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L’Europe et la pêche : conséquences du Brexit

Les « Mardis de la mer » sont organisés par L’Institut français de la mer (IFM) et le Centre d’études de la mer de l’ICP (Institut Catholique de Paris).

Largement médiatisés par la presse et les grandes chaînes de télévision (peut-être aux dépens d’autres sujets sensibles), les accords sur la pêche ont clos les longues négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne qui ont abouti à leur rupture définitive le 1er janvier 2021. Pour traiter de ce sujet, les « Mardis de la mer », organisés par L’Institut français de la mer (IFM) et le Centre d’études de la mer de l’ICP (Institut Catholique de Paris) ont invité Pierre Karleskind qui a su mettre sa passion pour la mer au service de ses engagements politiques. Titulaire d’un doctorat dans la spécialité « Océanographie, météorologie, environnement », il a été vice-président de la région Bretagne puis député européen. Et c’est en tant que président de la Commission de la pêche (PECH) du Parlement européen depuis février 2020 qu’il a joué un rôle important auprès de Michel Barnier dans les négociations du Brexit.

Dans un premier temps, P. Karleskind explique la situation du Royaume-Uni avant sa sortie de l’U.E. Un rappel utile : la gestion des ressources biologiques maritimes étaient de la compétence exclusive de l’U.E. Lorsque les Anglais disent vouloir reprendre le contrôle de leurs eaux, ils oublient d’évoquer qu’il n’y avait pas de ZEE (bande de 200 milles marins au-delà de la ligne de base) britannique avant leur entrée dans l’Union. Pêcheurs anglais et européens pêchaient donc dans les eaux internationales de la Manche (en-dehors des 12 milles marins) depuis des siècles.

Aux arguments des pêcheurs anglais se plaignant du montant des captures « étrangères » dans les eaux britanniques (30% pour les Français et 60% pour les autres membres), les Européens répondent : « You have the fish but we have the market ». Le R.-U. exporte en effet 76% de ses poissons vers le marché européen, ce qui alimente l’activité de plusieurs filières (mareyeurs mais aussi aquaculture et industries de transformation). L’incertitude engendrée par les trois ans de négociation a freiné l’attraction de ces filières sur le continent : moindre intérêt des jeunes pour ces métiers et blocage des investissements.

La deuxième partie de l’intervention évoque l’accord lui-même. L’Accord de commerce et de coopération signé entre l’U.E. et le R.-U. est le plus gros accord de libre-échange jamais négocié par l’U.E. et en son sein l’accord sur la pêche n’a pas eu d’équivalent jusqu’alors. La position du Parlement européen avait été très claire : pas d’accord commercial sans accord sur la pêche et pas d’accès au marché européen sans accès aux eaux britanniques. C’est pourquoi la pêche a été un des derniers points de blocage lors des négociations.

Des quotas ont été établis, espèce par espèce et année par année, durant toute la période de transition qui s’achèvera en 2026. L’U.E. devra céder progressivement 25% en valeur de ses prises au R.-U., ce qui est un succès pour les négociateurs européens car, au départ, il en demandait 80%. Ils ont fait preuve d’une grande fermeté ; sacrifier les pêcheurs n’aurait permis aucun gain dans les autres secteurs. Ces chiffres tiennent compte bien sûr des normes internationales en termes de durabilité.

La Commission PECH a donné un avis favorable à cet accord, en faisant néanmoins quelques mises en garde. Elle demande qu’après la période transitoire de cinq ans et demi, il y ait plus de clarté dans l’accord définitif. Elle s’inquiète aussi des modalités concernant les mesures techniques (les caractéristiques des chalutiers par exemple). Un problème est resté en suspens, celui de l’accès de certains bateaux français à la mer territoriale britannique (entre six et douze milles marins de la côte). Quand ces bateaux iront à la casse, y aura-t-il un transfert de cette prérogative à de nouvelles embarcations ? Ce sujet, non évoqué dans le texte, est pourtant primordial pour les navires des Hauts-de-France. L’accord doit être ratifié par le Parlement avant la fin du mois d’avril.

La dernière partie de l’exposé envisage l’après-Brexit. Le texte qui vient d’être signé met fin aux Accords de la baie de Granville, signés en 2000. Ils établissaient des mesures de cohabitation entre nos pêcheurs et ceux des îles anglo-normandes. Désormais, c’est Jersey qui va attribuer des licences aux bateaux français. Le nouvel accord établit clairement le rapport entre la pêche et la fourniture de courant électrique aux îliens par les continentaux (donnant/donnant).

Autre contentieux possible, celui qui porte sur les coquillages non purifiés. Élevés par les Britanniques dans des eaux classées B, ils doivent être purifiés en France pour respecter la réglementation sanitaire européenne protectrice du consommateur. L’adoption des mêmes règles sanitaires par les Britanniques résoudrait le problème.
Le Brexit va avoir un coût élevé pour les entreprises car, en raison de la réduction des quotas, il faudra moins de bateaux et il y aura moins de poissons traités par l’industrie. Aussi la Commission européenne a-t-elle proposé 5,3 milliards d’euros pour équilibrer les conséquences économiques et sociales négatives de l’Accord dans les États membres.

Pierre Karleskind termine son intervention sur deux notes positives, l’une sur l’environnement, l’autre sur la solidarité européenne. Grâce à la bonne gestion des ressources biologiques par l’U.E., le stock de poissons a tendance à se reconstituer dans la Manche. D’autre part, la crainte d’un défaut de solidarité de la part des États européens non maritimes s’avère sans fondement, les États ayant besoin les uns des autres.

 

Michèle Vignaux, mars 2021