Café Géo animé par Gabriel DUPUY, Professeur d’Aménagement, Université Paris I Panthéon Sorbonne et Ecole nationale des Ponts et Chaussées.
Ce Café Géo a eu lieu le mardi 13 mars 2012 au Pré en Bulle – 9 Lices Jean Moulin, Albi.
Présentation problématique :
A court terme, le système des mobilités urbaines présente une forte inertie (structure urbaine, budget-temps, dépendance automobile…).
Cependant, à l’aide d’une « rétro-prospective » sur le cas parisien, G. DUPUY montrera que l’on peut aussi répondre à la question en l’élargissant et notamment en repoussant l’horizon considéré. Pour un « demain » plus éloigné, dans une ville recomposée, on peut imaginer les effets de plusieurs évolutions majeures : démographique, sociologique, économique, technologique, environnementale et, bien entendu, géographique.
La combinaison de ces effets pourrait conduire à une croissance modérée des déplacements (en nombre et en portée) mais avec une répartition différente (des flux et des modes).
Compte-rendu : Compte-rendu réalisé par Camille DUHEN, Julie FERNANDEZ et Karim LAHIANI, étudiants en licence de géographie au Centre universitaire J.F.Champollion, sous la direction de Thibault COURCELLE et Mathieu VIDAL, enseignants-chercheurs, co-animateurs des Cafés Géo d’Albi.
Éléments de la présentation
Introduction
A court terme, il ne faut pas attendre de profonds changements dans le système de mobilités urbaines, il y a quelques signes de changements, mais sur les changements de fond, il est relativement intéressant de penser la question des déplacements dans la ville de demain sur un horizon plus large, c’est à dire dans une quarantaine d’années, en 2050.
Y a-t-il une forte inertie du système des mobilités ?
Pour répondre à cette question, il faut aborder trois points essentiels.
Tout d’abord, la structure urbaine, celle-ci change très lentement. Ce facteur est d’autant plus important que les déplacements dépendent de cette structure urbaine. Ensuite, il faut prendre en compte ce que l’on appelle le « budget-temps » des individus. Sur ce point, on observe une remarquable stabilité, car le temps consacré au sommeil, aux affaires personnelles, au travail, ne peut pas énormément évoluer, le budget-temps consacré aux loisirs constitue donc une variable d’ajustement de l’ensemble de ce budget-temps. Le temps consacré aux déplacements va être prélevé sur cette dernière variable. Enfin, le dernier facteur à prendre en compte pour répondre à cette question est la dépendance automobile. Notre société est totalement dépendante de l’automobile, c’est la société qui favorise cette dépendance. Avec tous ces éléments, on peut déduire qu’il n’y aura pas de grands changements en terme de déplacements à l’horizon 2020.
On voit donc qu’il faut élargir la question, pour cela, il faut s’intéresser aux trois principaux termes de la problématique qui est posée : les termes de « déplacement », de « ville » et de « demain ». Que veulent dire ces trois termes ?
Tout d’abord « déplacement », c’est un terme assez flou dont on n’est pas sûr de la définition. Ensuite, le terme de « ville » n’est pas clair non plus, surtout actuellement, car on observe une recomposition de l’espace urbain ces dernières années. La différence entre ville et campagne est de plus en plus floue. Enfin, pour le terme « demain », nous avons dit qu’il fallait imaginer un demain beaucoup plus lointain que 2020 pour entrevoir quelques éléments de réponse. Pour comprendre ce qui pourrait se passer dans le futur, il faut s’intéresser au passé, à l’Histoire des déplacements.
Rétro-prospective sur le cas de Paris
L’apparition de la voiture à Paris s’est effectuée vers 1900, mais est très peu utilisée à cette époque. 1900, c’est aussi l’apparition du métropolitain dans la capitale, et, jusqu’en 1950, c’est un mode de déplacement très utilisé avec le tramway et les bus. Donc les transports en commun en général sont plus utilisés que la voiture individuelle, car, en 1950, la voiture sert à partir en vacances. Ce n’est pas un moyen de transport urbain en cette moitié du XXème siècle. On observe alors une situation un peu particulière. Le tramway a relativement réussi à se maintenir. Les voitures ne sont pas des voitures de particuliers ou très peu, et puis, il y a encore des piétons. On voit encore quelques deux roues. En revanche, les chevaux ont été totalement exclus de la ville, du monde urbain. Il y a donc derrière cela toute une transformation de la ville. En 50 ans à Paris, il se passe des choses, il y a une véritable transformation des moyens de transports. Le problème est que si on admet que demain, c’est dans 50 ans, que va-t-il se passer ?
Quels facteurs sont susceptibles d’apporter des réponses à l’évolution des modes de déplacements dans les villes d’ici 2050 ?
La prospective n’est jamais facile. Pour répondre à cette question, il faut sélectionner des rubriques qui traduisent des facteurs qui sont susceptibles d’influer sur les types de déplacements urbains : la démographie, la sociologie, l’économie, l’environnement, la technologie et la géographie. Il y en a sûrement d’autres, mais ce sont probablement les principales rubriques que l’on peut sélectionner.
La démographie
Sur ce point, on sait que la société vieillit et vieillira. Ça, c’est à peu près acquis surtout qu’en démographie, c’est assez facile de projeter les choses et on a de bons modèles pour ça. On peut en déduire, d’une part, que quand l’âge augmente, les personnes sont moins mobiles. Il devrait donc y avoir une tendance à la réduction de la quantité de déplacement du fait de ce vieillissement. Mais d’autre part, les personnes âgées d’aujourd’hui ne sont pas comme celles d’hier. C’est-à-dire qu’elle sont, et seront de plus en plus, d’anciens automobilistes. Les personnes qui ont été automobilistes pendant leur période d’activité, arrivant à la retraite, se déplacent davantage car elles n’ont plus la contrainte de temps. Et donc ce qui peut se passer du fait de la démographie d’ici 2050, c’est la combinaison des deux effets : un effet qui devrait réduire le nombre de déplacements et puis un effet qui le ferait augmenter. Il y aura peut être une certaine neutralité concernant cette variable.
La sociologie
Nous sommes dans une société qui s’individualise, mais qui donne foi à l’individu. On l’observe très bien dans les déplacements. Les femmes, par exemple, ont accédé très rapidement au permis de conduire. Elles sont aussi nombreuses aujourd’hui que les hommes à conduire. Il n’y a aucune différence à cet égard. Elles ont accédé aussi à la motorisation. Tout ça traduit une individualisation des modes de vies. L’affirmation de l’individu passe par sa mobilité, on a ainsi quelque chose qui, sur une longue période, devrait générer et créer plus de déplacement.
L’économie
Il est à peut près certain que les accroissements de mobilité, de déplacements qu’on a pu observer sur les périodes passées sont liés à une croissance de l’économie. Les croissances économiques constituent une sorte de carburant pour faire circuler. Il semble que ce soit un peu derrière nous et qu’on a plus une économie critique. En tout cas, les moyens sont moins évidents à dégager pour cette mobilité. On n’a peut-être pas le ressort d’avoir plus de déplacements mais surtout, on n’a peut-être pas le ressort nécessaire pour avoir des modes de transports radicalement nouveau. Ce qui s’est passé à Paris au début du XXe siècle, ce n’était possible que dans un contexte économique florissant. On peut penser à des modes de transports nouveaux, mais le contexte économique, qui n’est probablement pas celui d’avant, constitue sans doute un frein de ce côté-là. Il n’y aura donc pas une remise en cause profonde des modes de transports, du simple point de vue économique. Mais on a évidemment l’aspect environnemental.
L’environnement
L’aspect environnemental est double parce qu’il y a, d’une part, les ressources telles que le pétrole et d’autre part, les inquiétudes climatiques. Les experts sont d’accord sur le fait qu’il ne se passera pas grand-chose de très significatif avant 2030. Mais en revanche, en 2030, il y aura vraisemblablement un basculement car il n’y aura déjà plus de pétrole. En tout cas, le pétrole sera insuffisant pour répondre à la demande telle qu’on peut la prévoir. Et d’autre part, le réchauffement dû aux gaz à effet de serre montre qu’on atteindra – sauf évolution – un seuil critique là aussi vers 2030. Les gens qui travaillent sur ces problématiques pensent que 2030 est une date butoir. Du coup peut-être qu’entre aujourd’hui et 2030 il ne passera pas grand-chose mais après, jusqu’en 2050 en tout cas, des changements majeurs seront nécessaires pour faire face à ces problématiques.
Les technologies
Du côté technologique, c’est assez foisonnant, il paraît vraisemblable qu’il y ait deux solutions : l’énergie humaine ou l’énergie électrique. Le problème c’est que l’énergie humaine a besoin de changements significatifs. Il est possible que, sur 50 ans, nous réapprenions à marcher beaucoup. Mais il y a quand même ce problème du temps de parcours et le problème de la fatigue. Les historiens nous racontent que les gens jusqu’au XIXème siècle ne mourraient pas tant parce qu’ils étaient malades, mais parce qu’ils étaient fatigués car ils consommaient une énergie humaine considérable, en particulier pour marcher. Du côté de l’électricité, les experts disent que tout ce qui se fait aujourd’hui, par exemple les véhicules hybrides, auront du mal à décoller, notamment parce qu’un accumulateur doit se recharger. En revanche, il y a quelque chose de très prometteur, ce sont les piles à hydrogène. C’est un procédé très différent, qui, avec un très faible volume, un poids très limité, peut fournir une énergie considérable, sauf que technologiquement, cela n’est pas au point. C’est une technologie qui existe dans les laboratoires, mais les experts disent qu’avant 2030-2040 il n’y aura rien d’opérationnel.
En revanche ce qu’il faudrait mettre dans « technologie », ce sont les technologies de l’information et de la communication. Jusqu’à maintenant, on a toujours dit que ça n’était pas un substitut aux déplacements physiques, car on observait une croissance des déplacements et une croissance des nouvelles technologies. Mais il ne faut pas se tromper, car c’est ce que l’on a observé sur une période où il y avait une croissance de tout. Il n’y a donc pas forcément de lien de cause à effet entre croissance des déplacements et croissance des nouvelles technologies. On commence à voir que les achats sur internet se multiplient de façon significative. Acheter sur internet réduit le nombre de déplacements physiques, même si ça ne les supprime pas.
La géographie
Enfin pour la géographie, en 2050, on aura sûrement une géographie urbaine assez différente de celle d’aujourd’hui, non pas parce qu’on va tout raser et reconstruire, mais parce qu’il y a des signes sur la façon dont le périurbain se structure. Il y a de plus en plus de petites centralités, on est rentré dans un urbain en recomposition qui pourrait, en 2050, devenir un urbain recomposé. Cette urbain recomposé devrait logiquement aller dans le sens de moins de déplacements.
Conclusion
Sur ces six rubriques, on voit donc des évolutions assez contrastées :
– Une démographie dont on ne peut pas attendre beaucoup de changements au niveau des déplacements.
– Une sociologie qui devrait pousser à la multiplication des déplacements urbains.
– Une économie atone qui freinerait plutôt les déplacements.
– Des enjeux environnementaux qui pousseront à une réduction de certains modes de déplacements.
– Du point de vue des technologies, il ne se passera pas grand chose d’ici 20 ans, mais peut-être que l’on peut attendre des changements après 2030. Il peut y avoir l’apparition de nouveaux modes de déplacements qui se fera au détriment d’autres modes. Cela entraînera de ce fait une certaine recomposition.
– Au niveau de la géographie, il y a des changements, des évolutions, que l’on ne perçoit pas bien. Ce qui recompose les mobilités dans le milieu périurbain ne se voit pas forcément, mais a un impact significatif à long terme.
Enfin, selon les prévisions des experts, on ne prévoit pas une évolution significative de la part modale de chaque mode de déplacement. Les experts sont relativement prudents et imaginent une croissance de la motorisation – à l’échelle mondiale – qui va se poursuivre, mais de façon moins rapide. Ils ne prévoient donc pas la diminution de la motorisation d’ici 2050 et tous les facteurs que nous avons présenté – qui vont dans le sens ou non de cette diminution des déplacements – ne suffiront pas, selon eux, à endiguer l’augmentation de la motorisation au niveau mondial.
Pour terminer, voici un exemple (cf image jointe) de cas où surgiraient des modes nouveaux. Vous avez par exemple des véhicules qui vous accompagnent un petit peu comme un chien. Vous promenez le véhicule mais le véhicule peut aussi vous promener et peut très bien porter les courses. Il se commande à la voix où avec un téléphone portable et fait tout ce qu’on lui demande de faire. Du coup, ça transforme les automobilistes en piétons, donc c’est formidable, mais ça n’enlève pas le véhicule. Donc on n’a probablement pas intérêt de raisonner en se posant la question de « qu’est-ce qui va disparaître et par quoi ça sera remplacer ? » car ça va se passer par un mélange progressif comme pour l’exemple de Paris. A Paris, le métro n’a pas disparu, mais il s’est articulé avec des bus qui n’existaient pas avant. Ici, nous avons une hybridation entre quelque chose qui ressemble un peu à une voiture avec des NTIC.
Éléments du débat
Jean-Louis DARREON (ancien directeur du Centre universitaire d’Albi et enseignant-chercheur en gestion) :
Comme je ne suis pas géographe je peux me permettre beaucoup de liberté. L’encombrement est certainement lié à l’individualisation. Alors on a une multiplication des déplacements et des temps d’attente, ceci étant dit intuitivement car je n’ai pas du tout de repères, mais il me semble que l’on passe de plus en plus de temps dans les transports, et donc ce fameux budget-temps doit augmenter. Finalement, quelle est l’acquisition que l’on a et comment gère-t-on ces interactions entre l’offre et la demande ? Ce n’est pas la demande qui structure l’offre mais plutôt l’offre qui structure la demande. Si le bus est bien adapté en taille, en créneaux horaire, en desserte…etc, il y a de forte chance qu’il attire des gens. Or nous sommes dans un système dans lequel on se demande comment nous pouvons y arriver.
Gabriel DUPUY :
Vous avez bien pointé deux questions importantes :
– celle de la congestion : est-ce que tout cela ne va pas finalement finir par embouchonner tellement que ça va réguler ? Là, j’ai une réponse extrêmement partielle mais il se trouve que j’ai une doctorante qui va soutenir sa thèse et son thème est la congestion automobile. Elle a comparé trois grandes métropoles qui sont à des stades différents de congestion – à savoir l’Ile de France, Sao Paolo et Bombay – et on s’aperçoit que, bien sûr, il y a des situations de congestion extrêmement forte dans certains endroits, mais on voit aussi que nulle part la congestion ne pouvait être générale. En fait, elle touche particulièrement certains espaces particuliers, certaines catégories particulières et donc par exemple, en Ile de France, vraisemblablement dans l’hypothèse formulée, qui doit être juste je pense, les victimes du chômage sont, d’une part, les gens qui habitent en première couronne parce qu’ils sont obligés de se déplacer en voiture et qu’il n’y a pas d’alternatives potentielles en transport en commun et il n’y a pas non plus d’infrastructures suffisantes. Puis, l’autre endroit dans lequel ça va coincer est le périurbain lointain, puisque les gens sont complètement dépendant de la voiture et parfois pauvres. Ils sont donc encore plus victimes de la congestion que les autres. Donc ce phénomène de la congestion peut être observé mais il faut analyser qui perd et qui gagne à ce jeu qui risque de tourner mal.
– Enfin la seconde question serait « l’aspect service » évoqué qui est extrêmement important. En effet, on va prendre l’exemple de Paris avec le succès des « velibs ». Avant le vélib, des gens étaient intéressés par le vélo sauf qu’ils rencontraient des problèmes pour garer leur vélo. Ils ne pouvaient pas le garder chez eux puisque c’était impensable et puis on leur a proposé pour pas cher de le louer. Même si le fait de changer ses habitudes prend un petit peu de temps, je pense que les jeunes générations sont plus réceptives à ces solutions-là ou en tout cas beaucoup plus optimistes.
Un participant :
Je pense que, face à l’automobile, il y a quelque chose qu’il faut bien évaluer. Il y a un gros pouvoir d’attraction de la propriété sur le véhicule, la voiture n’est pas qu’un moyen de transport et c’est ça qui est difficile. Car on voit bien que sur les véhicules hybrides, on garde le problème et on change effectivement les gens par rapport à l’environnement, mais on garde le même outil. On ne prend pas le bus parce que c’est joli, on le prend parce qu’au mieux ce n’est pas cher et c’est pratique. Donc on ne peut pas changer cet effet de propriété avec les transports en commun. Après, je trouve qu’on créé des équilibres qui naissent de certains déséquilibres, notamment dans la réponse aux embouteillages par le fait de créer des grandes voies de circulation à l’extérieur des villes, ce qui renforce le fait d’avoir un véhicule et d’aller à l’écart des villes. Donc, à moins de créer des entrées de ville et des « intérieurs » de villes qui peuvent être traversées par des quatre voies – ce qui arrive dans de grandes métropoles – c’est un problème important. On peut prendre l’exemple de Toulouse où le périphérique est toujours bouché et à n’importe quelle heure. Il serait préférable d’utiliser les transports en communs dans ce cas-là. Cependant des solutions existent, comme de prendre son vélo dans le train, ou même dans le bus (exemple Tarnbus), il y a des gens qui se sont déjà adaptés.
Adrien BALOCCO (ancien étudiant de géographie du CUFR d’Albi) :
J’ai l’impression que l’on reproduit les mêmes problèmes de la voiture avec le métro ou le vélib. On n’arrive pas à sortir de ce problème de congestion. Quelle serait donc la solution pour ce genre de problème ?
Gabriel DUPUY :
L’économie et la gestion peuvent nous aider sur ce point là, nous, aménageurs. Les facteurs qui fabriquent, qui exploitent les modes de transports, résonnent autrement. Ils ne sont pas pour changer le modèle économique. Le principe de la voiture, qui est vendue chère à des gens, est une chose qui a fait ses preuves depuis un siècle et ces acteurs qui sont impliqués dans ce mode de transport ne sont pas pour le changement. Tant que ce modèle économique est encore soutenable pour eux, ils ne le lâcheront pas. Mais est-ce qu’au moment où tout sera embouteillé, où « ils auront le couteau sous la gorge », un changement sera remarquable ? Dans ces sociétés, des gens travaillent sur le futur mais ce changement n’est pas prêt d’arriver. Sur les autres modes de transports, il faut quand même voir que selon une étude, 50% des automobilistes seraient prêts à passer aux transports en commun si la performance en terme de trajet serait 1,5 fois supérieure à celle de la voiture, donc le challenge est quand même assez haut. Et sortir de l’automobile, c’est une affaire difficile et longue. Alors, encore une fois ce n’est pas impossible et irréaliste, mais d’ici 50 ans, qui est mon échelle de temps.
Un participant :
Alors effectivement, on est tous bien convaincus qu’il y a un problème d’acceptabilité du transport en commun, mais je dirai que l’acceptabilité en ce moment elle est très favorisée par la hausse du prix du carburant. En fait, on va redécouvrir un certain nombre de choses parce que nécessité fait loi. Les budgets ne sont pas extensibles et on peut sacrifier une partie de son budget-temps au budget tout court lorsque les enjeux sont clairement marqués. En matière de transport en commun et en matière de transport alternatif, au sens large, il me semble qu’on est dans une période laboratoire où – ici où là – naissent des initiatives qui sont parfois intéressantes, parfois moins intéressantes, qui portent parfois leur fruits, parfois pas. Pour prendre un exemple de réussite, une grande ville en France a décidé de faire une grande colonne vertébrale très cadencée et de mettre rapidement le long de cette colonne vertébrale de transport en commun, des lignes à rabattement qui, elles, font du cabotage local. L’idée principale au fond est de dire qu’à partir du moment où les gens auront la possibilité de traverser la ville rapidement et où on leur permettra, par un système adéquat, de rallier cette ligne, alors ils seront intéressés. L’argument central, c’est le temps de déplacement. D’autres systèmes expérimentaux, comme à Strasbourg, ont consistés à complexifier la circulation dans le centre-ville pour qu’un phénomène de dégoût pousse les gens à utiliser les moyens de transports en commun. On peut discuter du caractère de cette acceptation sociale, de ce type de mesure, mais ça fonctionne.
Un autre problème que l’on n’a pas abordé et qui pourtant me semble tout à fait central : aujourd’hui, on sait au travers d’études sérieuses que 80% des gens prennent leurs voitures et ne se posent même pas la question d’un mode de transport alternatif dès lors qu’ils sont certains de trouver une place de stationnement à l’arrivée. Pris à l’envers, lorsque les gens ne sont pas sûrs de trouver une place de stationnement à l’arrivée, ils se posent la question. Et dans la mesure où c’est intéressant, ils optent pour le mode de transport alternatif. En d’autres termes, c’est le principe de Malthus à l’envers, plus je crée de stationnement, plus je crée de voitures. Et inversement, plus je limite le stationnement, plus je diminue les voitures et donc la congestion. Tout ça n’est pas simple et s’articule, s’interpénètre et il y a vraiment des choses qui sont d’un degré de finesse qu’on a du mal à apprécier aujourd’hui car, encore une fois, il me semble qu’on est dans une période laboratoire ou chacun y va de son test.
Il y a parfois des expériences très heureuses et vous citiez le vélib’ parce que le vélib’ est devenu, maintenant, un nom commun. Mais la naissance du vélo en libre-service c’est Lyon qui l’a connue, avec une volonté politique forte mais peu d’arguments économiques et peu de moyens en face puisque c’est un grand publicitaire qui, au travers de son contrat, a eu à développer ce mode de déplacement. Ça a fonctionné à merveille alors que les gens étaient très dubitatifs sur les résultats à venir. Ça a été ensuite, à l’échelle des pratiques, étendu à toutes les autres grandes agglomérations françaises, européennes, voire du monde occidental. Il y a donc effectivement des choses dont on ne sait pas aujourd’hui quels sont les effets futurs, où dont on ne sait pas quel accueil elles vont avoir auprès des populations et il me semble qu’il y a là des gisements qu’on a du mal à imaginer ou du moins à projeter. Je salue votre exercice car projeter à 50 ans est une science éminemment dangereuse, donc ça a au moins le mérite de poser le débat et d’avancer.
Je voulais aussi rappeler que le transport en commun tel qui se pratique aujourd’hui en France ne fonctionne que sur la base de subventions colossales qui représentent toujours plus de 50% des coûts réels. Donc on est là dans un modèle économique qu’il va falloir explorer et, à un moment où à un autre, il faudra bien revenir à un équilibre qui va se faire forcément au détriment d’usagers par rapport à ce qu’on vit aujourd’hui.
Gabriel DUPUY :
Oui effectivement. Et la recomposition de la ville est une question clé même si on n’a pas de nouveaux modes de transports. Mais si il y a une recomposition urbaine sérieuse, ça impactera forcément les systèmes de mobilité. Il ne faut peut-être pas se focaliser sur les hypermarchés où sur tout ce qui se donne un peu comme centralité périurbaine. Ce qu’on observe et qui est beaucoup plus intéressant, c’est le développement de services à la personne dans le périurbain ordinaire dans le quartier, le lotissement x ou y. Par exemple, quelqu’un qui, dans son garage, installe un service de réparation informatique. Et donc les gens du quartier viennent, apportent leur ordinateur et le font réparer. Alors dans un premier temps il va s’installer dans son garage puis dans un deuxième temps, il va chercher à s’étendre un peu plus, donc il va peut-être prendre une maison qu’il va transformer etc. Et donc il y a beaucoup de choses qui se passent comme ça. Alors on n’a pas de mesures encore précises de ce que ça représente mais c’est considérable. Surtout, ça rejoint ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec une longueur d’avance. Le périurbain américain s’est déjà restructuré un peu de cette manière-là. Alors évidemment, il ne faut pas tout mélanger. Le centre-ville d’une ville américaine n’est pas du tout comme le centre-ville d’une ville française. Il faut faire attention à ces comparaisons. Mais en tout cas, on observe un petit peu sur le plan économique que cette offre de service de proximité est un peu comme un substitut à des déplacements multiples et longs. C’est quelque chose à observer de très près parce que car ce sont des petites choses mais sur 50 ans, ça peut en faire beaucoup. Peut-être que les grands centres commerciaux, les hypermarchés, auront disparu en 2050 et que ce que j’ai évoqué là, ça existera beaucoup plus puissamment.
Mathieu VIDAL (enseignant-chercheur en géographie au CUFR d’Albi) :
En terme d’expérience ou d’expérimentation on n’a pas parlé non plus des péages urbains ou de toutes ces choses qui se sont développées et qui peuvent mettre des barrières. Il y a aussi des voies rapides qui sont réservées aux voitures dans lesquelles il y a plus d’un passager, ça se fait en Amérique du Nord d’ailleurs, j’ai vu ça au Canada par exemple.
Gabriel DUPUY :
Et les systèmes de récompenses aux péages aussi que l’on donne à ceux qui acceptent de se déplacer en dehors des heures de pointes. On leur donne de l’argent. Alors ça, je ne sais plus si c’est en Suède ou au Danemark, mais ça marche extraordinairement bien. Les montants ne sont pas très élevés mais c’est la récompense au lieu de la punition.
Mathieu VIDAL :
Pour les transports en commun, ça se fait déjà depuis 2007, suite au grenelle. Il y a une prise en charge de la part de l’employeur de 50% du tarif mensuel du transport en commun.
Jean-Louis DARREON :
On pourrait se demander ce qui a influencé le déplacement. C’est peut-être aussi quelles vont être les fonctions de la ville. La ville, ce phénomène d’agglomération s’est créé autrefois parce qu’il y avait une unité de lieu, de travail, de consommation, de vie, de reproduction ou autre. Aujourd’hui, surtout dans les grandes métropoles, pourquoi va-t-on au centre-ville ? Qu’est-ce qu’on y fait ? C’est uniquement du symbole. On y va pour le théâtre, on y va parce qu’on est allé au centre-ville de Paris, mais on n’a même pas besoin d’y aller. Il y a des réponses de proximités qui existent. Il y a cette symbolique de la ville. A quoi va servir la ville ? Parce qu’il y a quand même un phénomène qui paraît inéluctable c’est l’accroissement des agglomérations à l’échelle mondiale, alors que, paradoxalement, les nouvelles technologies de l’information et de la communication permettent la dispersion totale.
Gabriel DUPUY :
Oui, l’aspect symbole, il ne faut pas le négliger car ça compte. Quand on regarde un samedi après-midi dans le centre d’une ville moyenne, ça grouille de gens, alors pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils vont trouver là qu’ils ne trouveraient pas ailleurs ? Ils ne vont pas reconstituer la ville du moyen âge qui fonctionnait par cette proximité-là, le centre a été fonctionnel pour ça. Maintenant, ce n’est pas ça, mais il faut regarder ce que les gens font, il y a quand même un peu de la mode qui passe à travers ça, il y a beaucoup de choses, des codes sociaux. On se fait voir, on est vu, tout ça, ça fonctionne.
Pauline ISMAILI (chargée de la prévention des déchets au Conseil Général du Tarn) :
Je pense que la notion de travail est indissociable de la notion déplacement, c’est vrai qu’on n’en a pas beaucoup parlé, mais c’est peut-être ce qui est le plus contraignant pour nous. Le travail en France est structuré de façon générale, de sorte qu’on ne puisse pas modifier sa façon de travailler, comme avec le télétravail ou d’autres façons de procéder, comme être moins contraint par les horaires.
Gabriel DUPUY :
Alors, vous avez parfaitement raison, mais il y a quand même, là aussi, des frémissements. Il y a quand même de plus en plus de gens qui travaillent à distance, y compris, en l’occurrence, chez un grand constructeur automobile qui a proposé à ses salariés de rester chez eux. Ce n’est pas par philanthropie, c’est simplement parce que les bureaux coûtent cher. Il y a toute sorte de télétravail, certains restent tout le temps chez eux alors que d’autres ne le font que quelques jours par semaine et partagent le bureau avec quelqu’un d’autre pour optimiser. Donc c’est aussi une externalisation de la part des entreprises. Au lieu d’avoir un salarié, on n’a pas de salarié, on a quelqu’un qui a créé sa boite individuelle et qui fournit un service à l’entreprise. Au total il y a moins de déplacements.
Adrien BALOCCO :
Sur les formes de déplacement, 40% des déplacements sont liés au travail, tout le reste c’est pour les loisirs. Donc si on prend la problématique des déplacements pour le travail on se trompe. Nous sommes dans des mobilités zigzagantes : on va chez soi, on amène les enfants à l’école, on va chercher le pain, on retourne au travail etc. Ce sont ces mobilités qui sont problématiques sur le territoire et qui congestionnent le plus.
Gabriel DUPUY :
Oui, sauf que la partie qui ne correspond pas au travail, il ne faut pas appeler ça des loisirs. Ce sont par exemple beaucoup de rendez-vous médicaux pour nous, les enfants. Alors ça, ça crée un nombre incalculable de déplacements dont on n’en voit pas la limite. La partie strictement loisirs est beaucoup moins importante que ce qu’on croit. Le temps libre est celui où l’on n’est pas contraint.
(Première publication le 13 mars 2012, à l’url http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=2393)