L’Irlande du Nord est située à la fois dans le Royaume-Uni et en partie intégrée au marché de l’Union européenne par le traité du Brexit. Si la guerre civile s’est achevée il y a 25 ans, les symboles des parties antagonistes restent bien visibles dans les villes et les villages. Car les enjeux politiques entre communautés protestantes et catholiques sont toujours présents, voire ravivés par les rivalités électorales et la complexité du rapport à l’Europe.
Dans les villes, comme dans les petites bourgades, la période des « troubles » (1969-1998) était marquée par les patrouilles de l’armée britannique, les barrages de barbelés, les attentats nocturnes, une atmosphère lourde. La paix civile, rétablie depuis deux décennies, a peu changé le paysage des villes et des villages qui ont gardé leurs cloisonnements de quartiers.
L’urbanisation pavillonnaire s’est poursuivie, de grands immeubles ont été implantés près des centres-villes. Des symboles de paix ont été érigés, comme la statue des Hands across the divide ou la « passerelle de la paix » à Derry. Toutefois les factions ancrées autant sur la religion que sur une histoire revécue au présent ne sont pas réconciliées. Ainsi les incertitudes liées au Brexit réveillent les antagonismes.
La statue érigée par Maurice Harron en 1992 est placée à l’extrémité du pont, à l’entrée de la cité. Elle symbolise la volonté de réconciliation dans cette ville marquée par les violents affrontements du Bloody Sunday (1).
En juillet, les villes et les villages protestants pavoisent encore pour célébrer, la victoire de Guillaume d’Orange à la bataille de la Boyne (12 juillet 1690). Drapeaux de l’ordre d’Orange, drapeaux du parti unioniste, Union Jack, portrait de la reine sont associés à des défilés en uniforme noir au son de musiques martiales. Comme un télescopage dans le temps, la bataille est revécue chaque année dans ces parades des vainqueurs orangistes.
La rue principale d’Annalong, village au pied des Mourne Mountains, est pavoisée de drapeaux loyalistes et de devises affirmant la foi et le soutien divin devant le temple protestant.
A Derry, la parade orangiste se déroule le 10 août et provoque toujours des tensions fortes entre le centre de la ville et les quartiers catholiques. Mais la ville s’affirme toujours comme une mémoire des combats républicains. Les quartiers catholiques s’affichent avec des drapeaux de la république et sur de grandes peintures murales à l’effigie des héros et des manifestants dans la violence. Au détour d’une rue, on découvre l’officine des anciens combattants de l’IRA. Le souvenir des affrontements qui ont marqué les décennies des troubles est omniprésent dans une ambiance de calme.
Les murs qui ceinturent la vielle ville restent une limite visible entre un centre protestant et les bas quartiers catholiques. Le faubourg du Bogside étale les alignements de petites maisons serrées et les barres d’immeubles vers la colline. Une grande façade peinte signale l’entrée dans le « free Derry ». Elle voisine avec une série de murs portant les portraits de « héros » de la guerre civile. Les peintures murales du Bogside exposent une mémoire du conflit, sous des drapeaux tricolores de la république d’Irlande.
A Belfast, les « murs de la paix » séparent des quartiers hostiles. Ce sont des murs surmontés de hauts grillages érigés au milieu des rues. De rares portes, fermées la nuit, permettent de traverser ces barrières. Ces murs aveugles sont décorés par de grandes peintures à la gloire de chaque parti, de leurs faits d’armes, de leurs héros, encadrés de devises martiales célébrant soit le souhait d’unification de l’île, soit le centenaire de la partition de l’Ulster. Des circuits touristiques sont proposés pour parcourir ces décors colorés. Mais ces rues offrent plutôt une atmosphère de quartiers enfermés.
L’Irlande du Nord n’a semble-il rien résolu, et le Brexit qui place l’Ulster à mi-chemin entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, remet en cause des équilibres fragiles. La frontière avec la République est jalonnée de panneaux « soft Border, no Border » tandis que plusieurs villages affichent leur attachement à la couronne et leur détermination contre toute unification de l’île.
Note :
Charles Le Cœur, mai 2023