Introduction
La ville de Limbé et le port négrier de Bimbia, localisés sur les côtes septentrionales du Cameroun, appartiennent au golfe du Biafra (Document 1). Limbé possède un site de baie remarquable, protégé par des îles volcaniques, situées à 500m du rivage. Cette cité est la principale ville anglophone du Cameroun par sa démographie (110 000 habitants). Elle s’appuie sur des aménités touristiques complémentaires entre elles : balnéaires, de montagne (randonnées, ascensions, sur et autour du volcan du Mont Cameroun), patrimoine architectural colonial allemand et anglais. Les rivages de sa baie servent également de plages aux habitants de Douala, située à 60 km plus au sud. Mais, cette destination touristique, en forte baisse de fréquentation, est pénalisée par la guerre civile, commencée en 2016, dans les régions sécessionnistes anglophones qui la jouxtent.
Une nouvelle ressource touristique prometteuse concerne le tourisme mémoriel de la traite esclavagiste. Elle s’incarne par la future mise en tourisme du site négrier de Bimbia situé à 10 km au sud de Limbé. Le gouvernement central qui qualifie ce lieu de « Gorée du Cameroun » souhaite obtenir son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Bimbia, à partir du XVIe siècle, fut le seul port de dépôt d’esclaves sur les côtes camerounaises, les deux autres sites négriers du pays, ayant seulement servi de ports d’escale. L’ouverture au tourisme mémoriel se fera au moyen d’une plus grande conscientisation des Camerounais, en particulier de sa classe moyenne, à la mémoire partagée entre l’Afrique et l’Europe, de la colonisation et de l’esclavagisme.
Le Cameroun, n’est pas encore identifié par les touristes de mémoire internationaux (afro-descendants, afro-Américains, européens, nord-américains, asiatiques, etc.), comme une destination mémorielle majeure. D’autres nations valorisent, depuis des décennies, leurs sites mémoriels, portés par une importante notoriété internationale : Gorée au Sénégal, île Kunta Kinteh (ou île Saint-James) en Gambie, les forts et châteaux du Ghana, Ouidah au Bénin (Rieucau, 2019). Le Cameroun peut à la fois s’appuyer sur l’expérience de ces pays, mais devra également faire face à leur très forte concurrence.
La région de Limbé et de Bimbia est fortement freinée, dans sa fréquentation touristique, dans le développement de ses projets mémoriels, par les affrontements entre communautés ethno-linguistiques, se déroulant dans la partie anglophone du pays. Au sud-ouest du pays, dans les deux régions anglophones, une partie de la population soutient les mouvements sécessionnistes, se réclamant d’un État indépendant, mais virtuel, l’Ambazonie. Ce conflit crée une insécurité permanente dans les villes situées autour du Mont Cameroun.
Les aménités touristiques de Limbé
La ville de Limbé borde la baie éponyme, successivement appelée baie d’Ambaz (Amboise en français) par les Portugais, puis baie de Victoria par les Anglais. Vers le large, de petites îles volcaniques (Nicholls, Ndame, Mondoni), barrent l’horizon marin. Elles sont recouvertes d’une forêt dense, refuge de chimpanzés, de serpents et de reptiles, que les visiteurs peuvent découvrir toute l’année. D’autre part, la cité est bâtie sur le flanc occidental du volcan du Mont Cameroun.
En bordure de l’océan Atlantique, les touristes peuvent déambuler sur le front de mer, matérialisé par une promenade, qui fait alterner guinguettes de plage et pirogues hissées sur la grève volcanique de couleur sombre (Document 2). Ce déambulatoire est ponctué de marqueurs coloniaux (bustes, effigies, micro-monuments), représentant les premiers colonisateurs et missionnaires.
Les bains de mer sont possibles sur les nombreuses plages de la ville, mais s’effectuent principalement dans les piscines des hôtels (Seme Beach Hotel, Coastal Marina Beach, etc.). La température de l’air, est favorable aux loisirs balnéaires (températures annuelles comprises entre 25° et 30°), mais les 2 500 mm de pluie reçus chaque année, couplés avec 82,5% d’humidité relative, créent une moiteur permanente qui indispose certains touristes américains et européens.
Limbé concentre un patrimoine colonial allemand et anglais, qui remonte à sa création à la fin du XIXe siècle. L’urbanité de nature britannique, en raison de l’usage de la langue anglaise, de la présence de bars à bière, de salons de thé, est très prégnante.
La ville est créée en 1857, sous le nom de Victoria, en l’honneur de la souveraine britannique éponyme, par le missionnaire baptiste anglais Alfred Saker (1814-1880). Ce religieux fait construire une église baptiste, une école, un hôpital. Son action concourt à marquer la ville d’une forte tradition baptiste, renforcée par l’ouverture, en 1962, du Saker Baptist College Limbe.
En 1859, un traité est signé entre Alfred Saker et le roi William I de Bimbia. Il stipule la vente de la ville de Victoria et des îles adjacentes, à la reine Victoria. Une stèle représentant ce missionnaire est en bonne place sur le front de mer (Document 3). Enfin, la ville, nommée Victoria durant 120 ans, devient Limbé en 1982, nom dérivé de la rivière qui la traverse.
Limbé conserve également l’empreinte de la colonisation allemande. Un quartier allemand existe toujours. Les Allemands qui ne furent pas les premiers découvreurs de la ville seront par contre, les premiers colonisateurs de l’ensemble du Cameroun, sur lequel ils établissent en 1884, un protectorat nommé Kamerun. La colonisation allemande se développe à partir de la côte, par l’établissement de liens politiques (pacte germano-douala), entre des commerçants allemands et l’ethnie des Douala. Les Allemands étendent progressivement leur contrôle sur l’ensemble du Cameroun. Ils aménagent des routes, des voies ferrées, le port de Douala, construisent des écoles, bâtissent des hôpitaux, établissent de vastes plantations de palmiers à huile.
Les Allemands fixent ensuite leur capitale à Buéa, de 1901 à 1909, située à une trentaine de kilomètres de Limbé. Elle abrite, encore de nos jours, le palais du gouverneur Von Puttkamer. Elle est bâtie sur les flancs du Mont Cameroun, au climat moins humide que sur la côte. Cette ville sera ensuite abandonnée, au profit de Yaoundé, qui deviendra la nouvelle capitale du pays. La fin de la Première Guerre mondiale entraîne l’éviction de l’Allemagne des affaires du continent africain. En 1919 (traité de Versailles), ils perdent leur protectorat du Cameroun, et l’ensemble de leurs colonies africaines, qui passent sous contrôle anglais, français et belge.
Limbé est également un port de pêche qui exporte une partie de ses productions halieutiques vers le Nigeria voisin. Les visiteurs apprécient la maritimité de cette ville, fondée sur la présence de la flotte de pêche piroguière, dont les couleurs, les proverbes et dictons, peints sur les coques, attirent les touristes (Document 4). À Limbé, sur les pirogues, ce sont surtout les proverbes religieux, principalement inscrits en anglais, sur les flancs des embarcations, qui retiennent l’attention des visiteurs. Plusieurs formules religieuses sont en lien avec les religions du livre : « Dieu est grand », « God’s time is the best », « Psalms », « One spirit », « Thank you Jesus », « Synagogue ». Ces embarcations artisanales constituent un patrimoine maritime recherché, ainsi qu’une ressource touristique valorisable (proues, formes des embarcations, courses nautiques).
Le tourisme mémoriel à Bimbia
Le retard du Cameroun dans la mise en mémoire de l’esclavagisme
En 2020, se produit, dans le monde occidental, à la suite des États-Unis, chez les minorités afro-descendantes, une résurgence de la mémoire de l’esclavagisme, faisant suite à une période de relative mise en sommeil. En 2020, la séquence protestataire américaine, liée au mouvement Black Lives Matter, trouve un écho contrasté dans les pays africains, dont le Cameroun. Les sociétés africaines subsahariennes, inégalement engagées dans la conscientisation de leur passé colonial, en fonction de leurs propres logiques mémorielles, ont donné peu d’écho, à ces mouvements de protestation anti-esclavagistes, déclenchés hors de leur continent.
Au Cameroun la prise de conscience du fait colonial et de l’esclavagisme, sa mise en mémoire, sa patrimonialisation, la sauvegarde de ses vestiges, puis enfin son appropriation par le pays et sa société, sont en retard sur les processus à l’œuvre depuis plusieurs décennies, dans les États de l’Afrique de l’Ouest. Le Cameroun, peu doté en sites esclavagistes, entame seulement sa prise de conscience de l’histoire de la traite négrière sur son sol. Des raisons historiques et géographiques sont largement à l’origine de ce retard. Elles résident dans la présence de ports négriers (Bimbia, Rio del Rey sur la péninsule de Bakassi, Campo) situés en périphérie du pays ou bien en dehors du territoire national actuel (Calabar au Nigeria) (Document 1). D’autre part, l’absence d’une femme ou d’un homme, leader d’opinion, figure camerounaise forte, incarnant les questions de la mémoire de l’esclavagisme, a longtemps retardé le travail de mémoire national sur ces questions.
Bimbia, site esclavagiste côtier (XVIe-XIXe)
À partir du XVIe siècle, la colonisation européenne tend à privilégier les sociétés et ethnies littorales, pour la recherche et le commerce d’esclaves (Coquery-Vidrovitch, Mesnard, 2019). Bimbia, dès le XVIe siècle, grâce à ses ethnies et chefferies esclavagistes, devient un lieu côtier, de transit, de stockage et d’embarquement d’esclaves.
Bimbia est situé dans la baie d’Amboise, appelée aujourd’hui baie de Limbé. Des chroniques portugaises évoquent, en 1529, la baie d’Amboz (Amboise) et fermant celle-ci, vers le large, l’île Nicholls. Cette île, distante de la côte, de seulement 600 m, est dotée d’un port d’un tirant d’eau de 6 mètres. Il accueillait les navires esclavagistes hollandais et anglais, et des piroguiers de l’ethnie isubu venus de Bimbia.
Les pirogues africaines, à l’époque coloniale, permettaient de gagner la haute mer depuis le rivage, afin d’éviter aux navires à voile des négriers, d’une part la barre, d’autre part le mascaret dans les estuaires (Grenouilleau, 2018). À Bimbia, les capturés étaient entreposés dans des cellules, puis ensuite embarqués sur des pirogues jusqu’à l’île de Nicholls et enfin acheminés vers Calabar, grand marché d’esclaves régional.
Les fonctions de Bimbia étaient le stockage des captifs, leur surveillance, leur commerce, grâce à la construction d’un fort. Ce port négrier s’inscrivait dans un réseau mercantile régional de la traite, composé des ports de Calabar, Río del Rey et de l’île de Fernando Póo, nommée aujourd’hui île de Bioko (Document 1).
Des liens commerciaux entre colonisateurs et chefferies locales s’établissent lors de la traite des esclaves. Une élite africaine se forme progressivement dans les colonies et comptoirs côtiers européens, en partie grâce aux activités missionnaires. À Bimbia, l’ethnie côtière esclavagiste des Isubu, à partir du XVIIe siècle, s’impose comme le principal intermédiaire auprès des négriers européens. Cette ethnie, dans l’arrière-pays de Bimbia, régnait sur une aire de razzias de captifs. Ceux-ci étaient vendus à la grande famille marchande isubu, les Williams, qui dominait le négoce des esclaves (Tollo, 2019). Les pirogues de cette famille alimentaient également les navires européens en ivoire, en bois précieux et en huile de palme. Puis au XVIIIe siècle, les piroguiers isubu se spécialisent dans de nouveaux produits : l’alcool, les canons, la poudre, les tissus.
À partir de 1850, les Anglais et certaines de leurs figures locales devenues abolitionnistes (Alfred Saker, Nicholls), en collaboration avec les souverains locaux (roi Williams et roi des Dikolo), substitueront la production d’huile de palme au commerce des esclaves.
Le rôle de la diaspora afro-camerounaise et des ministères camerounais dans la mise en mémoire du site de Bimbia
Historiens et archéologues poursuivent à Bimbia leurs travaux de recherche et d’exhumation de vestiges. Ce lieu situé à une heure de route asphaltée de Limbé, dans un pays qui ne possède pas de véritables ports esclavagistes de dépôt de captifs est en tous points remarquable.
Un facteur de reconnaissance de l’intérêt représenté par ce site négrier est en partie extérieur au Cameroun. Il est dû à l’initiative de la diaspora camerounaise vivant aux États-Unis. Un groupe de 150 afro-américains, à la recherche de leurs origines, se rend sur le site négrier, dans le cadre du programme « Retour aux sources », du groupe « ARK Jammers-ambassadeurs de culture », fondé en 2009, et basée à Baltimore aux États-Unis. Cette structure possède une antenne au Cameroun nommée « ARK Jammers Connection Cameroon », qui travaille, depuis cette date, pour la mise en œuvre de la préservation des ruines de Bimbia. L’ambassade des États-Unis au Cameroun, de concert avec ce groupe, par le biais du fonds des ambassadeurs pour le développement culturel, met sur pied un projet de documentation et de restauration du port négrier.
L’ensemble de ces actions entraîne, dans un deuxième temps, la mobilisation, autour de ce site portuaire négrier, de décideurs et d’acteurs camerounais : le Minac (Ministère des Arts et de la Culture) en particulier la Direction du patrimoine et le Mintoul (Ministère du Tourisme et des Loisirs). Ils obtiennent le classement de Bimbia au patrimoine de l’État camerounais. La création de la communauté urbaine de Limbé-Bimbia, à la fois par opportunisme et réalisme économiques, voit le jour en 2008, afin d’intégrer le site esclavagiste proche, à ses limites administratives, et par voie de conséquence, à ses ressources et à sa communication touristique.
Le projet de classement Unesco du site de Bimbia
Les formes de tourisme fondées sur la valorisation du patrimoine lié à la mémoire l’esclavagisme sont spécifiques, parce qu’elles s’appuient sur une histoire douloureuse et sur une mémoire blessée (Chevalier, 2017). Une grande partie des patrimoines inscrits sur la liste du patrimoine mondial, dans les pays d’Afrique subsaharienne, correspondent à des épisodes douloureux, en lien avec la colonisation et l’esclavage (Gravari-Barbas, Mesnard, 2014).
Afin de prendre en compte ce passé douloureux, l’Unesco accompagne le développement du tourisme mémoriel de l’esclavage, en déclarant sites patrimoniaux, certains lieux spécifiques, liés à la traite négrière. Il s’agit de forts africains côtiers (au Ghana, au Sénégal, au Mozambique, au Bénin, en Tanzanie), de sites et de villes de réception d’esclaves, situés outre-mer (Haïti, Brésil, République dominicaine).
Afin de sauvegarder le patrimoine lié aux lieux du trafic d’esclaves, menacé de dégradation par les phénomènes climatiques, par l’usure du temps, par les conflits armés, l’Unesco a mis en place, à partir de 1994, un itinéraire touristique intercontinental, implanté, tant en Afrique, que dans les Amériques, dénommé “Route des esclaves”. Si le classement Unesco des trois sites de Rio del Rey, Bimbia, Douala, aboutit, le gouvernement camerounais a demandé qu’ils soient également intégrés à cette route.
Équipements et aménagements touristiques du site de Bimbia
Les ministères camerounais, encouragés par le projet de classement Unesco, envisagent de réaliser à Bimbia, des aménagements d’une grande ampleur. Le gouvernement espère la création de 1 000 emplois directs et de 3 000 indirects (Tollo, op. cit.).
Ce programme de mise en valeur du site reposera sur la construction de deux musées, l’un fermé, l’autre de plein air. Le premier sera doublement nommé : musée de l’esclavage de Bimbia et/ou Bimbia Slavery Museum. Il recevra le produit des fouilles archéologiques, pour exposition, après restauration (Tollo, op. cit.). Le second intègrera les vestiges découverts, conservés in situ, en l’état, et sera doté d’une promenade.
Les différents acteurs camerounais ambitionnent une fréquentation annuelle de 200 000 visiteurs. Cet objectif nécessite de disposer sur place, d’une capacité d’hébergement importante. La construction d’un hôtel, d’une capacité de 70 chambres, de classe internationale, sera réalisée, afin de compléter l’offre hôtelière de la ville proche de Limbé. Le King Williams I Hotel sera bâti à proximité du site négrier. Il sera ainsi nommé, en hommage au roi isubu éponyme, signataire en 1844, avec d’autres chefs locaux, d’un traité anti-esclavagiste, avec le gouvernement britannique.
Un circuit mémoriel reliera les trois ports dépositaires de la mémoire de l’esclavagisme dans le pays, tous trois candidats au classement Unesco : Río del Rey, Bimbia et Douala. Chacun sera également doté d’un port de plaisance.
Quels visiteurs pour Bimbia face à la concurrence des sites esclavagistes de l’Afrique de l’Ouest ?
En Afrique de l’Ouest, les lieux côtiers de la mémoire de l’esclavage, d’envergure internationale, s’étirent du Sénégal (île de Gorée), à la Gambie (île de Kunta Kinteh), aux forts et châteaux de la Gold Coast au Ghana (Axim, Shama, Elmina, Cape Coast), jusqu’à la ville de Ouidah au Bénin. Ces hauts lieux de mémoire de l’esclavagisme fondent leur attractivité mémorielle et touristique, sur la présence de plusieurs éléments : un musée, un mémorial, une route locale de l’esclavage, des fréquentations célèbres, qui sont le fait de personnalités de notoriété mondiale. À Gorée, se sont succédé des hommes politiques, des artistes, internationalement connus : le brésilien L. I. Lula da Silva, le français F. Mitterrand, les américains J. Carter, G. Bush, B. Obama, J. Jackson, le chanteur J. Brown, et le sud-africain N. Mandela. Le site mémoriel ghanéen de Cape Coast, a reçu la visite de M. Luther King et de B. Obama. Ces sites sont également, pour certains, équipés d’un mémorial (Kunta Kinteh, Ouidah).
La pandémie du Covid 19 a fortement réduit les mobilités internationales. Les responsables camerounais des sites mémoriels, en cours de mise en valeur, ciblent particulièrement la clientèle des classes moyennes, vivant dans les grandes villes du sud-est du Nigeria, qui prisent fortement le tourisme de mémoire. À l’échelle nationale du Cameroun, la classe moyenne émergente, dans les années à venir, devrait fournir à Bimbia, des visiteurs et des touristes domestiques. Ceux-ci seront composés, d’une part de scolaires et d’étudiants que le pays souhaite éduquer à la mémoire de l’esclavagisme, d’autre part d’adultes, à l’instar des processus successifs de captation des clientèles selon les classes d’âge, observés ailleurs en Afrique, en particulier au Kenya (Rieucau, 2014).
Les sites mémoriels liés à la traite esclavagiste, en Afrique subsaharienne, reçoivent deux types de visiteurs ou clientèles. Une première est constituée de touristes ou visiteurs, dits « pèlerins », désireux de découvrir les lieux de l’Afrique subsaharienne, qualifiée par ces populations de « continent-mère », là où leurs ancêtres ont perdu la liberté. Ceux-ci choisissent prioritairement, de visiter le pays et la région de leurs ancêtres. Il s’agit d’un tourisme des racines (roots tourism), généalogique, dit également tourisme de la « traite », fondé sur le souvenir, sur des émotions douloureuses, et sur le recueillement (Rieucau, 2019).
Une deuxième clientèle est faite de visiteurs internationaux, non africains de l’Ouest, non afro-descendants, non motivés par l’idée d’un retour vers le « continent mère », mais intéressés, interpellés, par cette part d’ombre de l’histoire de l’Afrique. Ce sont des Nord-Américains, des Européens, des Asiatiques (Coréens du Sud, Japonais, Chinois, Indiens). Cette seconde clientèle se compose également de nombreux « routards » (backpackers), voyageant modestement, et enfin des expatriés d’entreprises occidentales, des syndicalistes européens, des membres d’ONG, des scientifiques, des militants chrétiens (allemands, scandinaves, etc.), des volontaires internationaux venus d’Amérique du Nord et d’Europe.
Conclusion
Les touristes internationaux recherchent, à Limbé, depuis des décennies, l’ambiance très britannique (langue, mode de vie, espaces publics gazonnés, etc.) qui caractérise cette ville. La ville est également marquée par l’empreinte architecturale de la colonisation allemande (maisons, églises, quartier). La cité constitue une station balnéaire recherchée pour ses plages basses, sableuses (cendres volcaniques très sombres), précédées côté terre par un paysage de cônes volcaniques adventices du Mont Cameroun, couverts d’une végétation luxuriante.
Certains habitants aisés de Douala, capitale économique du Cameroun, située plus au sud, dépourvue de plages, fréquentent, toutes les fins de semaine, les plages de Limbé. La ville de Douala est située à 25 km de la mer. Elle est dépourvue de plages sableuses. La ville a établi son site sur l’estuaire du Wouri, bordé d’une épaisse mangrove, ce qui la prive d’un front de mer et d’estrans sableux pour l’activité balnéaire. L’activité balnéaire de Limbé est complétée par les aménités touristiques qu’offre le Mont Cameroun. Ce volcan actif, même si les ascensions, les treks, ont davantage pour point de départ la ville proche de Buéa, bénéficie indirectement à l’économie touristique de Limbé.
La métropole de Limbé-Bimbia, entité urbaine la plus peuplée du Cameroun anglophone, initialement focalisée sur le tourisme balnéaire et sur celui du patrimoine des bâtiments coloniaux, pourra renouveler sa ressource touristique, grâce à la mise en valeur du site mémoriel proche de Bimbia. Les fouilles, réalisées sur ce seul port de dépôt d’esclaves du pays, sa demande d’inscription au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco, concourent à en faire l’icône mémoriel de l’esclavagisme au Cameroun. Ce site s’inscrit dans un projet de classement patrimonial triple, en réseau, reliant du nord au sud, les anciens ports négriers de Río del Rey, Bimbia et Douala.
Le tourisme, dans et autour de la métropole Limbé-Bimbia, est exposé aux menaces, d’extension et d’intensification, du conflit sécessionniste des régions anglophones. Depuis 2016, les touristes domestiques et internationaux tendent à se détourner cette métropole, en raison d’une guerre civile, opposant miliciens sécessionnistes et forces camerounaises. Les morts, les déplacés, les réfugiés, les enfants déscolarisés, la crise humanitaire qui en résultent, minent fortement cette région entourant le Mont Cameroun.
Le site esclavagiste de Bimbia, dépositaire d’une période historique douloureuse, peut-il devenir un « référent » pour la cohésion nationale postindépendance, par sa portée historique relevant d’une histoire coloniale subie, mais largement partagée par les populations tant anglophones que francophones ?
Jean Rieucau mai 2022
Professeur émérite (géographie)
Université Lyon 2
Administrateur de Tourisme Sans Frontières
jeanrieucau@orange.fr
Bibliographie
Chevalier D., 2017, Géographie du souvenir. Ancrages spatiaux des mémoires de la Shoah, Collection Géographie et Cultures, l’Harmattan, Paris, 231 p.
Coquery-Vidrovitch C., 2018, Les routes de l’esclavage. Histoire des traites africaines, VIe-XXe siècle, Albin Michel-Arte Éditions, Paris, 282 p.
Équipe MIT, 2000, La mise en tourisme des lieux : un outil de diagnostic, Mappemonde, n° 57, [En ligne].
Gravari-Barbas M., Jacquot S., 2014, Patrimoine mondial, tourisme et développement durable en Afrique : discours, approches et défis, Via Tourism Review, n° 4-5, [En ligne].
Gravari-Barbas M., Jacquot S., 2019, Atlas mondial du tourisme et des loisirs, Du Grand Tour aux voyages low cost, Autrement, Paris, 96 p.
Grenouilleau O., 2018, La traite des Noirs, Que sais-je?, Presses Universitaires de France/Humensis, Paris, 128 p.
Rieucau J., 2004, L’île de Bioko (Guinée équatoriale), un espace insulaire stratégique au centre du golfe de Guinée, Cahiers d’Outre-Mer, Bordeaux, n°226-227, p 217-232.
Rieucau J., 2019, Ouidah (Bénin) : mettre en tourisme la ville du binôme culture vaudou/mémoire de l’esclavage, Cahiers d’Outre-Mer, Bordeaux, n° 280, [En ligne].
Rieucau J., 2020, Ouidah, centre spirituel du Bénin, capitale mondiale du Vaudou, Image à la Une, GéoConfluences, École Normale Supérieure de Lyon, Lyon, [En ligne]
Rieucau J., 2020, L’ambition mémorielle, patrimoniale et touristique du Bénin, autour du souvenir des royaumes d’Abomey et d’Allada, ViaTourism Review, N°17, [En ligne]
Tollo C., 2019, Rapport sur l’étude de faisabilité des recherches archéologiques et des aménagements sur le site de Bimbia (région du Sud-Ouest), 80 p.