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Lüneburg (Basse Saxe), cité hanséatique du sel, 76 000 habitants

Petite ville universitaire cossue et reposante, Lüneburg bâtie sur les rives de l’Ilmenau, affluent de l’Elbe, garde les traces de son dynamisme et de son opulence entièrement fondée sur la production et le commerce d’un beau sel blanc réputé autrefois dans toute l’Europe du Nord. La ville, qui n’a pas été bombardée pendant la guerre dégage beaucoup de charme en conservant une belle architecture civile gothique et Renaissance. Ville libre depuis 1247, Lüneburg était dirigée par le conseil municipal aux mains des grandes familles maîtres salineurs et négociants, véritable noblesse urbaine dont la richesse et le pouvoir s’expriment dans la décoration des salles de l’hôtel de ville.

Salle du conseil du gothique tardif (fin XVème) avec vitraux et peintures sur plafond vouté © mhm

En parcourant cette ville-musée, on prend bien conscience qu’elle fut un des centres les plus actifs de la Hanse, une des capitales industrielles et commerçantes de l’Europe du Nord à la fin du Moyen-Âge et à l’époque moderne.

Pendant plus d’un millénaire le sel a façonné la ville. Le Salzwerk, la plus grande entreprise industrielle d’Europe orientale, ferma en 1980.

Les conditions de développement de la production.

Lüneburg a profité de trois éléments favorables au développement d’une cité au pouvoir fondé sur le sel. D’abord de riches réserves souterraines d’eau de très haute salinité et d’une grande pureté (donnant un beau sel blanc naturellement pur) liées à la présence d’un vaste gisement de sel déposé dans un horst calcaire couvert d’une mince couche de sable, fortement travaillé par des eaux souterraines. Les saumures sont peu profondes (16 à 36 m). De plus la demande en sel des pêcheries riveraines de la mer du nord et de la Baltique explose du XIIIème au XVIème siècles pour la préparation et la conservation du poisson, essentiellement le hareng très abondant à cette période, destiné au commerce international. Enfin, Lüneburg dispose d’une voie navigable remarquable reliée par l’Elbe à Hambourg et Lübeck, soit une excellente situation à la fois par rapport à la mer du Nord et à la Baltique.

Le sel de Lüneburg comme tous les sels continentaux européens (ceux de Lorraine et Franche-Comté en France) est un sel ignigène (ignis, le feu) obtenu par évaporation-cristallisation du sodium en dissolution dans la saumure sur une source de chaleur.

Les origines de la saline sont anciennes et comme souvent légendaires.

Le goût marqué des animaux pour le sel est bien connu ; ils cherchent du sel là où ils peuvent. Souvent, les traditions populaires attribuent à leur flair ou instinct la découverte de sources ou dépôts de sel : tel est le cas ici. Le sel aurait été découvert par un chasseur observant un sanglier se baigner dans une mare d’eau. La date de création de la saline demeure objet de controverse : on trouve la première mention en 956, mais pour certains auteurs l’origine des salines remonterait à l’époque romaine, l’exploitation s’étant maintenue jusqu’au Xème siècle sans doute à un modeste niveau. C’est surtout au XIIème siècle que furent réunies les conditions d’une production destinée à un marché plus étendu.

Les techniques et l’organisation de la production sont très bien documentées. Dès le Xème siècle le Kalkberg, ancien puits extra-muros est cité pour l’extraction de la saumure ; un deuxième puits fut foré en 1388 intra-muros. Lüneburg disposait alors de deux salines. Les structures et les procédés techniques de la production et de l’exploitation demeurèrent globalement inchangées jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

L’extraction de la saumure avant et après 1569 © mhm. Saltz museum Lüneburg, original : L.A Gehandi, collectanes, Bild 13, vers 1798

Jusqu’en 1569 la saumure était puisée manuellement avec des baquets en bois tirés par des cordes. Elle fut ensuite pompée manuellement (les pompes hydrauliques ne furent installées qu’au XVIIIème siècle). Elle était alors dirigée par gravité dans des canalisations également en bois et conservée dans un grand réservoir sous les salines où elle était stockée avant d’être cuite.

Une Siedehaüser (« maisons de cuisson ») reconstituée au Salz Museum. ©mhm

Les salines se composaient en réalité de quelques sauneries, soit des ateliers où se trouvaient les chaudières elles-mêmes composées d’un foyer chauffé au bois et d’une petite poêle en plomb d’1m2. Il exista d’abord 48 sauneries puis 54 de 4 chaudières équipées d’une poêle, soit en tout 216 au XVIème siècle. Les chaudières étaient chargées treize fois en 24 heures pour une production maximale. Après évaporation et cuisson 50 litres de saumure produisaient environ 17 kg de sel. Le sel récolté était séché, déposé dans des baquets ou des corbeilles placées dans l’atelier pour séchage, puis transporté vers les entrepôts ou les bateaux

Le rendement d’une saunerie fut triplé du XIIIème au XVIème siècles. La production annuelle estimée à 25000 /30000 tonnes au XIVème atteignit sans doute 50 000 tonnes fin XVIème siècle période de la plus forte production.

Les acteurs économiques : propriétaires, exploitants et ouvriers.

A cette époque, dans aucune saline continentale, la production n’était intégrée malgré la nécessité d’investir dans des équipements coûteux.  La structure de la propriété des salines était bien compliquée et morcelée entre une foule de micro-entreprises. Au cours du XIIIème siècle, par suite de donations pieuses et de ventes, le domaine, initialement ducal, passa entre les mains de très nombreux nouveaux propriétaires, négociant le plus souvent des parts dans un climat affairiste. Ainsi le prix d’une chaudière quintupla au XIIIème siècle par le jeu de toutes ces opérations. En 1360 les sources ainsi que les chaudières étaient détenues à 80% par les ecclésiastiques d’où le nom de « prélats » donné aux seigneurs des salines et propriétaires de rentes. Les bourgeois possédaient peu de chaudières (15 seulement sur 61 en 1370) ; ils s’intéressaient davantage à l’exploitation et surtout au négoce. Ces entrepreneurs, issus des grandes familles, étaient les maîtres effectifs du marché et formaient le patriciat des Sülfmeister (« maîtres des cuissons »), qui avaient obtenu le droit de bouillir contre le paiement d’un cens et d’une rente en sel aux prélats. Le Rat (conseil communal de la cité) était entre leurs mains. Cette situation enchevêtrée de la propriété était source de tensions sociales quasi permanentes. L’enjeu était pour les maitres des chaudières d’obtenir en amont la saumure pour alimenter les poêles au meilleur coût ou même de contrôler les puits, tandis que les propriétaires des sources, inversement cherchaient à contrôler les chaudières et les poêles en aval. Ce lacis de droits et de prétentions fut à l’origine d’une grave crise municipale qui amena le pape à intervenir. Connue sous le nom de « guerre des Prélats » (1445-62) elle opposa les propriétaires ecclésiastiques et les laïcs exploitants-négociants.

La production de sel ignigène étant une industrie industrialisante, elle génère de nombreuses activités et ateliers (forges pour fournir et réparer les poêles, charpenterie, briqueteries, tonnellerie pour conditionner le sel, ateliers de séchage du sel, transport et entrepôts de bois, bûcherons pour fournir le bois). Le patriciat-entrepreneur faisait ainsi travailler des ouvriers et sous-traitait à des artisans les différents stades de la production L’approvisionnement en bois pour les charpentes, la fabrication des tonneaux et surtout comme combustible pour les chaudières constitua très tôt un véritable problème : les forêts de la lande orientale ayant été  exploitées sans aucun plan, les réserves s’épuisèrent fin XIVème siècle et  il fallut aller le chercher plus loin, au nord de l’Elbe, puis vers le Mecklembourg.

La cité de Lüneburg dans son enceinte vers 1600 (Salz museum Lüneburg © mhm).

On aperçoit au SW (au fond à droite) la saline elle-même séparée de la ville par une muraille. Il s’agit, comme dans la plupart des sauneries continentales, de protéger la ville des incendies et d’éviter que les désordres provoqués par les mécontentements des ouvriers s’étendent. Il faut aussi protéger la saline des attaques de l’extérieur et des vols de sel et de bois par les travailleurs de la saline. L’enceinte souligne ainsi le statut juridique particulier des lieux dans lesquels les maitres exerçaient les pouvoirs de police et basse justice.

L’or blanc fait de Lüneburg et Lubeck les capitales hanséatiques au moyen-âge

Le commerce du sel devint à partir des XII-XIIIème siècles un élément moteur de l’économie dans toute l’Europe particulièrement au Nord en raison de la pénurie de sel quand se développe la pêche harenguière : il faut un tonneau de sel pour conserver un tonneau de harengs (soit en gros 30%). Le beau sel blanc de Lüneburg devint très demandé. La ville entra en 1363 dans la ligue des villes Welfe (Brunswick, Hanovre, Goslar, Einbeck, Hameln, Helmstedt) puis adhéra à la Hanse allemande en 1371. Elle joua à ce titre un rôle important, immédiatement après Lubeck et Hambourg. Elle devint même un temps la capitale de la Hanse quand les patriciens de Lubeck vinrent s’y réfugier. Plusieurs réunions de la Hanse (Hansegetag) se tinrent à Lüneburg qui constituait alors le plus gros marché européen du sel aux XIIIe-XVIème siècles. Sa production est alors diffusée, via Lübeck et le Sund, dans toute la Baltique, au Danemark, en Norvège, en Suède et en Russie jusqu’au comptoir de Novgorod. En effet, Lüneburg à la différence de nombreuses autres salines continentales, n’était pas isolée grâce à la proximité de la mer et de ses marchés auxquels elle était bien reliée. Le sel, produit pondéreux d’assez faible valeur à une époque caractérisée par la pénurie et le coût élevé du transport, était prioritairement transporté par voie d’eau. La grande préoccupation des Sülfmeister et du conseil de Lüneburg fut toujours d’assurer les communications extérieures de la ville particulièrement vers Lubeck qui a été très précocement le port essentiel dans les trafics du sel en mer Baltique. Devenue chef-lieu de la Hanse, Lubeck sut, comme Venise en Méditerranée, tirer adroitement profit du sel en imposant à Lüneburg son monopole de vente et en utilisant le sel pour lester ses navires. Elle en exportait au XIVème siècle pour une valeur totale qui correspondait à la moitié de la production de Lüneburg. Le sel était un poste de grande valeur de ses échanges avec les draps, le poisson et les fourrures. Le port devint la plaque tournante du commerce du sel faisant du sel le sel un produit au cœur du développement de la Hanse, enrichissant les marchands (plus que les sauniers).

La croissance démographique et l’augmentation des besoins, non seulement pour les pêcheries mais aussi pour la préparation des fourrures de Russie fut telle à la fin du Moyen-Âge que le beau sel de Lüneburg ne suffit plus à satisfaire la demande. Les flottes des ports de la Baltique orientale (Dantzig, Riga, Reval, Königsberg) franchissent alors les détroits du Sund, et, renforcés au passage par les navires de Zélande et de Hollande, descendent vers les côtes atlantiques charger les sels marins gris des marais salants de Bretagne et du Poitou (dits Baiensaltz, sels de la baie). Ce long périple (Baienfahrt) durait plus d’un an en imposant un hivernage dans les ports hollandais. Il était conditionné par le calendrier des récoltes de céréales en Pologne et en Prusse. Les grains chargés à l’automne étaient exportés en Europe occidentale, les navires revenant lestés de Baiensaltz. Ce double circuit avantagea alors Dantzig promu au rang de port d’importation du Baiensalz réexporté ensuite vers la Pologne, la Finlande et la Suède.

Comme tous les sels continentaux, le sel de Lüneburg était cher en raison du coût de production lié à la multiplicité des travaux, du prix élevé du combustible et de la petite taille des poêles ne permettant qu’une faible productivité. Alors les sels marins de la Baie transportés à bon compte grâce aux progrès considérables des transports, arrivaient en mer du nord et en Baltique concurrencer le Travensalz (ainsi nommait-on le sel de Lüneburg acheminé par la Trave à Lubeck).

Certes les sels en concurrence étaient de qualité différente : le beau sel blanc ignigène de Lubeck était plus apprécié que le gros sel gris marin de l’Atlantique. C’est pourquoi les Hollandais eurent l’idée de raffiner et blanchir en Zélande les sels atlantiques. Ils furent accusés par Lüneburg, vigilante sur ses marchés, de vendre du sel de contrefaçon car conditionnés aussi en tonneaux à la façon de ceux de Lüneburg. La concurrence était inégale. Ainsi dans les années 1468-1476, les sels de la Baie représentaient, suivant les années, de 66 à 89% des importations de sels à Dantzig, reléguant ainsi les sels en provenance de Lubeck (donc de Lüneburg) à la portion congrue.

Les routes du sel : Il y en eut successivement trois.

La plus grosse partie de la production de Lüneburg partait pour Lübeck distante d’environ 100 km. Le fret de retour était constitué de la nourriture des très nombreux chevaux nécessaires à l’exploitation de la saline et aux charrois du bois et des produits nécessaires à la population de Lüneburg (céréales, légumes, animaux de boucherie).

Lüneburg et sa région aux XIV°-XV°siècles (d’après carte in Ch.Higounet, op.cit)

« La vieille route historique du sel » terrestre avait le statut de Via Regia, (voie protégée par le pouvoir dans le Saint Empire Romain Germanique). Il s’agissait d’une voie sablonneuse et boueuse, risquée, mal sécurisée par laquelle d’assez petites quantités pouvaient être acheminées.  En 1205 la saline de Lüneburg produisait 5 200 tonnes de sel surtout transporté vers Lubeck par plus de 6000 chariots tirés par des chevaux ; chaque jour, une vingtaine de chariots partaient de la saline pour traverser l’Elbe à Artlenburg puis gagnaient Mölln où la meilleure option était de longer le lac de Ratzeburger.

La voie mixte par eau sur l’Ilmenau et l’Elbe rejoignant la voie terrestre perdit son intérêt au XIVème siècle quand fut construit le Stecknitz Kanal, (soit 70 km le long du Strecknitz, affluent de la Trave) à l’initiative de Lübeck qui pouvait ainsi mieux contrôler le transport.

La Salzwasserweg (route du sel par seule voie eau) la plus ancienne d’Europe du Nord devint alors essentielle quand Lüneburg aménagea au XVème siècle un autre canal entre l’Ilmenau et l’Elbe, reliant ainsi le Stecknitz Kanal et achevant la liaison navigable directe avec Lübeck par la Trave. Le Stecknitz Kanal, déjà techniquement remarquable avec deux écluses au XIVème siècle, devint une artère essentielle avec ses 17 écluses. Les bateaux chargés sur les quais de l’Ilmenau à Lüneburg rejoignaient l’Elbe et Lauenburg, remontaient le Stecknitz Kanal qui menait par la Trave à Lubeck ; d’où l’appellation de Travensalz (sel de la Trave) donné au sel de Lüneburg par opposition aux Baiensalz. Pour franchir les écluses, les barques tirées par des chevaux étaient de dimensions limitées et de faible tirant d’eau, mais elles pouvaient transporter l’équivalent de six chariots tirés par quatre chevaux par voie terrestre.

L’ancien port sur l’Ilmenau ©mhm

L’ancien quartier du port se trouve sur les berges de sur l’Ilmenau avec ses entrepôts et son ancienne grue de bois à toit de cuivre qui servait à charger le sel à destination de Lubeck.

Les entrepôts de sel du XVIIIème siècle sur la Trave à Lubeck © mhm

La crise des salines de Lüneburg aux XVII-XVIIIème siècles et leur modernisation

Après l’apogée des XVème-XVIème siècles, les difficultés s’accumulèrent après 1614 en raison de la conjoncture dans le cadre d’une véritable guerre commerciale sur les sels. La guerre de Trente ans perturba la production et surtout les exportations. Après les traités de Westphalie, la concurrence accrue des sels étrangers surtout ceux de l’Atlantique blanchis en Zélande, transportés par les Hollandais mais aussi ceux d’Angleterre et d’Ecosse, nouveaux venus bon marché qui, depuis Brême remontaient la Weser, ne permit pas à Lüneburg de retrouver ses marchés, d’autant que le roi de Danemark introduisit alors une taxe douanière sur les sels de Lüneburg et qu’au XVIIIème siècle l’expansion de l’industrie salicole se développa en Westphalie et en Prusse rhénane. La crise était aussi structurelle, liée au coût de production car la saline conservait quasi inchangées ses méthodes de production médiévales, tous les acteurs étant rétifs aux innovations. La pénurie en bois de combustible qu’il fallait faire venir de plus en plus loin ainsi que les fortes charges fiscales renforçaient les coûts.

Pour toutes ces raisons, le sel de Lüneburg était beaucoup trop cher donc peu compétitif.

Au final, la crise était bien multifactorielle. La production tomba à 10 000 tonnes à la fin du XVIIème siècle puis à 5000 tonnes fin XVIIIème. Les exportations elles aussi s’effondrèrent alors au quart de celles de 1614. Bien que le sel de Lüneburg fût dès lors cantonné au marché régional de la principauté (intégrée plus tard à l’électorat de Brunswick puis au royaume de Hanovre), il restait la principale richesse de la ville.

Les salines étaient au bord de la faillite dans les années 1780 quand fut donné le signal de la modernisation sous l’impulsion de George III, roi de Hanovre (et d’Angleterre suite à l’entrée en union personnelle avec l’Angleterre en 1714). La réforme, qu’il demanda de mener à F.E von Bülow fut radicale. Celui-ci, qui entretenait d’étroites relations avec les ingénieurs, les salineurs et les directeurs des salines de Saxe (qui figuraient alors parmi les plus modernes d’Europe) suivit les conseils d’un expert, F.E. Senf qui présenta en 1797 un plan de modernisation qui fut mené en appliquant les principes du despotisme éclairé.

Nul n’était besoin de modifier l’extraction de la saumure déjà obtenue depuis le XVIIIème siècle avec des pompes hydrauliques. Il s’agissait de construire deux nouvelles sauneries avec quatre poêles sur des plaques d’acier de 37 m2, régler la crise de l’énergie en utilisant la tourbe (très grosses réserves aux alentours) et en aménageant des fourneaux dégageant de la chaleur rayonnante, mettre en place un séchage du sel et de nouveaux magasins, construire une nouvelle forge pour disposer de plaques d’acier de rechange

Manquant de main d’œuvre qualifiée à Lüneburg, on fit venir des salineurs saxons et de Thuringe et des tôles d’acier. Finalement on ne construisit qu’une saunerie avec deux poêles qui fut terminée en1801. Lüneburg possédait alors la technologie la plus moderne d’Europe et la production fut le triple de celle escomptée. Les coûts restaient cependant trop élevés en raison du service de la dette ancienne mais la conjoncture était favorable pour Lüneburg grâce aux guerres de la Révolution française en Europe continentale et surtout au blocus continental de Napoléon qui mirent Lüneburg à l’abri de la concurrence, même si, après 1815 le problème des débouchés se reposa.

Les Salines à l’époque contemporaine

Avec la révolution industrielle, les progrès techniques, notamment ceux liés à la technique des sondages (des tubes sont introduits dans des trous préalablement forés afin de pouvoir injecter de l’eau pour dissoudre le sel gemme) permirent d’améliorer considérablement la production alors que le charbon remplaçait la tourbe.

Au XXème siècle, de 1923 à 1940, au sud-ouest des anciennes salines furent construites des sauneries modernes qui fonctionnèrent jusqu’en 1980. Le sel était produit dans six grandes poêles de 160 m2 (1 m2 au moyen-âge puis 37 m2 au XIXème), le fuel remplaça le charbon pour chauffer les chaudières en 1958. La production annuelle variait alors de 25000 à 30000 t. Elle fut arrêtée d’une part en raison des affaissements importants de terrain, mais aussi et surtout pour des motifs économiques : en effet le sel étant devenu avant tout une matière première de l’industrie chimique (servant surtout à obtenir par électrolyse du chlore, de la soude caustique et du carbonate de sodium), les salines de Lüneburg, tout comme les salines traditionnelles de Franche-Comté ou de Lorraine en France (à part Dombasle) ne purent répondre à la demande. Elles ont été le plus souvent patrimonialisées. En ce qui concerne Lüneburg, c’est le groupe néerlandais AKZO qui en avait pris l’exploitation au XXème siècle qui décida sa fermeture en 1980.

Aujourd’hui. Lüneburg conserve les traces de sa splendeur passée comme en témoigne le charme de la place Am Sand et des petites rues menant à l’ancien port.

La place centrale Am Sande, au fond l’église St Jean © mhm

La place tire son nom du fait qu’elle n’était pas pavée mais sablonneuse. C’est là que les marchands venaient avec leurs charrettes négocier le sel. Les maisons patriciennes de divers styles à pignons ornés de médaillons et de motifs de briques torsadées sont typiques de Lüneburg.

L’hôtel de ville est un des plus beaux du nord de l’Allemagne. Les salles les plus anciennes remontent à 1230, agrandies et remaniées jusqu’à l’époque baroque. Des églises, notamment Saint-Jean qui, avec son magnifique maitre-autel sculpté est un des plus beaux témoignages de l’architecture gothique en briques, complètent ce magnifique patrimoine monumental des XIV-XVIème siècles (période la plus florissante).

Malheureusement des affaissements considérables du sol au-dessus du dôme de sel dans le quartier de la saline aboutissent à la Senkungsgebiet (“zone d’affaissement”) sous haute surveillance car le terrain n’est pas stabilisé. Les bâtiments se lézardent et certaines maisons ainsi que l’église de Saint-Lambert ont dû être démolies.

La vieille route terrestre du sel vers Lubeck est maintenant aménagée pour le cyclotourisme Un établissement thermal fonctionnait encore récemment, utilisant de petites quantités de saumure extraites des sources salées sur place ; il est devenu un parc aquatique de bien-être. Un musée allemand du sel installé dans l’ancienne saline retrace le passé glorieux des activités salicoles.

 

Micheline Huvet-Martinet, septembre 2022

Les photos sont de l’auteur ©mhm

 

Bibliographie :

C. Higounet, Lunebourg, capitale du sel au moyen-âge, information historique, 1962, n°2, p.47-53

J.-C. Hocquet, Le Sel et le Pouvoir, de l’An Mil à la Révolution française, Albin Michel, 1985.

J.C Hocquet, le sel de l’esclavage à la mondialisation, CNRS éditions, 2019

“La Hanse” L’Histoire n°482, avril 2021