Ce lundi soir, nous avons reçu au Café de la Mairie (Paris 3e) Jean Radvanyi et Cédric Gras à l’occasion d’un café géopolitique sur la guerre en Ukraine. Jean Radvanyi est géographe, spécialiste de la Russie et professeur émérite à l’Institut national des langues et civilisations orientales. Cédric Gras, géographe de formation, est écrivain et voyageur, il a dirigé plusieurs Alliances françaises dans l’espace post-soviétique, notamment celle de Donetsk en Ukraine de 2010 à 2014. La salle était comble pour ce sujet d’une actualité brûlante.
Café Géopolitique du mardi 13 février 2018, Café de la Mairie (51, rue de Bretagne, 75003 Paris).
Par Jean Radvanyi, professeur de Géographie de la Russie à l’INALCO, co-directeur du CREE (Centre de recherches Europes-Eurasie).
Pourquoi faire un parallèle entre Vladimir Poutine et la géographie ? En 2009, le pouvoir organise une OPA sur la Société de Géographie russe, siégeant à Saint-Pétersbourg. Vladimir Poutine, alors Premier Ministre, organise la reprise en main de cette vieille institution : il fait nommer un proche Sergueï Choïgou, alors ministre des situations d’urgence, au poste de Président de la Société russe de géographie. De son côté, le dirigeant russe prend la tête d’un Comité de parrainage composé des principaux oligarques russes. L’État russe redonne vie à cette vieille institution en conférant à la géographie une place enviable dans la mobilisation patriotique de l’opinion et en impulsant de nouveaux projets de recherches et d’expéditions, façon de remettre le territoire au centre de la politique.
Les instruments de la puissance
Pour « sortir des idées préconçues et ignorances respectives », Jean Radvanyi revient sur les débuts du dirigeant russe, car cette volonté de grandeur n’est pas nouvelle. Dès 1999, Vladimir Poutine énonce ses idées dans un programme clair. Constatant qu’il a hérité d’une Russie affaiblie sur tous les plans, au bord de l’éclatement, le Président souhaite redonner tous les instruments de puissance à son pays, par une remobilisation des populations, et une réorganisation structurelle (économique principalement). Cette même année, Boris Eltsine quitte le pouvoir et laisse entre les mains de Vladimir Poutine un pays au bord de l’éclatement. L’actuel Président a transformé la gestion, l’organisation du territoire et les rapports entre la Russie et ses voisins en quelques années seulement. Pour ce faire, Vladimir Poutine n’a hésité devant aucun « levier », afin de remobiliser la société russe autour d’un nouveau consensus patriotique.
Le domaine sportif par exemple, fait partie des instruments mobilisés par Vladimir Poutine pour rassembler les populations russes autour de grands événements mondiaux. À l’échelle internationale, le Kremlin a mis en place des politiques visant à placer la Russie dans le sillage des grandes nations accueillant les évènements sportifs internationaux (Jeux Olympiques de Sotchi en 2014, coupe du monde de foot en 2018). L’Église orthodoxe russe a également un rôle prépondérant dans la politique interne et externe de Vladimir Poutine. Elle défend les volontés d’expansion territoriale du pouvoir central, en invoquant le rayonnement historique de la « Sainte-Russie ». Le dirigeant russe utilise aussi l’argument religieux dans son alliance avec la Syrie, où vit la plus importante communauté orthodoxe en Orient.
Association Café Géo de Paris, Repas russe du 3 décembre 2013, au Da-Niet, Bistrot russe (5, rue de Lancry à Paris 10ème). Repas animé et commenté par Jean Radvanyi.
Jean Radvanyi, professeur à l’INALCO, vient d’assurer pendant 4 ans la direction du Centre franco-russe en Sciences Sociales, à Moscou. Son dernier ouvrage : « Retour d’une autre Russie, plongée dans la Russie de Poutine ». Editions Le Bord de l’Eau. 2013
La cuisine russe dont on parle ici est une cuisine familiale, faite le plus souvent par les femmes, même si bien sur certains hommes se mettent aussi au fourneau. On mange quotidiennement dans la cuisine, pièce petite où on se serre, mais s’il y a une fête le repas peut être plus élaboré dans une salle à manger où très souvent, à l’époque soviétique, quelqu’un dormait. Les appartements collectifs ont à peu près disparu (sauf pour les migrants). Ils comportaient une cuisine commune à plusieurs familles (parfois même plusieurs cuisines) et chaque famille s’entassait dans une pièce.
En Russie quand on arrive, la table est festive, déjà chargée de victuailles (les « zakouski » ou hors d’œuvre) et de boissons. Jean Radvanyi nous lit un texte de Constantin Véréguine du début du XX° siècle où il est question du repas de rupture du carême dans une famille noble et fortunée de Yalta. Au centre un énorme koulitch aux quatre coins une paskha, pyramide de fromage blanc. Et puis, des jambons, des viandes, des poissons. Vins et vodka.
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