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Repas couscous

Repas géographique animé par :
Pierre Gentelle, directeur de recherches au CNRS
Gilles Fumey, maître de conférence (géographie culturelle de l’alimentation) à l’université Paris-Sorbonne

Nous sommes dans un restaurant berbère algérien, qui n’est donc pas décoré à la marocaine : ni tapis ni mosaïques, ni chichi arabisant. C’est simple, paysan, rustique. Pas de doute, nous devrions rêver de l’Atlas ! Nous remercions Pierre Gentelle pour avoir déniché l’adresse. On a tous une perception hyperbolique du couscous. Il est de la famille des plats « universels » (pots-au-feu, choucroutes, tajines, etc.), très en vogue actuellement, car ils sentent le terroir, autre chose que les portions sans goûts de l’industrie agro-alimentaire. C’est l’un des plats préférés des Français qui le connaissent depuis peu (Provençaux exceptés). Mais le couscous a tellement de qualités :

– il est socialisant. Pas de couscous, tout seul, un soir devant la télé ! il est religieux, ce qui veut dire consommé lors des fêtes religieuses, car il signifie l’abondance. Pour les Français qui ont vécu au Maroc, comme Pierre Gentelle en témoigne, le couscous est la fête de la fête !
–  Il est identitaire car le Maghreb le revendique. Et manger du couscous, c’est voyager au Maghreb avec cette irremplaçable odeur de cumin. Il est « construit » par les hommes (pour la viande) et les femmes (pour les légumes et, surtout la semoule qu’il fallait rouler sur les cuisses !).
– Il est modulable et, donc, adapté à l’individualisme des pratiques d’aujourd’hui : le couscous n’existe pas, ce qui existe, c’est le couscous que je mange qui ne sera jamais le même qu’hier ou demain.
– Enfin, ses origines sont mythiques. Même si l’expansion du temps des Arabes est bien connu, son berceau n’est pas identifié. En réalité, il est comme tous ces plats d’assemblage, de partout et de nulle part, jusqu’à ce qu’un peuple l’ait adopté, célébré comme son plat préféré. A moins que la technique permette d’identifier par un « couscoussier » retrouvé dans des fouilles archéologiques, une origine égyptienne, contestée par les Berbères et les Soudanais. Un autre indice est donné par Rabelais : a-t-il mangé du couscous en Provence lorsqu’il dit avoir mangé un « coscaton à la mauresque » ? C’est très probable.

couscous

Fait rare et inhabituel, il s’agit d’un plat d’origine paysanne et populaire qui est passé dans les cours royales. C’est donc un plat de riche et un plat de pauvre à la fois, qui n’est pas difficile à réaliser à défaut d’une préparation qui est quand même assez longue. C’est aussi un plat d’accueil (appelé « couscous pèlerin »), dans des régions où l’hospitalité est obligatoire (même s’il est considéré comme très grossier d’accepter une invitation). C’est aussi un plat qui permettait de distinguer les hôtes de marque, auxquels étaient réservés les bonnes places et les bons morceaux.

D’ailleurs, est-ce bien un plat ? se demande Gilles Fumey. Le couscous appartient plutôt à la catégorie des repas : il est pratiqué comme un repas, sans entrée ni dessert. Il fait partie des plats commensaux, dans lesquels on compose le plat au cours du repas. Et un plat entier qui sert de repas.

Le couscous n’a rien à voir avec ce qu’on appelle la « cuisine méditerranéenne », invention récente des cardiologues américains du Minesota, dans les années 1950 et confirmée à Harvard en 1991. Ses origines (voir plus loin) ne sont pas certaines mais sans rapport avec la cuisine de la Crète, emblématique du régime méditerranéen. Le couscous est en effet composé de légumes proposés avec du bouillon et des céréales, et accessoirement de la viande qui n’est pas une obligation car il existe des couscous de légumes. On a l’habitude d’opposer le couscous à la paysanne, fait de céréales et de bouillon, et le couscous méchoui, proposé avec de la viande, qui est donc destiné à des fêtes ou des hôtes de marque.

Le premier utilise différentes céréales selon la région : du millet ou du sorgho en Afrique sub-saharienne, du boulgour au Moyen-Orient, de l’orge au Sahara, du pilpil en Afrique du Nord, ou kes-kes en berbère, de l’arabe koskossou, la poudre (le nom viendrait du bruit que fait le pilon en broyant le blé). Les légumes sont nombreux et peuvent être ajoutés à l’infini : courgettes, carottes, navets, céleris, oignons, pois chiche… Les recettes actuelles lui font ajouter des tomates qui sont d’origine américaine et qui n’ont été acclimatées au Maghreb qu’avec l’arrivée des colons européens vers 1830. Les épices sont aromatisent le plat mais il est probable qu’on leur ait prêté une fonction antiseptique, comme l’a montré C. Boudan dans sa Géopolitique du goût (PUF). Néanmoins, il faut des codes et des bonnes manières pour agencer les épices, en accord avec les habitudes locales car les saveurs sont identitaires.

La sauce, utilisée pour le liant, peut être constituée ici, d’un os à moelle, là, d’un bouillon comme en Tunisie. La harissa est une purée de piment arrivé aux XVIe-XVIIe siècles en Méditerranée et introduit pour guérir (cf. la médecine des humeurs). Chez les Berbères, laharissa était un attribut de la masculinité : les enfants n’en mangent pas et les femmes peu. Le raisin, ou les dattes, ou les pruneaux, selon la saison, sont utilisés pour sucrer le couscous. Un couscous n’est bon qu’accompagné d’autre chose, qui est souvent de la viande. Mais la viande est chère. C’est pourquoi le couscous composé de plusieurs viandes comme l’agneau et le poulet est « royal ». Quant au couscous méchoui, il est fait à partir d’agneau grillé auquel on adjoint le couscous. Le méchoui proprement dit (donc, sans couscous) vient d’Asie centrale : il est constitué d’un agneau longuement rôti, qui est apporté sur place peu avant le début du repas. Ces deux plats, couscous et méchoui, ne sont pas, initialement, consommés par les mêmes sociétés d’Afrique du Nord : les agriculteurs mangent du couscous et les éleveurs du méchoui (notamment dans l’Atlas et dans l’Anti-Atlas).

Chaque peuple a un plat qui le nourrit. Mais le couscous pourrait-il être ainsi considéré comme étant l’équivalent du bol de riz pour le Chinois ? Rien n’est moins sûr, car le riz serait plutôt l’équivalent du pain. Alors qu’ici, selon P. Gentelle, on a affaire à un plat complet qui répond aux besoins d’hydrates de carbone (dont est constituée la base du couscous : la graine qui peut être d’orge comme au Sahara, de belbouda comme au Maroc, de millet comme en Afrique noire, de boulgour comme au Moyen-Orient), auxquels sont mêlés la viande ou le poisson, les vitamines (les légumes) et un peu de lipides.

Le tajine est de la famille du couscous. Il est souvent fait à la vapeur. Mais il peut être aussi proche du ragoût, à base de viande et, surtout, de mouton : dans ce cas, il ne comporte pas de semoule. Il existe aussi avec de boulettes et de la pâte feuilletée (malsouka, en Turquie). Il est alors accompagné de poulet, de citron, d’olive, de pommes de terre, d’oignons.

Le repas de ce soir

Ce soir, le couscous nous est proposé avec une « entrée », notion qui n’a pas de sens au Maghreb. La première entrée au choix est un brick (une galette très fine à base de blé dur), enveloppée en portefeuille comme ce soir et fourrée à la viande, ou qui peut être soit à l’oeuf soit au thon (comme en Tunisie). L’autre entrée est une pastilla, mot espagnol qui désigne une pâte très fine fourrée avec du pigeonneau qui vient de naître (mais pour ce soir, ce sera du poulet…).

Le vin est un boulaouane rouge. Si on aime le gris, on le préfèrera l’été. Le boulaouane est un vin assemblé dans le village éponyme, au pied de l’Atlas marocain, mais bénéficiant des douceurs de l’Atlantique. Les cépages les plus courants ici sont le cabernet sauvignon, le grenache, la syrah et le cinsault qu’on retrouve en France dans le Bordelais, le Languedoc et la vallée du Rhône.

Après le couscous, en pays berbère, le repas est terminé. Exceptionnellement sont servis des gâteaux, des bonbons, beaucoup de fruits (sauf, bien sûr, en hiver). Le thé à la menthe est récent en Afrique du Nord et sa consommation date des années d’après la guerre de Crimée dans les années 1855. Après la chute de Sébastopol en 1854, des marchands anglais, qui avaient perdu le commerce du thé en Russie, ont remplacé le marché russe par celui du Maghreb qui consommait déjà la menthe en infusion, mais pas le thé…

Le café

Le café est une plante qui était un monopole arabe (moka). Un vol de plants de café par les Hollandais a été nécessaire pour en planter en Indonésie après l’avoir étudié à Amsterdam. Dans l’Europe chrétienne, le café était vu comme une boisson noire, donc une boisson du diable. Il en avait été offert au pape pour qu’il l’interdise… En vain, le pontife trouvant là une bonne manière d’aider les moines à l’éveil la nuit pendant les offices. Ce sont les Turcs qui ont conservé et diffusé l’art du café, infusé dans l’eau. Et l’Europe qui en a fait un instrument de la démocratie à partir du 18e siècle.

Compte rendu : Michel Giraud

Pour en savoir plus :
Le livre du couscous, Hal Fatéma, Stock, 2000
Recettes de couscous : http://www.aufeminin.com/m/cuisine/…
Une excellente recette sur Marmiton : http://www.aufeminin.com/m/cuisine/…
La pyramide alimentaire « méditerranéenne » : http://www.couscousdari.com/fr/pyra…
Le couscous dans les pays du Maghreb : http://www.couscousdari.com/fr/plan…
Le couscous, plat intemporel : Les graines de la mémoire :http://www.afrik.com/article6986.html
Hadjira Mouhob , Claudine Rabaa : Les aventures du couscous, graines de la mémoire, Aix-en-Provence, Actes Sud, 2004.