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Rhône Alpes, région atomique : Transition énergétique, sortie du nucléaire, où en est-on en Rhône Alpes ?

Café Géographique animé par Romain Garcier (professeur à L’ENS de Lyon). Compte rendu de Juliette Dop.

A l’occasion de l’ouverture prochaine de la COP 21, ce nouveau café géographique apporte une contribution aux réflexions sur les questions environnementales.

Mais aussi à l’occasion de la venue de Jean Marc Rochette et Olivier Bocquet pour la dédicace du dernier opus du Transperceneige.

Il faut rappeler que la région Rhône Alpes représente 40 % de la production française hydro-électrique ET est la première puissance nucléaire régionale en France (20% du parc, 14 des 58 réacteurs français).

Les champs abordés ici, du climat et de l’énergie, sont centraux dans la démarche géographique, avec une approche à la fois globale (avec la COP 21) et locale (la Région).

«L’année 2011 pour le nucléaire représente un changement brutal. Avant cette date, le discours global autour du nucléaire était celui d’une renaissance du nucléaire, mais la catastrophe de Fukushima a transformé cette dynamique de renaissance.

Aujourd’hui, le nucléaire connait toujours une trajectoire ascendante, mais dans les pays asiatiques essentiellement (En Chine, il n’y a pas moins de 31 réacteurs actifs et 21 en construction : ils sont en capacité d’ouvrir un nouveau réacteur tous les 6 a 10 mois. En Inde, il y a 6 réacteurs en construction et en Russie 9)

La France reste un pays original en ce qui concerne le nucléaire. C’est, par habitant, le pays le plus nucléarisé du monde, mais le pouvoir politique reste très partagé sur la place à accorder au nucléaire dans le bouquet énergétique futur et demeure gêné par rapport à la gestion des déchets notamment. Mais il n’en reste pas moins qu’il se joue indéniablement quelque chose dans ce domaine aujourd’hui.

Rhône-Alpes est aujourd’hui la région la plus nucléarisée, non seulement de France, mais également du monde. Dans la Vallée du Rhône, sont implantées de nombreuses installations : les 4 réacteurs du Bugey (40% de la production), l‘ancienne centrale de Superphénix, les centrales de St Alban, de Cruas, du Tricastin, de Marcoule… Au total, le bassin versant du Rhône constitue l’ensemble le plus dense en installations nucléaires sur la planète.

Dans la région Rhône-Alpes, le nucléaire apparait comme quelque chose qui va complètement structurer le territoire, avec la création de filières économiques entière (20 à 30 000 emplois directs ou indirects en Rhône-Alpes, dont 6 mille dans les centrales).

Le nucléaire apparait donc comme une activité économique, et pas seulement une production d’énergie, qui se diffuse à l’échelle de toute la région, en tous les cas, elle est perçue en tant que telle par les dirigeants économiques. En géographie, on dit que le nucléaire introduit une dépendance au sentier.

Ainsi, fermer une centrale, c’est repenser la totalité du système économique alentour, toutes les implications en terme d’emploi… Sortir du nucléaire apparait donc comme quelque chose qui politiquement reste extrêmement chargé en termes d’enjeux, surtout dans une période de forte tension sur l’emploi.

En Rhône-Alpes, la filière est non seulement marquée par un nombre d’emplois non négligeable, mais également par un certain nombre de drames et d’accidents, à l’image de Vital Michalon en 1977, un jeune militant tué par la police lors de la manifestation contre la construction de la centrale de Superphénix.

Cette irruption de la violence politique et policière a eu un impact majeur sur la structuration du mouvement anti nucléaire et sur les relations au niveau local entre le nucléaire et les collectivités.

Une ambigüité persiste autour du nucléaire car ce n’est pas une technologie particulièrement démocratique mais elle génère une masse considérable d’emploi. De plus, la filière régionale du nucléaire conserve une particularité: ni les dirigeants ni la population locale n’ont eu le choix lors de l’implantation des centrales. Dans le cas de Superphénix, EDF va d’abord acheter des terrains en secret le long du Rhône, avant que le projet soit officiellement déclaré. Il n’y aura pas de discussion au parlement. Il en résulte donc des formes de « fait accompli » assez fortes dans ce domaine.

Depuis quelques années, on remarque que même au sein du nouveau schéma régional « AIR ENERGIE CLIMAT » (adopté en avril 2014), la manière que le nucléaire a d’échapper aux discussions collectives se perpétue. A la page 4 du schéma, on trouve la formulation suivante « seul le développement des énergies renouvelable a été considéré, […] l’énergie nucléaire n’a pas été prise en compte ». Ce refus de prise en compte trouve ses motifs dans le rapport de certains élus, autrement dit, le nucléaire a été sorti des débats régionaux sur ordre de l’Etat. La région n’a donc pas son mot à dire dans le cas du nucléaire, alors même que la région Rhône-Alpes est la région la plus nucléarisée du monde. En effet, en France, le nucléaire est un secteur porté par une stratégie qui se définit toujours au niveau national et non pas régional, contrairement aux renouvelables, bien plus diffuses et articulées aux collectivités locales.

La transition énergétique, c’est le passage du système énergétique actuel (fondé sur les énergies fossiles) à un système fondé sur les renouvelables. On se trouve donc aujourd’hui au cœur d’un système énergétique en évolution.

Quand on parle de système énergétique, cela n’évoque pas seulement la centrale, mais la totalité des ramifications créées autour de l’énergie ainsi que l’ensemble des processus mis en place. Ainsi, la transition énergétique, ce n’est pas seulement fermer une centrale, mais c’est repenser toutes les relations alentours (tant régionales, politiques, économiques que territoriales..) car le nucléaire est une industrie très centralisée.

Avec la transition énergétique, on repense donc les relations de deux manières avec deux idées majeures :

Ce système crée donc intrinsèquement des systèmes beaucoup plus décentralisés avec une diffusion du pouvoir à une échelle plus large. C’est pourquoi cette évolution permise par la transition énergétique constitue un changement radical : elle met d’abord en doute la pérennité/légitimité de la centralisation du nucléaire elle crée ensuite un régime de comparabilité des énergies. En effet, historiquement, le nucléaire n’a jamais eu à rendre de compte, les différents choix n’ont jamais fait l’objet de débat public et donc de comparaison directe. Aujourd’hui, dans la perspective de la transition énergétique, on demande au nucléaire de se justifier pour être capable d’être une énergie du futur :

– du point de vue des risques, avec la création d’un régime de comparabilité. On a récemment vu apparaitre des débats sur le nombre de victimes que peut faire une centrale comparée aux mines charbon par exemple. Ces débats vont intervenir dans le choix de la projection du nucléaire dans le futur ou pas.

– du point de vue des émissions de CO2 également. Pour l’ADEME, le nucléaire produit 5g de CO2 par kWh. Mais, une méta étude est sortie en 2008 et montre que le nucléaire émet entre 1,4 et 228g par kWh, en fonction de la manière dont on mesure les émissions. Par comparaison, le gaz en émet 600g/kWh et le charbon 1000g/kwh. Ainsi, sous un certain angle, le nucléaire est considéré comme étant une énergie favorable du point de vue climatique en comparaison avec le charbon ou le gaz.

-du point de vue des coûts. Depuis quelques années, on demande au nucléaire de se justifier sur son coût. Avant, le nucléaire était une énergie bon marché, si bien qu’aux USA on la qualifiait de « too cheap to meter », mais aujourd’hui, le coût devient l’enjeu principal de la filière.

Le coût de la filière se décline de plusieurs manières. Tout d’abord, la question du coût de la construction d’une centrale : les chantiers se caractérisent systématiquement par des retards et une explosion des coûts. En Finlande par exemple, le coût de départ de la construction de la centrale EPR à Okiluoto était estimé à 3 milliards d’euros, il s’élève aujourd’hui à 9 milliards d’euro. Cela veut dire que contrairement aux autres filières énergétique, le nucléaire est une énergie où il n’y a pas de gain de productivité ni d’économie d’échelle, du fait notamment des risques et des exigences de sécurité supplémentaires.

Il y a également la question des coûts de maintenance. En 2012 la cours des comptes s’est emparée pour la toute première fois de ce sujet et a produit un rapport : « Les coûts de la filière électronucléaire ». Depuis, elle procède à des surveillances régulières et confirme en 2014 que le coût de production de l’électricité nucléaire augmente de plus en plus : en 2010 le coût était de 50€ par MWh alors qu’en 2012, celui-ci s’élève à 60€. Cette augmentation peut s’expliquer par le fait qu’EDF a lancé le projet de réhabilitation et de rénovation des centrales pour prolonger leur durée de vie. Le coût du programme s’élève à 90 milliards d’euros jusqu’en 2033. Ainsi, au fur et à mesure que les centrales vieillissent, le nucléaire devient de moins en moins intéressant économiquement, alors même que la possibilité de construire des nouvelles centrales est progressivement remise en question.

Un autre coût majeur dans la filière est celui du démantèlement des centrales. En Bretagne, la centrale de Brennilis dans les Monts d’Arrée est devenue un chantier expérimental de démantèlement où le CEA et EDF expérimentaient des techniques de déconstruction : au départ, 40 millions d’euros étaient prévus, mais aujourd’hui, le coût se situe aux alentours de 480 millions d’euros. Il en résulte donc d’une forte indétermination des coûts de démantèlement.

Le dernier coût est celui des déchets nucléaires : pour la Cour des Comptes, le coût s’élève à 28 milliards d’euros, pour l’ANDRA, 36 milliards et pour les industriels, 14 milliards. Apparait donc une tension sur la manière dont le nucléaire peut s’insérer dans une transition énergétique alors même que les marchés de l’électricité sont libéralisés. Le gouvernement britannique par exemple s’est engagé à un tarif d’achat de l’électricité nucléaire qui est supérieur au cours de l’électricité actuel. Dans cette réflexion, il faut intégrer le fait que cette technologie n’est jamais hors-sol, elle est toujours implantée dans un territoire, intégrée dans des filières, elle créée des collectifs… Il faut donc conduire la réflexion en termes d’insertion de la technologie dans une quantité de relations qui sont aussi des relations spatiales et territoriales.

Aujourd’hui, certains scénarios officiels (de l’ADEME notamment) commencent à évoquer des scénarios d’équipement énergétiques sans nucléaire, effectuant ainsi un travail intéressant de conceptualisation par rapport à ce que serait une France énergétique sans nucléaire. Ce travail montre que la transition énergétique force le nucléaire à se justifier d’une nouvelle manière.

L’IRSN (un institut public) a récemment sorti un rapport d’estimation qui a évalué le coût économique théorique si une centrale venait à exploser en Rhône-Alpes : celui-ci serait alors de 487 Milliards d’euros (sur un accident de type Fukushima). On voit donc que la dimension économique est de plus en plus prégnante dans les discussions sur le nucléaire, en plus des risques et c’est cette dimension économique du secteur qui donne justement une nouvelle dimension par rapport aux années 70). 

Jean Marc Rochette : La BD est construite autour d’une société placée sous la coupe du nucléaire de manière drastique, et la centrale nucléaire fuit sur les gens et engendre des enfants déformés par exemple. Il se situe donc dans un rapport d’avantage affectif, avec un questionnement très vif auquel il ne trouve pas forcément de réponses. Qu’est devenue Creys-Malville ?

Romain Garcier a mené un travail d’enquête autour de la centrale Creys-Malville avec ses étudiants autour de deux questions : qu’est ce que fait au territoire une telle centrale ? Comment la mémoire des événements tragiques s’est perpétuée ou non ?

Il en résulte qu’il n’y a pas eu de cataclysme économique autour de Creys-Malville. En effet, le site se trouve à une heure Lyon et est proche de la plaine de l’Ain, qui est le grand centre de développement économique autour de Lyon. C’est donc une zone avec une quantité d’emplois non négligeable, qui n’a pas été sinistrée par la fermeture de la centrale. Ces considérations permettent de repenser tous les débats autour de la fermeture de la centrale de Fessenheim, car l’Alsace n’est pas une région économiquement défavorisée, il y a du travail, il faut donc relativiser.

Il semblerait également que la mémoire de la controverse soit peu présente sauf chez des gens ayant été impliqués dans la centrale. En revanche, il y a beaucoup de gens à qui cela n’évoque rien. Ce sont des événements perçus très différemment.

Du point de vue technique, le sodium à été vidangé et purifié par EDF (qui en a fait du béton sodé).

Le site n’est plus considéré comme un site nucléaire de base, il a l’air assez maitrisé.

Ce qu’EDF pense faire du site ? Des sites industriels comme celui-ci sont rares et difficiles à trouver aujourd’hui en France, alors ils ne savent pas quoi en faire, mais le conservent.

-Question : Quel est votre meilleur argument pro nucléaire ?

RG : Dire qu’on n’a pas l’expérience actuelle de déploiement d’énergies renouvelables à l’échelle d’un grand territoire. Quand on sort du nucléaire on sait ce qu’on perd mais on ne sait pas ce qu’on gagne.

-Et Anti ? : le coût.

Question du stockage des déchets ? Maitrisée ?

La plupart des déchets sont des déchets de faible radioactivité et aujourd’hui on en a la maîtrise. Pour la question du stockage, un choix est fait en France, c’est celui du stockage géologique en couche profonde ; c’est choix voté par le parlement.

Dans la commission d’enquête sur la catastrophe de Fukushima, une phrase très importante : « La catastrophe de Fukushima est due à des erreurs humaines »

Dispose t-on des moyens économiques pour échapper à l’emprise du nucléaire ?

En Allemagne, plusieurs sociétés interviennent, c’est une gestion très complexe. Cette question, c’est tout l’enjeu de l’extension de durée de vie des centrales Initialement les centrales sont conçues pour durer 40 ans, mais si la centrale est arrêtée avant ses 40ans, alors il y a une perte majeure. Mais si la centrale arrive à maturité et qu’on relance un équipement, c’est très différent.

Destruction des centrales budgétée ?

Cela fait aujourd’hui l’objet d’un énorme débat. La déconstruction des centrales avait originellement été prévue à plus ou moins 15% du prix de la construction, mais aucune ressource n’avait été constituée et réservée pour cela . Le gouvernement s’en est inquiété et il a été demandé aux industriels du nucléaire de mettre de coté de manière permanente des ressources pour un démantèlement futur. De plus, il a été démontré que la règle des 15% est intenable, que le coût est largement plus élevé.

Aujourd’hui en France, la loi sur la transition énergétique qui a été promulguée récemment, est dans un véritable entre-deux : pas de choix concret fait dans la direction d’un pour ou d’un contre. La question qui se pose est alors celle de savoir s’il est intéressant d’avoir seulement un peu de nucléaire dans le bouquet énergétique. Selon certains chercheurs, cela ne fait pas sens.

La diplomatie nucléaire de la France a été très importante auparavant, mais aujourd’hui, la France peine à gagner des contrats d’exportation : une véritable mise en difficulté actuelle de la diplomatie nucléaire. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy (donc avant Fukushima), la France surfait sur la vague de renaissance nucléaire et signait de nombreux des accords de coopération et de formation avec des pays qui manifestait de l’intérêt pour le développement du nucléaire.

Aujourd’hui, de nombreux scénarios sont proposés (par l’ADEME par exemple) qui font des suppositions sur une transition vigoureuse du système énergétique.

Dans les années 70 et suivantes, on peut considérer que la contestation anti nucléaire était quasi inefficace : on ne pouvait ni s’opposer à la marge, ni de manière dramatique. A l’inverse, plus l’énergie est démocratique, plus la contestation est aisée du fait du caractère décentralisé. Apparait donc un réel besoin d’une prise en charge locale du développement énergétique, ce qui parait difficile à envisager pour les plus gros consommateurs d’énergie, comme les grands secteurs de transports ou les très gros établissements industriels…

Il ne faut pas oublier que l’énergie a toujours un soubassement matériel, elle est toujours inscrite dans l’espace, ce qui engendre donc démultiplication du réseau de transmission (du fait de l’augmentation de la demande dans une société de plus en plus hyper-consommatrice). La transition énergétique s’accompagne donc nécessairement d’une réévaluation de notre perception du paysage, de l’acceptation de ses modifications par la multiplication des réseaux, des infrastructures de production peu carbonée, du dépassement du « NIMBY ».

Mais quid de la probabilité d’un accident ?

A ce sujet, il est intéressant d’aller consulter l’ouvrage de JP Dupuis, Pour un catastrophisme éclairé. C’est une opération philosophique qui propose de se mettre dans la position où une catastrophe va forcément se dérouler, changeant radicalement la position par rapport à l’hypothèse qu’une catastrophe ne se produira pas parce qu’on la préviendra.