Les Cafés Géographiques de Metz ont souhaité rendre hommage à Jean-Marie Pelt, biologiste et écologue, décédé le 23 décembre 2015, en mettant en ligne sur le site des Cafés Géo, son intervention lors de la séance inaugurale des Cafés Géographiques de Metz le 2 mars 2006. Fondateur, en 1971, à Metz, quand bien peu se souciaient du sujet, de l’Institut européen d’écologie qu’il a présidé, Jean-Marie Pelt, intransigeant dans ses convictions, a mené de façon pacifique et citoyenne le combat pour une prise en compte responsable de la nature et de ses richesses. Ses propos, lors de cette rencontre-débat, montraient la nécessité d’une prise de conscience à l’échelle mondiale pour préserver notre planète. La COP 21 qui s’est tenue à Paris du 30 novembre au 12 décembre 2015, montre à quel point le combat de Jean-Marie Pelt était urgent.

Christiane Barcellini

« Le maintien de la biodiversité est-il compatible avec le développement des activités humaines ? »

Jean Marie Pelt,
le 2 mars 2006
aux Cafés Géographiques de Metz

L’Homme nuit-il à son propre avenir ?

Parler de la biodiversité est un exercice difficile car c’est un concept très large qui rendcompte de la diversité de la vie et de la nature. Cette diversité est telle qu’elle rend difficile tout classement. Même les astrophysiciens sont en grande difficulté pour classer les astres dans les catégories qu’ils ont pourtant définies. Il faudrait peut-être qu’ils inventent la cosmo-diversité. Pour les sociétés, la diversité est telle qu’on pourrait parler d’ethno-diversité et d’une socio-diversité. Pour la vie dans son sens le plus large, on parle de biodiversité.
La diversité, c’est la loi de la vie. Elle permet de créer une certaine convivialité car, par nature, l’autre est différent de moi. Cette biodiversité est très importante ne serait-ce que sur le simple plan numérique. On peut estimer que l’on connaît environ 1,750 millions d’espèces, dont 950 000 insectes, 270 000 plantes, 20 000 poissons et environ 5 000 mammifères. A cela, il faut ajouter les espèces encore inconnues : par déduction et extrapolation statistique, on estime leur nombre total entre 10 et 15 millions. Cela permet d’en « découvrir » de nouvelles. Ainsi dans une dépêche de l’AFP la semaine passée, il était fait mention d’un territoire vierge abritant de nombreuses nouvelles espèces dans la partie indonésienne de la Nouvelle-Guinée.

Cette biodiversité est menacée. On estime que le monde perd actuellement 100 à 1 000 fois plus d’espèces que si l’homme n’existait pas. Les destructions seraient aussi importantes que celles de la fin du Permien ou de la fin du Secondaire qui vit la disparition des dinosaures.

Cette perte de la biodiversité est largement liée au déboisement. Les deux-tiers de la biodiversité concernent le monde tropical humide, or 50% des superficies des forêts tropicales humides ont été détruites depuis la Seconde Guerre mondiale et chaque année, ce sont environ 140 000 km2 qui disparaissent. Ainsi certains estiment que les forêts d’Asie du Sud-Est sont déjà condamnées (notamment en raison des coupes très importantes réalisées pour satisfaire la demande chinoise de bois) et qu’il faut faire porter les efforts de protection sur celles d’Amazonie et du bassin du Congo.

Estimer les pertes présentes et à venir est pourtant difficile car on ignore les espèces qui ont réellement disparu. Certaines espèces sont déclarées perdues avant que des individus ne

soient à nouveau identifiés. Ce fut le cas de l’hibiscus liliiflorus sur l’île de Rodriguès : il avait été déclaré disparu, pourtant il est réapparu il y a quelques années. En France, sur un total de 4 600 espèces végétales, « seulement » 9 auraient disparu. Il faut dire que la nature est robuste et qu’il est difficile, sauf pour des espèces endémiques de petites îles de les faire disparaître.

En France, une majorité d’espèces menacées est ainsi concentrée dans les Alpes maritimes où se rencontrent les influences montagnardes et les influences méditerranéennes. En revanche, le nombre d’individus d’une espèce peut être très fortement diminué à l’image des plantes accompagnant les graminées dans les champs de céréales (les messicoles) où les pesticides et les entrants extérieurs sont très importants. Lorsque le nombre d’individus passe au-dessous d’un certain seuil, différent selon les espèces, l’avenir n’est plus assuré. Ainsi, l’érosion de la biodiversité est-elle très rapide.

Néanmoins, on peut cependant s’interroger sur le péril de la disparition d’un insecte ou d’une plante. Pour beaucoup, ce n’est malheureusement pas un problème. Les biologistes n’ont pas réussi à faire prendre conscience de ce risque aux hommes politiques et à l’opinion publique. Pour beaucoup d’entre eux, le principal problème est d’ordre génétique : la disparition entraîne une diminution du patrimoine génétique. Or il me semble que le péril est beaucoup plus grand, mais sa prise de conscience impose d’une part de comprendre l’utilité de la biodiversité et, d’autre part, d’avoir une vision transversale du monde que les géographes sont peut-être plus capables d’avoir.

A quoi sert la biodiversité ?

Étant botaniste et pharmacologue, il ne m’est pas difficile de répondre. Lorsque l’on m’interroge sur l’utilité d’une espèce, j’utilise souvent l’image suivante qui renvoie à un certain utilitarisme : si une plante contient un principe actif contre le cancer et qu’elle disparaît alors on risque de perdre un traitement. Cependant, se pose alors la question de l’utilité des insectes. Ma réponse est alors du même ordre car je fais référence aux recherches sur les antibiotiques menées à Strasbourg en utilisant des insectes. Mais la biodiversité va au-delà et en tant que telle sa nécessité globale est plus difficile à comprendre et à justifier. Elle oblige à prendre la nature telle qu’elle est, c’est-à-dire avec des variétés très nombreuses et des relations complexes entre les espèces (notamment entre les insectes et les plantes), dont souvent on ne connaît rien ou presque.

L’étude de la biodiversité passe notamment par l’écologie, or celle-ci est peu connue. Quand une étude existe, elle est considérée comme de portée universelle, à l’image de ce qui s’est passé pour l’étude de 12 prairies européennes. Cette étude a montré qu’un milieu est d’autant plus riche en biomasse que la biodiversité est importante. Certains ont pensé pouvoir étendre cette conclusion à l’ensemble des milieux naturels. Or la mangrove ou les marais littoraux ont une forte productivité alors même qu’ils sont peu riches en biodiversité.

Il y a d’autre part dans la vie une formidable redondance aussi une espèce peut-elle en remplacer une autre. Cette idée est inverse de celle d’utilitarisme, la vie a une certaine gratuité : on peut perdre des espèces sans que l’écosystème soit perturbé. Mais combien peut-on en perdre avant que l’ensemble ne soit menacé ? On parle de catastrophe lors d’une marée noire. Pourtant 10 ans plus tard, la diversité biologique est plus grande car la marée noire a, en quelque sorte, servi d’engrais. Il y a donc réversibilité. En revanche, les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl sont irréversibles.

En ce qui concerne le climat, on sait qu’on ne reviendra pas au climat des années 1950 en raison, notamment, de l’effet de serre. Aujourd’hui, le sort des grandes forêts tropicales est scellé car lorsqu’elles disparaissent les pluies emportent le faible humus. Aussi la régénération devient-elle impossible, à l’inverse de ce qui se passe pour les forêts des latitudes tempérées qui se reconstituent en 30 ans environ. La prédation violente qui affecte les forêts tropicales est aujourd’hui médiatisée cependant celle, tout aussi réelle mais plus insidieuse qui touche nos milieux, est largement passée sous silence.

En matière de biodiversité, il faudrait mettre en œuvre le principe de précaution inventé à Rio il y a 14 ans pour le climat, pour lequel s’applique aujourd’hui le principe de prévention (aujourd’hui pour le climat, on applique le principe de prévention depuis les conférences de Kyoto et de Montréal). La protection de la biodiversité demande des moyens très importants alors même que les budgets sont faibles.

Quelles sont les solutions envisageables ? Certains préconisent la création d’une Organisation mondiale de l’Environnement sur le modèle de l’Organisation mondiale du Commerce. D’autres proposent de créer une sorte de GIEC sur la biodiversité à l’image de ce qui existe sur le climat. Mais les progrès sont lents car l’opinion publique n’a pas été sensibilisée au péril qui menace la biodiversité. Or on ne peut pas séparer la biodiversité de la politique. L’avenir pose question. Lorsque je regarde l’endroit où je vivais lorsque j’étais enfant (une ferme en Auvergne, sans aucune technologie, …), le mode de vie n’était pas si différent de celui de l’an 1000. Aujourd’hui, je suis le seul dans un train à ne pas avoir de portable !

On estime que dans moins de cent ans, il n’y aura plus de pétrole, ni de gaz et qu’il n’y aura plus beaucoup d’uranium. Mais on oublie que le climat se sera réchauffé d’au moins 2°c. Aussi un bébé qui naît aujourd’hui connaîtra une canicule tous les 2 ans (elle montera alors à 45°c., celle de 2003 n’a pas dépassé les 39,5°c. à Metz). Ce bébé risque d’avoir des mers sans poisson. Il n’y aura plus de forêts tropicales, ce qui aura des conséquences encore difficilement prévisibles sur le climat. Mais il sera sans doute mort d’un cancer avant ; il y a actuellement 1 200 cancers mortels supplémentaires en France tous les ans. Mais peut-être n’y aura-t-il plus de bébés car il n’y aura plus de spermatozoïde (les hommes perdent un pour cent de spermatozoïdes par an) ! Il faut donc éviter ce scénario en agissant sur l’écologie, ce que peuvent faire les géographes car la géographie est une discipline transversale, nécessaire dans un monde transversal, pour que l’enfant à naître ait un avenir.

Débat

Question (étudiant en master 2 géographie à Metz et ancien diplomate qui fut en poste en Amérique centrale) : le Costa-Rica a interdit la présence humaine sur l’île de Coco, ne faut-il pas étendre cette interdiction à d’autres espaces ?

Des espaces, souvent pour des raisons géopolitiques, sont devenus très riches sur le plan de la biodiversité. C’est du moins ce que l’on dit, par exemple, du no man’s land qui existe entre les deux Corées, mais qui a pu réellement vérifier cette affirmation ? Il est certain que le Costa-Rica abrite une biodiversité exceptionnelle et qu’il faudra probablement que d’autres lieux, rares et riches, soient conservés en l’état afin de maintenir leur biodiversité.

Question (Y. Kieffer, diplômé de géographie de l’Université de Metz) : n’existe-t-il pas un équilibre entre les espèces qui disparaissent et les espèces qui apparaissent ?

Non, car il n’y a que très peu de nouvelles espèces qui apparaissent (je n’en connais qu’une la Spartine de Townsend, repérée en 1908 près du Mont Saint-Michel), les autres « nouvelles » espèces sont en réalité des espèces qui existaient déjà mais que nous ne connaissions pas.

Question (Y. Kieffer, diplômé de géographie de l’Université de Metz) : j’entends que les espèces sont plus nombreuses dans les régions chaudes. Avec le réchauffement, ne peut-on pas espérer que l’évolution des espèces compensera les destructions engendrées par les mutations du climat ?

Cela semble difficilement envisageable car le réchauffement est plus rapide que l’évolution des espèces. Au Permien, les espèces n’ont pas résisté à ce réchauffement de 12 à 15° c. On peut espérer que le réchauffement actuel n’atteindra pas les 10°c., néanmoins, il est trop rapide pour que les espèces qui ne peuvent pas fuir puissent s’adapter.

Question (Y. Kieffer, diplômé de géographie de l’Université de Metz) : que pouvez-vous dire sur les abeilles ?

Les abeilles souffrent des pesticides mais également de la rapidité des circulations.

On a éliminé le Régent et le Gauchot mais le lobby économique reste fort et la nouvelle molécule qui est utilisée est encore sujette à caution. Il faudrait protéger les agriculteurs contre les lobbies qui les instrumentalisent. Le cas des abeilles est d’une grande complexité.

Elles semblent être les victimes des changements globaux et multifactoriels de l’environnement.

Question : peut-on manger des fruits et des légumes directement ?

Non, il faut les laver ou les éplucher. En moyenne, une pomme a été arrosée 30 fois de pesticides et autres produits chimiques avant d’arriver dans votre assiette.

Question : le développement durable est-il un concept à la mode ou existe-t-il une réalité forte derrière ?

Le développement durable s’articule autour de deux grandes idées : agir de manière à ce que les générations futures aient les mêmes ressources qu’aujourd’hui et une distribution équitable des richesses et des ressources. Il suppose donc une solidarité tant spatiale que temporelle. Il est cependant difficile de distinguer ce qui relève de la communication de ce qui est de l’ordre de la conviction. Ce que l’on peut dire est que le développement durable se situe au-delà du darwinisme social qui caractérise le libéralisme.

Question (étudiant en master 2 géographie à Metz et ancien diplomate) : le chikungunya est -il comparable à la dengue ?

Non, ce sont des insectes différents qui les véhiculent.

Question (S. de Ruffray, enseignante de géographie à l’Université Paul Verlaine, Metz) : Feriez-vous des préconisations différentes pour le maintien de la biodiversité selon les types d’espaces ?

La doctrine a évolué dans ce domaine. On insiste de plus en plus sur une prise en compte globale. Depuis deux ou trois ans, on tente d’élargir les préconisations à l’ensemble des espaces et des espèces et non plus seulement aux zones protégées.

Question : à propos de biodiversité animale, il existe autour de la Méditerranée une espèce de fourmi qui se répand et chasse les autres, à quoi cela est-il dû ?

Cela relève de l’écologie chimique. Ces fourmis, qui sont sur tout le littoral nord méditerranéen, ont une compétitivité terrible. Elles se reconnaissant entre elles mais ne reconnaissent pas les autres fourmis qu’elles éliminent.

Question : vous ne nous avez pas parlé des OGM.

C’est un vaste problème. J’en saurai plus lundi prochain lorsque les résultats de tests conduits sur des rats nourris pendant 90 jours avec des OGM seront publiés. Il semble qu’il y ait des problèmes pour la santé car les OGM contiennent des pesticides. Le point doit être absolument approfondi

Question (M. Fèvre, étudiant en master 2 géographie à l’université de Metz) : quel est votre point de vue sur la grippe aviaire ?

Dans trois ans, plus personne ne se souviendra de cette grippe. Nous sommes surtout en présence d’une pandémie médiatique. Actuellement il y a 15 épizooties du même type mais on ne s’intéresse qu’à H5N1, or chacun de ces virus peut être à l’origine d’une pandémie. Quand la télévision n’en parlera plus, il n’y aura plus de pandémie. Tout comme pour l’affaire d’Outreau : on est devenu fou suite d’une folie médiatique lorsque chaque journal télévisé s’ouvrait par une affaire de pédophilie.

Compte-rendu:  Florence Smits