Louis-Joseph Soulas est un graveur peintre, né en 1905, à Coinces, dans un village proche d’Orléans, dans une famille d’agriculteurs beaucerons ; et mort en 1954 d’une crise cardiaque à la gare d’Austerlitz alors qu’il rentrait à Orléans pour occuper le poste de directeur du Conservatoire qui venait de lui être attribué.
Un de ses thèmes de prédilection fut la description des paysages de la Beauce, sa terre natale.
Ses dessins donnent une image de la Beauce des années 1930- 1950 mais son œuvre dépasse de beaucoup le cadre local de ses origines. Très souvent, il privilégie l‘uniformité des paysages ruraux sous le manteau des céréales. En somme, le paysage classique de la Beauce. Il a merveilleusement su évoquer la quasi-horizontalité de ses paysages en la soulignant par un détail d’apparence insolite, tel ce sentier au milieu des blés. « Le sentier vers les fermes » en est une illustration. La Beauce ne fut pas sa seule source d’inspiration : il a également évoqué, quoique avec moins de bonheur, la Sologne et ses étangs, notamment en illustrant le roman « Raboliot » de Maurice GENEVOIS qui obtint le prix Goncourt en 1925. On aurait garde d’oublier l’illustration qu’Il fit des évènements contemporains, comme dans sa magnifique traversée de la Loire par un flot ininterrompu de piétons se succédant sous le Pont Royal d’Orléans qui vient d’être détruit par un bombardement.
Pour autant, il ne faut pas demander à ce paysage rural, présenté ici, au-delà de son intérêt esthétique, des fondements historiques qui en expliquent la genèse. La monoculture céréalière qu’il décrit ne rend pas compte des structures agraires sous-jacentes.
On avance d’un pas en examinant une photo aérienne ancienne de la commune de Cravant.
Cette photo aérienne date d’avant 1960, c’est-à-dire de la réalisation du remembrement, dans ce qu’on appelle traditionnellement La Petite Beauce, juste au nord du Val de Loire, à la hauteur de Beaugency. En haut et à gauche de la photo figure le village de Cravant.
Elle est décrite dans l’ouvrage de François Papy, Nicole Mathieu et Christian Ferrault « Nouveaux rapports à la nature dans les campagnes » Editions Quae NSS. Dialogues 2012 :
« Par opposition à la Grande Beauce, la Petite Beauce fut longtemps caractérisée par la prégnance des exploitations paysannes des bourgs et hameaux, les peu nombreuses grandes exploitations étant confinées à la périphérie des finages, mais cette opposition s’est estompée. »
A Cravant, il ne reste plus aujourd’hui que 23 des 72 exploitations présentes en 1959-60, quand fut réalisé le remembrement. Ainsi, dans le hameau de Cernay, une seule des 8 exploitations de 1960 a survécu mais, avec ses 90 hectares, elle est en passe de devenir la plus petite de la commune : ravages d’une concentration effrénée…. Celle-ci a été si radicale qu’elle a rendu obsolète le cadre territorial tracé par le remembrement de 1960 pleinement adapté aux tout débuts de la modernisation technique lorsque la motorisation n’avait pas encore relégué les chevaux. Six décennies plus tard, ceux qui sont devenus les « gros » exploitants ont rassemblé chacun de 250 à 400 hectares en acquérant ou en louant des terres dispersées dans le finage de Cravant et dans ceux des communes voisines : leur parcellaire de culture est donc fort dispersé et mal commode, inadapté qu’il est, par exemple, à l’utilisation de moissonneuses-batteuses dont la barre de coupe atteint presque les dix mètres. Arguant de ce fait, ces exploitants ont obtenu du département du Loiret qu’il accepte de lancer un nouveau remembrement et d’en financer les premières dépenses. Inhérente à la nature de cette opération d’aménagement foncier, s’est exprimée avec force la contradiction, dans une situation de fermage dominant, entre les intérêts des exploitants qui ont tout à gagner à la concrétisation d’un nouveau parcellaire et les propriétaires qui doivent assumer le coût de l’opération. A l’été 2018, à l’occasion d’une consultation concédée par les premiers, ces derniers ont pu affirmer majoritairement leur refus de payer. Redoutant un conflit violent, le département a alors arrêté l’opération au grand dam de ceux qui auraient pu en être les bénéficiaires.
Dans « le grenier à blé » qu’était alors la Beauce, seules les céréales apparaissent dans les dessins de Soulas : les cultures fourragères indispensables à l’entretien des chevaux et du bétail dans le système de polyculture-élevage occupaient une moindre place dans le paysage. Elles ont disparu, remplacées par le colza et les cultures (maïs) qui, dans le contexte de plus en plus prégnant de la sécheresse estivale, n’auraient pu s’implanter sans le recours à l’irrigation grâce à la nappe de Beauce. Il n’existe que bien peu de déviants par rapport aux systèmes de culture dominants : on note cependant qu’à Cravant, deux exploitations menées par des jeunes ont choisi de se lancer dans l’élevage de chèvres laitières et la production de fromages vendus en direct sur les marchés d’un Val de Loire très urbanisé.
En définitive, les paysages représentés par le fin observateur qu’était Soulas qui les avait sous les yeux n’existent plus mais ils ont marqué de façon indélébile l’imaginaire des acheteurs potentiels qui continuent de se disputer ces dessins et gravures offerts dans les ventes aux enchères à des prix croissants.
Michel Sivignon, Jean Pilleboue, novembre 2019.