Ville bourgeoise, ville populaire, ville musée, ville en chantier, Paris n’est pas à une contradiction près. Le XVIII° arrondissement offre un concentré exceptionnel de ces dynamiques d’embourgeoisement accéléré des quartiers populaires parisiens. La balade permet de découvrir la face calme et cachée de la butte Montmartre mais aussi sa face touristique. Elle nous plonge aussi dans la centralité immigrée de la Goutte d’Or.
La journée du 12 octobre 2013 a été préparée par Olivier Milhaud, Pauline Saurei et Maryse Verfaillie pour l’association Les Cafés géographiques.
Introduction : historique du quartier
Vous connaissez sans doute le dicton : « il y a plus de Montmartre dans Paris que de Paris dans Montmartre ». Le sous-sol gypseux a permis de fabriquer du plâtre pendant des siècles et la Montmartrite était recherchée par les maçons pour sa qualité de résistance face aux intempéries. Le sous-sol fut donc longuement exploité, et encore aujourd’hui, il faut faire appel à l’Inspection Générale des Carrières avant de construire.
Le quartier du XVIII° arrondissement présente une extraordinaire diversité qui s’explique historiquement, géographiquement et sociologiquement. Historiquement, l’arrondissement naît en 1860 avec l’extension du Second Empire, dernière extension de la capitale. L’arrondissement réunit le village de Montmartre et le village de La Chapelle Saint Denis. D’où une hétérogénéité certaine qui demeure un siècle et demi plus tard. Qui plus est, l’arrondissement est fortement marqué par les emprises ferroviaires des Gares de l’Est et du Nord, qui isolent le quartier la Chapelle du reste de l’arrondissement. L’ampleur de ces emprises ferroviaires est indiscutable, comme on peut le voir sur n’importe quel plan de l’arrondissement.
Au sein cet arrondissement de 6 km², peuplé de 201000 habitants (188000 en 1990, 185000 en 1999), se distinguent plusieurs quartiers : La Chapelle, la Goutte d’Or, Clignancourt et Grandes Carrières. Chacun a bien sûr sa personnalité, on le verra. Tous sont toutefois dans les marges de la commune de Paris et furent à la fin du XIX° siècle et au début du XX°, des espaces de densification urbaine. Là étaient les ultimes opportunités foncières de la capitale, entre autre grâce à la zone non aedificandi qui devait protéger Paris d’un point de vue militaire mais qui fut très vite occupée par des bidonvilles. C’est encore aujourd’hui que sont les ultimes opportunités foncières de la capitale !
Si bien que derrière la visibilité emblématique de Montmartre, une des centralités touristiques majeures de la capitale (la basilique est le seul monument avec Notre Dame de Paris à dépasser le million de visiteurs chaque année), se cache un arrondissement tout en contraste, mais indiscutablement saisi par une dynamique de gentrification étonnamment rapide. On peut la repérer par les statistiques : 23.6% de cadres et professions intellectuelles supérieures en 2009 (27.4% pour tout Paris), soit une hausse dans l’arrondissement de +57% en une décennie à peine (+33% pour tout Paris) ! Et le groupe ouvriers-employés qui passent de presque 30% en 1999 dans le XVIII° à seulement 24% en 2009 (pour tout Paris l’évolution est de 21.5% en 1999 à 18.5% en 2009).
On peut aussi repérer la dynamique de gentrification par le bâti, neuf et ancien (rénové), par les activités commerciales (les cabinets d’architectes ou les bars branchés qui côtoient les commerces populaires immigrés notamment), par les frottements aussi entre les couches sociales. Attention toutefois aux lectures trop unilatérales, comme l’a montré la thèse de Marie Chabrol sur Château-Rouge, les deux dynamiques, résidentielles et commerciales, sont autonomes – l’une contribuant à l’avancement du processus de gentrification sur le plan résidentiel tandis que l’autre consolide la spécialisation d’un pôle de commerces africains. Les contrastes peuvent être saisissants d’une rue à l’autre, d’un îlot à l’autre. Si bien que si la lecture d’ensemble reste globalement vraie – l’embourgeoisement augmente avec la pente qui mène à la basilique Montmartre – elle mérite de très nombreuses nuances souvent de taille.
I – Le XVIII°, enjeux d’aménagement
Aujourd’hui, nous connaissons tous Paris comme une ville ceinte par le périphérique, composée d’une vingtaine d’arrondissements. Le XVIII°, arpenté le samedi 12 octobre 2013 avec une trentaine d’adhérents des Cafés Géo, nous en a présenté un aspect multiple, typique, surprenant.
D’une situation périphérique vers une situation de transition
Le XVIII° arrondissement est périphérique, faisant le lien entre la capitale et les communes de Saint-Ouen, Aubervilliers et Pantin.
Le secteur Binet est clairement délimité sur le territoire parisien. Cela n’est plus le cas du nouveau grand projet urbain « Paris Nord Est » qui passe à l’échelle métropolitaine et dépasse les frontières administratives de Paris. Celui-ci s’étale sur 200 hectares et comprend neuf secteurs d’aménagement au nord-est du XVIII°, intégrant le nord du 19ème ainsi que les communes d’Aubervilliers et Pantin.
Cela entre en résonance avec le projet de loi sur l’affirmation des métropoles. En effet, le logement et l’aménagement sont des compétences qui seront déléguées à la métropole du Grand Paris. Cette instance, qui devrait être existante à compter du 1er janvier 2016 intègrera Paris et les communes des Hauts de Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.
La planification : quelles fonctions sur quels terrains
La conception française de l’urbanisme consiste à « zoner » le territoire, c’est-à-dire à affecter une fonction à chaque parcelle (constructible, non constructible …) et à en calibrer à l’avance la capacité constructive (hauteur, surface de plancher..) à travers le Plan Local d’Urbanisme. Chaque commune décline ensuite les fonctions qu’elle veut développer, entretenir, modifier sur son territoire.
1/ La fonction logement
Cette dernière fonction se retrouve au cœur des débats de la place publique comme celle semblant faire le plus défaut à la capitale. Nous allons donc voir comment l’offre de logements peut être renouvelée à Paris par le biais de la lutte contre l’insalubrité.
La notion d’insalubrité rencontre le champ de l’architecture au XIXème siècle avec les mouvements hygiénistes.
On en trouve une illustration à travers le magnifique immeuble des Amiraux, au 13 rue des Amiraux. La ville de Paris commanda en 1921 à l’architecte Henri Sauvage un grand ensemble d’habitations à bon marché L’architecte y reprit le principe de l’immeuble à gradins, déjà exécuté au 26 rue Vavin dans le 6ème arrondissement de Paris. Les façades en céramique blanche permettent d’en optimiser le nettoyage. Les terrasses sont conçues comme des « solariums », le soleil permettant de lutter contre la tuberculose. Chaque logement est parfaitement isolé du voisin.
On passe au 21ème siècle, la lutte contre la tuberculose ou autres épidémies n’orientent plus la construction publique de logements. Aujourd’hui, lutter contre l’insalubrité c’est répertorier les immeubles, logements meublés selon une liste de critères regroupant : l’état des éléments de structures (fondations, murs porteurs…), la présence de plomb, d’amiante, la prévention des chutes, de la propagation incendie. La Société Immobilière d’Economie Mixte de Paris est à cet effet un acteur important concourant à la diminution de l’insalubrité au sein de la capitale et le secteur Nord Emile Chaîne traversé lors de la visite en est un bon exemple. En 2002, une convention publique d’aménagement est signée entre la Ville de Paris et la SIEMP pour lutter contre l’habitat dégradé répertoriant différentes adresses (échelle de la parcelle) ou secteur (Nord Emile Chaîne). Cette convention, aujourd’hui parvenue à son terme, à renforcer l’expertise de la SIEMP dans le traitement de l’insalubrité dans le tissu urbain, complexe et dense, parisien.
2/ Une fonction à définir : la Petite Ceinture
Parmi les terrains en devenir de la capitale se trouve l’ensemble de la Petite Ceinture. Construite dans les années 1850, son succès fut croissant jusqu’à l’apparition du métropolitain (39 millions d’usagers en 1900, moins de 7 millions en 1927). Les chemins de fer de la petite ceinture s’arrêtèrent définitivement de fonctionner en 1934. Initialement propriété de Réseau Ferré de France et de la SNCF (gares), la petite ceinture a fait l’objet d’un protocole-cadre signé en 2006 entre RFF et la Ville de Paris pour mener une étude prospective sur ces terrains préservés. Trois secteurs sont définis :
– Secteur où la mutation urbaine peut être envisagée (sud-est) comme espace de préservation de la biodiversité et de promenade
– Secteur où des transports légers peuvent passer (nord-est)
– Secteur où la fonction ferroviaire est maintenue pour assurer des liaisons entre gares existantes (nord-ouest)
Le tronçon entrevu lors de la visite, surplombé depuis la rue Belliard, est un endroit où la vocation ferroviaire est conservée.
II – Parcours à travers le XVIII°
La Moskowa
Ce quartier tire son nom du boulevard Ney qui le borde, le maréchal Ney ayant été fait prince de la Moskowa, lors de la bataille du même nom en 1812 contre les Russes (lesquels la considèrent comme une victoire, la bataille de Borodino, célébrée par Tchaïkovski dans son Ouverture 1812).
Le quartier s’est développé entre les voies ferrées de la petite ceinture (achevée en 1852 pour le tronçon entre Batignolles et La Chapelle) et les fortifications de Thiers (qui datent du début des années 1840). Le terrain appartient à la famille Compoint (qui a donné son nom à la rue Angélique Compoint du quartier), vignerons montmartrois, qui cèdent 5 hectares à la fin du XIX° siècle, où vont très vite se construire de petites maisons basses et sans confort, entourées de ruelles étroites. Ce sont des provinciaux, du Jura et d’Auvergne, qui vont bâtir ces ateliers et autres bicoques au milieu de petits jardinets. La destruction effective des fortifications entre 1919 et 1929 (déclassées depuis 1883), l’essor des habitations bon marché de l’autre côté du boulevard, la densification du bâti de l’autre côté de la petite ceinture, ne vont pas changer la donne pour la Moskowa, qui demeure en l’état. Le quartier est d’ailleurs déclaré insalubre dès 1939. L’arrêté d’insalubrité stoppe toute rénovation possible, et les squats se mêlent aux préemptions/expropriations. La loi de 1948 bloque les loyers, ce qui incite encore moins les propriétaires à investir. Le quartier se dégrade.
Les études se succèdent dans les années 1970 et 1980, les scandales aussi, mais la physionomie du quartier n’évolue pas jusqu’au projet de ZAC porté par la mairie de Paris (Jacques Chirac) au tournant des années 1990. Le projet prévoit de tout raser, pour reconstruire des bureaux et des logements collectifs. Une association d’habitants se constitue, l’association Moskowa, qui s’oppose au projet, réclame le relogement sur place des habitants et la conservation de plus de la moitié du bâti. Les élections municipales de 1995, qui voient la victoire du socialiste Daniel Vaillant dans l’arrondissement, qui soutient les opposants à la ZAC, et l’arrivée de Jean Tibéri à la mairie de Paris, plus ouvert que le cabinet Chirac sur la question, permet de changer quelque peu le projet. Les bureaux sont supprimés, certains bâtiments conservés, notamment l’emblématique 21 rue Bonnet, en revanche toute la trame viaire de petits passages est remplacée par trois rues parallèles (faisant disparaître trois venelles) et la quasi-totalité du bâti a été détruite et reconstruite. La mixité sociale a été pensée quasiment en bandes parallèles ! En allant de la rue Leibniz (passage couvert de la petite ceinture) au boulevard Ney, on passe du parc privé, à l’accession à la propriété, puis aux HLM !
Au final il s’est agi d’une opération particulièrement lourde, sur 4.8 hectares, avec la démolition reconstruction de 500 logements, et un profond changement des espaces publics, qui ont été agrandi, avec la construction du square ouvert en 2004 sur plus de 2000 m². L’école maternelle Paul Abadie offre une architecture originale ouvrant en quelque sorte l’école sur son quartier (fenêtres à hauteur des enfants assis) et le quartier sur son école (vue sur la cour depuis le trottoir).
Un beau diaporama de la SEMAVIP illustre les nouvelles constructions http://www.semavip.fr/nos-projets/nos-references/maskova?voir=galerie
Poubelles brûlées, dégradations de scooters et trafics de drogue rappellent toutefois que la beauté du quartier ne règle pas tous les problèmes sociaux.
L’université Paris Sorbonne : le campus de Clignancourt
Nous nous situons ici entre boulevard des maréchaux (achevés à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale) et boulevard périphérique (années 1970), dans cette zone, un temps non constructible, puis peuplée de bidonvilles faciles à démolir en cas d’attaque de l’ennemi, avant le déclassement des fortifs en 1883. Les deux conventions que passent l’Etat et la mairie de Paris en 1912 prévoient le maintien de la servitude non aedificandi pour y développer espaces verts et promenades. La mentalité hygiéniste demeure. Encore aujourd’hui, que de stades, de mur d’escalade ici (le seul de Paris en plein air), de piscines, d’espaces verts entre les maréchaux et le périphérique !
Notons d’emblée le manque de pensée urbanistique dans ce secteur le long du mail Francis de Croisset. Des tours et barres comme plantées là, dans les années 1955-65. Le secteur où se situe aujourd’hui la Sorbonne appartenait jadis au Ministère de la Défense. On retrouve des logements, un collège (difficile) et un lycée général et technologique orienté vers le social et le paramédical, le restaurant universitaire qui donne sur le carrefour boulevard Ney et porte de Clignancourt, et enfin un immeuble de la préfecture sur le boulevard.
Un premier campus de la Sorbonne est édifié dans les années 1970. Il a été rasé au début des années 2010 pour être remplacé par ce campus-là, flambant neuf, mais qui ne devrait pas tarder à poser des problèmes. Le chantier n’aurait jamais été accepté s’il s’était agi d’un bâtiment privé. Mais il faut dire que le partenaire privé ne touche aucun loyer tant que le bâtiment n’est pas fini…
Le chantier a présenté plusieurs originalités, la première étant sans doute d’être en PPP (partenariat public privé), afin de reconstruire – en site occupé, 4800 étudiants en première et deuxième années (d’histoire, géographie, anglais, espagnol, musicologie, philosophie, sociologie, etc.) – des locaux de 21000 m². La superficie a été multipliée par 4 par rapport à l’ancien campus, et la bibliothèque actuelle fait 4500 m² ! Le partenaire privé s’appelle Bouygues, qui est à la fois promoteur, constructeur, mais aussi chargé de la maintenance et de l’entretien du bâtiment à travers sa filiale Exprimm pour 28 ans. La crainte est bien sûr de voir l’Etat, qui n’a plus l’argent pour construire et construire vite, payer un temps les loyers au prestataire privé, puis un beau jour cesser de les payer. Ce sera alors à l’université – qui est passée aux Responsabilités et Compétences Elargies – de régler l’ardoise. Par ailleurs, quand au bout de la trentaine d’années, le bâtiment reviendra au domaine public, dans quel état sera-t-il ? Le précédent campus a tenu 40 ans. Un connaisseur du monde du bâtiment n’en donnait pas 30 pour celui-là.
Le PPP change aussi le quotidien de l’université, car les personnels techniques de Paris IV voient leur métier changer vers des opérations de diagnostic ou de contrôle, là où le prestataire privé va devoir assurer les prises en charge. Les changements de salle de cours ne sont plus aussi faciles qu’auparavant par exemple.
L’embourgeoisement à l’arrière de la butte Montmartre
L’embourgeoisement de l’arrondissement est particulièrement visible quand on remonte du boulevard Ornano au niveau du Métro Simplon par le rue Joseph Dijon – marquage populaire et maghrébin du quartier, avec les boucheries halal entre autres – et qu’on prend la petite rue rejoignant le superbe square Maurice Kriegel-Valrimont (jadis appelé Square de Clignancourt) entouré d’immeubles début XX° siècle. Arrivé rue Ordener, on rejoint la place Jules Joffrin qui ressemble à une place de village entre la mairie (1888-1892) d’un côté, qui indique sur sa façade le nom des villages qui ont formé le XVIII° (La Chapelle, La Goutte d’Or, Clignancourt, Grandes Carrières) e de l’autre l’église Notre-Dame-de Clignancourt, du Second Empire (1863). Si la rue Ordener conserve encore une petite coloration populaire, monter la rue du Mont Cenis puis la rue Caulaincourt signe définitivement l’entrée dans le XVIII° bourgeois, culminant à l’Avenue Junot aux prix de l’immobilier exorbitant.
L’avenue Junot donne notamment sur la villa Léandre (15000€/m² contre 7 à 8000 place Albert Kahn en bas de la butte, près de la porte de Clignancourt). La villa Léandre est une voie privée qui semble nous transporter dans une ruelle londonienne (un facétieux a collé un petit panneau « Downing Street » à proximité du numéro 10 de la villa, que Michel Piccoli avait acheté à Juliette Gréco, et dont la porte ressemble à s’y méprendre à celle du Premier Ministre de sa Gracieuse Majesté).
Le faux calme qui y règne, perturbé depuis 2010 par l’ouverture du bar Marcel qui attire les bobos de l’arrondissement et ailleurs. La physionomie du quartier, globalement calme et bourgeoise, peu accessible en métro, incarne l’atmosphère de l’arrière de la butte Montmartre sur les plus hautes altitudes.
Côté Seine en revanche, la butte grouille de touristes qui se pressent vers le parvis de la basilique – deuxième monument public le plus visité de Paris, après Notre-Dame – au panorama imprenable sur la capitale. Côté Nord, la butte est remarquablement calme et bourgeoise, et la vague d’embourgeoisement semble dévaler les pentes jusqu’à la rue Ordener et de façon moins marquée jusqu’aux boulevards (les bars branchés et cabinets d’architecte se rapprochent déjà des Maréchaux).
Inutile de revenir sur l’histoire de la basilique de Montmartre, symbole de la pénitence faisant suite aux crimes de la Commune et à la défaite de 1870 (le projet était antérieur pourtant comme le rappelle à juste titre le chapitre sur la basilique dans Les lieux de mémoire de Pierre Nora), et que les républicains s’empressèrent de détrôner par une Tour Eiffel que tout oppose : le métal contre la pierre, le noir contre le blanc, le drapeau tricolore contre la Croix, la science face à l’obscurantisme disait-on fin XIX°. Le géographe David Harvey a écrit des pages passionnantes sur cette véritable lutte pour l’espace et par l’espace, la mairie de Paris n’hésitant pas à baptiser une rue au nom du Chevalier de la Barre (symbole de l’obscurantisme religieux dénoncé par Voltaire) juste à côté de la basilique, et la Libre Pensée se retrouvant encore aujourd’hui au Square Nadar.
La Goutte d’Or, symbole d’un arrondissement populaire menacé ?
Situé entre l’hôpital Lariboisière au Sud, la rue Doudeauville au Nord, les voies ferrées de Gare du Nord à l’Est, et le boulevard Barbès à l’Ouest, la Goutte d’Or constitue un quartier d’immigration depuis fort longtemps. Quelques peintures murales au-dessus du square Léon évoquent le vin blanc produit jadis ici, qui a donné son nom à ce quartier qui s’est surtout développé au XIX° à la faveur de la construction des gares du Nord et de l’Est et de l’hôpital Lariboisière. L’Assommoir d’Emile Zola (1877) relate à merveille l’exode rural et l’arrivée de provinciaux, comme Gervaise et Lantier arrivés de Marseille, en quête de travail dans la capitale. La population du quartier est quasiment multipliée par 5 dans la seconde moitié du XIX° ! Les vagues migratoires n’ont pas cessé au XX° siècle, les Italiens et Polonais succèdent aux Auvergnats, puis viennent les berbères algériens après-guerre, avant des arrivées d’Afrique noire et plus récemment d’Asie. Aujourd’hui, le quartier compte plus d’un tiers d’étrangers (25% à Belleville, 20% dans le XVIII° en général, moins de 15% à Paris) !
Les vagues migratoires se superposent imparfaitement, pour donner à voir aujourd’hui une Goutte d’Or maghrébine au Sud (M° Barbès Rochechouart), et une Goutte d’Or sub-saharienne au Nord (M° Château Rouge). Barbès est une « ville monde » (Emmanuelle Lallement), regorgeant de marchandises et d’origines diverses, d’immigrations visibles (téléphones portables, bagageries, Tati et autres commerces pour s’équiper à bas prix quand on vient d’arriver, bijoux indispensables comme « forme d’épargne (…) la dot et le capital personnel d’épouses qui peuvent être répudiées » rappellent les Pinçon-Charlot dans Paris. 15 promenades sociologiques. Quartier commerçant, quartier touristique aussi : « Quel est le “monument” de la capitale le plus visité ? La tour Eiffel, le Louvre, l’Arc de triomphe ? Non, vous n’y êtes pas. L’institution parisienne qui a fait se déplacer trente-cinq millions de visiteurs l’an dernier s’appelle Tati, la grande surface de la fringue à quatre sous » (Le Figaro, 24 novembre 1987).
Proche des boulevards, les salles de fêtes ont disparu. Le cinéma Le Louxor est plus au sud de la Goutte d’Or, de l’autre côté du boulevard. Le cinéma Barbès-Pathé, lui bien dans la Goutte d’Or, a fermé pour devenir le magasin de chaussures Kata, aux prix défiants toute concurrence, et au décor improbable (entrez au n°34 et admirez la salle de cinéma transformée !). Longtemps délabré, délaissé par les propriétaires (à quoi bon investir dans des logements régis par la loi de 1948, et qui donc n’apporteront que de maigres loyers ?), le sud du quartier a connu une rénovation dans les années 1980 qui a radicalement transformé sa physionomie. Que de bâtiments modernes aujourd’hui ! Il faut dire que le quartier a bénéficié d’appuis politiques de taille : Lionel Jospin député du XVIII° en 1981, Alain Juppé conseiller de l’arrondissement, puis Daniel Vaillant député avant de devenir maire d’arrondissement.
Si la présence maghrébine l’emporte au sud de la Goutte d’Or – à l’exception de la villa Poissonnière, villas et petits jardins arborés de classes moyennes et longtemps du chanteur Alain Bashung – le square Léon semble marquer la frontière ou le point de rencontre avec la Goutte d’Or subsaharienne. La rue des gardes, transformée en rue de la mode vu le nombre de designers internationaux, et ce avec le soutien de la mairie de Paris, mène à ce square Léon, qui a remplacé le démol’, un terrain vague créé par un obus lors de la Deuxième Guerre mondiale. Réaménagé sur l’emplacement d’une rue qui sert d’axe Nord-Sud au quartier, il fut longtemps ouvert toute la nuit. Les riverains excédés par le bruit demandèrent sa fermeture nocturne. Ce qui fut fait, non sans difficultés. Le square ferme à 23h30, cas exceptionnel pour Paris, et reste un lieu de trafic de drogue assez paisible, la police et les CRS se focalisant plutôt sur les vendeurs à la sauvette près des stations de Métro Château-Rouge et Marcadet Poissonniers.
La rénovation du Nord de la Goutte d’Or est en cours. Destruction d’immeubles et reconstructions parfois de qualités esthétiques exceptionnelles se succèdent. Pour autant si la composition sociale du quartier change (arrivée de populations blanches aisées dans un quartier marqué par la misère), les regroupements se font toujours par immeubles avec l’existence d’immeubles de Blancs, entre des immeubles de populations de couleur, majoritairement subsahariennes). Commercialement, la place du marché africain vers le métro Château Rouge n’a quant à elle pas bougé. Marie Chabrol a bien montré dans sa thèse la déconnexion entre les dynamiques résidentielles et les dynamiques commerciales de gentrification. Il faut dire que l’aire de rayonnement de cette centralité commerciale africaine dépasse largement l’agglomération parisienne, avec certains clients provinciaux et étrangers qui viennent régulièrement trouver là des produits venus directement d’Afrique, notamment alimentaires, ou encore des affiches pour des prêches évangélistes dans la lointaine banlieue parisienne. Les vendeurs à la sauvette continuent à marquer le paysage. Et la mairie a beau chercher à diversifier ethniquement l’offre commerciale, le quartier conserve son image de quartier africain.
Bibliographie
Portail des statistiques locales de l’INSEE www.statistiques-locales.insee.fr
Le 18e du mois, n°103, fév. 2004 et http://www.faget-benard.com/jojo/articles/coup/moskowa.html
Compte rendu d’une visite du quartier par Philippe Durand, de l’association Le Petit Ney, http://paris18.paris-eelv.fr/spip.php?article578
Marie Chabrol, De nouvelles formes de gentrification ? Dynamiques résidentielles et commerciales à Château-Rouge (Paris), thèse de Géographie, Université de Poitiers, 2011 http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00658852/fr/
Marie Chabrol, « Qui sont « les Africains de Château-Rouge » ? Usages et usagers d’une centralité commerciale immigrée à Paris », Métropolitiques, 6 mars 2013. URL : http://www.metropolitiques.eu/Qui-sont-les-Africains-de-Chateau.html
Danielle Chadych, Dominique Leborgne Le guide du promeneur, 18e arrondissement, Paris, Parigramme, 1996
David Harvey, « Monument and Myth » , Annals of the Association of American Geographers, vol. 69, no 3, 1979, p. 362-381
Emmanuelle Lallement, « La ville marchande : une approche ethnologique. », EspacesTemps.net, Travaux,23.09.2013
http://www.espacestemps.net/articles/la-ville-marchande-une-approche-ethnologique-2/
Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Paris. Quinze promenades sociologiques, Payot, 2009
Catherine Vieillard (secrétaire générale de Paris 4) : « Les réticences sur les PPP viennent surtout de l’appel au secteur privé » http://www.letudiant.fr/educpros/entretiens/catherine-vieillard-secretaire-generale-de-paris-4-les-reticences-sur-les-ppp-viennent-surt.html
PPP : Clignancourt et ailleurs http://blog.educpros.fr/pierredubois/2011/02/21/ppp-clignancourt-et-ailleurs/
Compte rendu : Olivier Milhaud et Pauline Saurei
Photographies : Marc Béteille, Jean-Pierre Némirowsky, Maryse et Bernard Verfaillie