Cafés Géographiques de Paris
Repas cacher du 3 avril 2012
animé par le Grand Rabbin Korsia
au Restaurant Kavod
26, rue Jean-Mermoz 75008 PARIS
Michèle Sivignon nous dit qu’en cherchant un restaurant cacher elle avait d’abord pensé à un restaurant ashkénaze (cuisine d’Europe Centrale) ou séfarade (Maghreb). Elle a découvert qu’à Paris les restaurants cacher pouvaient être japonais, thaï, italien, indien, mexicain ou … français comme celui qui a finalement été choisi. Le terme cacher n’a rien à voir avec le style de cuisine mais seulement avec des interdits et des prescriptions rituelles, toujours référencées par rapport à la Bible. C’est le centre de l’argumentation du Grand Rabbin Korsia qui a animé notre repas. Il fut rabbin à Reims. Il est aujourd’hui aumônier de l’armée de l’air.
Le rôle central du repas
Tout commence avec la faute originelle. Adam et Eve sont chassés du paradis terrestre. Dieu dit à Adam : « Des ronces et des épines tu mangeras. A la sueur de ton front tu mangeras le pain». Adam ne veut pas manger des ronces comme les bêtes : il doit donc travailler la terre : la nourriture n’est plus seulement une cueillette : elle vient du travail des hommes. Le travail n’est donc pas une malédiction mais une bénédiction.
Le repas joue un rôle central : manger est un acte social avant d’être nutritionnel. La nourriture est essentielle : toutes les fêtes sont liées à la nourriture, y compris le jeûne, et le repas est pris en commun. Il n’y a de bénédiction que dans le partage de la nourriture.
Le repas est conclu par une bénédiction où on rend grâce à Dieu que si l’on est rassasié.
Le repas comporte toujours du sel dans lequel on trempe le pain pour associer le travail des hommes et le don de Dieu. La viande est un peu plus salée car on rajoute du sel pour absorber le sang avant de rincer le tout. Le but est de ne pas consommer du sang autant que possible.
Manger kasher : licite et illicite
Manger kasher demande de déterminer la limite entre le licite et l’illicite. La prohibition du mélange entre les espèces suppose que l’on ait défini les critères de différenciation au préalable. Ce qui permet d’éviter le risque de confusion des espèces, ce qui est proscrit.
Tous les végétaux sont licites.
Pour la viande des mammifères, mais seuls les mammifères ruminants et qui ont des sabots fendus sont autorisés: ovins, bovins. Sont interdits les animaux carnivores. Le porc, le cheval, le lapin sont interdits.
Tous les animaux que l’on mange doivent être vidés de leur sang : « Le sang, c’est l’âme ». Le sacrificateur ne doit pas faire souffrir l’animal. Son couteau doit être parfaitement aiguisé et pas ébréché.
On essaie de dissimuler le sang des animaux sauvages (par exemple le cerf) : on le recouvre de terre là où on saigne l’animal ou encore sur des copeaux de bois par exemple, par respect pour son être vivant et pour la liberté de l’animal. L’animal ne doit pas être tué par balles : il ne doit absolument pas souffrir. L’étourdissement est une escroquerie intellectuelle dit le rabbin, car c’est déjà le mettre à mort. Il ne faut pas qu’il y ait pression sur l’animal car il ne doit pas souffrir. On fait même attention à respecter une forme de pitié dans l’acte d’abattage puisque, par exemple : « Tu ne tueras pas le même jour un animal et son enfant. »
On ne mange pas les parties arrières de l’animal car lors du combat de Jacob avec l’ange, Jacob fut touché au nerf sciatique.
Pour les oiseaux, on se limite aux oiseaux de basse-cour, domestiqués : pas d’oiseaux sauvages, ni d’oiseaux rapaces (nécrophages), ni de produits de la chasse, car alors les animaux ne sont pas sacrifiés dans les règles. On ne mange pas d’insectes.
Les animaux des mers, des lacs et des cours d’eau doivent posséder des nageoires et des écailles et vivre dans l’eau. On ne mange pas les anguilles ni les requins ou la lotte (qui ne sont pas pourvus d’écailles). Ni non plus d’une manière générale les crustacés, les fruits de mer. Ni non plus aucun animal vivant.
Au moment de la vache folle, on avait donné à manger aux ruminants des farines animales, signe de la confusion proscrite.
A l’origine, l’homme est végétarien: il ne tue pas pour manger. Tuer pour manger n’est pas anodin. Un modèle parfait est celui du jardin d’Eden.
On ne mélange jamais la viande et le poisson, ni le lait et la viande. Le lait représente la vie, la viande, la mort. « Tu ne feras pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère. » (Exode, XIII, 19).
Par commodité, il existe des restaurants kasher spécialisés soit en viande soit en lait. Il est impossible de faire dans le même établissement les deux cuisines, qui nécessitent une vaisselle et des récipients uniquement consacrés à chacun de ces deux usages. Un restaurant spécialisé en viande ne servira pas de fromage.
D’où la nécessité d’avoir à la maison des vaisselles différentes selon les aliments : une pour la viande, l’autre pour les laitages. Il s’agit toujours de l’effort de distinction des choses et du refus du mélange et de l’indistinction.
Le vin doit être kasher, ce qui n’a pas de rapport avec le procédé de fabrication mais signifie que son processus d’élaboration doit être suivi par un religieux du début à la fin.
Les vêtements
Les vêtements doivent eux aussi échapper au mélange des genres : une femme ne s’habille pas avec des vêtements d’homme. La prohibition va plus loin : un vêtement ne doit pas mélanger du lin et de la laine. D’autres mélanges sont licites mais pas celui-ci, comme pour redire notre refus de mélanger le règne végétal et le règne animal.
Les fêtes et les aliments consommés
A chaque fête est associé un repas dont la composition, très encadrée, est la traduction de ce dont on se remémore.
Pour Pessah, la Pâque juive, semaine sans pain : on mange du pain azyme. Le pain azyme sans levain (matza) rappelle les galettes qui n’avaient pas eu le temps de lever lors du départ précipité des Juifs d’Egypte (l’hostie des chrétiens en est issue). Les herbes amères consommées la veille (le raifort ou le céleri), un œuf trempé dans de la cendre – signe de deuil – rappellent la captivité des Juifs. La viande de Pâques symbolise la joie de la liberté retrouvée et l’agneau pascal.
Pentecôte : don de la Torah au pied du mont Sinaï : on ne mange que des laitages, dont la saveur évoque la loi, qui doit être, comme le lait, la première nourriture de l’homme. Donc des laitages et pâtisserie, pas de viande
Au Nouvel An, on mange des aliments sucrés, pour que l’année soit douce et féconde : pomme au miel, grenade : ce fruit signifie la multiplication des bienfaits par ses milliers de grains. La grenade (un fruit qui a de nombreux mérites) peut être accompagnée de fleur d’oranger et de sucre.
Le Grand Pardon est un jeûne entouré de deux repas.
Pour Hanoukka, la fête des lumières, les beignets frits dans l’huile rappellent un miracle : l’histoire des Maccabées qui avaient découvert une fiole d’huile qui illumina le temple durant huit jours alors qu’elle ne devait durer qu’un jour.
Pour la fête de Pourim : des gâteaux et…du vin, beaucoup de vin. Esther, l’héroïne, est symbolisée par des gâteaux de couleur blanche, alors que des gâteaux en forme d’oreille rappellent le méchant, Aman. On donne à manger aux autres, aux amis, aux voisins et on offre deux nourritures à chacun. Le mot « copain » vient de com-pain, qui signifie « partager le pain ».
Il n’existe pas une mais des cuisines juives, adaptées à chaque tradition culinaire.
Le Talmud nous dit « Sors et apprend ». Ce midi, nous avons retrouvé le souffle de la parole talmudique en sortant de nos habitudes et en apprenant.
Bibliographie
Lily Scherr, Les cuisines juives, in Cuisines d’Orient et d’ailleurs, traditions culinaires des peuples du monde, sous la direction de Michel Aufray et de Michel Perret, Glénat et Langues’O, 1995, 343 p., pp. 57-60.
Compte-rendu : Michel Giraud, Michel et Michèle Sivignon et Maryse Verfaillie.