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Une lecture géographique de Palmyre

L’organisation djihadiste Etat islamique a fait exploser le 4 octobre 2015 l’Arc de triomphe de Palmyre (Syrie) , inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. C’est la poursuite d’une destruction systématique de la cité antique qui a commencé le 31 août (www.leparisien.fr)

L’organisation djihadiste Etat islamique a fait exploser le 4 octobre 2015 l’Arc de triomphe de Palmyre (Syrie) , inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. C’est la poursuite d’une destruction systématique de la cité antique qui a commencé le 31 août (www.leparisien.fr)

Le texte qui suit n’est pas exactement un compte rendu du livre de Paul Veyne1, il en propose plutôt une lecture géographique, d’où l’importance qu’il accorde à l’espace et aux lieux et le moindre intérêt qu’il porte à l’histoire de la cité syrienne sauf pour en souligner les composantes spatiales.

Une situation frontalière à l’est de l’Empire romain

“Vers l’an 200 de notre ère, la cité (de Palmyre) appartenait au vaste Empire romain, à son apogée en ce temps-là, qui s’étendait de l’Andalousie à l’Euphrate et du Maroc à la Syrie.” “Rome et la Perse (…) s’étaient partagé le monde de part et d’autre du fleuve Euphrate.” (P. Veyne, op. cit. p 11-12).

Au sein de l’Empire romain, la situation de Palmyre était clairement frontalière. C’était une oasis proche du désert syrien qui s’étendait vers l’est et l’Euphrate, situé à moins de 100 km. “Les Palmyréniens étaient des marchands qui importaient de Perse les produits de l’Inde et de l’Arabie et les vendaient dans les territoires romains.” (Appien, Guerres civiles, Livre V). L’essentiel des importations de l’Empire provenant de l’Orient aboutissait probablement à Alexandrie, le reste se partageant entre Palmyre et Pétra, située sur la route antique de l’encens. Palmyre allait chercher en Perse les produits somptuaires de l’Inde et de l’Arabie qui empruntaient la route terrestre de la Soie ou la voie maritime par le golfe Persique.

“Sur la piste qui menait de l’Euphrate au Pendjab et au Houang-ho ou fleuve Jaune, on a fouillé autrefois en Afghanistan, à Begram, non loin de Kaboul, ce qui était sans doute le palais d’un roitelet indo-scythe. On y a retrouvé un dépôt d’objets laissés au passage par le grand commerce : ivoires indiens, laques chinois, verres syriens (…)”

“Quant à la route maritime, elle partait du fond du golfe Persique et, grâce à la mousson, menait à un marché situé aux bouches de l’Indus, vers Karachi, au Pakistan; puis elle allait contourner le sud de la péninsule indienne et Ceylan, pour remonter vers la banlieue de Pondichéry (…)” (P. Veyne, op. cit. p 38-39).

Carte extraite de l'article de Jean-Baptiste Yon, La romanisation de Palmyre et des villes de l'Euphrate, Annales. Histoire, Sciences sociales, 2004/2.

Carte extraite de l’article de Jean-Baptiste Yon, La romanisation de Palmyre et des villes de l’Euphrate, Annales. Histoire, Sciences sociales, 2004/2.

Ainsi, la prospérité de Palmyre était liée à sa situation sur le plus court chemin entre la Méditerranée et l’Euphrate, entre les ports de Syrie et le golfe Persique, avec la traversée du désert syrien jusqu’aux rives de l’Euphrate. Plusieurs pistes menaient de Palmyre au fleuve Euphrate en direction de deux pôles commerciaux, Séleucie du Tigre, rivale victorieuse de Babylone (voir la carte ci-après), et Spasinou Charax, située sur le golfe Persique.

“Outre les grandes caravanes annuelles dont le Golfe était l’aboutissement, quelques marchands palmyréniens se risquaient eux-mêmes plus loin, jusqu’aux marchés situés à l’embouchure de l’Indus : ils s’embarquaient avec leurs marchandises.” (P. Veyne, op. cit. p 44).

Si le trajet final, à l’intérieur de la province romaine de Syrie, entre Palmyre et les ports méditerranéens, se faisait sans réel problème de sécurité, il n’en allait pas de même pour le trajet désertique entre l’Euphrate et Palmyre, non à cause de l’eau (assez facile à trouver) mais du fait des attaques de pillards. Paul Veyne rappelle que pour les nomades du désert la “piraterie de terre ferme” constituait une ressource qui s’ajoutait à l’élevage et parfois à un peu d’agriculture.

Une cité antique monumentale

Accolé à la palmeraie (qui a donné son nom à la cité), le site des vestiges de l’antique Palmyre étonne le visiteur contemporain2 – “comme elle frappait déjà le voyageur antique” – par ses longues murailles monumentales et ses colonnades de calcaire blanc. Particulièrement impressionnants : un grand sanctuaire (le temple de Bêl, détruit le 30 août 2015 par l’Etat islamique) et une grande colonnade (voir la carte ci-après).

Le site de Palmyre (www.syrievoyage.fr)

Le site de Palmyre (www.syrievoyage.fr)

Pour Paul Veyne le financement du temple de Bêl a trois origines possibles : “les bénéfices commerciaux obtenus sur la route de la Soie, la piété de nombreux pèlerins, la famille impériale romaine”. Quant à la longue colonnade qui reliait le temple de Bêl aux ruines des “bains de Dioclétien”, ses fonctions différaient selon l’endroit : voie sacrée au départ du temple de Bêl, elle devenait sur une partie de sa longueur le souk de Palmyre avec ses boutiques s’ouvrant sous les portiques. Construite progressivement sans plan directeur, “cette longue ligne de colonnes a fini par traverser toute l’agglomération” (voir le plan ci-dessus). Les murs de brique des boutiques ont disparu avec le temps pour ne plus laisser apparaître que la colonnade. Autres éléments importants de la cité, encore bien visibles sur le site : l’agora (de forme rectangulaire) et le théâtre (“un des plus petits du monde antique”).

Une partie de la grande colonnade de Palmyre (www.routard.com)

Une partie de la grande colonnade de Palmyre (www.routard.com)

L’habitat urbain et l’espace rural de Palmyre

Si les vestiges des monuments sont facilement identifiables sur le site actuel, il n’en est pas de même des habitations malgré les campagnes de fouilles qui ont tout de même mis à jour les restes d’un certain nombre de maisons, notamment dans les quartiers nord entre la grande colonnade et la bourgade contemporaine. De nouvelles fouilles, poursuivies jusqu’en 2011, ont permis d’en savoir davantage sur le plan géométrique des quartiers d’habitat et la structure des maisons.

” (…) par le plan de ses maisons, l’architecture de ses monuments et son niveau de vie, bref pour le respect qu’inspire la richesse, elle (Palmyre) n’avait rien à envier à la civilisation mondiale : les Palmyréniens n’étaient pas des barbares et ne voulaient pas l’être.” (P. Veyne, op. cit. p 29).

La population urbaine de Palmyre devait compter quelques dizaines de milliers d’habitants, surtout des propriétaires terriens, des domestiques et des boutiquiers. Mais l’essentiel de la population de Palmyre (la cité et son territoire rural) vivait dispersé dans les campagnes environnantes formant une humanité très différente sur les plans économique, social et culturel.

“La vraie foule des pauvres ne vivait pas dans l’agglomération: c’étaient les paysans miséreux.” (…) La civilisation de l’Antiquité païenne fut un phénomène urbain, nourri par une immense paysannerie qui restait étrangère à l’urbanité (…)” (P. Veyne, op. cit. p 32-33).

De l’oasis araméenne de Tadmor à la Palmyre romaine

Grâce aux archéologues et aux historiens la Palmyre que nous connaissons le mieux est celle des trois premiers siècles de l’Empire romain, “celle que nous voyons avec ses ruines et ses deux mille inscriptions”. Mais nous avons assez d’éléments pour avoir une idée de Palmyre (qui existait depuis quatre mille ans) aux environs de l’an 1000 avant notre ère, quand un peuple nomade (les Araméens) envahit progressivement la Syrie. Palmyre, appelée alors Tadmor, était une oasis vraisemblablement occupée par des cultivateurs et éleveurs sédentaires de plusieurs tribus araméennes et arabes.

Palmyre perdit son indépendance pendant les premières décennies de notre ère avec son rattachement à l’Empire romain. Avec la conquête de Palmyre Rome a sans doute voulu rendre la contrebande plus difficile en même qu’elle réaffirmait les droits de l’Empire sur le désert syrien jusqu’à l’Euphrate au-delà duquel se trouvait le rival perse.

C’est au cours du IIIe siècle que la situation de Palmyre et de l’Orient grec se modifia profondément au sein de l’Empire alors soumis aux coups de boutoir des Germains à l’ouest et des Perses à l’est. Ainsi, “en 251, profitant des malheurs des temps, Palmyre était devenue une principauté héréditaire et vassale de Rome” (P. Veyne, op. cit. p 75). C’est dans ce contexte que commença l’épopée palmyrénienne dont le point d’orgue fut la tentative de la reine Zénobie3 de faire nommer son fils empereur à Rome (267-272). “Après la chute de Zénobie et la prise de la cité, Palmyre disparaît de la grande histoire.” (P. Veyne, op. cit. p 101).

Une identité hybride

Lorsque Paul Veyne tente à la fin de son livre de caractériser l’identité de Palmyre, le terme “hybride” lui vient comme une évidence même si les origines de la cité sont toujours débattues de nos jours.

“Voilà donc une antique cité araméenne où des Arabes sont venus se sédentariser et dont ils ont adopté la langue; leurs divinités y font bon ménage avec celles de Palmyre. On voit donc quelle fut la pénétration des Arabes en Syrie avant l’Islam, et aussi leur araméisation.”

” (…) on a beau parcourir des yeux la carte de l’Empire, on ne voit pas où auraient pu se rencontrer un plus grand nombre d’influences : la vieille Mésopotamie, l’antique Syrie araméenne, la Phénicie, un peu de Perse, davantage d’Arabie; brochant sur le tout, la culture grecque et le cadre politique romain.” (P. Veyne, op. cit. p 104).

Une identité hybride donc, une “identité de frontière” selon l’expression de l’écrivain triestin Claudio Magris, une identité faite d’emprunts multiples débouchant sur une mixité profondément originale dont Paul Veyne nous donne quelques exemples éclairants dans ses derniers chapitres consacrés aux dieux et aux portraits dans l’art palmyrénien.

A l’occasion de son étude des dieux païens de Palmyre Paul Veyne s’interroge sur les raisons de la destruction du temple de Bêl par les islamistes de l’EI en août 2015. Il ne croit pas à l’explication souvent avancée, celle d’une volonté de faire table rase d’un sanctuaire abritant des idoles païennes. Pour lui, il s’agit d’autre chose, “les islamistes veulent manifester que les musulmans ont une autre culture que la nôtre, une culture qui leur est propre” et “qu’ils ne respectent pas ce que vénère la culture occidentale”. (P. Veyne, op. cit. p 119).

Un livre pour témoigner

Ce livre s’adresse au lecteur honnête homme pour lui proposer le portrait d’un magnifique site archéologique gréco-romain, aujourd’hui victime de la barbarie terroriste. Le dédicataire de cet ouvrage ne pouvait être que l’archéologue syrien Khaled al-Assaad, directeur général des Antiquités de Palmyre de 1963 à 2003, supplicié et décapité le 18 août 2015 pour “s’être intéressé aux idoles”. Et la belle démonstration de Paul Veyne de se terminer par cette conviction :”Oui, décidément, ne connaître, ne vouloir connaître qu’une seule culture, la sienne, c’est se condamner à vivre sous un éteignoir.”

Daniel Oster, 29 novembre 2015

1 Paul Veyne, Palmyre. L’irremplaçable trésor, Albin Michel, 2015.

2 Du moins jusqu’aux événements récents liés à la guerre civile en Syrie et surtout depuis la conquête de Palmyre par les djihadistes de Daech (ou l’Etat islamique) le 21 mai 2015.

3 Pour en savoir plus sur ces événements se reporter au livre d’Annie et Maurice Sartre, Zénobie, de Palmyre à Rome, Perrin, 2014.