L’œil et la main, dessins de Lesueur et Petit dessinateurs de l’expédition Baudin (1800-1804) sur les côtes méridionales de l’Australie. Ambassade d’Australie en France, jusqu’au 30 Août 2016.
L’exposition des dessins de Lesueur et Petit à l’ambassade d’Australie est d’un grand intérêt.
Elle témoigne d’une étape importante du progrès des connaissances géographiques et elle est révélatrice de l’élargissement des curiosités depuis les sciences naturelles jusqu’à l’anthropologie. Comme c’était la règle, l’expédition de Nicolas Baudin, préparée sous le Consulat embarqua des dessinateurs. Après la défection des dessinateurs officiels qui s’échappèrent à l’escale de l’île de France (aujourd’hui Maurice), Petit et Lesueur furent promus dessinateurs officiels de l’expédition. Si Lesueur a une formation de dessinateur, elle est plus sommaire chez Petit, au départ aide-canonnier. Leur travail doit beaucoup aux directives de François Péron, à la fois zoologue et ce que nous appellerions aujourd’hui anthropologue.
Le travail des deux compères ressortit d’abord à la cartographie. Au moment du voyage de Baudin, on sait qu’il n’existe pas de « continent austral », à l’existence duquel on a cru longtemps et les voyages de Cook ont tracé les grandes lignes des terres émergées dans le Pacifique Sud. Par ailleurs, le Pacifique et ses prolongements en Asie méridionale sont devenus depuis le XV° siècle un champ d’affrontement des Espagnols, des Portugais, des Néerlandais(L’Australie est alors la Nouvelle Hollande), qui furent les principaux découvreurs, et plus tardivement des Anglais. Les Anglais ont pris possession de l’Australie et en ont entrepris la colonisation en 1788 en s’installant à Sydney. Les Français tentent depuis plusieurs décennies de s’introduire dans le Pacifique : le voyage de Bougainville est entré dans la littérature avec la publication par Diderot du Supplément au voyage de Bougainville. On se rappelle aussi les voyages de La Pérouse et d’Entrecasteaux et l’intérêt qu’ils suscitèrent. Vraie ou imaginée, la question de Louis XVI montant à l’échafaud : « A-t-on des nouvelles de Monsieur de La Pérouse ? » reste étonnante ; elle fait référence à l’intérêt très vif de ce roi géographe qui avait donné lui-même ses lettres de mission au capitaine de La Pérouse, en 1785.
Le premier travail est celui de la reconnaissance cartographique accompagnée de panoramas du rivage vu du navire, dont rend compte l’affiche de l’exposition reproduite ici. Une partie de la toponymie proposée par Baudin survivra, telle la baie du Géographe en Australie occidentale qui porte le nom d’une des deux corvettes de l’expédition, l’autre s’appelant le Naturaliste.
En revanche la toponymie napoléonienne (une Terre Joseph Bonaparte en Australie méridionale) a été effacée. Il y avait de la part de Baudin quelque outrecuidance à dénommer ainsi une portion de l’Australie, alors même que le terme de Enconter Bay ou Baie de la Rencontre sur cette même côte rappelle la rencontre pacifique des savants de Nicolas Baudin avec le cartographe britannique Matthew Flinders agissant pour son propre gouvernement. Rencontre pacifique d’autant plus remarquable que la France et l’Angleterre étaient alors entrées en guerre.
Comme il est alors d’usage, les dessinateurs représentent surtout les découvertes de l’ordre de la zoologie et de la botanique. Notre collègue Jacqueline Goy, spécialiste reconnue des méduses rappelle que dans ‘équipement des dessinateurs figuraient des pinceaux à un poil, pour reproduire leurs filaments ! On doit donc à l’expédition Baudin un enrichissement considérable de la faune et de la flore L’exposition montre plusieurs exemplaires d’images de poissons et de plantes que botanistes et zoologues s’acharnent à découvrir en mer et lors des escales. Nous sommes à l’époque de Linné (1707-1778) et de ses efforts de classement de l’ensemble de la faune et de la flore de la planète.
Pour le géographe, cependant les images les plus intéressantes sont d’ordre ethnographique : un des buts assignés à l’expédition est en effet le relevé des populations indigènes, de leurs mœurs, de leur comportement, ce qui supposait une forme de communication à travers mots, gestes, attitudes. Rappelons que les populations indigènes d’Australie sont vraisemblablement venues de Nouvelle-Guinée, peut-être en profitant de l’abaissement des eaux au niveau du détroit de Torrès qui sépare l’Australie de l’Insulinde au moment des glaciations du quaternaire, et qu’elles se sont ensuite trouvées totalement isolées jusqu’à l’arrivée des navigateurs européens, dont le Néerlandais Abel Tasman au milieu du XVII° siècle.
L’exposition montre une remarquable série de portraits et aussi des dessins qui témoignent du niveau technique des populations (habitat, outillage). Pour l’île de Tasmanie, dont la totalité de la population indigène sera exterminée au XIX° siècle, ces dessins sont un témoignage unique et émouvant.
Paradoxalement, les rapports de l’expédition Baudin, tout comme les illustrations sont restés longtemps confidentiels.
C’est que 1815 avait marqué le retour des Bourbons au pouvoir. Tout ce qui aurait pu alimenter la gloire de l’Empire devait être mis sous le boisseau, y compris le souvenir de l’expédition Baudin dont les archives échurent au Musée du Havre. Il est heureux qu’à la suite du bicentenaire de l’expédition, et grâce aussi à l’intérêt que porte l’Australie à ce témoignage unique, expositions et ouvrages aient mis en lumière cette intéressante étape de la découverte de la terre.
Michel Sivignon 7 août 2016
Complément bibliographique
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L’art au service de la science : retour sur l’incroyable expédition Baudin (1800-1804)