Repas polonais du 19 novembre 2016
Animation Anna Geppert
Le lieu :
Nous sommes dans la crypte de la Mission polonaise en France, héritage du XIXe siècle où la culture de la Pologne, rayée de la carte de l’Europe, a survécu notamment en France et à Paris. Aujourd’hui, la mission polonaise est un lieu d’appui pour de nombreux travailleurs polonais de l’Ile-de-France qui y trouvent un secours spirituel, un lien social – nombreux sont ceux qui ressentent l’isolement, loin de chez eux. La mission polonaise fournit aussi un appui social à ceux qui sont dans le besoin. A deux pas de la Cour des Comptes, c’est un petit morceau de Pologne à Paris.
La crypte n’est pas un restaurant. Animé par des bénévoles, ce point de restauration n’est ouvert que le dimanche, afin de permettre à ceux qui sont venus de loin de se retrouver après la messe autour d’un repas comme à la maison ou simplement d’un thé avec un gâteau. Les autres jours de la semaine, la crypte est fermée et aujourd’hui, elle a été ouverte pour nous recevoir.
Bénédicité :
Un repas polonais commence par le bénédicité :
« Seigneur, bénis ce repas, ceux qui l’ont préparé, et apprends-nous à partager le pain et la joie avec tous. Amen. »
En effet, si le repas nourrit le corps, le repas pris en commun est d’abord un moment de partage. En Pologne, la tradition de « l’assiette du pauvre » – un couvert en plus du nombre de convives dressé sur la table pour le cas où un pauvre frapperait à la porte – reste pratiquée, notamment lors des repas de fête.
Pendant notre repas, une dame qui était venue à la mission pour trouver de l’aide car elle n’avait pas de logement a été invitée à partager notre repas.
Quelques mots d’introduction : une cuisine combinant de nombreux apports intégrés avec les mouvements de frontières et les brassages de population en Pologne.
Le royaume de Pologne est formé en 966, avec son baptême par le roi Mieszko Ier, confirmé lors du couronnement de son fils Boleslas le Vaillant en 1025. La dynastie des Piast règne jusqu’en 1370. Le Pologne est alors située dans la partie occidentale de la Pologne actuelle, autour de sa première capitale Gniezno, une vile proche de Poznań. C’est un paysage de plaines fertiles et de bois, dont les produits (céréales, champignons, baies, noix…) demeurent le composant principal de la cuisine polonaise. Ils sont complétés par des viandes, essentiellement porc et volailles, car en Pologne on ne déboise pas pour pratiquer l’élevage. Les vaches fournissent donc essentiellement des produits laitiers, autres composant important de la cuisine. Devenue puissance régionale, la Pologne est néanmoins confrontée à la poussée vers l’est (Drang nach Osten) du Saint Empire romain germanique, qui laissera des traces dans la cuisine polonaise, notamment le chou.
En 1386, Hedwige Ière, roi de Pologne (contrairement à la France, en Pologne, « les lys filent » – les femmes sont éligibles au trône), épouse Ladislas II Jagellon, grand duc de Lituanie. Ce mariage ouvre la voie à l’Union de Pologne-Lituanie et étire le territoire vers l’est. L’apport de la cuisine lituanienne et des cuisines orientales est majeur dans la cuisine polonaise.
La population juive est nombreuse en Pologne, de l’ordre de 10 % des habitants. Les influences de cette population sur la cuisine sont nombreuses, par l’intégration d’épices comme la raifort, l’usage des concombres marinés, le hareng qui accompagne la vodka, la carpe consommée sur toutes les tables polonaises lors du réveillon de Noël.
Au XVIIe le marquis Guillaume Le Vasseur de Beauplan (1595-1685), ingénieur et cartographe français, participe aux guerres contre les Tatares de Crimée aux confins est du pays (Ukraine). Il publie en 1650 puis 1660 une Description d’Ukranie, qui sont plusieurs provinces du royaume de Pologne, contenues depuis les confins de la Moscovie, jusques aux limites de la Transylvanie ; ensemble leurs mœurs, façons de vivre et de faire la guerre. Au menu quotidien, il relève :
- chou mariné au lard fumé
- gruau d’orge
- pierogi et kluski au fromage blanc
- nouilles mélangées à divers ingrédients
- purée de pois aux lardons (le seul de ces plats aujourd’hui disparu)
En 1569, le traité de Lublin proclame une « République des Deux Nations » (Polonaise et Lituanienne), qui ne fait pas évoluer les frontières mais aboutit à une monarchie parlementaire et élective qui affaiblira la Pologne dans une période où les monarchies européennes s’absolutisent. En 1596, la capitale est transférée à Varsovie.
Suivant les trois partages (1772, 1792, 1795), la Pologne est rayée de la carte et intégrée à la Prusse, où la politique de « germanisation » est active, à la Russie, qui voit surtout dans ce territoire un glacis stratégique, et dans l’Autriche-Hongrie, empire multi-culturel, où les identités nationales sont mieux respectées ; par exemple, l’Université Jagellone obtient le droit d’enseigner en polonais. La cuisine polonaise intègre des apports austro-hongrois, notamment dans le domaine des pâtisseries.
Après la seconde guerre mondiale, les frontières polonaises sont déplacées de 300 km vers l’ouest : l’est de la Pologne est intégré dans les républiques soviétiques, tandis qu’à l’ouest, la Silésie et la Poméranie, anciennement allemandes, sont intégrées à la Pologne.
Une cuisine fade ?
La cuisine polonaise a la réputation d’être « fade » – ce n’est qu’une approximation. Au Moyen-Age, la cuisine était lourde et très épicée. On n’achetait que certaines épices (poivre, sel), les autres ingrédients étant produits localement, un « circuit court » avant l’heure !
Aujourd’hui, la cuisine du quotidien n’est pas très épicée. Cependant les épices ont gardé bonne presse et lorsqu’une cuisinière a une peu plus d’ambition, elle corse un peu les goûts ! Parmi les épices les plus utilisées, on trouve le cumin, les quatre-épices (appelées herbes anglaises), les baies (par exemple le genièvre)…
- Pour commencer… du barszcz avec ses petits pains aux champignons
Prononcez « barchtch », c’est un plat typiquement slave aux nombreuses variantes (« bortch » russe).
On l’assimile abusivement à la « soupe de betterave » : en réalité, la betterave ne sert qu’à donner goût et couleur.
La recette du barszcz combine des bouillons préparés séparément :
- bouillon de légumes (sur fond de viande ou non selon que l’on fête ou que l’on jeûne)
- bouillon de champignons (de préférence, de cèpes)
Lorsque ces bouillons ont bien mijoté, on les associe, et ce n’est qu’à la fin que l’on trempe les betteraves (crues), sans faire bouillir. Le barszcz doit son goût acidulé au ferment de betterave qui fait partie de l’assaisonnement (remplacé par du jus de citron si la cuisinière n’a pas eu le temps de le préparer).
Le barszcz se sert accompagne de petits pains fourrés, aux champignons, ou à la viande. Le barszcz servi aujourd’hui est la version du réveillon de Noël, végétarienne et légère car la veille de Noël on jeûne.
Parmi les autres variantes, le barszcz ukrainien est bien plus riche. Légumes et viandes sont servis dans la soupe et on y ajoute des légumineuses. Il doit sa couleur rose vif au fait d’être agrémenté de crème fraîche.
- Pour suivre, la soupe de cornichon
On ne connaît pas son histoire particulière… mais le cornichon malosol, sa base, est un apport de la cuisine juive.
Recette :
Cuire céleri, persil, et poireaux avec la viande (côtes) 1 heure. Ajouter carottes et pommes de terre coupées en dés, cuire encore 15 mn. Ajouter concombres aigres-doux en lamelles, cuire encore 5 mn. Crème fraîche, aneth.
La Pologne est grand consommateur de soupes, en toute saison. Mais que dit-on de la soupe ? Apparue à l’époque néolithique, elle exprime une première forme de solidarité car elle permet de nourrir ceux qui n’ont plus de dents ! (Carson I.A. Ritchie, Food in civilization, 1981). Elle apparaît donc … avant le chaudron, qui apparaît 2000 ans plus tard, et fut préparée dans des outres de cuir.
Le savoir-vivre de la soupe polonais emprunte à l’international. Selon l’humoriste américain Bennet Carf : « les bonnes manières c’est le bruit que vous ne faites pas en mangeant la soupe » : en Pologne, en effet, on mange en évitant les bruits. Que faire avec la dernière cuillère de soupe ? Pencher légèrement l’assiette vers l’extérieur. Cet usage provient de la cavalerie napoléonienne, où les soldats mangeaient parfois à cheval. Il fallait préserver les uniformes des éclaboussures !
Le Polonais est grand consommateur de soupes, en toute saison. Un jour, il demande à Dieu de lui faire voir l’enfer et le paradis : dans les deux lieux, on mange de la soupe. En enfer, les habitants sont faméliques : en effet les cuillères sont si longues qu’ils ne parviennent pas à se nourrir. Dans le Paradis, où les cuillères sont les mêmes, les habitants se nourrissent l’un l’autre et tous sont rassasiés.
- Bigos
Voici un plat avec du chou ! Importé en Europe par les Mongols et les Huns, le chou est populaire en Grèce, en Italie dès l’Antiquité… Pour les Romains, ses vertus médicinales sont universelles. Il est importé en Pologne au XIVe siècle, par les ordres religieux, via l’Allemagne qui nous apprend à le mariner. Il se conserve aisément, il fait partie de la cuisine polonaise toute l’année.
Bigos est le plat royal. L’étymologie du mot connaît plusieurs hypothèses :
- de l’allemand begießen (arroser) et/ou beigießen (ajouter)
- ou de l’italien bigutta, petit chaudron
- ou de bi=deux et gos = goût, qui seraient le chou et… le chou : mariné et frais
Quoiqu’il en soit, il semble avoir été inventé au XVe siècle, sans doute par une bonne ménagère qui voulait accommoder savoureusement les restes… pour devenir le plat préféré des Polonais, symbole culinaire de leur identité, présent sur les tables comme dans la littérature (sa recette est évoquée dans quatre strophes du poème national Pan Tadeusz d’Adam Mickiewicz, probablement œuvre la plus connue de la littérature polonaise).
Recette:
deux sortes de chou, mariné et frais viandes et charcuteries (diverses), champignons séchés, pruneaux, oignon. Condiments : cumin, marjolaine, quatre-épices (en polonais « anglais »).
La cuisson est longue. Plus il sera réchauffé, meilleur (et plus fort) sera son goût et plus sombre sera sa couleur : c’est ainsi qu’il est bon !
Le bigos est servi avec des pommes de terre ou avec du pain de seigle, souvent un petit verre de vodka.
Il se décline aussi en nombreuses variantes :
- Bigos litewski (lituanien), caractéristique par la présence de pommes acides
- Bigos hultajski (voyou), avec beaucoup de viande et de lard, plat préféré au XVIIIe siècle
- Bigos węgierski (hongrois), avec poivrons, piment, crème fraîche
- Bigos myśliwski (du chasseir), avec gibier et baies de genévrier
Le plus original était sans doute le « Bigos z wiwatem » (bigos avec vivats), qui était préparé au XVIIIe dans un chaudron recouvert de pâte : lorsque la pâte explosait avec fracas, le bigos était prêt.
Les développements contemporains de la gastronomie ont entraîné l’apparition d’un Bigos wegetariański (végétarien) où le tofu remplace la viande.
- Pierogi
Le principe, une grosse raviole ! Pâtes et farces varient du tout au tout…
C’est le plat polonais le plus ancien. Connu depuis le XIIIe siècle, il est venu d’Extrême Orient, par la Rous’ de Kiev (actuelles Russie, Biélorussie, Ukraine). Selon la légende, Hyacinthe de Cracovie (Jacek Odrowąż, 1183-1257), frère prêcheur, ami de St Dominique, apôtre des slaves, découvrit les « pirogi » pendant son séjour à Kiev et les importa. Il en offrait aux pauvres.
Le mot vient probablement des dialectes de l’oural (piirag). En Pologne, « pirogi » devient « pierogi » dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Autre hypothèse « pir », « piru », la fête, la cérémonie : en effet, les premiers pierogi sont réservés aux fêtes, chaque fête a son type de pierogi :
- pour les noces, « kurniki », pierogi de grande taille, avec de la viande de volaille.
- pour les enterrements, « knysze », pâte au levain ou à la farine de pomme de terre, diverses farces, parfois frit
- pour les fêtes (//anniversaire), sanieżki et socznie, pierogi sucrés, aux fruits.
L’accompagnement peut être oignons frits, crème fraîche, mais le grand classique sont les lardons frits, de préférence en provenance directe d’une ferme voisine.
Aujourd’hui, on les trouve partout en Pologne sauf en Silésie et en Cachoubie (partie de la Poméranie), qui faisaient partie de la Prusse jusqu’en 1945.
Les plus courants aujourd’hui :
- pierogi ruskie (« russes », mais plus exactement de la rous’) : le grand classique avec une farce de pommes de terre, fromage blanc (twaróg, oignons et herbes)
- pierogi z kapustą i grzybami (au chou et aux champignons), excellents en saison de champignons
- pierogi z mięsem (à la viande), avec leur variante lituanienne les Kołduny, farcis à la viande de veau
- pierogi z owocami (aux fruits), la variante de dessert, aux myrtilles, fraises…
La pâte est faite de farine, eau et lait. La version la plus courante (et la plus saine) est cuite à l’eau. On peut également ensuite les faire revenir à la poêle. Parmi les variantes remises à l’honneur récemment, on trouve les pierogi dans une pâte au levain, cuits au four. Attention, ils sont nettement plus lourds.
Les pierogi sont disponibles partout et le plus souvent fabriqués sur place, même si vous allez dans un restaurant au bord de l’autoroute. L’engouement des Polonais pour ce plat a donné naissance à un type de restaurant dédié : les « pierogarnie ». Bon marché, ils sont une alternative efficace (et saine) au fast-food.
- Charcuteries et salades
Les Polonais apprécient charcuteries et salades. Notre repas contient un assortiment classique des repas de fête : saucisse de campagne et macédoine de légumes.
Saucisses et charcuteries sont fabriquées localement. Entièrement naturelles (le boyau dans lequel elles sont enveloppées se mange), elles ne sont en général pas grasses.
La macédoine de légumes incorpore les légumes qui ont servi de base au bouillon du barszcz (cuits), des légumineuses, des morceaux de pommes acides et de cornichon pour la fraîcheur du goût. La sauce n’est pas une mayonnaise ! Elle est associé à des jaunes d’œufs durs (on peut mettre les blancs coupés en dés dans la macédoine), moutarde et crème fraîche.
- Pâtisseries
Gâteaux et pâtisseries ont intégré bien des éléments d’Autriche-Hongrie. Lesp lus connus :
- sernik, un « cheese cake », très onctueux, auquel on peut ajouter raisins secs, fruits…
- szarlotka, gâteau aux pommes, aux nombreuses variantes sur pâte brisée ou sur génoise
- tort, des couches de viennoise séparées de couches de crème au beurre de divers parfums, café, chocolat, noix, fruits…
- beza, associant meringue, crème de type mascarpone et fruits frais
- makowiec, le « gâteau aux pavots », un roulé préparé pour les fêtes car la préparation de l’appareil demande beaucoup de travail : la graine de pavot doit être trempée (une nuit), moulue trois fois, puis bouillie avec les éléments qui viendront compléter le goût : beurre, miel (pas de sucre!), fruits confits…
En Pologne, on entre sans hésiter dans un salon de thé pour manger un gâteau – c’est bon marché et les produits sont préparés sur place, il est rare d’avoir une déconvenue.
Thé et café les accompagnent. Le thé accompagne d’ailleurs l’ensemble du repas ! Le café, produit de luxe pendant l’entre-deux-guerres et la période communiste, est désormais devenu accessible à tous.
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Merci à tous les participants pour leur écoute et la belle atmosphère de ce repas.
J’ai été très touchée par l’acclamation réservée à l’équipe de bénévoles de la Mission polonaise, qui s’est effectivement pliée en quatre pour nous recevoir dans la tradition de l’hospitalité polonaise.
Bon voyage à ceux qui iront en Pologne au printemps !
Anna Geppert