Mercredi 23 mars 2016
Avec Pierre de VIZCAYA
Au restaurant Mi Ranchito Paisa 37 rue Montholon 75009 Paris
Pierre de Vizcaya est né au Panama puis a vécu à Cali en Colombie toute sa jeunesse. Il a accepté de nous parler de son pays d’origine et de sa cuisine.
La Colombie
La Colombie, ainsi baptisée en souvenir du découvreur des Amériques, présente l’une des plus étonnantes mosaïques de milieux naturels que l’on puisse trouver dans un ensemble andin pourtant riche en contrastes. Elle est, par son relief, la plus fragmentée des républiques andines : les Andes se divisent en trois branches principales, qui enserrent de grandes vallées, celles du Magdalena et du Cauca. Pourtant, les montagnes n’occupent même pas le tiers de la surface totale.
Elle se situe au nord de l’Amérique du Sud et dispose de deux façades maritimes : l’une au nord sur la mer des Caraïbes, l’autre, à l’ouest, sur le Pacifique.
Par son climat, la Colombie, traversée au sud par l’équateur , appartient à la zone tropicale humide, qui détermine ses possibilités agricoles, compte tenu de la variété induite par les contrastes d’altitude.
La Colombie, superficie : 1 138 914 kilomètres carrés, population : 48 millions, villes principales : Bogota (Capitale), Medellin, Cali, Cartagena est divisée en 5 zones géographiques :
- La région caraïbe : qui comprend le désert côtier de la Guajira, les neiges permanentes de la Sierra Nevada de Santa Marta( 5730 m), des marécages et plaines, plages de sable blanc et eaux cristallines, jungle et végétation tropicale
- La région andine : la cordillère des Andes se divise ici en trois chaînes (la cordillère Occidentale, la cordillère Centrale et la cordillère Orientale) qui s’étendent du sud au nord du pays, en formant une topographie accidentée avec des cimes enneigées (5439 m. au SE de Cali, 5430 m à l’ouest de Bogota) des paysages de páramos (zones élevées humides et froides), de vastes haut-plateaux, de profonds canyons et des vallées étendues. C’est ici que se situe la principale région de la culture du café : el Eje Cafetero.
- La région de l’Orenoque : vaste plaine (les Llanos) sillonnée par de nombreux cours d’eau affluents de l’Orénoque qui fait frontière avec le Venezuela.
- La région amazonienne : d’une superficie de 480 000 km2, l’Amazonie colombienne (frontière avec le Brésil et le Pérou) se caractérise par son accès au fleuve Amazone et ses sites naturels protégés.
- La région pacifique : avec son relief montagneux, la côte Pacifique est particulièrement arrosée et bénéficie d’une grande biodiversité : nombreux oiseaux, baleines à bosse, sanctuaire sous-marin…
La configuration géographique de la Colombie rend les transports routiers très difficiles et le franchissement de la cordillère augmente les temps de transport. En Colombie on n’indique pas la distance en kilomètres entre deux points mais le temps nécessaire pour les relier : pour aller de Cali à Bogotá (470 Km) il faut 9h en traversant la cordillère Centrale puis escaladant la cordillère Orientale. De Cali à Buenaventura (130 Km) il faut 4h en traversant la cordillère Occidentale.
Ces difficultés empêchent très souvent la délocalisation des denrées qui sont donc consommées sur place. C’est ainsi que l’on ne trouve que très rarement du poisson de mer à l’intérieur du pays.
Histoire de la cuisine colombienne
L’histoire de la cuisine colombienne est un métissage entre les traditions culinaires autochtones des Indiens et celles importées par les Espagnols et les esclaves africains. Tant au point de vue des ingrédients, des ustensiles et des modes de cuisson et de la manière de consommer les aliments.
- L’apport des Indiens
Les habitants préhispaniques étaient à ce moment les MUISCAS de la famille des CHIBCHAS. Dans les hauteurs (Páramos) ils cultivaient des tubercules. Dans les vallées inter andines ils se spécialisaient dans la culture du maïs et la pomme de terre. Dans les zones de climat tempéré ils plantaient aussi du maïs, manioc, patates douces (batata), ahuyama (sorte de potiron), pommes de terre et des arbres fruitiers.
- Les produits végétaux
Les tubercules étaient à la base du régime alimentaire de cette société agricole. Le conquistador Gonzalo Jiménez de Quesada mentionne dans un document du milieu du XVI siècle la présence de navets (cubios) utilisés dans des ragouts. Dans les régions plus froides on utilisait des « ullucos » (sorte de pomme de terre) petits, ronds assez amers ainsi que les « ibias » (Oxalis tuberosa) sucrée et riche en amidon. La pomme de terre était fondamentale dans leur alimentation (aujourd’hui encore elle est très importante et on utilise beaucoup de variétés). On plantait dans les terres un peu plus froides de l’ « arracacha » (Arracacia xanthorrhiza) ou pomme de terre, du céleri et du manioc.
Ils consommaient également des fruits tels que la « curuba » (sorte de fruit de la passion), fruits de la passion, mamey (Pouteria sapota), goyave, papaye, ananas et avocats.
Comme boisson ils utilisaient des jus de fruits et chicha (alcool) obtenu à partir de maïs ou du manioc.
Le maïs et le manioc sont la base de l’alimentation des Indiens. Le quinoa représentait une source de protéines végétales. L’ají (piment) et le sel étaient utilisés comme produits d’échange.
- Les protéines animales
Les Indiens chassaient des cerfs, rats, lapins, pécaris (sorte de petit cochon), des belettes ou des oiseaux. L’Amérique précolombienne a domestiqué le lama et le chien, ainsi que le cobaye, le dindon, le canard de Barbarie. Les Indiens pratiquaient la pêche.
- L’apport des Espagnols
D’après des manifestes de chargement des bateaux les Espagnols ont apporté riz, viande salée, biscuits, pois chiches, fèves, lentilles, thon, ail, câpres, amandes, huile, vin, fromages et olives. Ils ont aussi apporté du blé, du sucre, différentes viandes, laitues et choux. Beaucoup de ces denrées ont été ensuite cultivées sur place. Peu à peu les habitudes alimentaires commencèrent à évoluer. Avec les Espagnols sont arrivés les mammifères domestiqués en Europe (chevaux, bovins, chèvres, moutons, porcs).
- L’apport des Africains
Les esclaves ont apporté des techniques de cuisson et de préparation que l’on trouve dans la cuisine de l’Atlantique et du Pacifique.
Le métissage culinaire a eu lieu lorsque les conquistadores se sont vus obligés de consommer les aliments des Indiens et quand ces derniers ont découvert les mets apportés par les Espagnols.
Le climat et la géographie américaine ont eu une influence importante car les Espagnols étaient habitués à manger différemment en fonction des saisons. De leur côté les Indiens ont commencé à introduire dans leur régime alimentaire la viande bovine et ovine ainsi que le pain.
Les Espagnols considéraient les tâches ménagères comme dégradantes, spécialement celles liées à la préparation des repas. Les femmes indiennes et africaines furent chargées de ces tâches introduisant ainsi leurs us et coutumes alimentaires.
La diffusion des nouveaux aliments fut différente selon les régions et les époques. Les indigènes ont continué avec leurs habitudes alimentaires en intégrant l’oignon, l’ail et le chou. Curieusement l’huile d’olive et le vin, qui ne sont pas produits sur place, tout comme les céréales panifiables, n’ont pas réussi à faire partie de l’alimentation quotidienne.
A la fin du 18ème siècle les autochtones conservaient encore leur alimentation traditionnelle mais avec beaucoup de difficultés car ils étaient en minorité et leurs plantations étaient fréquemment détruites par le bétail des Espagnols ou bien ils étaient chassés de leurs terres.
En Colombie il existe une grande variété de plats, résultat du métissage gastronomique. Par exemple le «tamal » à l’origine constitué uniquement de pâte de maïs, farci maintenant de petits pois et poulet ou boeuf, l’ « Ajiaco » soupe de pommes de terre et épis de maïs, agrémenté aujourd’hui de poulet, crème et câpres. El Sancocho (sorte de pot au feu qui cuit des heures au feu de bois) est un mélange de produits espagnols (viande, poulet, riz, coriandre) et indigènes (manioc, plantain, maïs et avocat).
Ces transformations ont donné naissance à une nouvelle société, avec de nouvelles pratiques alimentaires, entraînant la disparition presque totale des us et coutumes culinaires des autochtones.
Le repas proposé ce 23 mars aux participants :
Assiette « Descubriendo » Pierre de Vizcaya nous explique que cette assiette est un condensé de la gastronomie colombienne avec :
- Empanada: Petit chausson frit de maïs farci de divers mélanges de pomme de terre, viande, légumes… Bien que l’on en trouve toute l’année elle est considérée comme un plat de Noël. Sans doute une variante des chaussons que l’on trouve dans tout le bassin méditerranéen mais dont la pâte est à base de farine de blé.
- Haricots rouges: Considérés comme un produit basique de l’économie paysanne, riche en protéines. Ils se consomment avec le riz et l’arepa (galette de maïs) ce qui a sa raison d’être puisque ces produits sont complémentaires et augmentent l’assimilation des protéines végétales. Ils sont originaires du Mexique.
- Chicharrón (couenne de porc avec lard ,bouillie puis frite),
- Patacón (tronçon de banane plantain vert frite puis aplatie et frite une 2ème fois),
- Guacamole (Avocat écrasé). En Colombie on consomme l’avocat froid coupé en 2 ou en quartiers. Il accompagne presque tous les repas.
- Riz: Il est de grande importance dans l’alimentation colombienne. Sur la côte atlantique on l’utilise souvent avec la noix de coco.
- Yuca Frita(manioc frit). Tubercule cultivé par l’ensemble de la population indigène. On l’utilise dans les soupes. On en fait aussi du pain et des gâteaux.
- Carne desmechada. Poitrine de bœuf effilochée.
- Salade.
Les desserts:
- Torta Casera (Tarte maison à l’ananas et coco avec une boule de glace),
- Tres Leches «con pasión» (Le dessert se nomme ainsi car il comporte du lait, de la crème et du lait condensé en plus du fruit de la passion)
Et les boissons : Le repas colombien est le plus souvent accompagné exclusivement de jus de fruits et d’eau. Boire du vin est très exceptionnel et réservé à la bourgeoisie. 5 jus de fruits différents sont proposés :
- guanábana (corrosol ou anone). On trouve ce fruit chez les épiciers chinois
- mûre,
- lulo (narangille). C’est peut-être le jus de fruit préféré des Colombiens. Très difficile de le trouver en France. La plante (morelle de Quito) est une solanacée , voisine de la tomate.
- mangue,
- maracuyá (fruit de la passion).
Repas pour les occasions spéciales
Pierre de Vizcaya nous décrit ci-dessous les repas servis dans des occasions spéciales : En effet les Colombiens aiment se réunir nombreux avec leur famille et amis autour de mets variés, boissons, musique et chants. Ces réunions sont très chaleureuses, conviviales et peuvent durer tard dans la nuit, voire plusieurs jours. Voici quelques exemples de repas lors de ces réunions.
En plein air : Ternera o Mamona a la Llanera
A la « finca » (maison de campagne ou ferme familiale) il est courant de faire cuire de grandes quantités de viande au feu de bois : du veau de six mois qui tête encore. Cette habitude vient de la région de « los llanos », vastes plaines herbeuses situées au nord-ouest de la Colombie où on pratique l’élevage bovin de façon extensive. On abat un veau de 6 mois, on le découpe en grands quartiers. On sale et laisse reposer quelques heures. La viande est enfilée dans des grands pics qui sont plantés en cercle autour d’un grand feu de bois. On surveille la cuisson en arrosant abondamment de bière en tournant les piquets. Une fois la viande cuite on la dépose sur des grandes tables recouvertes de feuilles de bananier pour la découper. Elle est accompagnée d’épis de maïs, pommes de terre et manioc frit. On boit allègrement de la bière et de l’ « aguardiente » (alcool de canne à sucre anisé) pendant que des musiciens jouent à la guitare en chantant des chansons populaires.
Week-end à Bogota : l’Ajiaco
L’Ajiaco genre de pot-au-feu comporte plusieurs variétés de pomme de terre : la « sabanera » de la Sabána, la « paramuna » del Páramo y la « criolla » plus petite. Le goût est donné par la « guasca », herbe d’origine préhispanique. Elle est servie avec, des épis de maïs, de l’avocat, poulet, câpres, crème et pain. Excellent pour les climats froids !
Week-end à Cali : Sancocho
La tradition du dimanche à Cali consiste à visiter une « sancochería » en dehors de la ville. La matrone en charge demande à un enfant de lui apporter l’une des grosses poules qui gambadent dans le champ voisin. Quelques minutes plus tard l’enfant revient essoufflé et tend la poule. La matrone s’en saisit et d’un geste expert la retourne et souffle sur les plumes autour de l’anus. Si celui-ci est jaune la poule est grasse et bonne à cuire. Dans le cas contraire l’enfant reprend sa course ! Le sancocho est un genre de poule au pot qui cuit des heures sur un feu de bois. Là encore c’est l’herbe « cilantro cimarrón » (sorte de coriandre fraiche) qui lui donne son goût particulier.
Il comporte des tomates, oignon de pays, banane plantain vert, pommes de terre, manioc, épis de maïs et la poule. On sert le bouillon dans lequel chacun ajoute les ingrédients de son choix. Du riz et des avocats sont également mis à disposition. Excellent pour les climats chauds !
El Ají Pique
Cette sauce est l’arme secrète du goût de la nourriture dans certaines régions de Colombie. Indispensable ! Elle accompagne empanadas, sancocho, viandes, poissons et bandeja paisa. Elle est plus ou moins piquante selon la quantité d’ « ají » (piment) que l’on utilise. L’ajipique se compose de :
Ají, oignons de pays, oignons blancs, tomates, citrons, beaucoup de coriandre fraîche le tout haché très fin. Eau, huile sel. Laisser macérer quelques heures.
Pour Navidad (Noël)
Tamal (El Tamal no está mal!)
C’est une papillote dans de feuilles de maïs ou de bananier.
Farine de maïs avec de la graisse de porc pour obtenir une pâte. On ajoute des petits pois, de la viande de porc ou poulet, pommes de terre, tomates, riz, oignon, ail et œufs durs. On dispose ces éléments déjà cuits sur une feuille de bananier ou de maïs que l’on replie et on ficelle solidement le tout pour que l’eau ne pénètre pas. On place les tamales dans une marmite de bouillon tapissée de feuilles de bananier pour qu’ils n’attachent pas et on fait cuire de 3 à 4 heures.
La nouvelle cuisine
La cuisine colombienne évolue et sort des sentiers traditionnels en s’ouvrant vers une cuisine de « fusión » où l’on incorpore des saveurs venues d’ailleurs.
A titre d’exemple voici un extrait de la carte du restaurant Platillos Voladores (Les Plats volants) (Ne pas confondre avec les OVNI) Restaurant à Cali dirigé par la chef Vicky Acosta originaire de Cartagena, sur la côte caraïbe au nord de la Colombie. Elle a obtenu plusieurs distinctions gastronomiques, notamment pour sa cuisine inspirée de la côte Pacifique à l’est de la Colombie.
http://www.platillosvoladores.com/
Pour aller plus loin :
- Carl Henrik LANGEBAEK « Mercados, poblamiento e integración étnica entre los Muiscas. Siglo XVI », edición del Banco de la República.1987. Bogotá.
- ORDOÑEZ, Caicedo Carlos. Cocina básica colombiana. Grupo Editorial Norma.2005. Bogotá
- http://www.historiacocina.com/es/gastronomia-por-paises/colombia
- http://www.historiacocina.com/gastronomia/colombia.htm
- http://www.voyage-colombie.com/guide-colombie
Compte rendu rédigé par Pierre de Vizcaya