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Repas canadien

Jeudi 14 septembre à 19H30, les membres de l’association « Cafés géographiques de Metz » se sont donné rendez-vous au restaurant Canadaventure installé dans le décor rustique et chaleureux d’un local voûté de la vieille ville. Florence Smits sera le guide de cette soirée sur les sentiers de la découverte de la cuisine canadienne.

C’est le premier repas gastronomique des « Cafés géo » de Metz. La présidente Christiane Barcellini l’introduit par quelques mots d’accueil.

Treize à table ! Pas le temps d’éprouver le moindre frisson puisque deux retardataires se joignent bien vite à la tablée dans le joyeux brouhaha des commandes de boissons : bières de Robert Charlebois ou pichets de vin canadien blanc ou rouge, la curiosité et les goûts de chacun répartissant assez rapidement les choix. Fllorence, installée en bout de table, commence le voyage sitôt les premiers verres servis.

Le Canada est un pays fédéral composé de 10 provinces et 3 territoires. Le chef d’Etat en est Elizabeth II. Il s’étend sur près de 9,9 millions de Km², ce qui le place au 2° rang mondial pour la surface. Il est bordé par l’Océan atlantique, l’Océan pacifique et l’Océan glacial arctique ; il bénéficie ainsi de 202 000 Km de côtes, c’est-à-dire du plus grand littoral du monde. S’étendant sur plus de 5 514 Km d’est en ouest et de 4 634 Km du nord au sud, le Canada offre une grande variété de paysages des côtes rocheuses de Gaspésie, aux rivages des Grands Lacs où pousse la vigne, des terres enneigées de la baie de Churchill, des solitudes du bouclier, aux glaciers et aux sommets déchiquetés des Rocheuses (point culminant : Mont Logan : 5 959 m. près de l’Alaska). La forêt, très importante y couvre 46% de la superficie du territoire. A cette variété topographique et climatique s’ajoute la diversité des hommes.

Le Canada compte aujourd’hui 32 270 000 habitants et s’affiche comme une société multiculturelle. Depuis 1901, il a accueilli 13,4 millions d’immigrants (dont 2,2 millions entre 1991 et 2001 ). Si les immigrants venaient surtout d’Europe, depuis une vingtaine d’années, ils sont principalement asiatiques. Leurs apports se sont greffés au patrimoine des autochtones : indiens et inuits. De cela, il ressort en matière de cuisine une complexité, reflet d’une multitude d’influences. Les recettes initiales ont été adaptées à la disponibilité des produits des influences étrangères subsistent qui diffèrent selon les provinces. La cuisine française a joué un grand rôle sur la nourriture du Québec, d’une partie des Maritimes et du nord de l’Ontario. Les immigrants anglais, irlandais et écossais ont eu une influence prédominante sur la nourriture du Canada anglais dans les Maritimes et dans le sud de l’Ontario. Différentes régions de l’Ontario offrent de fortes influences scandinaves et néerlandaises. Dans l’ouest du pays, l’avantage est aux Allemands, aux Polonais et aux Ukrainiens. Mais les immigrants au XIX° siècle ne sont pas qu’Européens : 15 000 Chinois ont été recrutés dans les années 1880 pour la construction du Chemin de fer du Canadian Pacific. Ces derniers ont inventé de nombreux plats qui sont à la base de la manière dont la nourriture chinoise est actuellement perçue. Selon Smart, les premiers immigrants ont ouvert leurs cafés à une clientèle essentiellement non chinoise aussi ont-ils adapté leurs plats aux goûts locaux et aux ingrédients disponibles. Il en résulte une cuisine chinoise canadienne, partie intégrante de l’identité culinaire des Chinois du Canada.

Néanmoins, il ne faudrait pas conclure de tout cela que la cuisine canadienne n’est qu’un vaste melting pot. Certes, pour certains, la elle n’existe pas car les différences sont trop grandes, au mieux existe-t-il une cuisine des provinces du Canada. D’autres s’essayent à la définir comme Jennifer Cockrall-King. Selon elle, la réponse varie grandement selon l’endroit où la question est posée. Parce que le pays : « s’étend du Pacifique à l’Atlantique et des toundra du nord jusqu’aux déserts et forêts humides , il n’existe pas une définition unique de la cuisine canadienne. Elle commence avec les ingrédients qui poussent dans le paysage et avec les plats traditionnels qui sont liés aux histoires et cultures des régions. A l’avant garde de la cuisine canadienne, chaque chef réinterprète de manière inventive ces éléments afin de refléter sa vision personnelle du pays, de la nourriture et des gens qui vivent autour de lui ou d’elle ».

Il est vrai cependant que chaque province, ou presque, a ses spécificités. Ainsi une mesure de l’importance et de l’attachement aux ingrédients locaux est donnée par une des conditions posées par les Terre-Neuviens pour rejoindre la Confédération canadienne en 1949. Les Terre-Neuviens se sont vus accorder le droit permanent, de manière apocryphe, de piéger les guillemots, oiseaux très communs sur les côtes terre-neuviennes. Toujours à Terre Neuve, les langues de morue ou les tourte de nageoire de phoques sont des plats très populaires. En 1978, le gouvernement du Québec lançait un programme de recherche pour identifier les plats typiquement québécois et établir des recettes qui soient reproductibles dans les hôtels afin de promouvoir cette cuisine assez roborative (fèves au lard, tourtière du lac Saint-Jean, tarte au sucre) car élaborée par des paysans qui devaient affronter le froid et la forêt. Au-delà des différences, il existe indéniablement des ingrédients et des plats canadiens. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer l’importance des produits bruts lorsque l’on envisage le Canada (du bois au diamant en passant par les céréales) jusque dans l’alimentation, le Canada est un producteur d’ingrédients bruts, (sirop d’érable, homard, saumon, tête de violon, riz sauvage…).

Les plats emblématiques du Canada (toutons, oreilles de crisse, tourtière, le saumon, les salmon candies, tarte au sucre, rillettes d’orignal) tendent à constituer surtout une nourriture populaire qui est faite d’ingrédients locaux peu onéreux et largement disponibles. D’autres plats sont nés plus récemment comme la poutine composée de frites, du jus de viande et de morceaux de fromage (ou comme disent les Québécois, des patates rôties, de la sauce brune et du fromage en crotte). Bien que l’origine et même le nom de ce plat soient discutés, on attribue généralement la poutine à Fernand Lachance, propriétaire du Café idéal à Warwick (région de la province du Québec où l’on produit du fromage) qui l’aurait servie pour la première fois en 1957, mais la querelle reste vive avec Jean-Paul Roy de Drummondville. Aujourd’hui, un restaurant de Toronto sert une poutine au homard, à de Montréal on sert une version au foie gras et des chaînes de restauration rapide tels que A & W, Burger King, McDonald’s, Harveys, Licks, KFC et New York Fries, l’ont introduite dans leur menu. Il y a également la tartelette au beurre ou butter tart (faite à partir de sirop de maïs, noix, sucre et beurre) qu’évoque Neil Chapman : « Oubliez le castor, oubliez la glorieuse feuille d’érable, oubliez le huard majestueux et omniprésent, pendant des décennies, ce pays a complètement négligé l’élément qui a le plus contribué à son identité en tant que nation, la tartelette au beurre. (…) La délicate pâte supporte un centre riche et crémeux tout comme les océans bordent nos ressources naturelles, les hommes et les animaux qui y demeurent. Les variantes et la taille des tartelettes au beurre sont multiples, à l’image des cultures qui vivent harmonieusement au sein de notre merveilleux pays. Les Etasuniens ont leurs symboles et leurs proverbes, leurs aigles et leurs apple pies, leurs bombes et leurs stars de cinéma. Nous avons la tartelette au beurre. Née et cuisinée dans cette incroyable terre qu’est la nôtre pour être un rappel constant de combien nous sommes gentils et sympathiques ».

Aujourd’hui, la cuisine canadienne contemporaine s’affirme (jusqu’au championnat du monde) mais reste fidèle à certains ingrédients et cherche, à innover et à développer des produits comme les fromages, les bières artisanales (telle la Blanche de Chambly ou les produits des micro-brasseries possédées par le chanteur Robert Charlebois) ou encore le vin (à commencer par les vins de glace ou icewine), … Le Canada est fier de sa cuisine et la présente, y compris dans les programmes touristiques, comme un moyen de connaître sa population et son espace.

Une généreuse part de saumon grillé, accompagnée de salade et de maïs, vient à point pour apaiser la faim que l’exposé de Florence a aiguisée et satisfaire les papilles.

Ce soir, nous allons surtout déguster des ingrédients canadiens en commençant par un des poissons les plus consommés par les Amérindiens : le saumon. Ils le mangeaient cru, cuit au feu ou fumé. Le cèdre était un bois couramment utilisé pour cuisiner et parfumer le poisson. Il existe différentes variétés de salmonidés comme le Sockeye (Selon Bill Casselman (1999), Canadian Food Words McArthur & Company, « sockeye » est un terme qui vient des populations slaish et qui signifie poisson rouge) ou encore l’omble de l’Arctique et les Corégones. Les saumons sont très nombreux en raison de l’importance des côtes et du grand nombre de lacs au Canada (près de 32 000 lacs de plus de 3 Km², le nombre des lacs plus petits n’a jamais été officiellement donné ; au total les lacs et rivières couvrent 10% de la superficie du pays). La pêche reste une activité importante, notamment dans les pourvoiries, ainsi que dans les trous de glace.

Le plat suivant associe une tendre brochette de viande de bison (dont chacun détermine la cuisson qu’il préfère) et des tranches de smoked meat à une pomme de terre que le restaurateur nous invite à choisir « française » ou « canadienne » (frite ou au four). Les convives ont décidément changé de continent et la patate au four remporte un vif succès.

On compte actuellement environ 10 000 bisons des bois (un des plus gros mammifères d’Amérique du Nord) contre près de 168 000 autrefois (Parcs Canada reste vague quant à la date exacte). C’est aujourd’hui une espèce protégée, mais nous consommons du bison d’élevage. Cette viande fut également consommée par les autochtones. A ce sujet, voyons les modes de cuissons qu’utilisaient les Amérindiens et les Inuits en plus de la grillade. Tandis que les Beothucks faisaient bouillir leurs aliments dans des bols creusés dans de la pierre à savon (très tendre), les Shuswaps de la région de Kamloops, en Colombie britannique, utilisaient souvent l’écorce d’épinette ou un estomac de chevreuil nettoyé pour le même usage . Pour cuire la viande, ils mettaient des pierres brûlantes dans ces récipients et les plaçaient près du feu. Mais vous auriez pu également consommer l’ours polaire rôti, le renne bouilli, le castor en saumure sucrée, la fricassée d’écureuil, les marmottes frites, les poitrines de baleine farcies, le rat musqué à la vapeur, les sabots de caribou bouillis ou la moufette cuite (au four).

Le smoked meat est fait de morceaux de viande marinés dans des épices (une recette , indique des graines de poivre, de fenouil, de cumin, de moutarde, de céleri, de la moutarde en poudre, du quatre-épices, du paprika, de l’ail, du sucre brun et du sel kascher), du sel et souvent du salpêtre afin d’être parfumés et attendris puis qui sont fumés. Cette recette est une illustration de l’apport des immigrants à la cuisine canadienne : elle vient vraisemblablement de Lituanie et de Roumanie et est de tradition juive. Le smoked meat est aujourd’hui servi, souvent entre deux tranches de pain, dans de nombreux endroits au Canada, mais c’est devenu une spécialité d’établissements comme Dunn’s ou Ben’s à Montréal.

L’assistance gourmande est captivée. C’est à peine si un haussement de sourcil traduit l’étonnement à l’évocation par Florence d’ingrédients carnés pour le moins surprenants… Le caractère traditionnel du dessert prévisible qui nous est servi ne porte pas ombrage à son succès : les pancakes tièdes au sirop d’érable éveillent un murmure de gourmandise entendue.

Les pancakes sont des crêpes épaisses de tradition britannique (Pancake Tuesday est le Mardi gras) on dit qu’elles étaient un moyen de finir les ingrédients que l’on ne pourrait plus consommer durant le carême. Le sirop d’érable est sans doute le produit le plus populaire du Canada. Le Canada en assure près de 80% de la production mondiale (et le Québec fournit près de 90% de la production du Canada). Plusieurs variétés d’érables produisent une sève qui sert à fabriquer le sirop. Il faut 40 litres de sève (ou d’eau d’érable composée à 97% de sucrose et de saccharose) pour produire par évaporation 1 litre de sirop d’érable. C’est un produit ancien et ce sont les amérindiens qui ont montré aux colons comment procéder.

Des récits légendaires entourent l’apparition du sirop. Une légende iroquoise veut qu’un chasseur, Woksis ait planté sa hache dans le tronc d’un érable avant de dormir. Le lendemain, il reprend sa hache et part chasser. L’érable, blessé, pleure, laissant échapper sa sève dans un récipient laissé là. La femme du chasseur, pensant qu’il s’agit d’eau gelée, l’utilise pour faire un ragoût à son mari. Au fur et à mesure de la cuisson, le fumet et le goût du ragoût ne cessent de s’améliorer, un plat délicieux est né.

Une autre légende raconte que Nokomis (la Terre) aurait été la première à percer des trous dans le tronc des érables et à recueillir directement le sirop d’érable. Nanabush, constatant que cette sève était un sirop prêt à manger, va trouver sa grand-mère et lui dit : « Grand-mère, il n’est pas bon que les arbres produisent du sucre aussi facilement. Si les hommes peuvent ainsi sans effort recueillir du sucre, ils ne tarderont pas à devenir paresseux. Il faut tâcher de les faire travailler. Avant qu’ils puissent déguster ce sirop exquis, il serait bon que les hommes soient obligés de fendre du bois et de passer des nuits à surveiller la cuisson du sirop. » Il n’en dit pas plus long, mais craignant que Nokomis ne soit indifférente à ses paroles et qu’elle n’omette de prendre des mesures pour empêcher les hommes de devenir paresseux, il grimpe au haut d’un érable avec un vaisseau rempli d’eau et en verse le contenu à l’intérieur de l’arbre dissolvant ainsi le sucre qui se trouvait dans l’érable. ».

Les Amérindiens pratiquaient la danse de l’érable (afin d’aider la montée de sève) lors de la lune d’érable (la pleine lune en mars, voire avril). Quoiqu’il en soit, le sirop d’érable a été une très importante source de sucre car le sucre de canne venu des Antilles était beaucoup trop cher. Parallèlement, on est passé d’une collecte avec des chaudières (sceaux) en bois puis en aluminium et au traîneau, au système par tubulure. La technique est désormais également présente dans la fabrication du sirop. Pour économiser l’énergie, on ne le fait plus bouillir longuement mais on utilise l’osmose inversée. Depuis les années 1980, cette technologie permet de concentrer les éléments solubles dans l’eau d’érable (on retire ainsi entre 50% et 75% de l’eau avant de faire bouillir ce qui reste) cette technique elle est considérée comme un substitut valable à l’évaporation. Une fois prêt, le sirop est filtré avant d’être mis en bouteille ou en boîte de conserve à une température de 82°c. afin d’éliminer les possibles bactéries. Lorsque l’on continue la chauffe, on obtient la tire, le beurre et le sucre d’érable. Il existe différentes variétés de sirop d’érable (extra clair, clair, médium, ambré, foncé, selon le degré de sucre présent et donc la lumière qui passe à travers).

La récolte a lieu lorsque la sève commence à monter, qu’il ne gèle plus durant la journée mais que les nuits sont encore froides, soit, pendant une dizaine de jours vers mars. C’est, comme au temps des Amérindiens et des premiers colons, un temps de fête et les Québécois sont nombreux à aller cabane à sucre (autrefois le lieu où l’on fabriquait le sirop, aujourd’hui, à la fonction de production s’ajoute souvent un restaurant où le repas composé de soupe aux pois, fèves à l’érable, œuf à l’érable, oreille de crisse, tartes à l’érable et au sucre est très nourrissant) avant d’aller déguster de la tire fraîchement versée sur la neige et, éventuellement, de danser des danses traditionnelles ou de chanter car il faut dépenser l’énergie que l’on vient de consommer.

Pour achever ce voyage dans le temps et dans l’espace, il convient d’ajouter que le Canada développe aujourd’hui des appellations et des filières de qualité et valorise l’origine de ses produits : pétoncles de Digby, moules de l’Ile du Prince Edouard, canard du Lac Brome, bleuet du Lac St-Jean, et si vous êtes invités à la table du Gouverneur général, vous aurez peut-être l’occasion de déguster le Canada dans une assiette avec un plat comme « un gâteau de joues et de langues de morue de Terre-Neuve-et-Labrador et de la morue charbonnière fumée de la Colombie-Britannique, agrémentés d’une salade de grains des Prairies, de petits légumes biologiques de l’Ontario, avec une réduction de persil de mer du Québec, décorés d’un ravissant craquelin trois couleurs en forme de demi-lune à base d’ingrédients des Maritimes » et être suivi d’une « mousseline à la crème de cassis de l’île d’Orléans étagée de croquants de chocolat amer et garnie d’un sorbet à l’asaret des forêts du Canada » .

C’est autour de tasses de café et d’infusions à l’érable ou aux canneberges, une fois le propos achevé, que l’assemblée échange des propos amusés et étonnés quant aux ingrédients exotiques de cette cuisine dépaysante … et chacun, bientôt, d’évoquer ses propres expériences culinaires incongrues… Très vite, le voyage vole de continent en continent, sans nulle crainte du décalage horaire. Il s’achève vers 23H. au seuil de Canadaventure quand les convives, ravis de ce repas qui a nourri l’esprit autant que le corps, se quittent dans l’air doux de cette nuit de septembre. … l’été indien s’est invité.

Compte rendu : Danielle Meddahi et Florence Smits