Café Géographique de Saint-Brieuc du jeudi 19 mai 2016
Guerre en Syrie, migrants à Calais, attentats du 13 novembre à Paris, autant de sujets que le journal Le Monde raconte en carte. Si les cartes existent depuis les débuts du journal, le quotidien consacre aujourd’hui des pleines pages à la cartographie pour expliquer la complexité des conflits. Delphine Papin, journaliste-cartographe, chef du service infographie au Monde, docteure en géopolitique, se propose de nous expliquer les difficultés qu’il y a à concevoir et réaliser souvent dans l’urgence des cartes pour un quotidien.
« Raconter l’actualité autrement », c’est le travail de Delphine Papin au sein du journal Le Monde. A côté des journalistes-rédacteurs, des journalistes-photographes, des journalistes-dessinateurs, il y a depuis quelques années dans l’équipe du quotidien, des journalistes-cartographes dont l’objectif est de faire comprendre l’actualité par le territoire. Cette démarche est souvent utile. La carte permet aux lecteurs de mieux comprendre un conflit quand les enjeux sont territoriaux ; son rôle est alors d’accompagner le texte voire même de s’y substituer.
1 – Etre journaliste-cartographe dans un quotidien du soir
Le Monde est un quotidien du soir, c’est-à-dire qu’il doit être bouclé le matin, à 10h30, afin qu’il soit dans les kiosques entre 14h et 16h.
– Les contraintes d’un quotidien, le temps…
Pour réaliser un journal, les journalistes commencent à 10h45 le matin du jour J-1 et terminent à 10h30 le matin du jour J.
C’est entre 10h45 et 12h que les premiers sujets d’actualité sont connus ; le service infographie-cartographie a alors un peu moins de 24h pour les traiter. Les cartes sont donc souvent réalisées dans l’urgence. Les journalistes-cartographes peuvent aussi prévoir une actualité sur 2/3 jours, voire une semaine (une carte sur les routes empruntées par les migrants, par exemple), mais d’une façon générale, quand il faut relater l’actualité du jour, il faut faire vite ! Un travail bien différent de celui des cartographes de l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière).
A 11h30 ont lieu les réunions de service; les journalistes-cartographes y participent pour connaître le point sur l’actualité du jour dans chacun des services. Quand des sujets d’actualité se prêtent bien à une représentation cartographique, le journaliste-cartographe fait une proposition. Ces réunions de service au sein de la rédaction préparent la grande réunion de midi.
A 12h, lors de la conférence de la rédaction, les chefs de service dessinent à grands traits le journal du lendemain (il peut y avoir des changements de dernière minute, accident d’avion, acte terroriste…). Delphine Papin, notre intervenante, qui est chef du service infographie participe à cette conférence de la rédaction pendant laquelle le choix des principaux articles sont discutés et précisés.
Les cartographes doivent alors réaliser les cartes entre midi et 10h30 le lendemain (collecter les données, cartographier les informations, établir la légende).
Avant le bouclage du journal, a lieu la conférence de rédaction du matin, à 7h30 : les titres de « une » sont choisis, le sujet de l’éditorial discuté. Puis les dernières corrections et relectures sont faites jusqu’à 10h30 précises, afin que le journal soit prêt pour la dernière étape, l’impression. L’horaire est impératif ; chaque minute de retard, ce sont 2000 exemplaires qui ne seront pas imprimés car après l’impression il y a la diffusion par avion ou par train qui n’attendent pas…
– …et l’espace : la place de la carte
Elle dépend de l’actualité. Certains sujets ne nécessitent qu’une carte de situation.
Une grande place est réservée au texte, la carte de situation permet de rappeler où se trouve la Corée du Nord, elle est simple, réalisée rapidement, en 30 minutes.
Le quotidien peut également décider de réserver une double page pour la cartographie.
La carte domine (4 cartes, plus une carte de situation du Sahel sur un planisphère), il n’y a pas de photos et le texte vient en appui des éléments cartographiques.
Carte de localisation pour la première, carte de raisonnement pour la seconde. Si la carte est aujourd’hui un des outils utilisés par Le Monde pour traiter l’actualité, cette « révolution » est récente. Bien que la carte ne soit pas un outil nouveau pour le quotidien, le « une » du 8 août 1945, dans l’une de ses premières parutions, présentait une carte du plateau du Vercors dessiné à la main. La carte se contentait alors de situer, de localiser. Aujourd’hui, elle a pris une autre dimension, tant par la place qu’elle occupe dans les pages du journal que par son objectif; elle devient, comme un article écrit, un outil d’explication de l’actualité. Le tournant est pris, dans les années 2000, quand la rédaction du quotidien mène une réflexion face aux difficultés que rencontre la presse écrite. Avec l’arrivée d’Internet, il faut se renouveler, toucher un nouveau public, plus jeune, moins lecteur mais pourtant intéressé par l’actualité. Dans ce contexte général de plus en plus favorable aux visuels, la rédaction décide d’insérer des photos, de réduire le nombre de signes par page (on est passé de 10 000 signes à 6 à 7 000 signes aujourd’hui). La photo a ouvert la voie à d’autres formes visuelles (diagramme, graphique, schéma…) produites par l’infographie (domaine de la création d’images numériques assistée par ordinateur) et avec elle, l’idée que la carte pouvait être un outil intéressant pour informer les lecteurs. Encore fallait-il convaincre tous les rédacteurs de la pertinence d’une carte pour traiter l’actualité ! Et Delphine Papin n’hésite pas à dire qu’il y a une géopolitique de la page entre publicité, papiers, photos, dessins et cartes.
La publicité est la première contrainte pour les journalistes. Impossible de s’y soustraire, elle « nourrit » le journal et permet qu’il soit à un prix abordable (2,40 euros). C’est à 11h, quand l’édition centrale finalise le « chemin de fer » du quotidien, que chaque chef de service connaît alors le nombre de pages dont il dispose avec les implantations publicitaires. Si le service infographie a une publicité dans sa page, les journalistes-cartographes ne peuvent pas faire de carte ou doive la réduire…
En revanche, se pose très souvent la question du support pour traiter un sujet ; entre la photo, le texte ou la carte, lequel sera le plus pertinent ? Un exemple, pour la crise des migrants, une photo est convaincante, mais une carte peut aussi donner des informations intéressantes comme le parcours des migrants, les frontières qui se ferment. Lors des réunions du matin, on ne sait pas encore si pour un sujet d’actualité à traiter, ce sera une photo ou une carte, si le texte sera dominant ou viendra en support de la carte. Il y a une sorte de « compétition » pour « vendre » son sujet, un débat qui est, par ailleurs, sain et qui permet à chaque service de s’exprimer.
C’est en 2012, que le service infographie réalise la première grande carte géopolitique, elle concernait les tensions au niveau de la frontière qui sépare les Soudans depuis leur partition en juillet 2011. Les tensions frontalières étant des problèmes de territoire, une représentation cartographique semblait être, pour les journalistes-cartographes, le meilleur support d’information. Cette évidence ne l’était pas pour tous, il a fallu convaincre les rédacteurs du service international. Finalement, le quotidien réservera une double page pour une carte explicative et légendée sur les tensions frontalières entre la République du Soudan du Sud et la République du Soudan (au nord).
La carte montre que les tensions sont multiples et que les zones de tensions ne sont pas toujours liées à la présence de pétrole (ce qui était communément dit). Les informations de Gérard Prunier, spécialiste de l’Afrique de l’Est, et les photos satellites nous ont permis de cartographier de façon précise les zones de tension (trois zooms à partir de la carte principale) et les enjeux de cette frontière : le pétrole mais pas seulement, les parcours de transhumance, les ressources en eau (présence de puits), les tracé des champs sont objet de litige au niveau de la frontière située au niveau d’une limite géographique entre une zone désertique et une zone de pâturages. A droite de la carte une légende qui raconte, qui explique comme le fait un texte. C’est un peu la marque de « fabrique » du journal, une légende problématisée capable de se substituer à un texte. Le texte n’est pas absent, il est complémentaire de la carte et à l’extrême droite de la double page, 4 cartes rappellent l’héritage historique de la région.
Question : Vous évoquez l’initiative du journal Le Monde pour l’infographie. Libération n’a-t-il pas fait, lui aussi, précocement, le choix de la carte dans ses pages ?
En effet, Libération a été en avance dans l’utilisation de produits visuels, telles les photos ou les maquettes qui sont souvent splendides. Mais face aux problèmes financiers qui n’épargnent aucun quotidien, Libération a fait le choix d’externaliser certains de ses services, c’est le cas de leur service infographie. Libération achète sa cartographie aujourd’hui à une agence infographie (implantée dans le journal) constituée d’une équipe de 3 personnes. Pour bien d’autres journaux qui n’ont pas du tout de service infographie, la cartographie est achetée à des agences de presse qui fournissent d’ailleurs les mêmes cartes à plusieurs journaux. Il faut savoir qu’un service infographie-cartographie coûte cher ; au journal Le Monde il faut un rédacteur pour écrire un texte mais trois personnes pour produire une carte. Face aux difficultés financières et au déclin de la presse écrite, les quotidiens ont fait des choix, Le Monde a pris la décision de se doter d’un service cartographie important, le plus gros service en France pour la presse (14 personnes) ce qui est l’une des spécificités du quotidien. Le Figaro a lui aussi un service de cartographie mais plus petit (6 à 7 personnes). Les Echos ont un très bon service de graphisme. Mais nous sommes tous bien modestes par rapport au service cartographie des journaux américains, le New York Times (une trentaine de personnes) ou le Washington Post ou encore du journal britannique, The Guardian.
Delphine Papin précise qu’il y a une différence entre les cartes anglo-saxonnes et celles du Monde. Les cartes anglo-saxonnes sont quantitatives, elles sont construites à partir de données (les Anglo-Saxons bénéficient d’une grande quantité de données grâce à l’open data). Les cartographes anglo-saxons utilisent par exemple les recensements de population pour cartographier la ségrégation ethnique ou encore le pourcentage de Mexicains ou de Noirs (les figurés cartographiques sont quantitatifs comme les cercles proportionnels). Au quotidien Le Monde, on réalise essentiellement des cartes qualitatives (les figurés sont ceux établis par Jacques Bertin en 1967). La carte raconte et explique, sa légende est essentielle (souvent en trois parties comme dans une dissertation), elle permet de lire la carte.
2 – Cartographier le conflit syrien
Le conflit syrien commence en mars 2011, et le service infographie-cartographie ne réalise sa première carte qu’en novembre 2012. On arrive donc très tard sur ce conflit, pourquoi ?
Quand débute le conflit syrien, toute l’équipe du service cartographie est concentrée sur la guerre en Libye (février 2011- octobre 2011) dans laquelle la France et le Royaume-Uni sont directement impliqués. Si nous avons fait un choix dans l’information, il y a une autre raison.
Le conflit syrien commence par un soulèvement de population au sud, près de Deraa, ville agricole restée à l’écart du développement économique. Les raisons de ce soulèvement contre le régime de Damas sont d’ordre économique et social, elles ne sont pas religieuses. Tandis que beaucoup de journaux produisent la carte de la répartition des Chiites et des Sunnites (carte facile à réaliser), nous refusons de précéder l’actualité en décidant d’attendre d’avoir plus de sources pour cartographier le conflit. En novembre 2012, nous sommes en mesure de réaliser une grande carte avec les lieux de la contestation et les causes du soulèvement, celles-ci sont d’abord économiques, le facteur politico-communautaire venant ensuite. La carte et sa légende montrent que le conflit syrien est un affrontement social qui a évolué en guerre religieuse opposant une majorité sunnite à une minorité alaouite (une variété du chiisme).
Delphine Papin montre une carte rare, réalisée à partir d’une enquête de terrain de Jean-Philippe Rémy, reporter de guerre en Syrie. Parti pour trois jours, il est resté trois mois (on n’a pas pu l’exfiltrer) ; il est revenu avec une connaissance extraordinaire du terrain en particulier des preuves de l’utilisation d’armes chimiques. Le service cartographie pu dresser avec lui une carte d’une grande précision de la position des forces du pouvoir et des rebelles, à Damas, en mai 2013. La carte zoomée sur la ville permet de situer le palais présidentiel, place des Abbassides tenu par le pouvoir et le quartier de Jobar tenu par les rebelles à 700 mètres du palais; entre les deux positions, des verrous stratégiques. Pour placer sur la carte les verrous et pour comprendre pourquoi ces verrous tenaient et tiennent encore aujourd’hui, nous avons travaillé sur plusieurs sources en particulier sur une photographie aérienne du centre de Damas. La morphologie urbaine explique la situation : le pouvoir contrôle la place des Abbassides, autour du palais présidentiel ainsi que les grandes avenues grâce aux chars qui peuvent se déployer et tenir à distance les rebelles qui sont, eux, maîtres du quartier de Jobar constitué d’un ensemble de rues étroites et de petits immeubles. Les verrous stratégiques sont à la limite entre les deux espaces.
Question : Pensez-vous que l’un des camps du conflit puisse utiliser vos cartes pour essayer d’avancer sur le terrain ?
Non ! La carte sur Damas est à une échelle très fine mais les zones sont floues, rien qui ne puisse servir sur le terrain.
En revanche, les cartes que nous avons réalisées peuvent servir pour accompagner les dossiers de presse distribuées à l’armée par exemple. C’est ce qui s’est produit pour l’intervention des forces françaises au Mali le 11 janvier 2013.
Il y a une autre forme d’utilisation de la carte qui s’appuie sur la terminologie employée. Delphine Papin prend l’exemple emblématique du débat qui concerne la Mer du Japon/Mer de l’Est (c’est la mer qui sépare l’archipel japonais du continent asiatique et de la péninsule coréenne, pour la situer, nous reprenons la carte de situation réalisée pour l’article « La Corée du Nord intensifie ses menaces », voir début du CR). Une querelle oppose les diplomates japonais à ceux des deux Corées depuis 1992, lors de la conférence des Nations Unies sur la normalisation des noms géographiques. Pour la première fois, les deux Corées proposent l’adoption de l’appellation « Mer de l’Est ». Le gouvernement sud-coréen explique que l’appellation « Mer du Japon » s’est imposée lorsque la péninsule était colonisée par le Japon et que les expressions « Mer de l’Est » ou encore « Mer de Corée » sont plus anciennes. De son côté, Tokyo affirme que le terme « Mer du Japon » s’est imposée dès le XVIII° siècle (carte européenne de l’explorateur Jean-François de La Pérouse) donc bien avant la période impériale du Japon ! Question délicate pour le service infographie-cartographie du quotidien Le Monde qui utilise comme appellation « Mer du Japon (Mer de l’Est) ». Cette terminologie ne satisfait ni le Japon (une responsable de la communication de l’ambassade du Japon est venue dans notre service pour nous rappeler l’ancienneté du nom « Mer du Japon ») ni la Corée (nous avons été invités à venir au service cartographique de Séoul…). La question est d’autant plus difficile à gérer que les cartes du journal Le Monde ainsi que celles du Washington Post qui utilisent la double terminologie ont figuré dans un rapport des Nations Unies déposée par la Corée du Sud pour légitimer leur demande !
3 – Un reportage cartographique, les migrants à Calais
D’une façon générale, les journalistes-cartographe du service infographie travaillent à partir de sources diverses sans aller sur le terrain (nécessité pour Le Monde de dégager un budget). Mais pour Calais, notre intervenante a eu la chance d’obtenir une mission pour réaliser une carte à partir de ses observations sur le terrain. Delphine Papin est allée deux fois à Calais, la première fois en avril 2015 au moment de l’ouverture du centre d’accueil de jour Jules Ferry, d’une capacité d’une centaine de personnes, pour les femmes et les enfants, la seconde fois en février 2016 au moment du démantèlement de la zone sud de la Jungle (jungle provient du terme persan jungal qui veut dire « forêt »; terme employé au début des années 2000 par les premiers réfugiés afghans et iraniens pour désigner les bois où ils avaient installé leurs campements).
La carte réalisée à partir de ce reportage montre la localisation de la « Jungle de Calais » : elle est située sur un terrain vague municipal de 18ha en bordure d’autoroute, à quelques centaines de mètres du port de Calais et rassemble, depuis 2014, les migrants qui vivaient dans des campements, des immeubles désaffectés, des squats du centre-ville. En 2015, le nombre de migrants explose, entre 5000 et 6000 personnes. En février 2016, le Tribunal administratif de Lille ordonne la destruction d’une partie de la Jungle pour insalubrité et insécurité, les migrants devant être orientés vers des centres d’accueil un peu partout en France. Le démantèlement, commencé le 29 février, se concentre sur la zone sud de la Jungle, il est terminé le 16 mars. Delphine Papin est arrivée pendant cette période, elle constate que les migrants déménagent vers la zone nord de la Jungle, et reconstituent en quelques heures ce qu’ils viennent de quitter ; ils se regroupent par communautés d’origine et les petits commerces s’installent à nouveau sur un axe principal (selon les ONG, 80% des migrants se sont réinstallés au nord de la Jungle). C’est cette géographie humaine qui s’est organisée spontanément que notre intervenante cartographie : les Afghans dans les tentes rouges, les Soudanais, les Erythréens, enfin les Egyptiens arrivés récemment s’installent sur les dunes. On s’organise comme on peut, pour vivre, dans des conditions de très grande précarité (ni eau, ni électricité, promiscuité extrême…)
4 – Cartographier les attentats
Delphine Papin nous avoue que le travail a été difficile car chargé d’émotion. Réaliser des cartes sur les attentats du 13 novembre et quelques mois après sur les attentats de Bruxelles a été douloureux pour toute l’équipe du service cartographie, d’autant plus que l’année avait été chargée d’événements tragiques, les vagues de conflits en Syrie, la situation des migrants à Calais.
A partir de quelques exemples, notre intervenante souligne la variété des sources utilisées pour réaliser une carte mais aussi la difficulté de les trouver ou de les utiliser
A la suite des attentats contre Charlie Hebdo, le service cartographie réalise une carte pour l’édition du 12 janvier, qui porte sur la Marche républicaine du 11 janvier 2015 à Paris, entre République et Nation. En contact avec les journalistes de terrain du journal qui sont, un peu partout, sur les lieux pour recueillir les sentiments des personnes, Delphine Papin nous explique que sa collègue et elle comprennent très vite que la Marche républicaine n’a jamais avancé (les personnes sont sortis du métro et sont restés sur place). C’est donc la marée humaine qui déborde de l’itinéraire qui est intéressante de cartographier. Se pose alors le problème de l’information pour délimiter cette marée humaine. Nos deux cartographes ont utilisé twitter (les gens se photographiaient, précisaient où ils se trouvaient et indiquaient les rues qui étaient pleines de monde). En croisant toutes ces informations, le service cartographie du journal a réalisé une carte grâce aux réseaux sociaux, c’est une première.
Les attentats à Saint-Denis et dans l’Est parisien, vendredi 13 novembre 2015
Le service cartographie produit, pour l’édition du samedi 14 novembre, une première carte de situation sur les attentats de Paris qui ont eu lieu dans la nuit du 13 au 14 novembre. Le Monde étant un quotidien du soir avec un bouclage à 10h30 du matin, les journalistes-cartographes ont été en mesure de construire une carte très rapidement mais la difficulté, puisque elle a été réalisée dans l’urgence, a été de donner des informations justifiées. Notre intervenante nous explique que quelques minutes avant le bouclage (il était 10h28), elle avait deux informations contradictoires sur la fusillade rue de Charonne. Le choix final a été de préciser en bas, à gauche de la carte « Situation, samedi 14 novembre à 9h30 » (les informations ultérieures n’ont pas été retenues). Même dans l’urgence, les informations portées sur une carte doivent être confirmées à 100%, la crédibilité du journal est engagée.
Autre exemple, la carte de la Belgique, plaque tournante du djihadisme européen, a été produite après les attentats de Paris de novembre 2015 avec l’aide de deux chercheurs, un Belge et un Français qui ont, tous les deux, fait leur thèse sur la diffusion des armes et à partir d’un rapport du gouvernement belge sur le nombre de jeunes partis en Syrie.
Questions :
– Citez-vous vos sources ?
Oui, nous précisons nos sources, en bas et à gauche de la carte. Nous donnons aussi toutes les informations pour retrouver ces sources qui sont très variées : AFP, rapport officiel, travaux de recherche (thèses) photographie aérienne, journaliste sur le terrain, récemment réseaux sociaux…
– Est-ce que l’AFP diffuse des cartes ?
L’AFP a un service cartographie et diffuse très rapidement des cartes en plusieurs langues. Ce sont des cartes de situation qui nous sont très souvent utiles.
– Communiquez-vous entre les différents services cartographie des quotidiens européens ?
Pas beaucoup, on n’échange pas nos cartes ; en revanche, il existe, depuis 2012, un supplément commun europa réalisé en coopération entre les rédactions de six quotidiens européens : El Païs (Espagne), The Guardian (Royaume-Uni), Gazeta (Pologne), La Stampa (Italie), Süddeutsche Zeitung (Allemagne) et Le Monde (France). Chaque journaliste fait un papier (exemple : les étudiants européens) que les autres journaux peuvent reprendre. Au service cartographie du Monde, nous avons décidé de mutualiser les données, mais l’infographie est réalisée par chacun des services des quotidiens européens.
– Peut-on vous commander des cartes ?
Effectivement, depuis que nous sommes sur twitter et facebook, c’est possible. Nous avons consacré une page entière à l’Erythrée, à partir d’une demande qui souhaitait que nous évoquions la situation dramatique de la population.
– Sur les limites de la Bretagne ?
Lors des élections régionales, nous avons réalisé des cartes des Régions en mettant l’accent sur l’enjeu du découpage ; pour la Bretagne, nous avions tracé les limites linguistiques, le mouvement des bonnets rouges.
– Utilisez-vous des logiciels pour réaliser vos cartes ?
A l’échelle d’un planisphère ou d’un pays, nous avons déjà le fond tracé et nous utilisons un logiciel de dessin pour placer les informations. Si l’échelle est plus fine, nous prenons une photographie aérienne et dessinons dessus. Stylet ou souris ? Il y a deux écoles dans le service (confort personnel). Pour le langage graphique, les 14 personnes du service dont les profils sont très différents (des géographes-cartographes, des personnes formées aux arts-déco, une statisticienne) doivent trouver un terrain d’entente. Cela n’a pas toujours été facile pour réaliser les cartes ; les uns scientifiques sont plus rigoureux, les autres sont plus dans la création artistique mais chacun a fait un chemin, les uns abandonnant un peu de la sémiologie Bertin, les autres acceptant que les cartes ne soient pas que dans l’esthétique…
Pour conclure
Journaliste-cartographe, un métier qui émerge dans un des pays qui vend le plus d’Atlas. Les Français ont un certain attachement pour les cartes et la France a une originalité : une des épreuves du Baccalauréat, consiste en la réalisation d’une carte.
Enfin si vous souhaitez retrouver les cartes du journal Le Monde, ainsi que des petites vidéo-cartographiques de 5mn, le service infographie-cartographie a créé un compte facebook Le Monde en cartes ainsi qu’un compte twitter @LM_enCartes.
Compte rendu rédigé par Christiane Barcellini
Relu par Delphine Papin, mai 2016