Compte rendu du café géographique de Rennes
Café animé par Céline Bergeon, Docteure en Géographie, laboratoire Migrinter (Poitiers)
Le terme que j’emploie pourra, peut-être, questionner certains d’entre vous, mais j’ai choisi de les appeler Voyageurs dans un souci « éthique » : j’ai souhaité conserver la façon dont les acteurs que j’ai rencontrés se nommaient afin d’être la plus fidèle à la réalité que j’avais rencontrée. D’autres parleront de Tsiganes, dans d’autres contextes, j’utiliserai moi aussi le terme de « Tsiganes », mais aujourd’hui je vous parle de ceux qui ont fait l’objet de ma thèse et qui se nommaient eux-mêmes Voyageurs donc je souhaite rester sur ce chemin-là. Nous pourrons y revenir, si vous le souhaitez, lors des questions et du débat. Ces Voyageurs, sont, en France, d’après les derniers rapports officiels du gouvernement, entre 180 000 et 300 000, et en Belgique ils seraient environ 15 000. Population appelée plus communément « Gens du voyage » en France ainsi qu’en Belgique (spécificité franco-belge).
La question du fichage :
MENS : fichier des minorités ethniques non sédentarisées, qui a notamment été créé pour recenser la « délinquance itinérante ». C’est la Cellule interministérielle de liaison sur la délinquance itinérante (CILDI) qui se charge de regrouper l’ensemble des données. Bien que ces statistiques soient reprises maintes fois pour « justifier » des comportements déviants des Rroms, d’autres populations peuvent être représentées dans ce fichier. Tous les Rroms n’y figurent pas et toutes les personnes inscrites dans ce fichier ne sont pas uniquement des Rroms.
Plusieurs lois ont encadré ce fichage depuis le début du 20ème siècle . En 1912 : carnet anthropométrique (visé à chaque arrivée et à chaque départ d’une commune ; en 1969 : Carnet de circulation (visa tous les 3 mois, à partir de 16 ans, instaure la notion de commune de rattachement). Ce livret de circulation est controversé.
La question du stationnement :
En France, une politique d’accueil existe depuis 2000 : politique d’accueil en termes de stationnement mais également en termes de prise en charge sociale. Cette loi de 2000 (dite loi Besson 2) impose aux communes de plus de 5 000 habitants de réaliser un dispositif d’accueil pour ces Gens du voyage avec la création notamment d’aire d’accueil où les Voyageurs doivent impérativement stationner pour de leur halte.
En Belgique, et plus spécifiquement en Wallonie puisque c’est dans cet espace que j’ai effectué mon deuxième terrain, c’est un peu moins cadré législativement. La loi des 24h est encore en vigueur (loi qui impose aux municipalités d’accueillir les Voyageurs pendant une durée maximum de 24h sur leur territoire communal). Pour les familles qui souhaitent s’arrêter plus longtemps, dans ce cas-là, c’est au bon vouloir des Bourgmestres. Alors depuis quelques années, environ 5 ans, la Wallonie souhaite mettre en place une loi pour l’accueil des Voyageurs et ce, sur le modèle français. Ca fait donc 5 ans, c’est très long, et quelques municipalités comme Namur ou encore Mons font office actuellement de ville-témoin et disposent depuis peu d’un espace de stationnement officiel.
L’expérience de la mobilité :
La mobilité est le fait de différentes motivations (économiques, familiales, religieuses) : la cellule familiale porte le voyage et le voyage entretient les solidarités familiales. A partir de documents cartographiques, Céline Bergeon présente des parcours de mobilité de gens du voyage.
Par exemple, l’itinéraire de Joseph. Joseph est un manouche de 34 ans, marié ayant 3 enfants. Il voyage régulièrement avec plusieurs de ses cousins sur plusieurs départements. Son activité principale (vente de paniers et services de rempaillage) l’amène à suivre un calendrier précis car il vend essentiellement ses produits sur les marchés. Il peut, à l’occasion, avec ses cousins, récupérer de la ferraille et la revendre. Joseph investit en moyenne treize lieux différents en quatre ans. Chaque arrêt ne dure pas moins de vingt jours, ce qui suppose qu’il ne s’agit pas uniquement d’un simple lieu de halte ou de transit. Bien au contraire, on peut aisément présumer -si l’on se réfère uniquement à la représentation cartographique et aux supposés qu’elle engendre -, que les motivations dans l’investissement du lieu sont précises. Le deuxième élément qui permet de pré-valider des habitudes de mobilité se repère à l’aide du schéma « temporalité et régularité dans l’investissement des lieux » sur lequel se détachent graphiquement les allers et retours de Joseph. Le corpus cartographique, établi à l’aide des carnets de réexpédition du courrier, permet de visualiser de manière synthétique le parcours de Joseph, de révéler plus de continuités que de ruptures et surtout, de mettre en lumière la linéarité de l’itinéraire. Par ailleurs, la région Poitou-Charentes se détache en termes de fréquentation, élevant la région en un espace privilégié de circulation. Les attaches locales sont donc importantes, même si la mobilité de Joseph le conduit en dehors des frontières régionales.
Dans son récit, Joseph évoque son cousin, « le Mumu ». La confrontation de ces cartes permet de voir quels lieux sont communs dans la pratique des deux cousins. Ainsi, cinq lieux évoqués par Joseph dans son discours ci-dessus sont également investis par Mumu et pour plusieurs d’entre eux, à la même période. Angoulême, Montigny-lès-Cormeilles, Royan, Saintes et Lyon peuvent donc être considérés comme des lieux de rencontre familiaux. Le caractère événementiel peut être à l’origine de certaines réunions de grande ampleur, comme c’est le cas pour Lyon qui a accueilli en 2005 une convention évangélique à laquelle Joseph et Mumu ont participé. D’autres lieux, à vocation économique, tels qu’Angoulême en Charente et Saintes en Charente-Maritime, sont également fréquentés par les deux familles. Par ailleurs, une même commune peut être investie à des moments différents de l’année par Joseph et Mumu.
La question des aires d’accueil et de leur appropriation :
A première vue, ces aires d’accueil sont aménagées : des locaux et des sanitaires y sont construits pour les familles. L’environnement reste, dans la majeure partie des cas, uniforme : l’aire d’accueil est le plus souvent entourée de champs agricoles et se trouve à proximité d’infrastructures routières ; plus rarement (voire jamais sur certains territoires) elle est proche des commerces et des habitations. Ce type de paysage est récurrent.
Le législateur évoque le terme de « place de caravane » qui accueille la caravane ainsi que le véhicule qui la tracte. Souvent, un emplacement sur une aire d’accueil correspond à deux « places de caravane ». La circulaire du 5 juillet 2001 préconise une taille minimum de 75 m² pour chaque « place de caravane ». « L’emplacement », lui, unité la plus souvent employée dans les règlements intérieurs des aires d’accueil comme dans les schémas départementaux, comporte deux « places de caravane » et représente donc une superficie de 150 m². Une famille qui arrive sur une aire d’accueil loue donc un emplacement pour y placer deux caravanes, ses deux véhicules et pour y organiser sa vie familiale.
La population est identifiée essentiellement via son type d’habitat, la caravane. Elle est considérée comme un habitat précaire et temporaire (d’où l’espace parking), alors que cette caravane est l’outil-même qui permet la mobilité, le déplacement. Cette caravane est considérée comme un HNO (habitat non ordinaire) puisqu’elle n’entre pas dans le cadre de la convention de qualité du logement instaurée par l’Etat et ce dans la mesure où « on entend « par logement ordinaire » le fait d‘une part de résider dans le cadre du droit commun, soit en tant que propriétaire, soit en tant que locataire, et d‘autre part d‘y être chez soi » (Lévy-Vroelant, 2000). En cela, l’habitat mobile des Voyageurs décrirait plutôt un « logement de passage » qu’un « logement ordinaire », puisqu’il n’entre pas dans la conception commune de l’habitat. La notion de « logement de passage » introduit celle de l’habitat spontané. Ainsi, « les logements « de passage » peuvent être confondus dans une même catégorie fonctionnelle, du fait qu‘ils sont voués à une fonction d‘accueil et de transit » (Lévy-Vroelant, 2004).
La caravane est beaucoup plus valorisée et « humanisée » par les Voyageurs que par les décideurs: à l’intérieur de ces caravanes il y a des personnes, des familles, contraintes à habiter sur des espaces identifiés et qui s’inscrivent, malgré tout, dans des processus d’appropriation de l’espace et qui développent des pratiques habitantes, malgré la contrainte et je dirai aussi, pour nuancer cet aspect contraignant, que pour certaines familles, ces aires d’accueil sont devenues un des seuls moyens qu’ils possèdent concernant leur visibilité dans la : « inconsciemment » ces espaces sont devenus « les leurs ». On constate donc des processus d’appropriation : du parking au « chez soi ». L’obligation de stationnement sur les aires d’accueil pour les familles de Voyageurs a véritablement participé à une transformation de l’espace. D’une vision restrictive, pratique (stationnement), on passe à un lieu de vie où se développent des habitudes de vie quotidiennes et qui vont induire des conflits d’usage d’un espace commun. On peut ainsi déceler des marques, des traces, un déploiement des intentions familiales et quotidiennes : certaines familles vont « équiper » l’aire d’accueil (avec l’aide des travailleurs sociaux bien évidemment : équipement simple mais important lorsque l’on est Voyageurs : « l’espace grillade » ou souhait d’avoir une boite aux lettres, par exemple. Traces du passage des enfants et des familles, qui reviennent le plus souvent chaque année sur les mêmes aires d’accueil : on y inscrit son passage, son prénom, etc.
L’hospitalité familiale pour combler les lacunes de l’hospitalité d’Etat
Face à cette inadéquation du dispositif de stationnement proposé par l’Etat, et c’est un des points essentiels de la thèse de Céline Bergeon, les Voyageurs ont su réorganiser leur halte en organisant une « hospitalité familiale » : pour être plus précise, deux choses se distinguaient du discours des Voyageurs sur leur accueil en France : l’obligation de stationnement en des lieux identifiés avait désorganisée leur mobilité traditionnelle ; et les aires d’accueil n’étaient pas adaptées à leur souhait concernant la halte.
Face à ces difficultés, ces obstacles, les familles ont privilégié ce que Céline Bergeon appelle l’ « acquisition multisites » : c’est-à-dire qu’elles sont devenues locataires mais le plus souvent propriétaires de petits terrains familiaux qui se localisent sur les axes principaux de leurs parcours habituels. Ainsi, les familles peuvent stationner les unes chez les autres et éviter d’une part tous problèmes de stationnement, rencontrés sur une aire d’accueil classique (sur-fréquentation, problème de cohabitation, agencement des caravanes…) et d’autre part, elles évitent d’entrer dans un système marchand de l’accueil et du stationnement puisque là on revient sur une hospitalité au sens premier du terme, celui qui repose sur la réciprocité et la gratuité.
Echange avec le public :
Question- Bonjour je suis membre du MRAP et je suis membre du comité de suivi départemental des gens du voyage. Je voulais faire un petit point sur la situation en Ille et Vilaine. A priori en Ille et Vilaine et en Bretagne la situation est idyllique avec près de 97% du schéma d’accueil et d’habitat des gens du voyage réalisé.
En réalité les problèmes demeurent, notamment dans la mesure où ce schéma ne recouvre pas tous les besoins, qui sont souvent calculés de façon étroite. Les aires d’accueil proposent toujours peu de place malgré la qualité des infrastructures, point sur lequel nous ne sommes pas à plaindre en Ille et Vilaine.
Besoins qui sont aussi peu pris en compte en ce qui concerne la question de l’accès aux soins. Ainsi souvent au moment où un voyageur est mourant et va à l’hôpital c’est toute la famille, soit souvent 20 ou 30 caravanes qui viennent veiller le mourant, mais c’est la même chose lorsqu’il y a une naissance. Certains hôpitaux ont des terrains d’accueil, à Pau notamment…
Une autre remarque c’est la question de la scolarité, qui est essentielle. Comment les enfants sont scolarisés, souvent çà pose des problèmes et les écoles ont tendance à traîner des pieds et à faire durer les procédures d’inscription.
Une remarque aussi sur les terrains familiaux, où souvent on n’a pas d’installation EDF, car les mairies là aussi traînent des pieds et ne donnent pas les autorisations nécessaires à l’installation de l’électricité, or sans aval de la mairie l’EDF ne peut rien faire.
Enfin une question sur les camps d’internement et sur la mémoire qui y est associée.
Céline Bergeon – La scolarité est en effet quelque chose de très important. Souvent le taux de scolarisation est très bon au primaire mais baisse ensuite au collège et plus encore au lycée. Souvent la scolarisation amène à une forme de sédentarisation, ce qui n’est pas toujours bien accepté. Même si souvent quand les enfants sont jeunes les familles font l’effort. Mais de plus en plus on constate que la priorité est accordée aux apprentissages fondamentaux, lire et écrire notamment.
En ce qui concerne les camps d’internement on a une vraie mémoire qui se développe, avec des pratiques qui vont avec, souvent les familles reviennent tout les ans sur ces sites pour honorer la mémoire de parents. Cette mémoire est aussi entretenue par ceux qui ont vécu dans ces camps.
Question– Une question portant sur la gestion des aires d’accueil. D’abord est-ce qu’il y a des chartres public/privé pour gérer ces aires ? Et ensuite est ce qu’on peut réserver à l’avance, par exemple un an avant, un emplacement sur ces aires ?
Céline Bergeon – Alors dans le cas où ces aires d’accueil sont confiées à des sociétés privées oui il y a des accords entre ces sociétés et les communes, qui sont propriétaires de ces aires d’accueil. Pour ce qui concerne la question de la réservation, non il n’y a pas de système de réservation, ce serait difficilement gérable. Ces aires sont aussi pensées pour permettre une rotation. De plus certaines sont des choix préférentiels à cause de leur qualité, d’où de potentiels conflits qui pourraient naître de possibilités de réservation.
Question – Juste un point sur qui a aujourd’hui la compétence gens du voyage.
Dans le public : C’est aujourd’hui la communauté de communes qui a cette compétence. Pour l’exemple de Rennes c’est Rennes métropole qui a la compétence. Aujourd’hui sur ce territoire de Rennes Métropole on a 21 aires d’accueil, 2 grosses et 19 plus petites allant de 6 à 12 places. Il existe aujourd’hui un groupement d’intérêt public sur le suivi social de ces populations.
Ce qu’il faut aussi dénoncer c’est l’association aires d’accueil/lieux dépréciés qui est encore trop fréquente. Par exemple à St Malo quand on arrive à St Malo on a un panneau qui indique la station d’épuration la déchetterie et l’aire d’accueil des gens du voyage… Lieux qui sont encore associés dans les têtes. En Normandie dans une interco. Il y avait des difficultés à trouver un 5ème vice-président. Quand il y en a un qui s’est finalement détaché on lui a donné la question de la station d’épuration, de la déchetterie et de l’aire d’accueil des gens du voyage…
Question – Les romanichels c’est quoi ?
Céline Bergeon – C’est tout les gens du voyage, c’est une expression dépréciée, connotée péjorativement et qui n’est jamais employée par les gens du voyage eux-mêmes. Par contre le terme Gadje c’est ceux qui ne voyagent pas, celui qui n’est pas de la communauté, ce qui n’est pas forcément péjoratif.
Question – Je voulais savoir quels étaient les résultats de ta comparaison avec la Belgique ?
Céline Bergeon – Alors ce qui est intéressant c’est que les voyageurs en France ont su adapter leurs circulations en fonction des évolutions juridiques. Il faut casser le cou à l’idée que les voyageurs ne voyagent plus, ils voyagent encore mais en s’adaptant. On peut prendre l’exemple de Gigi. A la base il est alsacien mais sa famille est venue se réfugier en Bretagne lors de la Seconde Guerre Mondiale. Le problème c’est qu’en Bretagne il y avait beaucoup de concurrence sur les activités traditionnelles de ces populations. Donc ils sont descendus vers le Poitou-Charentes où ils organisent leurs mobilités entre cette région et le Limousin, avec de nouveaux réseaux de mobilité. Il a fait son service militaire, à goûter aux joies de la vie sédentaire et s’est sédentarisé par la suite. Ce qui a été très mal vécu par le milieu familial. Il a trouvé du travail dans une association de gens du voyage. Lorsqu’il est arrivé à la retraite on a fait une fête au cours de laquelle il a annoncé qu’il avait racheté une caravane et qu’il repartait sur les routes le lendemain avec son cousin, après 35 ans de sédentarité. Son fils avait aussi l’intention de reprendre la route. Même si des évènements peuvent expliquer des sédentarisations ponctuelles ces populations gardent un rapport très étroit au voyage. Leurs comportements ne sont jamais figés.
Pourtant souvent on constate une incapacité à définir le voyage par les mots chez ces populations. C’est véritablement un mode de vie, qui fédère aussi le quotidien. Les mobilités sont fondamentales à l’entretien de la solidarité. Si il y a plus de voyages les liens familiaux se distendent.
Compte-rendu : Céline Bergeon, Benoit Montabone, Brieuc Bisson
Bonjour, je suis étudiant à l’université de Savoie, mon mémoire de master 1 et dans la continuité celui du master 2 porte sur les gens du voyage en Pays de Savoie, ne pensez vous pas que la question des gens du voyage aujourd’hui fait l’objet de la part des élus et de la société en général d’un traitement différencié, en terme de mise à l’écart, de violence verbale, de préjugés qui ne serait pas toléré vis à vis d’autres groupes sociaux et culturels, et qui lorsque ceci concerne les voyageurs, cela semble davantage toléré voir « accepté »?