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Pasteur, la France et le monde

Maxime Schwartz et Annick Perrot (photographie de Denis Wolff)

Le 21 janvier 2023, les Cafés géo ont accueilli à l’Institut de géographie Annick Perrot, Maxime Schwartz et Agnès Desquand.
Isabelle Mazenc commence par les présenter rapidement : diplômée de l’Ecole du Louvre, conservateur de 2 musées, Annick Perrot a réalisé un énorme travail pour faire connaître Pasteur (42 expositions !) et a aussi dirigé la conception et la création de plusieurs musées en France et au Viêt-Nam.
Après une formation en biologie moléculaire (il s’agit d’expliquer tous les phénomènes biologiques par des interactions entre molécules), Maxime Schwartz a occupé de nombreux postes : directeur de recherche au CNRS, professeur et directeur général de l’Institut Pasteur, directeur scientifique de l’AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments).
Ils ont tous deux rédigé en collaboration un grand nombre d’ouvrages sur Pasteur (géographe de l’infiniment petit ?) et les Pasteuriens.
Quant à Agnès Desquand, diplômée de l’Ecole du Louvre, elle a écrit un livre sur Madame Pasteur.

Deux livres récents rédigés par les conférenciers

On imagine souvent Pasteur cloîtré dans des lieux savants : son laboratoire, l’Ecole normale supérieure, l’Institut Pasteur… Pourtant, en France, de nombreux lieux conservent le souvenir de son passage. Il en va de même à l’étranger, même s’il a relativement peu voyagé. La construction de sa réputation dans le monde a suivi la progression de son œuvre scientifique.
Louis Pasteur est né le 27 décembre 1822 à Dole, que sa famille quitte rapidement pour habiter dans une petite ville voisine, Arbois, où le père de Pasteur avait installé une petite tannerie.
Pasteur y grandit avec ses trois sœurs. Cet élève sérieux ne manifeste aucun goût particulier, hormis le dessin. Artiste et observateur, il croque à quatorze ans le portrait de sa mère, puis de tout son voisinage. Il restera toute sa vie attaché à son Jura natal.
En 1843, Pasteur est reçu au concours de l’Ecole normale supérieure. Elève studieux et travailleur, il se découvre une passion pour la physique et la chimie, et notamment la cristallographie.
A l’issue de ses études, recruté en qualité d’agrégé-préparateur, il fait sa première découverte à propos de l’acide tartrique ; cet acide est présent dans le tartre qui se dépose au fond des cuves où se produit la fermentation alcoolique lors de la transformation du jus de raisin en vin. Pasteur découvre alors que les molécules composées des mêmes atomes peuvent être dissemblables en raison de la position desdits atomes. Elles sont donc des objets à trois dimensions. C’est l’émergence de la stéréochimie qui, bien plus tard, est à la base de la biologie moléculaire.

En 1849, Pasteur, alors âgé de vingt-six ans, est nommé professeur suppléant de chimie à la faculté de Strasbourg. Pasteur rencontre la fille du recteur et l’épouse l’année même. Trois enfants naissent rapidement… alors que le papa poursuit ses travaux.

Il entreprend alors son premier voyage à l’étranger, en Allemagne et en Autriche ; il se rend alors compte que ses recherches sont connues en Allemagne et y noue des relations scientifiques.
Nommé professeur à Lille en 1854, il commence à s’intéresser aux fermentations. Depuis l’Antiquité, on fait appel à la fermentation dans la fabrication des boissons alcoolisées, du pain et du fromage, mais sans en comprendre le mécanisme. On a constaté depuis longtemps que ce processus est associé à la présence d’organismes vivants microscopiques (= ferments) mais sans connaître leur rôle. Pasteur démontre non seulement que les fermentations sont dues à l’action et à la croissance de microorganismes, mais également que chaque fermentation est liée à un microorganisme particulier ; si le processus de fermentation ne se produit pas correctement, c’est en raison de la présence de microorganismes contaminants.
Mais quelle est l’origine de ces microorganismes ? Selon la théorie de la génération spontanée, alors très en vogue, ils s’organisent spontanément à partir de la matière organique. Pasteur est rapidement convaincu que les microorganismes responsables des fermentations proviennent toujours du milieu extérieur.
Pasteur qualifie donc la génération spontanée de chimère, ce qui suscite de vives réactions dans la communauté scientifique internationale… et contribue à le faire connaître, même en dehors des milieux scientifiques. En effet, le débat qui touche à l’origine de la vie a des incidences philosophiques.

En 1857, Pasteur devient chargé de la direction des études à l’Ecole normale supérieure à Paris. En 1860, la France et le Royaume-Uni signent un traité de libre-échange. Alors que les vins français commencent à envahir le marché anglais, un problème se pose : les vins français souffrent de multiples « maladies » : les bordeaux tournent, les bourgognes deviennent amers et le champagne devient filant. Cette qualité inconstante du vin français met en péril les exportations. Napoléon III fait donc appel à Pasteur pour « rechercher les causes des maladies des vins et les moyens de les prévenir ».
Selon Pasteur, les viciations du vin résultent de la présence de germes contaminants (en dehors de la levure responsable de la fermentation). Il entreprend une étude microscopique des vins d’Arbois : il identifie les microorganismes responsables de chacune des maladies. Pour protéger le vin contre les maladies, il faut donc empêcher ou arrêter le développement de germes contaminants. Pasteur propose pour cela un chauffage à 55° à l’issue de la fermentation : c’est la pasteurisation. En 1866, il donne à l’Empereur son remède au problème posé. Ce procédé, guère utilisé pour le vin aujourd’hui, est en revanche fort employé dans le monde entier pour conserver d’autres aliments.
Les applications de ses travaux à la production de vinaigre, de vin, et ultérieurement de bière, commencent à faire connaître Pasteur auprès du grand public.

En 1865, Pasteur est appelé afin de sauver la sériciculture (la France produisait alors 10% de la soie mondiale). Or, les vers à soie sont alors décimés par une maladie épidémique. La production de soie est en chute libre. En cinq ans, il parvient à trouver un remède.

Entre 1859 et 1866, Pasteur perd successivement trois de ses filles de maladies. En 1869, il est frappé par un AVC : il devient hémiplégique mais l’intelligence est intacte.

Par ailleurs, en raison de la guerre de 1870, Pasteur, jusqu’alors germanophile, se met à haïr l’Allemagne. Humilié par la défaite française, il souhaite contribuer au relèvement de la patrie, d’où son intérêt pour la fabrication de la bière, domaine où l’Allemagne a une supériorité incontestable. Il voudrait que la France produire une bière de meilleure qualité qu’en Allemagne. Ce serait la « bière de la revanche ».

A son retour à Paris (il s’est réfugié à Clermont-Ferrand pendant la guerre), il installe une petite brasserie dans son laboratoire et dépose quatre brevets pour fabriquer et conserver la bière. Les techniques de Pasteur se répandent en Angleterre, au Danemark… puis dans le monde entier.

Selon Pasteur, la « théorie des germes » issue de ses travaux sur les fermentations, doit s’appliquer également aux maladies contagieuses. Un chirurgien anglais constate qu’en détruisant les microorganismes par des antiseptiques lors des opérations, le risque de gangrène et de septicémie diminue. Puis l’allemand Robert Koch démontre que le charbon des ovins et des bovins est causé par une bactérie. Pasteur n’apprécie alors pas qu’un jeune médecin de campagne allemand prétende confirmer SA théorie des germes. Il effectue des expériences plus rigoureuses qui confirment en fait les conclusions de Koch (1877). C’est la première fois qu’on peut imputer une maladie à un microbe. En 1882, Koch identifie la bactérie responsable de la tuberculose, le Bacille de Koch. C’est le début d’une rivalité féroce entre Pasteur et Koch
En 1883, l’Egypte étant confrontée au choléra, Pasteur recommande au gouvernent français d’y envoyer une mission. Il est le premier à préconiser l’envoi d’une mission lorsqu’une épidémie survient (c’est fait systématiquement aujourd’hui, sous l’égide de l’OMS). Mais cette mission est un échec, et se conclut par la mort de Louis Thuillier, jeune collaborateur de Pasteur, alors que la mission allemande, dirigée par Koch, obtient les premières indications sur la bactérie responsable du choléra.

Il est alors prouvé que les maladies contagieuses sont dues à des microbes. Pasteur s’attache alors à rechercher des moyens de protection : développement de l’hygiène (notamment l’asepsie lors des opérations), puis travaux sur les vaccins.

Le premier vaccin, contre la variole, avait été mis au point par le médecin anglais Edward Jenner en 1796. Il s’agissait de l’inoculation de la vaccine, maladie bénigne de vaches, proche de la variole. Cent ans plus tard, Pasteur est convaincu que la variole est due à un microbe et que le microbe de la vaccine doit être une forme atténuée de celui de la variole. Il montre alors, par ses travaux sur le choléra des poules, le charbon des ovins et des bovins, qu’en inoculant des formes atténuées des microbes, on peut protéger les animaux contre leur action nocive. A Pouilly-le-Fort (Seine-et-Marne), Pasteur se livre à une expérience publique : cinquante moutons sont mis à sa disposition, la moitié a été inoculée avec la bactérie atténuée puis, quelques semaines plus tard, tous ont été inoculés avec la bactérie virulente. Résultat : les vingt-cinq moutons préalablement inoculés avec le microbe atténué survivent et les vingt-cinq autres sont morts. C’est un triomphe pour Pasteur ; c’est à ce moment-là qu’il étend l’usage du mot « vaccination » jusqu’alors restreint à l’utilisation de la vaccine pour protéger contre la variole. La vaccination contre le charbon est introduite en France, puis dans le monde entier jusqu’en Australie.

Les éleveurs de porcs de la région de Bollène (Vaucluse) sont alors touchés par une autre maladie, le rouget du porc. En 1882, Louis Thuillier, élève de Pasteur, identifie la bactérie responsable du rouget. En 1883, Pasteur met au point le vaccin.

La découverte du vaccin contre la rage fait, plus que toute autre, la gloire de Pasteur. Maladie contractée après la morsure d’un animal enragé, le plus souvent un chien, elle n’est que peu fréquente en Europe… mais elle déchaîne l’imagination ! Pour Pasteur, vaincre une maladie aussi terrifiante donnera de la publicité à ses travaux. De plus, comme il s’agit d’une maladie animale, on peut faire des expérimentations sur des chiens avant de passer à l’homme. Il faut cinq ans de travaux pour obtenir le vaccin contre la rage. Il est particulier car il ne protège pas avant l’infection, mais après ; il n’est pas fabriqué à partir d’un microbe atténué, mais tué.
En 1885, le jeune alsacien Joseph Meister, mordu par un chien enragé, est conduit à l’Ecole normale supérieure par sa mère. Pasteur décide de lui faire injecter son vaccin pendant onze jours, avec des suspensions de moelle infectée de moins en moins atténuées et, pour finir, par la moelle virulente extraite d’un lapin mort la veille. Joseph Meister ne contracte pas la rage. Le prestige de Pasteur atteint alors des sommets : il est considéré comme un bienfaiteur de l’humanité. Peu après, quatre enfants américains s’embarquent vers la France pour être vaccinés, leur voyage étant payé par le New York Herald : ils ne contractent pas la rage. Dix-neuf paysans russes viennent ensuite à Paris…
En 1886, on lance une souscription internationale en vue de construire ce qui sera l’Institut Pasteur, édifié dans le quartier de Vaugirard. Inauguré en 1888, il n’est pas uniquement destiné à la prophylaxie contre la rage, mais aussi à la recherche scientifique, au perfectionnement et à l’enseignement de la microbiologie. Une nouvelle génération de chercheurs s’apprête à suivre le chemin tracé par Pasteur.
En novembre 1894, Pasteur est très malade ; il meurt en 1895. Le gouvernement décrète des funérailles nationales, dix ans après celles de Victor Hugo. Pasteur repose désormais au sein de l’Institut qu’il a créé.
Peu à peu se met en place un réseau international. Adrien Loir, neveu de Mme Pasteur, fonde en 1886 à Saint-Pétersbourg un centre antirabique qui devient ensuite un institut Pasteur. En 1888, il tente d’éliminer les lapins en Australie par une « guerre bactériologique » ; c’est un échec mais il crée à Sydney un institut Pasteur. En 1893, il est envoyé en Tunisie pour apporter une solution aux problèmes de vinification ; il fonde aussi un institut Pasteur. Albert Calmette, après avoir fait reculer la variole et la rage en Indochine, fonde en 1891 à Saigon un institut Pasteur qui existe encore aujourd’hui. Puis Alexandre Yersin, qui découvre le bacille de la peste, fonde l’institut Pasteur de Nha-Trang.
Ces instituts fondés par Calmette, Yersin et Loir sont les premiers d’un réseau qui compte actuellement trente-trois instituts, certains dans des colonies françaises devenues depuis indépendantes, et de nombreux autres, comme en Grèce, en Chine ou en Uruguay… En dehors des services apportés dans leurs pays respectifs, ils jouent un rôle majeur dans la surveillance mondiale des maladies épidémiques et participent à de nombreux programmes de recherche sur les maladies infectieuses.

Les instituts Pasteur dans le monde
(© Institut Pasteur)

L’exposé terminé, Isabelle Mazenc demande aux conférenciers de préciser ce qu’étaient les règles d’éthique au dix-neuvième siècle. Ainsi, lors de ses travaux sur le vaccin contre la rage, Pasteur propose à l’empereur du Brésil de vacciner des condamnés à mort, leur peine étant commuée en détention. On n’accepterait sûrement pas cela aujourd’hui (l’empereur a d’ailleurs refusé). Les règles éthiques n’étaient pas les mêmes à l’époque. D’ailleurs, Pasteur ne vaccine Joseph Meister qu’après mûre réflexion.

Question : Pasteur n’était pas médecin mais chimiste… Cela lui a-t-il posé problème (cf. la génération spontanée) ? Par ailleurs, il y a aujourd’hui du Pasteur bashing c’est-à-dire une remise en cause des vaccinations.
Réponse : Cela ne date pas d’aujourd’hui, les antivaccins ! Il y en a eu dès la variolisation (qui a précédé la vaccination), puis lors des premières vaccinations (cf. des caricatures montrant des gens vaccinés avec des cornes puisqu’on leur avait inoculé un produit venant des vaches !). Leurs prétextes sont divers : outre les raisons religieuses, ces personnes estiment qu’il faut laisser faire la nature, que les vaccins ne servent qu’à enrichir les industriels… Il y avait déjà eu des problèmes lorsqu’on a rendu des vaccins obligatoires pour les enfants, on en parle aujourd’hui en raison du vaccin contre la Covid… Pasteur a montré qu’on pouvait fabriquer des vaccins et a réussi à le faire. Pasteur est la victime indirecte de la vaccinophobie… mais ce n’est pas récent !

Question : La polémique fait-elle progresser la science ? On pense à celle entre Pasteur et Koch. La science progresse-t-elle plus vite du fait d’une polémique ?
Réponse : Cela a fait progresser la science, Pasteur comme Koch essayant de faire mieux que l’autre. De manière générale, l’émulation est importante en science. Les scientifiques essaient de répondre à des questions… et aiment être les premiers à y répondre. L’émulation peut être très positive, sauf lorsqu’il y a une concurrence déloyale. Maxime Schwartz s’est occupé du problème du Sida entre Gallo et Montagnier. Gallo a vraiment essayé de s’approprier les résultats de Montagnier.

Question : Pour revenir à Koch, il y aurait eu une tentative d’instrumentalisation politique par l’empereur allemand. Qu’en est-il des rapports entre Pasteur et le pouvoir politique français, notamment Napoléon III ?
Réponse : Pasteur était très conservateur et cherchait à être bien vu par le pouvoir. Il est proche de Napoléon III (qui lui demande de travailler sur le vin), puis proche du pouvoir républicain (le sénateur Dumas l’incite à travailler sur le ver à soie). Il cherche alors à devenir sénateur mais fait une très mauvaise campagne (plus scientifique que politique) et surtout, il ne veut pas serrer les mains car il craint de se faire contaminer !!
Koch a été très admiré en Allemagne après la découverte du bacille de la tuberculose puis du choléra. Il est très soutenu par les pouvoirs publics. Dans les années 1890, il veut trouver un remède contre la tuberculose. Il obtient des résultats préliminaires intéressants. Poussé par le pouvoir politique à faire une annonce lors d’un grand congrès à Berlin, il ne propose qu’une découverte partielle : la tuberculine, intéressante uniquement comme outil de diagnostic. Cela lui cause du tort. Après sa mort (1910), les nazis prennent Koch comme figure de la science allemande (réalisation d’un film). Cela nuit à sa réputation après la guerre. Aujourd’hui, Koch n’a pas en Allemagne la popularité que connaît Pasteur en France : il y a beaucoup moins de rues Koch en Allemagne que de rues Pasteur en France.

Question : Peut-on visiter l’Institut Pasteur ? Quelles recherches y pratique-t-on ?
Réponse : Le musée Pasteur est fermé en raison de travaux pour quatre ans au moins. Actuellement, les visites ne peuvent être que virtuelles. Cela dit, le musée ne forme qu’une petite partie de l’Institut où les recherches se poursuivent, notamment sur un nouveau vaccin contre la Covid-19 : les vaccins actuels ne protégeant efficacement que pour six mois, on souhaiterait découvrir un vaccin pérenne. La moitié des unités de recherches de l’Institut Pasteur s’intéressent aux maladies infectieuses, les autres faisant de la recherche sur d’autres sujets, fondamentaux ou appliqués (cancer, maladies dégénératives…).

Question : Outre le talent littéraire, que pensez-vous du livre de Patrick Deville, La peste et le choléra ?
Réponse : Patrick Deville s’est largement inspiré du livre de Henri Mollaret, pastorien, chercheur, et de Jacqueline Brossolet, historienne et assistante de Mollaret. Ils ont tous deux fait un travail considérable et ont collecté la correspondance entre Yersin et sa mère (actuellement aux archives de l’Institut Pasteur). Ils ont rédigé un très bel ouvrage consacré à Yersin, paru chez Belin puis dans une collection de poche. Patrick Deville a prétendu utiliser les archives de l’Institut Pasteur, mais en réalité, il s’est beaucoup inspiré des livres de Mollaret et Brossolet, mais sans les citer, ce qui est pour le moins choquant.

Question : Compte tenu de la germanophobie de Pasteur, des instituts Pasteur ont-ils été créés dans les pays germaniques ?
Réponse : Il n’y a pas d’institut Pasteur en Allemagne ou en Autriche, ni dans les colonies allemandes de l’époque. Loir avait créé un institut Pasteur à Bulawayo (alors en Rhodésie du Sud, aujourd’hui au Zimbabwe) qui devait être pérenne mais, un an après, Koch est arrivé sur place et n’a rien fait pour le sauver…

Question : Pourquoi le réseau Pasteur n’a-t-il pas réussi à mettre au point le vaccin contre la Covid-19 ?
Réponse : Maxime Schwartz rappelle que l’ARN-Messager a été découvert à l’Institut Pasteur en 1961 par une équipe composée de François Jacob, Jacques Monod et François Gros. A l’époque, personne ne songeait à l’utiliser comme vaccin car il s’agit d’une molécule très instable (durée de vie très courte). Par ailleurs, pourquoi chercher à cette époque une nouvelle méthode pour élaborer un vaccin ? On pouvait en fabriquer avec des microbes atténués, des microbes tués, des molécules issues des microbes… Ce n’est que dans les années 1990 que certains chercheurs s’intéressent à nouveau à l’ARN-Messager. Maxime Schwartz avoue sa stupéfaction lorsqu’il a appris qu’on allait l’utiliser dans le vaccin contre la Covid-19…
Au début de l’épidémie, environ cent cinquante institutions dans le monde se sont mises à chercher un vaccin. Les chercheurs de l’Institut Pasteur ont suivi une piste, a priori prometteuse, mais les essais cliniques ont montré que les résultats obtenus par ce vaccin étaient moins efficaces que ceux obtenus par l’ARN-Messager (90% de succès ; c’est rare pour des vaccins). La percée de l’ARN-Messager est extraordinaire, et pas seulement contre la Covid. Cela révolutionne l’industrie des vaccins : on va avoir des vaccins ARN-Messager contre beaucoup de maladies et l’ARN-Messager peut servir à beaucoup d’autres choses en médecine. C’est vraiment une percée extraordinaire… hélas non réalisée par l’Institut Pasteur, mais il ne peut pas être toujours le premier !

Question : Qui a d’abord produit, au début du vingtième siècle, le vaccin contre la rage ? Est-ce aujourd’hui les mêmes industriels ? L’Institut Pasteur y tient-il encore une place ?
Réponse : Pendant longtemps, on vaccine contre la rage en utilisant de la moelle épinière, puis des cerveaux de moutons… mais, depuis de nombreuses années, on sait cultiver le virus de la rage. Encore aujourd’hui, ce vaccin permet de sauver un grand nombre de vies. Différents industriels fabriquent ce vaccin. Depuis les années 1970, l’Institut Pasteur ne produit plus de vaccins ; la production a été transmise à Pasteur-Vaccins qui, racheté par Mérieux, est alors devenu Pasteur-Mérieux, puis Sanofi-Pasteur.

Question : Pasteur s’est beaucoup intéressé à la prévention. Aurait-il pu imaginer les antibiotiques ?
Réponse : Oui et non. Oui, car Pasteur avait fait une observation à l’origine des antibiotiques : lorsqu’il inoculait, en même temps que la bactérie du charbon une autre bactérie (on ignore laquelle), cela empêchait l’animal d’avoir le charbon. Il a donc l’idée d’antagonisme entre des microorganismes. S’il avait poursuivi cette expérience, il serait peut-être arrivé aux antibiotiques… Pasteur préférait prévenir, plutôt que guérir : il se concentrait plus sur les vaccins que sur les antimicrobiens.

Question : A l’école primaire, on parlait de vaccin pour se protéger d’une maladie et de sérum comme remède lorsque la maladie est déclarée. Le vaccin contre la rage ne serait-il pas un sérum ?
Réponse : Sérum et vaccin sont deux choses différentes. Le vaccin protège à l’avance en faisant fabriquer des anticorps ; dans la sérothérapie, on va chercher des anticorps ailleurs, chez des animaux vaccinés, et on vous les injecte si vous êtes malade. Aujourd’hui, on n’utilise plus guère la sérothérapie. En revanche, il y a une branche de celle-ci qui est devenue fort importante : les anticorps monoclonaux, anticorps spécifiques contre telle ou telle maladie, comme certains cancers.
Dans le cas de la rage, on injecte le vaccin alors qu’on a déjà été mordu. La morsure est le début de l’infection mais on n’est alors pas encore malade parce qu’il faut plusieurs semaines pour que le virus migre du point de morsure jusqu’au cerveau, ce qui donne le temps à la défense immunitaire de se mettre en place. Mais on ne peut pas agir ainsi pour la plupart des autres maladies, d’abord parce qu’en général, il y a moins de temps entre l’infection et le début de la maladie et que, le plus souvent, on ne sait pas quand on a été infecté… Aujourd’hui, des vaccinations thérapeutiques ont pour objet de développer la réaction immunitaire alors qu’on est déjà malade (dans le cas des cancers, par exemple).

Question : Certains produits non pasteurisés (Camembert au lait cru, bière…) apparaissent meilleurs gustativement que des produits pasteurisés… et ceux qui en consomment ne semblent pas plus frappés par une maladie microbienne que les autres.
Réponse : Il y a eu une évolution dans la conception de la pasteurisation. Initialement, elle était destinée à éviter que le lait ne tourne et qu’il n’y ait des contaminations qui rendent l’aliment impropre à la consommation mais, à l’époque, sans idée de maladie consécutive. Dans le cas, du vin, l’idée est qu’il reste agréable à boire. Plus tard, on craint une transmission de la tuberculose bovine à l’homme. La pasteurisation détruisait les bacilles tuberculeux potentiellement présents. Selon une idée répandue, on effectue la pasteurisation pour protéger les consommateurs contre les maladies… mais il y a peu de cas de maladies transmises par des aliments. On pasteurise surtout les aliments afin qu’ils restent bons.

Question : Pasteur a révolutionné les mentalités au dix-neuvième siècle. Quelle a été l’attitude de l’Eglise ?
Réponse : La question se pose surtout à propos de la génération spontanée. Pasteur, catholique peu pratiquant, reste à un niveau scientifique. Il n’y a pas de polémique avec l’Eglise et il a même été dans son sens puisqu’il montre que la vie n’apparaît pas spontanément. Il y a même un peu de récupération de Pasteur par l’Eglise.

Question : Pasteur avait-il établi la différence entre bactérie et virus ?
Réponse : Pasteur utilise indifféremment les deux termes. Selon lui, un virus est un microorganisme qui donne des maladies. Dans le cas de la rage, il n’arrive pas à le voir. Il s’est donc dit qu’il s’agissait d’un microbe trop petit. Cela dit, un virus ne se développe qu’à l’intérieur d’une cellule, ce que Pasteur ne savait pas. Les premiers virus sont identifiés à la fin du dix-neuvième siècle : d’abord la mosaïque du tabac… Ils n’ont véritablement été vus qu’après l’invention du microscope électronique, dans les années 1930. Pasteur a cultivé son virus en le transmettant d’animal à animal ; il a été virologue sans le savoir.

Question : Quelle est la différence entre la pasteurisation et l’appertisation ?
Réponse : Nicolas Appert (1749-1841) avait déjà constaté que chauffer fortement des aliments favorise leur conservation. Pasteur n’a donc pas inventé la méthode mais il lui a donné une base rationnelle en expliquant que les aliments sont bien conservés parce que les microbes sont détruits (ce que ses prédécesseurs n’avaient pas compris).

Question : Existe-t-il aujourd’hui un cadre juridique international sur les découvertes scientifiques ? Ou n’y a-t-il que des législations propres à chaque pays ?
Réponse : Pour protéger les résultats scientifiques et leurs applications industrielles, il faut prendre des brevets (sinon, pas de protection). Les transferts d’informations ne sont pas protégés ; il peut d’ailleurs y avoir des problèmes, comme dans le cas entre Gallo et Montagnier précédemment mentionné : Montagnier avait envoyé son virus à Gallo qui a fait semblant de le redécouvrir un an plus tard. Heureusement, des brevets avaient été pris et l’Institut Pasteur a pu se défendre. En 1994, le gouvernement américain finit par admettre que le virus de Gallo était en fait celui envoyé par Montagnier. Depuis, on tient scrupuleusement des cahiers de laboratoire, rigoureusement datés, ce qui peut permettre, le cas échéant, de prouver l’antériorité d’une découverte.

Question : Une amibe s’est invitée dans la station spatiale internationale de Thomas Pesquet, le blob (nom scientifique : Physarum polycephalum)
Réponse : Au départ, il s’agit d’une amibe ; c’est un microorganisme qu’on ne peut voir qu’au microscope. Ce microbe se multiplie, mais ne se divise pas. Il peut mesurer plus d’un mètre et avoir différents noyaux. On n’a pas besoin d’un microscope pour le voir ! On en voit dans les forêts.

Question : Quels sont les métiers de l’Institut Pasteur ? Combien de personnes y travaillent ?
Réponse : Ils sont fort variés. On peut être recruté (payé) par l’Institut Pasteur mais aussi par des organismes de recherche, tels le CNRS, l’INSERM ou l’Université. L’Institut Pasteur est une fondation privée reconnue d’utilité publique. Il est financé par l’Etat pour environ un tiers, par la générosité publique (dons et legs) pour un deuxième tiers et un dernier tiers provient des revenus des applications industrielles, des royalties sur les brevets et des contrats avec l’industrie… Deux mille cinq cents personnes y travaillent à l’heure actuelle, sans compter les instituts du réseau qui sont, pour la plupart, indépendants. En les intégrant, on arrive à environ dix mille Pasteuriens dans le monde.

compte rendu rédigé par Denis Wolff et relu par Maxime Schwartz et Annick Perrot mars 2023