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Une visite chez Kupka

Kupka, pionnier de l’abstraction
Exposition au Grand Palais du 21 mars au 30 juillet 2018

Je suis venu à Kupka par des chemins détournés. J’ignorais alors sa contribution majeure à l’œuvre picturale du XXe siècle. Je l’ai découvert par le biais de sa collaboration avec Elisée Reclus. Arrivé depuis peu à Paris depuis Prague, en 1898, il lui fallait survivre en mettant à profit pour L’Assiette au Beurre ou Cocorico, journaux satiriques, à la fois son habileté graphique et ses convictions anarchistes. C’est ainsi qu’il a rencontré Reclus qui préparait L’homme et la terre et qui partageait ses idées sur l’argent, les armées et les religions. Nous avons pu mettre en ligne dans notre rubrique des cafés géo quelques-unes des vignettes de Kupka placées en début de chapitre de l’ouvrage de Reclus. Je me dis qu’il est bien dommage qu’il ne se soit trouvé personne parmi les géographes pour aller interroger Kupka sur ses relations avec Reclus, dans les dernières années de sa vie (il est mort en 1957). Mais dans les années cinquante, Reclus n’était pas à la mode, chez les géographes, quelle que soit leur orientation politique.

Kupka a lui-même déclaré sa dette à l’égard de Reclus : « Pendant quatre années j’ai eu à suivre l’évolution de L’homme sur la terre et c’était pour moi un bienfait. J’ai vu passer les humanités mieux que dans les écoles ». Beaucoup de peintres ont gagné leur vie en dessinant pour la presse. Mais ici il ne s’agit pas seulement d’un travail alimentaire. Il correspond totalement aux convictions de Kupka. On remarquera la signature de Kupka au bas de la vignette qui illustre le chapitre « Peuplement de la Terre » du tome V de l’œuvre de Reclus déjà citée et que nous reproduisons ici.

Cette période de collaboration avec Reclus se combine avec une activité de peintre qui va bientôt absorber toute son énergie. C’est pendant ces travaux destinés à la presse que, progressivement, Kupka abandonne le figuratif.

L’exposition du Grand Palais tient compte des travaux de ses débuts parisiens et de sa collaboration avec Reclus.

Elle en montre les qualités et la variété, mais, à juste titre, elle retrace tout l’itinéraire de ce peintre, nourri au départ du symbolisme viennois, fondement même de son évolution ultérieure.

Cette formation à Vienne ne l’empêche pas de prendre fait et cause pour l’indépendance des peuples qui en 1919 formeront la Tchécoslovaquie, au point de s’engager dans la légion étrangère dès les débuts de la Première Guerre Mondiale, puis, lorsqu’il est guéri de ses blessures, dans la légion tchécoslovaque qui combat sur le front de l’Ouest.

Quoiqu’en contact, par son long séjour parisien avec toute l’évolution de la peinture et en particulier avec le cubisme, Kupka se tient à l’écart, alors même que l’histoire de la peinture a connu peu de périodes aussi effervescentes. A l’écart du cubisme, mais pas à l’écart de la vie artistique de la capitale. Plusieurs toiles montrent l’ambition d’utiliser la couleur pour signifier la distance. A mon sens elles figurent parmi les plus remarquables tels Le grand nu plan par couleurs du musée Guggenheim de New-York ou Les touches de piano. Le lac de la Galerie Nationale de Prague où on peut suivre la marche vers l’abstraction.

Très significative de ce point de vue est la Femme dans les triangles, possession du Musée National d’Art Moderne qui figure dans l’album de l’exposition d’où nous avons extrait cette image qui est encore à la limite du figuratif. Kupka trouve ensuite son inspiration dans une référence à l’astronomie et dans l’étude des cellules : l’infiniment grand et l’infiniment petit. Il abandonne toute référence figurative.

La période de l’entre-deux-guerres est féconde et Kupka donne l’impression d’expérimenter sans cesse. A l’amitié de Delaunay succède celle de Mondrian et bien qu’il récuse le terme de peinture abstraite, c’est bien ainsi qu’on peut voir la peinture de ses dernières années. Pendant cette période il mobilise microcosme (le monde des atomes) et macrocosme (le monde des astres) pour peindre des toiles qui le placent définitivement parmi les grands du XXe siècle.

Pour lui les années de l’occupation allemande ne sont pas simples. Après l’envahissement par l’Allemagne de la Bohême-Moravie (transformée en protectorat allemand), il devient officiellement citoyen allemand mais en même temps l’occupant sait bien ses activités en faveur de sa patrie et son rôle pendant la Première Guerre Mondiale. Il quitte donc Paris pour Beaugency et finira cette période très éprouvé. Il reprend cependant son activité de peintre après 1945, de plus en plus reconnu comme un des artistes majeurs de son temps.

Michel Sivignon, 8 mai 2018