Pour André Méry, tout à son aise et ravi d’être là, les gens perçoivent souvent les végétariens comme ayant une alimentation restrictive. Or, les végétariens disposent de l’ensemble du monde végétal pour se nourrir : 6 à 7 céréales, une dizaine de légumineuses, des graines variées et des fruits et légumes en nombre. La palette des aliments est large. Prenons quelques exemples : il existe de nombreuses variétés de riz (noir, complet, sauvage), de haricots (verts, rouge, noirs, blancs) ou de lentilles (jaunes, vertes, etc.). Mais il est vrai que manger végétarien demande de faire quelques efforts et, notamment, une réflexion sur la qualité de ce qui est mangé. Il s’agit de se rendre dans des magasins ne proposant pas la nourriture de Monsieur tout le monde, comme les magasins biologiques. Gilles Fumey provoque André Méry sur la piètre image que donnent les graines qui rappellent plutôt les oiseaux…
Bien sûr que non, de nombreuses graines sont consommables et consommées telles les graines de courges ou les pignons de pin. Le tout, c’est d’avoir la volonté d’aller voir ailleurs et au-delà des autres. Sinon, il est vrai que le végétarisme devient vite lassant, même s’il existe de nombreuses sortes de pâtes. Être végétarien nécessite de passer à des aliments naturels et complets (non raffinés). Si on n’enlève que la viande de sa nourriture, on ne peut pas être végétarien. Il est vrai que certaines personnes s’y refusent, comme celles ayant connu la guerre. Pour elles, il est hors de question d’ingurgiter des rutabagas, des topinambours ou du pain complet, car ces aliments leur renvoient l’image de leur douloureux vécu pendant l’Occupation. Pourtant, il y a dans l’alimentation végétarienne des plats qui ressemblent à s’y méprendre à de la viande, tel le « bœuf végétal », composé de protéine de soja ou de blé qui a une texture imitant celle de la viande alors que c’est un aliment purement végétal.
Gilles Fumey demande comment un végétarien pense son repas, sachant que l’omnivore qu’est l’homme prépare son repas autour du plat de viande ? Faut-il être chimiste, biologiste ou minéralogiste pour penser un repas végétarien ?
Le végétarien organise le repas autour du plat central qui sera composé sur la base d’une céréale. André Méry, pour mieux nous expliquer, prend l’exemple du repas que sa famille mange ce soir en son absence. L’entrée est élaborée à partir d’une salade de tomates et concombres, assaisonnée d’huile de germes de blé et agrémentée de graines de tournesol ou de courge et d’herbes (cerfeuil, persil). Le plat principal est du tofu grillé à la poêle avec des oignons, et en dessert, des fruits ou un yaourt au soja ou au chocolat. Pour bien connaître les repas végétariens, il faut savoir ce qu’est un végétarien. Un végétarien est une personne qui s’abstient de manger de la chair animale quelle que soit sa forme (poissons, fruits de mer, produits laitiers, viandes). Mais certains ingèrent du lait et pas d’œuf, ce sont les lactovégétariens, d’autres du lait et des œufs, ce sont des ovolactovégétariens. Le végétalien ne consomme ni viande, ni lait, ni œuf. Le végan retire de son mode vie d’autres produits animaliers comme la laine ou le cuir. Enfin, certains ne mangent les aliments que crus : on les appelle des crudivégétariens.
Que boit un végétarien ?
Tout. La boisson n’a pas grand chose à voir avec le végétarisme, mais certains types d’alcool peuvent être refusés car ils utilisent des produits d’origine animale (blancs d’œuf, dans l’élevage de certains vins) au cours de leur élaboration.
Gilles Fumey : L’argument le plus important dans le végétarisme n’est-il pas l’argument moral ? Ce que le héros de Marguerite Yourcenar dans L’œuvre au noir, énonçait ainsi : « je répugne à digérer des agonies ». Le plus ancien végétarien connu d’Occident est Pythagore, pour qui l’argument spirituel primait : tuer pour manger entrave sa propre évolution spirituelle. La période récente du végétarisme remonte à la fin du XIXème siècle et argumentait alors sur l’harmonie du monde qui est perturbée par la mise à mort de l’animal. Au début du XXème siècle, l’argument sanitaire se développe dans le monde médical, autour de la putréfaction rapide de la viande dans un monde qui maîtrisait encore mal la congélation. L’argument le plus récent est effectivement la morale. En fait, il y a plusieurs bases au végétarisme. Il y a de nombreux végétariens célèbres : Pythagore, Léonard de Vinci, pour qui le meurtre des animaux est comme le meurtre des hommes, Einstein, Elisée Reclus… Mais, il y a aussi de nombreux personnages célèbres qui ne sont pas végétariens, cela n’a rien à voir. D’une manière générale, les origines du végétarisme sont à rechercher en Inde et dans la philosophie bouddhiste, notamment le Mahâyâna (Grand Véhicule).
J.-P. Nemirovsky demande : « alors, pourquoi, dans leurs menus, les végétariens se réfèrent-ils à la viande ? »
C’est surtout pour faire une transition dans les mentalités et dans les goûts. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Michel Sivignon se demande alors si le végétarisme n’est pas au final une sorte d’ascèse, une alimentation qui serait le contraire de la gastronomie. Cette vision est une image véhiculée par les restaurants macro-biotiques qui organisent les aliments en fonction de leur énergie, en mâchouillant des gruaux de céréales en quelque sorte. Si le végétarisme est vécu comme une question religieuse et morale, alors il peut être une ascèse pour une évolution spirituelle personnelle.
Michèle Sivignon postule que les raisons sont peut-être davantage hygiénistes et sanitaires.
André Méry rappelle que c’est effectivement les raisons essentielles pour la diététique personnelle et la recherche d’une meilleure santé. Il a été prouvé scientifiquement que le végétarisme apportait des améliorations sanitaires dans certains domaines médicaux comme les cancers du colon, du sein, de la prostate, du pancréas, l’ostéoporose ou les maladies cardio-vasculaires. Mais tous les articles scientifiques qui en parlent sont en langue anglaise. Les associations de diététiciens nord-américains et canadiens ont une position officielle favorisant un régime végétarien bien conçu. L’équivalent n’existe pas en français, il n’y a éventuellement que des traductions.
Françoise Forgerit souhaite savoir ce qu’il en est du végétarisme des sportifs. Pendant longtemps, ils étaient nombreux à appliquer un régime végétarien, mais ils auraient cessé de le faire car leur masse musculaire en était diminuée.
Il n’y a pas à proprement parler un régime sportif végétarien. Les protéines végétales donnent autant de masse musculaire que la viande. La seule différence réside dans le type d’effort physique. Les sportifs végétariens sont, disons, moins efficaces en sport de force, mais ils sont meilleurs en endurance, dans la durée.
Est-ce que se passer de viande est vraiment bon pour la santé ? Ou est-ce le fait de manger beaucoup de légumes et de fruits qui favorise la santé ?
Le débat n’est pas tranché, car de nombreux facteurs de confusions (pollution, fumeur) interviennent. Le végétarisme est avant tout une question d’éthique, d’écologie et de spiritualité. Actuellement le raisonnement est principalement éthique. Il pourrait se résumer de la façon suivante : pourquoi nous permettons-nous de faire des choses aux animaux, alors que nous les interdisons sur les hommes ? C’est le spécisme, le racisme d’espèces. Pour les plantes, c’est différent. Elles n’ont pas de système nerveux et ne souffrent donc pas.
Gilles Fumey avance alors l’hypothèse que ce qui semble être au centre du végétarisme c’est la question de la sensibilité à la souffrance animale et non l’animal lui-même.
André Méry répond que ce n’est pas le fait qu’il ne supporte pas la vue du sang ou la souffrance animale qui gêne le végétarien, mais l’idée même de s’en prendre à des animaux. L’esclavage a été aboli chez l’homme, pourquoi continuer à maltraiter les animaux ? Le végétarisme applique en quelque sorte l’adage « ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». C’est insupportable d’un point de vue moral et non sentimental.
La discussion s’éloigne un peu des questions alimentaires
Comment s’effectue le recrutement de l’association « Alliance végétarienne » ?
– L’association est ouverte à et promeut tous les types de végétarisme. Une enquête menée en 2000 en France auprès des membres a révélé que 30% des membres n’étaient pas totalement végétariens. Tous les âges y sont représentés. Mais le membre type est en général une femme de 35 ans avec enfants, issue de la classe moyenne.
Est-il possible de faire une carte géographique des végétariens en France ?
– C’est possible uniquement à partir des membres de l’association, car le végétarisme a donné pour l’instant lieu à peu d’études en France. Les végétariens sont plus nombreux dans le Nord Est (Alsace Lorraine) et le Sud. Au centre de la France, il n’y a aucun membre, mais il n’y a de toute façon que peu de population dans ces régions. A noter toutefois, que nombre de tables d’hôtes végétariennes sont tenues par des étrangers (Anglais et Allemands majoritairement).
Jean-Pierre Némirovski demande si finalement le végétarisme n’est pas une mode de pays nantis. Pour André Méry, il est vrai que les nantis ont plus de temps libre pour réfléchir et ont pléthore de choix alimentaires et intellectuels. Mais il y a avant tout dans le végétarisme différents niveaux de réflexion à prendre en considération :
– des raisons personnelles, comme la santé,
– des raisons transpersonnelles comme l’écologie et/ou l’économie (si on consomme moins de viande il y aura moins d’animaux d’élevage, il y aura alors davantage de végétaux pour nourrir davantage d’hommes et moins à dépenser en alimentation animale pour les familles pauvres. La diminution du nombre d’animaux d’élevage permettra une réduction du méthane et donc de l’effet de serre),
– des raisons métapersonnelles comme la spiritualité, le droit, la justice ou la morale. Ces paliers de raisons sont atteints progressivement par les végétariens. Mais une fois le dernier niveau gagné, il est difficile de se sortir du végétarisme.
Michel Sivignon se demande si le militantisme en faveur des animaux ne conduit pas au-delà à la politique.
Cela a nécessairement des implications politiques, car le végétarisme tend vers la disparition de l’élevage. Or en France, trois millions d’animaux sont tués tous les jours. L’arrêt de cette filière entraînerait des conséquences économiques que les politiques ne peuvent pas ignorer. Mais il ne faut pas confondre avec la protection animale ou la défense animale.
Pour conclure, Gilles Fumey souhaite savoir si le végétarisme est en progrès dans le monde.
André Méry : Il s’implante difficilement en France en raison de traditions culinaires ancrées, mais les néovégétariens (ceux qui abandonnent progressivement la nourriture animale notamment suite aux scandales de la filière alimentaire comme la vache folle) sont en progression importante. Il faut tout de même savoir que, en France, ce sont 95 kg de viande qui sont consommés par an et par habitant. Mais la consommation de légumes et de fruits se développent avec les incitations officielles. En France, on ne compterait que 2% de végétariens contre 10% en Inde. L’Angleterre est un des pays où la progression est la plus forte. Si le rythme actuel se poursuit, à l’horizon 2047, toute l’Angleterre sera végétarienne !
Le menu de la soirée ?
En entrées :
– des crudités,
– du pakora (beignets frits indiens),
– de la tapenade,
– des terrines (de légumes ou de champignons),
– de la soupe de courgettes.
En plats principaux :
– Chili sin carne
– escalope de « bœuf » (protéine végétale)
– tartes (aux épinards ou brocolis et mozzarella)
Les plats étaient accompagnés de boulghour et de dal (purée de lentilles jaune).
En dessert :
– compote de pommes
– crumble (aux fruits rouges)
– fromage blanc au coulis de framboise. En boisson :
– eau
– boisson fermentée non alcoolisée à base de fleurs de sureau, d’hibiscus et de souci (sorte de kéfir)
Pour aller plus loin :
Le site Internet du restaurant « La victoire suprême du cœur » :
– http://www.vscoeur.com
Les végétariens se portent bien, merci [ Les Echos, 4 février 2009 ]
Un régime végétarien bien équilibré ne nuit pas à la santé à condition de contrôler l’apport d’acides aminés. « Les végétariens qui suivent un régime équilibré ne souffrent pas de carence protéique. » Selon Fernand Lamisse, professeur de nutrition émérite à Tours, un régime qui exclut totalement les protéines animales n’est pas dangereux pour la santé. « Les risques sont inexistants, quand les règles de l’alimentation sont bien conduites. » Cette famille de mangeurs est très vaste et semble gagner du terrain dans les couches les plus aisées de la population française. Certains affichent des pratiques très strictes (végétaliens) et d’autres se contentent d’une consommation réduite de viandes. La plupart accompagnent ces pratiques d’une hygiène de vie supérieure à la moyenne. Cette diversité complique les enquêtes épidémiologiques souvent entachées de biais impossibles à éliminer.
Selon Fernand Lamisse, il n’y a pas de risque de carence en certains acides aminés (lysine et méthionine) pour les végétariens bien informés. « En associant des céréales et des légumineuses au cours d’un repas ou d’une journée, les protéines végétales retrouvent une qualité comparable à celles des protéines animales. » En fait, les effets bénéfiques d’un végétarisme bien pensé semblent même l’emporter sur les effets négatifs. Certaines études montrent ainsi une baisse de la prévalence de l’hypertension artérielle et des problèmes des coronaires chez ces populations. Mais, très souvent, le mode de vie des végétariens les protège des facteurs de risque de ces maladies (alcool, tabac, graisses animales, sédentarité, surpoids).
Ce choix de vie est en expansion, en particulier dans la catégorie des bobos urbains. C’est souvent un acte protestataire contre la malbouffe, l’alimentation industrielle, voire la gastronomie bourgeoise. « La proportion de végétariens augmente à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale. Ce sont des raisons caractéristiques du malaise alimentaire qu’expriment les fractions intellectuelles des classes moyennes ou supérieures », indique Arouna Ouedraogo, chercheur à l’Inra d’Ivry-sur-Seine et spécialiste de la sociologie des végétariens. A. P
Bibliographie :
– André Méry, Les végétariens, raisons et sentiments, Editions La plage, Paris, 2002, 312p.
– Laurence Ossipow, La cuisine du corps et de l’âme, Editions de la Maison des Sciences et de l’Homme, Paris, 1997, 341 p.
Compte-rendu : Alexandra Monot