Le Moyen Orient, épicentre de l’arc de crises
Fabrice Balanche
Festival Vagamondes La Filature
Samedi 17 janvier 2015
Café de géographie de Mulhouse

Ce sujet est au cœur d’une actualité brûlante, qui nous rattrape et met en lumière les responsabilités de la politique étrangère de la France dans le drame de Charlie hebdo.

Moyen-Orient, Proche-Orient ou MENA ?

Il convient pour bien comprendre de préciser certaines notions.

Quelle différence entre Moyen-Orient et le Proche-Orient ?

Je pense que la meilleure définition est celle de Winston Churchill.

  • Le Proche-Orient, c’est le Maghreb plus l’Égypte et la Syrie
  • Le Moyen-Orient : c’est la péninsule arabique et l’Iran
  • L’Orient : le monde indien
  • L’Extrême-Orient : la Chine et le Japon

Pour les Français, le Proche-Orient, c’est le Levant : la façade méditerranéenne de la péninsule arabique : Syrie, Liban, Égypte, Israël

En fait, la région n’existe pas, c’est une notion géopolitique qui dépend de la puissance dominante dans le monde qui la détermine.

Le terme « Middle East » des Etats-Unis s’est imposé longtemps, élargi depuis les années 2000 au MENA ; Middle East North Africa. Un arc s’étendant du Pakistan à la Maurétanie, régions qu’ils entendaient dominer alors que Churchill se focalisait sur la région allant du Caire à l’Inde.

La notion de Proche-Orient n’est plus utilisée qu’en France, parfois en Espagne, en Italie et souvent restreinte au conflit Israël-Palestine

L’AFPAK, la zone Afghanistan- Pakistan est une « sous-zone » pour les Etats-Unis qui cherchent à en dissocier les conflits qui contribuent cependant à désorganiser l’ensemble de la région

Le Maghreb, plus proche de l’Europe, appartient au monde arabe et musulman. Il obéit à des problématiques différentes, éloignées de celles dominantes en Israël, Palestine, Arabie saoudite ou Iran. Les Maghrébins migrent davantage vers l’Europe que vers les Pays du Golfe. Pourtant, ces pays qui ensemble ont une puissance égale à la Chine, sont le centre géo économique de la région. Puissances rentières, ils sont engagés politiquement. Le Qatar soutient des mouvements extrémistes comme les Frères musulmans en Égypte, Nahda en Tunisie, il héberge et finance le Hamas, organisation considérée comme terroriste par les Etats Unis et l’Union Européenn, contrairement aux dires de Laurent Fabius. Le Qatar surenchérit car il est en lutte avec l’Arabie saoudite pour le leadership de la région et ils s’affrontent en Syrie à travers des mouvements radicaux opposés.

Conséquences des conflits libyen et syrien

La zone géographique formant un croissant s’étalant de l’Éthiopie à l’Iran est un arc de crises qui est un vestige de l’arc de tensions s’étendant pendant la Guerre Froide du Sud-est asiatique à l’Afrique. C’est dans cet espace coincé entre la stratégie d’expansion russe et la stratégie d’endiguement américain que se sont développés les guerres proxy [Iran-Irak 80-88. Angola]

Si des confits éteints entre le Vietnam et le Cambodge réactivés par la Guerre Froide, ont fini par s’éteindre, d’autres en revanche, comme le conflit Israël-Palestine malgré la pause des années 90, ne sont toujours pas terminés. On ne pense plus aujourd’hui à le résoudre mais à le gérer. Même si la Guerre Froide est finie depuis longtemps, elle a encore des séquelles surtout en terre d’Islam. Aujourd’hui, la Russie cherche à redevenir une grande puissance et l’Iran, appuyé par la Chine et la Russie, revient sur la scène

Au Conseil de Sécurité de l’ONU, la Russie s’est impliquée ouvertement dans la crise syrienne, sortant de sa zone d’influence. La Chine, sortie de sa réserve, bloque depuis 2012 les résolutions de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis contre le Président Assad. Le droit d’ingérence (et non le devoir) doit être limité pour les Russes à des cas ponctuels : « lorsqu’un Etat est inapte à protéger sa population, la communauté internationale peut alors utiliser le droit d’ingérence, mais à titre exceptionnel et en stricte conformité avec le droit international, en particulier avec la Charte de l’ONU ». Ce double veto russe et chinois empêche toute action globale et concertée.

 

En 2011, le soulèvement de Benghazi assiégée par les forces de Kadhafi, a fait l’objet d’une résolution d’intervention à l’ONU. La Chine et la Russie, non pas opposé de veto, ils se sont abstenus parce que les trois Occidentaux les assuraient que l’opération serait humanitaire.  Or, elle s’est transformée en attaque ce qui a vexé la Chine et la Russie.  Ils ont perdu confiance et depuis refusent toute discussion. Ils bloquent tout et en font une question de principe, déterminés à ne pas changer d’avis. En Syrie, ce n’est pas l’intérêt des Russes pour le petit port de Tartous qui les motive, ni les rares hydrocarbures qui s’y trouvent. Ils s’opposent aux décisions du Conseil de Sécurité pour être respectés au plan international. Ils ne veulent ni envahir le Moyen-Orient, ni en chasser les Américains, tout en étant assez satisfaits de voir ceux-ci s’y épuiser. Pendant ce temps, Vladimir Poutine annexe une partie de l’Ukraine et prépare la reconquête de l’ex-Asie centrale soviétique, avec comme cible privilégiée le riche Kazakhstan.

 

Les conflits peuvent s’épanouir avec une Russie qui revient sur la scène et des Etats-Unis qui allègent leur dispositif mais ne partent pas de la région. Il leur faut aussi lutter contre l’influence chinoise grandissante, faisant du début du XXIème, une décennie perdue pour les Américains. La Chine en a profité mais sa présence dans la région est indispensable à la puissance américaine. La région reste importante pour les Etats-Unis, certes auto-suffisants en matière énergétique mais il ne faut pas oublier que ce sont leurs FMN qui contrôlent le pétrole du Moyen-Orient.

 

La maladresse américaine  

Ensemble, les six pays du golfe représentent deux fois l’excédent commercial de la Chine.  Ils réinvestissent ces fonds aux Etats-Unis (achat de bons du Trésor, d’armes, d’entreprises etc) en échange de la protection du « parapluie » américain car leurs armées sont incapables de se battre

La sécurité d’Israël est une ligne rouge pour Etats-Unis, au point que certains considère l’Etat hébreu comme le 51ème état américain, relayé par un lobby puissant aux Etats-Unis mais ce serait un de seuls motifs d’une éventuelle intervention.

 

Le seul dossier repris par le président Obama est celui de l’Iran dont il voulait éviter le bombardement des centrales iraniennes. En revanche, il n’a rien fait en Palestine et Hillary Clinton, candidate probable en 2016, l’a tout autant négligé. Seul à y être intervenu, John Kerry, en fin de carrière politique, s’y est impliqué sans grand succès mais l’avait espéré pour rentrer dans l’histoire

 

Cette politique brouillonne est responsable des 3000 morts américaines en Irak, de la destruction de Falloujah après le massacre d’une patrouille en 2004. Les assassinats d’otages en direct les ont obligés à intervenir pour contrer les accusations de faiblesse de l’administration Obama. Cependant, leur réaction a été maladroite. DAECH a été décrété ennemi public numéro un des Etats-Unis, devenant de facto, l’ami de quantités d’entités sunnites, plus ou moins proche d’autant que dans le même temps, Israël s’en prenait à Gaza,

En Europe, on ne fait pas de tels liens. La Palestine reste certes un prétexte de mobilisation pour tous les groupes extrémistes mais comme on en parle peu en Occident, la récupération est différente.

 

 

Une nouvelle guerre de Trente ans ?

Nous sommes aujourd’hui dans une nouvelle guerre de Trente ans [1618-1648], un conflit religieux doublé d’un conflit géopolitique. Nous sommes aux prises d’un conflit religieux qui oppose l’Iran perse chiite à l’Arabie arabe sunnite.

Depuis 1979, les Américains cherchent à réduire la puissance de l’Iran, peuplée de 80 millions d’habitants, civilisation millénaire,  avec une population jeune et ouverte à la modernité, beaucoup plus démocratique dans son fonctionnement que les monarchies voisines.

 

La rivalité Qatar-Arabie saoudite

L’Arabie saoudite est un état jeune, façonné par une idéologie wahhabite[i], avec un système éducatif tourné sur une religion basique dont l’objectif est d’endoctriner la population. L’Islam y tient une place prépondérante. Il faut aussi se souvenir que 15 des 19 pirates, auteurs des attentats aux Etats-Unis en 2001, étaient saoudiens.

Les hydrocarbures représentent 90% de leurs exportations. Les Saoudiens ne travaillent pas. Ils sont « fonctionnaires ». La loi exige 20% de Saoudiens parmi les salariés mais ils ne font rien et on ne les pousse pas à travailler.

Grace à l’embargo sur l’Iran, à ses ressources en pétrole, à sa fonction de swing producer[ii], l’Arabie saoudite joue un rôle d’amortisseur et les Etats-Unis veillent à ne pas les irriter. Les Français non plus car l’Arabie est notre premier client en armement

 

Depuis 2011, un nouveau venu tente de trouver sa place sur cet échiquier. Erdogan, qui rêve d’être le nouveau calife[iii], arguant n’avoir aucun problème avec ses voisins alors qu’en fait il a 100 % de problèmes avec chacun d’entre eux.

 

Le minuscule Qatar veut exister et mène une politique agressive, affichant son soutien aux Frères musulmans, ouvrant sa chaine d’informations Al Jazeera aux fondamentalistes, imposant la charia sans son territoire. Au printemps 2013, la prudence du nouvel émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, tranche par rapport aux ambitions de ce pays de 350 000 habitants, qui n’a pas d’histoire, pas d’envergure politique et est dans l’impossibilité de s’imposer face aux 21 millions de Saoudiens. En 2013, l’Arabie a financé le coup d’Etat de l’Égypte contre les Frères musulmans mais aussi la campagne de Nahda en Tunisie. En ce moment cependant, même si l’Arabie a davantage financé le terrorisme que le Qatar, c’est lui qui est accusé aujourd’hui car sa puissance et son intérêt, malgré sa fortune, sont moindres.

 

 

Pétrole, argent et politique

La découverte de gaz off shore au large d’Israël a bousculé un peu la donne et généré de nouvelles tensions entre Israël et le Liban pour le partage des nappes. Reste qu’il assure une autosuffisance en gaz à Israël pour 50 ans !

 

Le Moyen-Orient détient 50% des réserves prouvées d’hydrocarbures soit une centaine d’années de consommation. Une ressource lucrative malgré la surprise créée par l’intrusion du schiste américain qui leur assure l’autosuffisance et les rendra exportateurs en 2020. Le pétrole ne manque pas et on attend la reprise de l’extraction en Irak avec une production espérée de 7.6 millions de barils/jour en 2020. Les exportations de pétrole du Moyen-Orient sont majoritairement dirigées vers l’Asie aujourd’hui, et de moins en moins vers les Etats-Unis et l’Europe, qui privilégient la diversification des fournisseurs et des énergies alternatives.

Le moteur économique de la région reste l’exportation de pétrole et de gaz. L’Arabie saoudite, Oman, le Qatar sont des pays rentiers attractifs car ils sont devenus de gros marchés de consommation, attirés par les dépenses somptuaires. L’argent abonde et les gaspillages sont nombreux comme le projet de pont inutile entre Qatar et le Bahreïn. Ces excès sont encouragés par les sociétés de BTP européennes ou américaines. La Coupe du monde au Qatar bénéficie aux sociétés qui vont construire les équipements.

Les autres exportateurs, l’Iran, l’Irak, sont en retrait, victimes de l’insécurité ou d’embargo

Outre les hydrocarbures, ces pays profitent des rentes indirectes des placements de leurs fonds souverains et de leurs investissements à l’étranger, dans des équipements de luxe au Liban par exemple. A l’inverse, ils sont une ressource essentielle pour tous les pays de la zone, par les transferts d’argent que les immigrés renvoient dans leur pays

Les autres pays de la zone sont beaucoup moins riches. La Turquie a beaucoup d’activités manufacturières mais pas de pétrole. Israël a du gaz mais le consomme et avec une population éduquée, parie sur le R&D. certains pays, comme la Jordanie, bénéficient de rentes stratégiques qui représente 1/3 de son PIB,  pour rester les alliés de l’Arabie ou de l’Iran. Le Président alaouite Assad tient en Syrie car l’Iran chiite lui verse 5 milliards par an. Le Qatar a versé 15 milliards aux Frères musulmans égyptiens. L’Arabie a versé 25 milliards au nouveau gouvernement égyptien après le coup d’Etat de 2013. Au Liban, le Hezbollah est financé par Iran, les Sunnites du parti d’Hariri par l’Arabie à qui ils doivent allégeance. Il n’y a pas de présidents au Liban depuis un an car ni l’Iran, ni l’Arabie n’ont pu trouver d’accord. Dociles, les députés libanais ne se réunissent pas pour qu’il n’y est pas de quorum, donc pas d’élections.  Soit ils s’entendront, soit il y aura un vaincu mais dans tous les cas, l’apaisement de la région n’est pas pour demain.

Les Etats rentiers du pétrole entretiennent non seulement une clientèle nationale, mais aussi une clientèle dans les pays non pétroliers et des groupes terroristes. Les attentats de Tripoli au Liban, dans le quartier alaouite, a été téléguidé par l’Arabie

 

L’attitude ambigu de l’Arabie aggrave les troubles de plusieurs pays de la région : le Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen. L’Arabie n’a jamais voulu un Yémen fort et centralisé mais elle va en payer les conséquences, car ce pays est devenu un terreau de terrorisme où pullulent les écoles salafistes. Il faut des attentats pour que les projecteurs se braquent et un mur de 1800 km pour que l’Arabie se protège.

 

Le pétrole, une richesse destructrice

Le pétrole est générateur de conflits dans la région et le restera longtemps même si la baisse des cours pourrait les ralentir. Le système est destructeur car l’argent de l’étranger déséquilibre le marché du travail des régions voisines. Les familles entretenues par les transferts consomment et ne travaillent plus, rendant le pays encore plus dépendant de son puissant voisin (Jordanie). Les zones franches en Arabie sont animées par de la main d’œuvre chinoise.  Les pays sont envahis de productions à bas prix revendues dans pays voisins à qui la seule solution pour survivre reste la migration dans les Pays du Golfe,  vers l’Europe ou l’entrée dans des groupes terroristes.

 

A la Filature de Mulhouse. Samedi 19 janvier 2015
Fabrice Balanche

 

Questions

 

Pourquoi n’y a-t-il pas de paix possible dans cette région ?

Il faut remonter au pacte signé à bord du croiseur Quincy en 1945, par le Président Roosevelt et le roi Saoud, qui craignait une main mise des Anglais sur son pétrole et a demandé la protection des Etats-Unis, en échange de la concession de son pétrole. Cette alliance valable pour 60 ans a été renouvelée en 2005 par Georges Bush pour 60 ans.  Ce fut une des causes de l’intervention américaine au Koweït en 1990. Les intérêts géo financiers existant entre l’Arabie et les Etats-Unis rendent hypothétiques tout apaisement dans la région.

L’Arabie est sur la défensive. Pour nos dirigeants, ce n’est pas le moment de bouleverser les alliances Il n’y aura pas d’inflexion de notre politique étrangère malgré Charlie, et les rôles troubles du Qatar et de l’Arabie

Pour le conflit Israël6 Palestine, on manque de solutions pour les Palestiniens et cela reste une pomme de discorde. Israël revendique la vallée du Jourdain et la totalité de Jérusalem. Ils veulent chasser les Palestiniens vers les autres pays arabes et étendent les annexions, avec l’objectif de 30% de nouveaux territoires colonisés d’ici 20 ans. La reconnaissance d’un état palestinien ne changera pas grand-chose s’il n’a pas les moyens d’exister

Tout ceci génère des mouvements qui nous menacent

Les bombardements américains ont a ralenti DAECH en Irak mais pas en Syrie et sur le terrain, le grand rôle est joué par les Kurdes qui reprennent du terrain

En Syrie, l‘opposition modérée, à l’origine de la contestation de Bachar el Assad a disparu. S’y sont substituées Al Qaida [Al Nostra en Syrie], DAECH, et leurs filiales qui bénéficient des soutiens du Qatar, de l’Arabie, voir des Occidentaux car officiellement ces organisations sont des opposantes au régime totalitaire syrien et non dépendantes d’Al Qaïda. Les seuls alliés de l’Occident capables de lutter tant contre Bachar el Assad que contre les salafistes sont les Kurdes du PKK mais ils sont aussi les ennemis des Turcs d’Erdogan.

Il faudrait rediscuter avec le gouvernement syrien pour savoir où sont nos djihadistes et les contrôler mais nous sommes prisonniers de nos alliances traditionnelles et il est difficile de les remettre en question même si cela induit 30 ans de conflit en perspective. Il est intéressant de remarquer que les migrants de Syrie viennent en Europe et ne se dirigent pas vers les Pays du Golfe, pourtant plus proches mais où ils sont indésirables

 

La puissance vient de l’Arabie ou de l’Iran mais lequel a le plus d’influence ?

L’Arabie a plus d’influence car 90% des musulmans sont sunnites et la Mecque est sur son territoire. Elle en est le gardien, forme des imams en 3 ans en leur accordant des bourses, assure le financement de mosquées. C’est ainsi qu’ils ont formé des milliers d’imams qui répandent dans le monde l’idéologie wahhabite, la plus radicale de l’Islam.

L’Iran est chiite et si le pays avait envisagé une stratégie de révolution islamique mondiale sous Khomeiny, elle a vite été abandonnée car le Chiisme ne concerne que 10% des musulmans. L’Arabie dispose de 750 milliards d’USD de fonds souverains et un contrôle des médias, via son groupe ROTANA, un des premiers groupes médiatiques du monde, qui produit de la musique, des films et est la 1ère chaîne du monde arabe.

L’Iran est plus fermé. Isolé, peu expansionniste, il se protège. L’Arabie est plus hégémonique et ne tolère aucun régime laïc et démocratique dans le monde arabe.

 

Quels sont les Incidences de la politique américaine vis-à-vis de l’Iran ?

Les Etats-Unis font contre mauvaise fortune bon cœur. Ils ne sont plus hégémoniques, ne peuvent plus imposer d’embargo. La BNP a payé une amende pour avoir eu des relations d’affaires avec l’Iran pendant l’embargo, mais on n’a rien reproché aux banques chinoises qui ont fait de même car elles détiennent des bons du trésor américain. Aujourd’hui, ce sont les Russes qui aident Iran à développer sa filière gazière. Les Etats-Unis modulent prudemment leur politique avec l’Iran car cela indispose les Saoudiens, cependant, ils ont compris que pour faire pression sur Iran, il fallait une concurrence. Diviser pour régner peut être une solution. Se rapprocher de l’Iran pour affaiblir l’Arabie

 

 

Les interventions de la France dans ces pays musulmans, au Mali, en Irak est-elle bénéfique ou non ?

Si on n’était pas aller au Mali, il aurait été conquis par les fondamentalistes, de même que la Centrafrique. Le Mali et le Niger sont notre premier fournisseur d’uranium et sont importants pour nous car ils abritent de gros intérêts français.

En Syrie, nous avons obtenu des commandes du Qatar et de l’Arabie mais notre investissement est moindre. Les fondamentalistes ne veulent pas que nous intervenions car ils souhaitent garder le contrôle de la région.

En revanche, l’intervention en Irak en 2003 était une bêtise, de même que l’ouverture d’un front en Syrie après la Libye car on risque d’en payer cher les conséquences.

L’aspect positif des « révolutions de jasmin » est-il une utopie occidentale ?

Ces révoltes de plusieurs types ont été mal comprises en Occident. En Tunisie, la révolte était tournée contre le pouvoir personnel de Benali. Après quatre ans de troubles, la Tunisie a l’air de se tourner vers la démocratie car elle est maintenant mûre pour cela et que la demande vient de l’intérieur. Le taux de fécondité est un bon critère, il est similaire au taux français en Tunisie (2/oo) On y constate un détachement de la religion car la population se tourne vers d’autres valeurs qui sont autant d’étapes de sécularisation, avec une population urbaine au 2/3. Des progrès que l’UE se doit de soutenir

En Égypte, en Libye, au Yémen, en Syrie, c’est différent. Le taux de fécondité en Syrie est de 6 enfants par femme, 8  dans la zone nord où prospèrent les rebelles sunnites, 2 à 3 chez les druzes, les alaouites et les chrétiens. On n’a pas voulu analyser la part des problèmes communautaires dans l’imbroglio syrien. Les alaouites et les chrétiens soutenaient le régime des Assad qui leur assurait protection. Les conflits ont été attisés par les tensions religieuses et le voisinage.  Il était évident que l’on allait verser dans le fondamentalisme. Le danger aujourd’hui est la déstabilisation du Liban, déstabilisé par la cohabitation sur son sol de syriens antagonistes : des opposants sunnites d’Assad dont des djihadistes et des Alaouites, chiites, partisans d’Assad, ennemis des précédents et soutenus par le Hezbollah libanais.

Dans le jeu des Américains qui attise la concurrence entre l’Iran et l’Arabie, l’Iran aura t-il bientôt sa bombe atomique ?

Embargo ou pas, l’Iran aura sa bombe car c’est une question d’indépendance nationale. Le Pakistan musulman l’a et cela n’effraie personne alors que. On a peur d’une prolifération régionale mais les Iraniens sont marqués par la guerre Iran-Irak [81-88] et pas assez fous pour l’utiliser. On peut avoir plus confiance dans l’Iran que dans les pays arabes du Golfe.

Y a-t-il des interventions intelligentes et stratégiques contre DAECH ?

En 2003, quand les Etats-Unis ont envahi l’Irak, leur objectif était d’y imposer la démocratie or jamais on n’a réussi à imposer la démocratie par les armes. Se rappeler l’échec de Napoléon en Espagne. En procédant ainsi, les Américains ont débarrassé l’Iran de leur pire ennemi Saddam Hussein mais aussi mis un terme à un des rares régimes laïcs de la région.

Face au « nouvel état islamique » qui s’est fait remarquer durant l’été 2014, par l’assassinat d’otages, les Occidentaux répliquent, faut de volonté d’engagement sur le terrain par des bombardements brutaux et violents. La décision américaine d’intervention a été prise en période d’élections de mi mandat et depuis le hard power américain n’a fait qu’empirer les choses. L’erreur majeure a été de croire qu’en Syrie des démocrates allaient remplacer Assad. C’est une erreur grossière d’analyse car on manque de spécialistes connaissant la région, et on ne peut résoudre les vrais problèmes faute de les appréhender. Pour vaincre DAECH, il faut développer le pays et chasser la pauvreté. C’est une priorité mais cela n’a pas été fait. .

Notes Françoise Dieterich

[i] wahhabisme

  • Sunnisme rigoriste et sévère pratiqué en Arabie saoudite mais en extension et en expansion car disposant de moyens de financement illimités. Des pratiques qui font jouer un jeu ambigu à la Péninsule arabique, avec une surenchère entre l’Arabie et le Qatar, qui les pousse à soutenir des mouvements extrêmes comme les frères musulmans d’Égypte, les talibans d’Afghanistan, voir en sous main, des groupes terroristes et des groupuscules islamistes fanatiques comme les rebelles syriens en 2013 car leur principale cible est le Cela ne les empêche cependant pas d’être officiellement alliés des Américains et de soutenir et financer des groupes salafistes lancés dans le djihad contre l’Occident et le Chiisme.

[ii] swing producer

  • Rôle dévolu à l’Arabie saoudite qui dispose d’importantes ressources en hydrocarbures et de confortables revenus lui permettant de moduler les cours du pétrole en ouvrant ou en fermant ses puits pour faire monter ou baisser les cours du pétrole en fonction de la conjoncture.

[iii] califat

  • Gouvernement du » chef suprême des croyants »: le calife, considéré comme le successeur de Mahomet dominant les régions d’Islam depuis sa capitale : Damas, puis Bagdad et enfin le Caire. Le califat fut aboli en 1923, par Mustapha Kemal mettant fin à l’empire ottoman.

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