continent et reste sous bonne surveillance

Ce n’est pas un angle mort car on y trouve nombre de bases militaires américaines. Pour les Etats-Unis, cette région est leur « arrière- cour », leur « back yard » et ils maintiennent des bases au Salvador, au Honduras, au Costa Rica, en  Colombie. Ils n’en ont plus au Panama, depuis la rétrocession de la zone du canal en 1999, mais ont avec lui des accords de défense et la présence de soldats des Etats-Unis. Ils sont également nombreux aux Caraïbes. Dans les années 80, les Etats-Unis (Ronald Reagan) ont financé la contre-guérilla (les contras) contre les Sandinistes au pouvoir de 1979 à 1990, selon la stratégie de la « guerre de basse intensité ». Bien que ce conflit soit terminé, le Nicaragua reste sous surveillance. En 1989, les Etats-Unis sont intervenus directement cette fois au Panama pour la capture du général président Noriega.

La signature d’un traité de libre-échange entre les Etats-Unis et les pays de la région, le CAFTA-DR,  a suscité de nouvelles tensions car considéré comme très asymétrique et désavantageux pour les pays centraméricains ayant une faible marge de négociation face aux Etats-Unis.

Cet espace qui n’a de central que le nom, reste une périphérie dominée mais qui a des atouts et est très courtisée par les Asiatiques qui par le biais d’aides de type coopération internationale pour le développement essaient de s’assurer des marchés. Taïwan finance entre autres des bornes frontières entre le Honduras et le Salvador. Le Japon construit des ponts et répare des routes à travers la JICA (l’agence japonaise de coopération internationale). La Chine montre de l’intérêt pour des canaux secs (au Nicaragua et en Colombie) et devient omniprésente.

Questions

Vers où partent les exportations de la région ?
Une partie est intra régionale, une partie variable selon les pays. Au Nord, une forte part du commerce intervient entre le Guatemala, le Honduras et le Salvador. Le principal partenaire reste les Etats-Unis bien que la dépendance soit moins marquée qu’au Mexique.

Existe-t-il une volonté de s’ouvrir au tourisme ?
C’est une activité importante au Costa Rica, qui commence au Belize qui fait partie des circuits du tourisme caribéen. Le Guatemala profite de l’avance du Mexique et développe le tourisme des sites mayas et le tourisme « ethnique ». En revanche, pratiquement aucun tourisme au Salvador, au Honduras ou au Nicaragua, autre que celui de quelques mochileros (porteurs de sacs à dos). Le Panama est entre les deux. Ses activités principales sont le canal et les banques mais il développe le tourisme autour du canal à travers des croisières.

Quelle crédibilité peut-on accorder aux unions régionales d’Amérique du Sud ?
Le problème est que les économies des pays partenaires ne sont pas complémentaires mais concurrentes. En Amérique centrale par exemple, tous produisent les mêmes choses : banane, café, minerais d’extraction et la logique de concurrence est leur principal ressort. Le marché intérieur est très faible avec de petites populations et de petits pouvoirs d’achat. Une économie surtout vivrière et un marché intérieur restreint.

Les Unions régionales ne se posent pas au même niveau. L’ALADI est politique. L’UNASUR n’a pas de réalité économique. Le grand projet de ZLEA [Zone de Libre-Echange Américaine] porté par les Etats-Unis a été un échec en 2005. Les deux unions qui fonctionnent le mieux sont le Mercosur [Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, Venezuela, plus des pays associés] et la CAN [Communauté Andine des Nations].

Malgré une même langue, une même religion, une même culture, pourquoi un tel morcellement ?
Le fait de se ressembler trop les pousse peut être à se différencier. Il n’y a jamais eu d’unité. Chaque province coloniale a voulu être indépendante. Les oligarchies ont voulu être autonomes. En 1821-23, ces territoires ont été rattachés de force au Mexique puis pendant 15 ans ont constitué la Fédération des Provinces Unies d’Amérique centrale. Cependant, il y eut tellement de guerres entre elles que cette fédération éclata. Depuis, ils se font un point d’honneur à se différencier du voisin. Les accents, les vocabulaires sont un peu différents.

Quelle place pour les Indiens ?
On ne dit pas indiens mais indigènes. Le mot « indien » est considéré comme péjoratif. Leur situation est variable. Ils représentent 1% de la population du Costa Rica, 60% de celle du Guatemala. On y a essayé de faire reconnaitre des circonscriptions autonomes ou ils auraient une autonomie de gestion selon les traditions indigènes (comarcas au Panama). Reste qu’ils sont les populations les plus stigmatisées qui stagnent au bas de l’échelle sociale. Le pire est d’être un paysan indigène. Le métissage a été important et les sociétés centraméricaines sont principalement des sociétés métissses, mais rien ne vaut être blanc. Les paysans indigènes avaient réclamé des réformes agraires, relayées parfois par des mouvements armés comme l’EZLN mené par le «  sous-commandant » Marcos dans le Chiapas au sud du Mexique à partir de 1994. Cet ancien professeur d’université luttait pour la reconnaissance des droits des paysans indigènes, ceux qui perdaient sous tous les tableaux.  Au Nicaragua, les Sandinistes ont tout fait pour les faire rentrer dans le rang et annihiler la culture indigène.

Avec une économie fragile, tributaire des Etats-Unis et des matières premières, comment peuvent-ils profiter de leur centralité ?
Ces pays ont été très tôt intégrés dans l’économie monde à travers des échanges de matières premières minérales et agricoles dès la première mondialisation lors de la période coloniale. Mais, cela a limité leur autonomie en les rendant dépendants du cours du café, du cacao, de la banane, fixé par les bourses américaines. Une des solutions proposée par la CEPAL [Commission Économique Pour l’Amérique Latine 1948] était l’extension du modèle de l’ISI [Industrialisation par Substitution], pratiquée au Mexique et au Brésil depuis l’entre-deux-guerres. On a encouragé la création d’IAA [Industries Agro-Alimentaires], de cimenteries mais c’est insuffisant.  Ces pays restent sous contrôle même si on n’est plus au temps des ex « républiques bananières » liées à la United fruit (dite la pieuvre), qui a influé sur les tracés de certaines frontières du Honduras au Costa Rica.

Quid du niveau de pauvreté ?
Le seuil de pauvreté est calculé de façon différente selon les pays. Selon le revenu, selon le pouvoir d’achat : le « panier de la ménagère », ou selon les NBI [Nécessité Basique Insatisfaite] : variable mais encore élevé. La malnutrition et les niveaux d’extrême pauvreté existent surtout dans les campagnes où la pauvreté est moins visible qu’en ville. Il n’y a pas vraiment de sous nutrition mais beaucoup de mal nutrition par manque de variété et par les mauvaises habitudes alimentaires. Riz, bananes plantains souvent frites, haricots rouges à tous les repas, entrainent des carences. Les populations sont mal nourries et l’obésité s’étend, bien qu’elle n’atteigne pas le niveau très élevé du Mexique.

Les IDE entrants viennent-ils des Etats-Unis ?
Ils sont peu abondants en Amérique centrale qui n’attire pas beaucoup les investisseurs à part les Etats-Unis, la Chine, un peu l’Espagne, un peu le Japon et le Mexique.  Quelques firmes étrangères y sont implantées comme Wall-Mart, Bimbo (IAA mexicaine) et depuis la signature du CAFTA en 2004, la région peut profiter de l’extension du système des maquiladoras mexicaines mais avec le désavantage de la distance. Rien n’est prévu pour exploiter les ressources halieutiques sauf le groupe espagnol Calvo qui fait des conserves de poisson.

De quelles énergies disposent-ils ?
Le plan Méso Amérique comportait un volet interconnexion électrique Mexique-Panama induisant la construction de barrages hydro électriques, de centrales thermiques au charbon et de nouvelles en devenir. Le Costa Rica a beaucoup d’hydroélectricité et revend l’électricité qui circule aussi entre le Salvador et le Honduras. Les pays centraméricains sont des importateurs de pétrole.

En terme de prospective, sur quel levier peut jouer l’Amérique centrale pour évoluer ?
Il est difficile d’être optimiste. En terme plus positif, la clé est le climat politique. Il n’y aura pas d’IDE tant qu’il y aura des coups d’état. En terme de projets de développement, les OIG, [Organisations Inter Gouvernementales type Banque Mondiale] les ONG, l’UE ont arrêté un certain nombre de programmes, la crise est visible dans ce domaine aussi. On pourrait développer le tourisme durable, le tourisme vert, les IAA sans compter l’importante biodiversité à valoriser. Pour le moment, toutes les tentatives de corridor économique se sont avérées décevantes.

 

 A Mulhouse, au café L’Avenue, jeudi 28 novembre 2013

Lucile Médina
Notes : Françoise Dieterich