Association des Cafés Géographiques, Repas malgache du 9 décembre 2014, au restaurant Le Lémurien 5 Rue Sadi Carnot à Montrouge Repas animé et commenté par Françoise Raison-Jourde.
Françoise Raison-Jourde est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris VII, spécialiste de l‘histoire de Madagascar. Les repas géo et leurs fidèles ont pu bénéficier de la présence et du savoir de Françoise Raison qu’accompagnait notre collègue géographe Jean-Pierre Raison. Tous deux ont vécu à Madagascar avec leur famille pendant huit ans.
Sans vouloir rentrer dans l’histoire détaillée de Madagascar, Françoise Raison rappelle que la communauté dominante, celle des Merina des Hautes Terres, s’est constituée à partir de 1500 et a peu à peu conquis une large partie des côtes. Un royaume aux structures précocement modernisées, aux élites christianisées, a été reconnu à l’extérieur au XIXe siècle, a entretenu des relations diplomatiques suivies (en particulier avec la Grande-Bretagne et la France). Il a finalement été colonisé par la France en 1895, jusqu’à l’indépendance acquise en 1960, après des soulèvements contre le colonisateur dont le principal est celui de 1947.
Sur les côtes, d’autres populations (dont les Sakalavas, à l’Ouest) ont construit des royaumes sur la base du contact commercial avec les marchands arabes, perses, indiens, ou avec les traitants des îles Mascareignes.
Quoiqu’on ait trouvé des témoignages archéologiques plus anciens de présence humaine, l’épisode de peuplement principal se situe au IXe siècle de notre ère, probablement à partir de l’Insulinde. Il en reste la langue, d’origine malayo-polynésienne, qui, fait exceptionnel, est parlé et comprise dans toute l’île, et constitue le témoignage le plus incontestable de l’unité de civilisation et un avantage politique et culturel déterminant.
Les entrées : accompagnés de rougaïe qui est supposé « alléger et rafraîchir » : tomates, oignons verts, gingembre, ail, sel, huile coupés fins, on mange un sambos (identique au samoussa indien), feuilleté à la viande et au piment coupés finement ; un beignet de langoustine et un autre de brèdes.
Les brèdes sont de divers types : douces (anamany ou brèdes morelle) ou encore piquantes : mafana qui « chauffent la bouche ». On retrouve les brèdes dans tout l’Océan Indien y compris en Inde du sud. Comme on en trouve aussi dans le nord-est du Brésil (Etat de Para), on suppose que les Portugais en furent les vecteurs.
Le cœur du repas est composé de deux plats : le Romazava (Ro=bouillon Mazava=clair). Bouillon clair avec viande de bœuf et/ou de porc, gingembre, oignons et brèdes et le Hena Ritra (textuellement : viande dont l’eau s’est évaporée) cette viande grasse, persillée de zébu a cuit dans son jus pendant longtemps à feu très doux, accompagnée d’achards (voir recette à la fin) et bien sûr de riz blanc.
La viande de zébu est centrale pour tout repas de cérémonie : fête royale annuelle du Bain qui ouvre l’année astrologique, avec consommation d’un confit de viande de zébus, mariages etc. Elle tient une place centrale pour le famadihana (changement de linceul des morts) qui se pratique régulièrement dans les villages des Hautes Terres du centre. Souvent une fille est envoyée à la capitale pour se louer comme servante afin de rassembler l’argent nécessaire. A cette occasion la famille sacrifie un zébu, ou un porc. Tout sera consommé en deux jours par les 100 ou 200 personnes invitées. Mais celles-ci auront apporté une contribution en argent et en riz ! La viande doit être grasse, très grasse, car il n’y a presque pas d’huile dans les campagnes. Une tranche de porc suppose plusieurs centimètres de gras et juste un petit morceau de viande maigre. Dans le poulet le croupion parce qu’il est gras est un morceau de choix. La viande peut être aussi boucanée : un régal. Françoise a découvert tardivement le varanga de zébu (dans le paleron) ou de canard très cuit, effiloché à la fourchette en fibres très minces qui passées au four très chaud, croustillent.
Le repas quotidien du Malgache n’est pas carné. On consomme une énorme quantité de riz qu’on estimait, en 1970, à 450gr par habitant et par jour. Le voyageur s’en rend compte en fréquentant les hotely. Ce sont des gargotes échelonnées le long des routes à l’entrée des villes ou villages. Les gens se succèdent rapidement, servis très vite. Le menu est simple : riz poulet en sauce, riz bœuf sauce, riz ravintoto : des feuilles de manioc pilées, un monticule de riz bombé et un petit morceau de porc très gras. On ne mélange pas le riz et la viande dans l’assiette, le riz est toujours hautement respecté.
Adhérents des Cafés Géo attentifs et satisfaits au restaurant malgache Le Lémurien
(Clichés : Jean-Pierre Némirowsky)
Le riz est idéalement consommé lors de chacun des trois repas, le varisosoa, allongé d’eau qui passe plus facilement le matin, puis riz sec à midi et le soir. Pour le chercheur étranger (Jean-Pierre Raison, en l’occurrence)le riz est une épreuve initiatique, on lui en servait une énorme cuvette cuit sans sauce, au petit déjeuner. Il fallait finir le plat. Il y a plusieurs espèces de riz selon le mode de culture : riz rouge sur brûlis de la côte est d’origine indonésienne, riz pluvial et riz de rizières inondées. Le riz a historiquement été une plante socialisante et agrégative, encouragée par le souverain : le travail en commun sur les digues et diguettes, leur surveillance, crée une solidarité entre les groupes. Françoise cite les déclarations tirées des discours de mise au travail collectif du souverain hydraulicien Andrianampoinimerina (fin du XVIIIe siècle) : « Le riz et moi nous sommes un», « Il n’y a personne qui soit mon égal mais le riz est mon égal », « La mer est la limite de ma rizière ». Quand en 1890 les digues cèdent, c’est le signe d’une crise politique majeure, un prélude à la conquête.
Jusqu’à nos jours chaque crise politique amène une spéculation sur le riz et des risques de disette. Les Malgaches mangeaient, dans les années 1960-70, deux fois plus de riz que les Vietnamiens. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Le morcellement des exploitations entre héritiers et l’attachement de chacun à la rizière de ses ancêtres, la quasi impossibilité de déplacer les tombeaux (des caveaux de pierre très vastes construits sur ces terres), tout cela ne permet pas une croissance de la production en relation avec l’augmentation très rapide de la population (5 millions en 1960 et 23 Millions aujourd’hui). Cette situation de petit paysannat enraciné est un des facteurs de la décision gouvernementale (sous la présidence de Ravalomanana) de louer des terres à des sociétés coréennes ou indiennes sur le pourtour peu peuplé des Hautes Terres. Mouvement ralenti par les réactions hostiles. L’urbanisation des rizières autour de la capitale pose un problème d’approvisionnement. Localement plusieurs fois la famine a frappé. Sous le gouvernement de Ratsiraka la situation économique est devenue désastreuse, routes défoncées, transport du riz impossible. On envoyait les enfants à la campagne pour qu’ils ne meurent pas de faim. En 1985 la situation était terrible. Voir le texte ci-dessous.
Les tubercules et légumes . Parmi les plantes tropicales : la banane plantain est cuite, séchée au four, fumée. Le taro, excellent pour la soupe, est planté dans des trous fumés. Le manioc qui peut être consommé sans préparatifs préalables est arrivé au XVIIIe siècle d’Afrique, probablement introduit par les Portugais. On trouve aussi la patate douce et l’igname. Les tubercules beaucoup plus nombreux et variés jadis, sont classés en deux catégorie génériques : les blancs (le riz essentiellement, nourriture venue du ciel dans les mythes d’origine) et les noirs, couleur de la terre. Ces deux couleurs peuvent être mises en correspondance avec le phénomène de double hiérarchie sociale, très bien décrite au XVIIe siècle par Flacourt pour le Sud de Madagascar : les « Blancs » venus de l’extérieur et les « Noirs » autochtones liés à la terre, couleurs dans ce cas symboliques.
Retour aux desserts. En fait les repas malgaches en comportent peu. Pour nous salade de fruits ou beignets de banane. Presque tous les fruits tempérés poussent en altitude à Madagascar sauf la cerise et les fruits rouges. Il y a tous les fruits tropicaux, la banane fruit de petite taille est excellente.
Les boissons. La plus courante et la plus saine est la ranovola, ou eau d’argent. On laisse griller la croûte de riz au fond de la marmite où il a cuit à l’étouffée, on verse alors de l’eau, on obtient une eau maltée, bouillie donc saine et désaltérante (on trouvera sur le document où figure la carte une « ode au ranovola »). Il y a eu des essais d’amélioration de vignobles déjà existants par des coopérants suisses vers 1975-80 avec de très bons résultats, mais la qualité du vin s’est dégradée après leur départ, tandis que l’Afrique du sud exportait massivement vers Madagascar.
La boisson la plus répandue est la bière. On a pu consommer de la THB Three Horses Beer, bière locale fondée en 1960, souvent trop chère pour les locaux.
Le toaka gasy est un alcool artisanal produit sur les lisières des forêts de l’Est fait de canne à sucre, herbes, feuilles de la forêt. Il peut être excellent ou un poison ! Le rhum est présent dans toutes les épiceries. Il a été introduit au XIXe siècle par les Mauriciens comme monnaie d’échange. Françoise Raison lors d’une enquête de terrain a subi un repas entièrement arrosé de rhum. Il a aussi été un coupe-faim dans les phases de sous-alimentation de la deuxième République. Quand on allait s’approvisionner on plaisantait à mots couverts : « Je vais à la pharmacie de garde ! » Il a cédé aujourd’hui sa place dans la bourgeoisie au whisky, consommé en quantités sidérantes par la classe politique. L’approvisionnement en eau est devenu un problème redoutable dans la capitale. Il l’a toujours été dans le Sud subdésertique. On parcourt des distances considérables pour trouver de l’eau. Il y a eu des cas où un litre d’eau se vendait le prix d’un kilo de poisson. Le riz ne pouvant non plus y être produit, le Sud est déshérité.
Manière de vivre dans les maisons et manières de table. Quand Jean-Pierre Raison était sur son terrain de thèse et entrait dans une maison paysanne, il se plaçait au sud où normalement se trouvent les serviteurs et les esclaves. On l’invitait alors à se placer sur une chaise au nord qui est la direction du pouvoir. Les autres étaient assis par terre. Situation délicate ! Dès l’enfance, les gens sont habitués à se placer dans un espace orienté, à haute valeur symbolique. A ce propos Françoise Raison nous présente le récit d’un repas pris en 1869, par le voyageur français Alfred Grandidier chez un commandant de poste militaire merina à une centaine de km de Majunga, récit qui souligne la place de chacun.
Enfin durant le XIXe siècle, après une phase où les codes britanniques incarnés par des missionnaires maîtres d’école et par des diplomates étaient dominants (toasts par exemple), l’influence culinaire française se manifeste au moins dans les repas officiels. On s’amusera à retrouver à travers leur transcription par un cuisinier sans doute créole, des classiques de la cuisine française dans les 55 plats servis en 1892 lors du repas de mariage du petit- fils du Premier Ministre, Ratelifera.
Si les Anglais ont beaucoup influencé la culture des élites, avec leur conception de la maison nouvelle ou celle du repos total du Sabbath, les Créoles des Mascareignes ont apporté dance, musique, couture et recettes de cuisine. En voici la preuve et de l’aide pour ceux qui peineraient.
Transcription du menu du repas de mariage :
1 Bifteck. 2 Omelette. 3 Côtelette. 4 Beignet de cervelle. 5 Roastbeef. 6 Poulet au champagne. 8 Pigeon aux petits pois. 9 Poulet avec jardinière de légumes. 10 ? 11 Daube. 12 Choux farci. 13 Langue. 14 Langue. 15 Macaronis. 16 ? 17 Dinde farcie. 18 Canard aux olives. 19 Oseille et épinards. 20 Poisson aux fines herbes. 21Gratin. 22 Sauce blanche. 23 Soupe façon julienne. 24 Langue piquante. 25 Gigot de mouton. 26 Roti mayonnaise ?27 Fricassée de poulet. 28 Pigeon fricandeau. 29 Volaille à la crapaudine. 30 Saumon et pommes de terre. 31 Ragout de mouton. 32 Rata de porc. 33 Sardines en beignets. 34 ? en civet. 35 Sauté de supions ?. 36 Pâté de pigeon. 37 Petit pâté de porc. 38 Boulettes de pommes de terre. 39 Morue au lait. 40 Poisson aux câpres. 41 Aubergines farcies. 42 Tomates farcies. 43 Foie sauté. 44 Soupe au vermicelle. 45 ?. 46 Cervelle en sauce blanche. 47Homard en gratin. 48 Daube de poisson. 49 Trippes à la mode de Caen. 50 Côtes de porc. 51 Filet de ?.52 Saucisse à la tomate. 53 Purée de pommes de terre. 54 Carry de volaille. 55 Poisson frit.
Recette des achards : couper dans le sens de la longueur des haricots verts et des carottes, ajouter de petits bouquets de choux fleurs, ébouillanter 2 à 3mn. Rajouter alors un peu de curry, d’huile et de piment. C’est un plat de Madagascar, de Maurice et des Seychelles.
Nos remerciements à Mme Eléonore pour son accueil et au cuisinier, grand admirateur du roi Andrianampoinimerina (1787-1810), dont il brandit un portrait.
Compte rendu de Michel et Michèle Sivignon,
texte relu et complété par Françoise Raison, 13/12/2014.