L’idée de relier la Méditerranée à l’Atlantique par une voie navigable s’est imposée dès la naissance de l’Empire romain. Ils en ont rêvé, Auguste et bien d’autres après lui, mais ils ont renoncé jusqu’à ce qu’un illustre inconnu, Pierre-Paul Riquet visionnaire de génie, aussi hardi que tenace, ne parvienne à réaliser, sous le règne de Louis XIV une voie d’eau reliant la mer Méditerranée et l’océan Atlantique. Le Canal du Midi et Versailles sont sans conteste les deux chefs-d’œuvre du règne du roi Soleil.
Un rêve millénaire
Auguste voulait contrôler la Gaule récemment conquise sans avoir à contourner la péninsule Ibérique et à franchir le périlleux détroit de Gibraltar. Un « chemin d’eau » lui semblait plus facile pour transporter des marchandises et/ou des hommes en armes que les voies terrestres.
Mais le coût était pharaonique et les défis technologiques insurmontables. Charlemagne en a aussi rêvé, puis François Ier, Henri IV…
Le problème majeur consistait dans le franchissement du seuil du Lauragais à 190 mètres d’altitude, ligne de partage des eaux qu’il fallait franchir pour relier le bassin versant de la Garonne aux cours d’eau se jetant dans la mer Méditerranée. Outre le cours des rivières, qu’il fallait régulariser, il fallait aussi creuser des canaux, s’assurer d’une alimentation en eau pérenne, ce qui n’est pas garanti sur le flanc méditerranéen. Mais on pouvait utiliser les cours d’eau venant de la Montagne Noire.
Riquet, un visionnaire écouté par Colbert
Né à Béziers vers 1609, fils d’un notaire devenu homme d’affaires fortuné, Pierre-Paul Riquet fit des études médiocres. La notoriété seule de son père lui permit de devenir fermier général du Languedoc. Il obtint ensuite la charge très lucrative de manutentionnaire des armées du roi de Catalogne. A son tour, il fut riche, se fit construire un beau château (sur 150 hectares de terrain) y installa femme et enfants. Le château s’appelait Bonrepos, mais de repos il n’en connut guère. Une seule ambition le taraudait : il voulait acquérir un titre de noblesse et pour cela il fallait l’obtenir du monarque. Il mit toute sa fortune dans le projet, endetta toute sa famille et la mort le prit par surprise en 1680, alors que la construction du canal était presque achevée.
Un jour de 1662, Pierre-Paul Riquet présente à Colbert un mémoire pour « l’établissement du Canal ». Il y avait travaillé pendant quinze ans et même testé en son château les creusements de rigoles, aqueducs, bassins… qui devaient permettre sa réalisation. Pendant quatre ans, les conseillers du roi le mirent à l’épreuve. Riquet finança le tout sur ses fonds propres.
Le canal du Midi relie Toulouse à l’étang de Thau : 1667-1681
Le chantier a comporté 3 tronçons réalisés en même temps :
– de Toulouse à Trèbes, le canal se déroulait sur 100 km, en partie le long de la Garonne
– le deuxième tronçon était le plus difficile à réaliser car il fallait commencer par creuser un lac artificiel : ce fut le lac de Saint-Ferréol et un barrage de retenue afin d’avoir l’eau pérenne pour l’alimentation du canal. Six années furent nécessaires et un millier d’ouvriers. En son temps considéré comme « la huitième merveille du monde, il est aujourd’hui classé au Patrimoine mondial de l’humanité. Une succession d’écluses (dont celles de Fonseranes), devait permettre l’abaissement du canal jusqu’au niveau de la mer.
– enfin, à l’arrivée, il fallait construire un port sur la mer Méditerranée : ce fut le port de Sète.
Au total cette merveille, longue de 240 km compte : 350 ouvrages d’art dont 126 ponts, 55 aqueducs, 6 barrages, 7 ponts-canaux et 63 écluses !
Qui a inventé l’écluse ? C’est Riquet… non, c’est Léonard de Vinci, qui à l’extrême fin du XVe siècle a aménagé des canaux en Italie du Nord ! Mais les écluses de Léonard étaient rectilignes, celles de Pierre-Paul Riquet, nettement plus sophistiquées, souvent de forme ovoïde (comme celles de Fonseranes) et construites en pierre de taille. Donc plus belles et plus résistantes à la pression de l’eau.
Les écluses de Fonseranes sont classées Monument Historique depuis 1996. Riquet avait baptisé le site, « escalier de Neptune ». Les 8 bassins en escalier permettent de franchir en 300 mètres seulement une dénivellation de 21,50 mètres. Elles fonctionnent sans interruption depuis 340 ans. L’ancienne maison du coche d’eau est devenue l’Office du tourisme qui propose une salle de scénovision sur l’histoire du canal. A ses côtés, un restaurant panoramique offre une vue imprenable sur la cathédrale de Béziers.
Remarque : ne pas confondre le Canal du Midi avec le Canal des Deux-Mers : ensemble de voies d’eau constitué par le canal du Midi, le canal de Brienne, le canal de jonction, le canal de la Robine et le canal latéral à la Garonne.
Une course d’obstacles
Le génie de Riquet lui a permis de résoudre toutes les difficultés techniques, mais pas les difficultés financières, puisqu’il mourut très endetté.
Le génie de Riquet est aussi celui d’un organisateur hors pair de ses chantiers, qu’il parcourt inlassablement. On comptera jusqu’à 12 000 ouvriers, hommes, femmes, jeunes ou vieux.
La main d’œuvre paysanne était saisonnière, elle ne venait que lorsque les travaux des champs ne la retenaient pas. On misa donc sur des ouvriers répartis en sections presque militaires et effectuant un travail rationalisé à l’extrême. Pour les fidéliser, Riquet accepta de leur fournir une paye mensualisée, des congés payés et des congés maladie. Autant d’avantages inconnus à l’époque. Riquet était un homme d’affaires et savait qu’un ouvrier bien traité est productif !
Il lui fallut aussi faire face à de nombreuses cabales, celles d’hommes envieux ou d’édiles acceptant ou refusant le passage d’un canal, d’un tunnel, d’une écluse. Heureusement que Colbert lui resta fidèle.
Vauban va poursuivre l’œuvre de Riquet et réaliser le Système des Deux Mers.
Les héritiers de Riquet, ses deux fils, vont d’abord payer les dettes de Pierre-Paul Riquet, réussir à se faire anoblir et donc réaliser le rêve du père puis obtenir l’appui de Vauban, le Commissaire des fortifications du Royaume.
C’est à Colbert que l’on doit la construction des voies d’eau du canal de Brienne, le canal de jonction, le canal de la Robine et le canal latéral à la Garonne.
Le canal de Brienne s’achève à Toulouse : il est très court mais permet de contourner la chaussée de Bazacle, l’un des plus mauvais obstacles du fleuve dans la traversée de la ville.
Plus tard, en 1808, la liaison entre Sète et le Rhône est achevée, soit 97 km de plus pour le réseau.
Riquet avait mis 14 ans pour réaliser le Canal du Midi, long de 240 km, au XVIIe siècle. Il aura fallu 2 siècles pour réaliser les 193 km supplémentaires au XIXe siècle.
Les aléas économiques du Canal des Deux mers.
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, le transport de marchandises rapporte beaucoup d’argent aux héritiers de Colbert. Des bateaux de mer le parcourent pour éviter le contournement par Gibraltar, mais aussi et surtout des embarcations conçues spécialement pour la navigation sur les canaux, halées par des hommes et des chevaux. De Toulouse à Sète il fallait environ 8 jours pour le transport des matériaux de construction, des céréales, des vins, etc. A l’apogée du trafic près de 250 barques sillonnaient le canal.
Pour les voyageurs, des « voitures de poste » de plus en plus confortables furent construites. Elles s’arrêtaient pour les repas et pour la nuit.
Ironie de l’histoire, c’est au moment où le système devient complet et rentable (110 millions de tonnes annuelles et 30 000 voyageurs) que l’essor du chemin de fer va le rendre obsolète.
Ironie de l’histoire encore, c’est Napoléon III qui confie en 1858 et pour une durée de 40 ans, la gestion du canal à son plus dangereux ennemi : la Compagnie des Chemins de fer du Midi !
Au terme du contrat, le canal est nationalisé. Sa gestion est aujourd’hui confiée à l’administration de Voies navigables de France.
De la batellerie au tourisme fluvial
En 1989, la dernière péniche commerciale du canal du Midi effectuait son ultime trajet. Le canal restait utilisé pour l’irrigation de 24 000 ha, mais il était menacé d’abandon.
Le salut est venu de la vogue du tourisme fluvial dont le succès va grandissant depuis les années 1960. Actuellement, plus de 100 000 touristes dont la moitié sont des étrangers empruntent un réseau des voies d’eau reliant Bordeaux à Arles.
Les chemins de halage sont devenus « Sentier botanique » bordé par 24 espèces végétales, aussi variées que remarquables. Ils sont parcourus par des randonneurs, des cyclistes, des touristes venus admirer les œuvres d’art majeures que sont les écluses, droites, ovales ou rondes, etc. Une ombre au tableau : les platanes sont malades. En 2006, 42 000 platanes bordaient le canal, mais la maladie du chancre coloré les décime aujourd’hui sans pitié. Tous malades, ils devront être remplacés.
Si Pierre-Paul Riquet et ses fils nous écoutent ou nous lisent d’outre-tombe, ils savent qu’aujourd’hui leur génie, leur folie, leurs noms sont connus et reconnus.
Bibliographie :
René Gast, Le canal du Midi. Histoire d’un chef-d’œuvre. Editions Ouest-France, 2006.
Maryse Verfaillie, mai 2022