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Syriza, la crise grecque et la géographie

Ainsi donc, la Grèce a vécu le 25 janvier 2015 un dimanche électoral de folie : plus de 800 correspondants de presse du monde entier pour assister à la victoire de la Coordination de la Gauche Radicale, dite en grec Syriza. Attention portée à la Grèce, mais aussi crainte (ou espoir) d’une contagion à l’ensemble de l’Europe.

Les outils classiques du géographe (l’analyse de la différenciation spatiale) sont-ils adaptés et efficaces pour rendre compte de la crise et de la réponse du corps électoral ?

Un « tag » sur un mur à Volos : « Je n’ai pas de rêve , je vis le moment présent »

Un « tag » sur un mur à Volos : « Je n’ai pas de rêve , je vis le moment présent »

Géographie et crise

Il existe un certain consensus sur les manifestations concrètes de la crise grecque et un peu moins sur ses causes.

La Grèce s’est endettée de façon inconsidérée depuis son entrée dans ce qui est devenu l’Union Européenne, en 1981.

Endettement des individus, endettement de l’Etat.

Les conséquences n’en sont pas uniquement négatives. Beaucoup d’équipements dans le domaine des transports, de l’aménagement du territoire, de la politique culturelle ont été construits grâce aux fonds européens. Le réseau routier et autoroutier permet désormais de traverser rapidement le pays en dépit des obstacles du relief : la chaîne du Pinde, épine dorsale de la Grèce continentale, est percée de tunnels qui mettent en contact rapide la côte ionienne avec celle de l’Egée. Tous les villages sont desservis par une route goudronnée et on ne comptait plus les panneaux qui proclamaient que telle rénovation urbaine, telle remise en état d’un monument devait aux fonds structurels européens.

Ces progrès sont bien visibles ; ils sont proclamés et revendiqués.

Il est bien plus difficile de dresser une géographie de la crise. La crise est omniprésente pour les Grecs mais elle n’est pas toujours évidente pour le touriste et même pour l’enquêteur. Ses effets se dissimulent et, naturellement, les autorités, qui peuvent en être tenues pour responsables, ne s’en vantent pas. La crise n’est pas facilement visible dans les statistiques, il faut en dénicher les indices.

Ces indices apparaissent à l’échelle nationale. Le rééquilibrage des échanges extérieurs (hors service de la dette) a été obtenu dès la fin de 2013 au prix d’une baisse considérable des importations. Les immatriculations des automobiles neuves en 2014 équivalent au quart de ce qu’elles étaient en 2008.Bien entendu, toute la filière automobile (concessionnaires, garagistes, vendeurs de pièces détachées) a été durement touchée.

On est arrivé en 2014 à équilibrer le budget de l’Etat. Résultat obtenu par une réduction drastique (30 à 40%) des salaires et pensions de retraites et du nombre de fonctionnaires. Les salaires du secteur privé ont presque partout subi la même ponction. On doit noter qu’une partie importante de la population active n’est pas salariée : professions libérales, artisans et commerçants. Leurs impôts n’étant pas, au contraire de ceux des salariés, retenus à la source : ils se livrent au sport de l’évasion fiscale qui, couplée avec le mauvais fonctionnement des services de l’Etat est une des plaies du pays. Les revenus de ces professions ont été considérablement amoindris par l’atonie de l’activité économique et par les efforts pour faire rentrer les impôts. Il en est résulté une diminution considérable du revenu des ménages, qui a touché l’ensemble de la Grèce, sans différence régionale. La crise est partout répandue. II est donc assez vain d’en chercher une traduction cartographique, à la quête d’une hypothétique différenciation spatiale. On peut cependant avancer quelques remarques.

La crise est particulièrement sévère en ville, avec mention particulière à Athènes. Les loyers y sont plus élevés et les solidarités familiales plus distendues qu’au village. On y dépend totalement du salaire et si on perd son emploi, et qu’on épuise les indemnités de chômage, on se trouve dans une situation proche de la misère.

Le paysage urbain athénien porte les stigmates de la crise : innombrables boutiques dont les rideaux sont baissés, appartement vides dont témoignent les affichettes «à louer » partout collées aux portes des immeubles. Le prix des loyers s’est effondré, et donc les revenus des propriétaires.

La crise est en revanche mieux amortie au village, où les prix des productions agricoles se sont maintenus, leurs fluctuations ne dépendant qu’indirectement de la politique gouvernementale (par le biais du prix du fioul par exemple). C’est ainsi que les très médiocres récoltes d’olives en Italie en Espagne à l’automne 2014 ont dopé les exportations grecques et surtout les prix à la production. Il reste toujours possible aux familles villageoises d’agrandir le potager, d’accroître la basse-cour, de nourrir une chèvre et de cueillir des olives dont on ne soignait plus les arbres.

On observe, en nombre limité des retours au village de jeunes sans travail en ville, à la recherche d’une solution alternative : culture biologique, plantes aromatiques, retour à un élevage extensif. Toutefois, ce n’est qu’une solution marginale. Des parents laissent aux jeunes leur appartement athénien, et vont s’installer au village, dans la maison des grands-parents.

Les régions touristiques (au premier rang desquelles les îles de l’Egée et la Crète) bénéficient directement de la manne apportée par les touristes étrangers, alors que le tourisme des Grecs s’est au contraire effondré. L’évasion fiscale y est largement pratiquée. L’argent du tourisme, du moins celui qui arrive jusqu’au territoire national, est le seul à circuler dans le pays, où le crédit bancaire est devenu très difficile à obtenir.

La crise et les élections : la victoire de Syriza sur la carte

Le vote massif en faveur de la Gauche Radicale est d’abord le fruit de la crise, dont le résultat le plus dramatique est un chômage qui atteint le quart de la population active, cependant que celui des jeunes (moins de 35 ans) frôle 60%. C’est le grand échec de l’austérité mise en œuvre depuis 2010 sous l’égide de la fameuse « troïka » (Commission Européenne, Banque Centrale Européenne, Fonds Monétaire International).

« L’espoir revient » proclamaient les affiches de Syriza. Avec 36,5 % des suffrages et un bonus de 50 sièges au Parlement attribué au parti arrivé en tête, Syriza compte 149 sièges sur un total de 300. Il lui faut donc trouver un allié pour avoir la majorité absolue et appliquer le programme qu’il a tracé.

 Les élections législatives du 25 janvier 2015  (Couleur rouge : Syriza en tête. Couleur bleue : Nouvelle Démocratie en tête) Colonne de droite : 4 élections législatives antérieures, en vert le parti socialiste PASOK

Les élections législatives du 25 janvier 2015
(Couleur rouge : Syriza en tête. Couleur bleue : Nouvelle Démocratie en tête)
Colonne de droite : 4 élections législatives antérieures, en vert le parti socialiste PASOK

Le vote en faveur de Syriza se traduit sur la carte dressée par le quotidien Ethnos du 26 janvier. Une vague rouge submerge tout le territoire. Seuls résistent deux bastions conservateurs, qui s’obstinent à placer en tête la Nouvelle Démocratie (couleur bleue) du premier ministre Antonis Samaras (27,8% des voix et 76 sièges). La première se situe dans le sud du Péloponnèse, où le vote conservateur est une longue tradition, depuis le soulèvement de 1821 contre la domination turque tandis qu’on remarque tout le long de la frontière du nord un chapelet de départements « bleus », où le vote doit être relié à l’héritage de la guerre civile (1945-1949), ici particulièrement rude : déplacements de population et affrontements meurtriers.

Les grandes villes (Athènes, Salonique, Patras) ont massivement voté pour Syriza. Les conséquences de la crise y sont redoutables (chômage, appauvrissement, déficiences dans la santé publique). Dans l’agglomération athénienne, les seules municipalités qui ont mis en tête la Nouvelle Démocratie sont les banlieues riches : Kiphissia au nord, Glyphada et Vouliagmeni en bord de mer.

A la date où l’on écrit ces lignes, le chemin de Syriza n’est pas pavé de roses.

A plus ou moins long terme, Syriza devra lever l’hypothèque de son étrange alliance avec le petit parti des Grecs Indépendants(ANEL) qui lui permet grâce à ses 13 députés d’atteindre la majorité absolue et dont le patron, Panos Kammenos, vient d’être nommé ministre de la Défense. Les medias français qualifient ce parti de souverainiste, ce qui n’est pas sans arrière-pensée et permet de le décréter fréquentable. Les propos xénophobes, antisémites, homophobes de son responsable pourraient le qualifier moins aimablement. Le ministre en question vient il y a peu de survoler l’îlot d’Imia dans la Mer Egée, revendiqué aussi par la Turquie et où, dans une phase de tension en 1996, trois militaires grecs perdirent la vie dans l’écrasement au sol d’un hélicoptère. Il y a jeté une couronne de lauriers pour en rappeler le souvenir et aussi pour provoquer la Turquie. C’est aussi une réponse au dépôt d’une gerbe de roses rouges par Alexis Tsipras au mur des fusillés, résistants, victimes des représailles allemandes pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Mais la difficulté majeure est ailleurs, dans la réforme d’un Etat inefficace et dans deux dossiers financiers, celui du budget de l’Etat et celui de la dette extérieure.

Il faudra trouver dans le budget de l’Etat, heureusement en équilibre, les fonds nécessaires pour honorer les promesses du candidat Tsipras. Il s’agit du retour à l’ancien montant du salaire minimum, de la réintégration d’un certain nombre de fonctionnaires, de la remise en cause de l’impôt foncier tel qu’il avait commencé à être perçu et d’autres réformes encore. Au bout de peu de temps il faudra trouver d’autres ressources.

Le second problème est celui du rééchelonnement ou de l’effacement partiel de la dette grecque qui s’élève à 170% du PIB. Il s‘agit là des relations avec Bruxelles et avec le FMI. On dépasse ici le cas grec. On rejoint la question de l’orientation de l’Europe dans les années qui viennent

A ce jour ce débat ne fait que commencer. Affaire à suivre.

Michel Sivignon, le 2 février 2015